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Qui a tué Ananias et Saphira ?

(Actes 4:32 à 5:13)

(écouter, culte en entier, imprimer)

Le dimanche 23 juin 2019
Au temple Saint-Pierre - Genève
prédication du pasteur Marc Pernot

À la Pentecôte, nous ne pouvons exactement savoir comment cela s’est passé historiquement, mais il a dû se passer quelque chose de puissant pour que les apôtres, privés de Jésus, aient ce formidable sursaut d’enthousiasme de vivre dont parle le récit de Pentecôte.

Les apôtres inventent alors la première église. Le livre des Actes nous en dresse d’abord un portrait idyllique. Une communauté idéale ? Sauf qu’arrive la mort mystérieuse de deux disciples, Ananias et Saphira.

Terrible épisode, qui est à mon avis à la fois historique, et rapporté ici pour nous faire réfléchir.

Pierre est une personne dont on peut sentir la personnalité à travers bon nombre d’épisodes du Nouveau Testament où il a un rôle de premier plan, selon tous les témoins pourtant pas toujours copains avec lui. Pierre n’est jamais dans la demi-mesure. Il fonce, ce qui est tantôt du courage tantôt une folie. Il est donc naturel de le voir en premier de cordée dans le réveil des disciples de Jésus à la Pentecôte : il harangue les foules avec succès, il organise tout le monde, il affronte les autorités hostiles, il fait même des miracles. Quel talent !

Alors comment se fait-il que plus loin dans le livre des Actes nous voyons qu’il a perdu cette première place pour devenir un simple missionnaire tremblant devant Jacques qui le tient à l’œil ? (Actes 11 et 15, Galates 2:8) Il a dû avoir un accident de parcours. Il me semble plausible que ce soit cet épisode terrible de la mort d’Ananias et Saphira dans la première communauté. Que s’est-il passé ? Pour le savoir, penchons nous sur ce récit comme dans une enquête policière portant sur ces deux morts suspectes au sein de cette communauté chrétienne naissante.

Il y a des choses excellentes dans cette communauté : 1) La solidarité entre ses membres et 2) leur enracinement dans le Christ comme source de vie, tellement que cela déborde dans leur témoignage vers l’extérieur, en paroles et en actes. Ces deux points donnent un excellent résumé de l’Évangile du Christ. Avec un aussi bon fond, on attendait dans la suite du récit une description de magnifiques fruits de vie en abondance. Ils sont bien là : des personnes se tournent vers Jésus-Christ, et il n’y a pas de pauvres dans cette église. Oui, mais il y a des morts dans cette église, et il y règne la crainte à l’intérieur comme à l’extérieur de la communauté.

Comme quoi, il ne suffit pas que le fond soit parfait. La façon de le vivre est également importante.

C’est bien de rechercher ce qui va nous animer pour inspirer notre vie, puis de choisir la religion ou autre qui nous convient le mieux. C’est ensuite tout aussi important de chercher et de choisir le rapport que l’on entretien avec sa religion.

L’Évangile du Christ est absolument génial. Pourtant, il peut y avoir des façons de s’en saisir qui peuvent tout gâter, jusqu’à faire de cette formidable puissance de consolation et de vie une source de crainte et de morts. Comme ici. Ce texte est là pour nous aider à ce que notre façon de vivre l’Évangile soit réellement la puissance de vie. Après la Pentecôte, son mode d’emploi.

La description de la communauté rassemblée autour de Pierre commence ainsi : « La multitude des croyants était un seul cœur et une seule âme ». Génial ? Sauf que dans ce contexte cela sonne déjà comme un indice suspect. C’est une claire allusion à un des textes les plus connus de la Bible en particulier en rapport avec la Pentecôte, le récit de la ville et de la tour de Babel dans la Genèse (si vous n’étiez pas au temple des Eaux-Vives il y a 2 semaines vous pouvez retrouver le texte de la prédication sur internet). Babel est une interrogation sur notre façon d’incarner l’idéal qui est une bonne entente entre humains et une bonne relation avec Dieu. Avec cette 1ère question : est-ce que la bonne entente entre nous n’étouffe pas les individus dans une pensée unique ? Et avec cette 2 nde question : Est-ce que notre élévation est avec Dieu ou est-ce que dans notre élévation nous devenons notre propre dieu ?

Sur le diagnostique concernant la bonne entente entre humain, l’église fondée par Pierre présente des symptômes inquiétants en ce qui concerne le respect de l’individu dans cette communauté qui a un seul cœur, une seule âme, une seule prière, jusqu’à la brosse à dents qui semble être mise en commun entre tous !

Sur le diagnostique en ce qui concerne l’élévation et le risque de se prendre soi-même pour dieu, il y a des signaux très inquiétants ici. En effet Pierre dit et répète qu’en mentant aux apôtres c’est à Dieu lui-même qu’Ananias et Saphira ont menti, c’est l’Esprit-Saint qu’ils ont trompé. Est-ce que par hasard, Pierre ne se serait pas pris un petit peu pour Dieu ? Ce ne serait pas la première fois. Car déjà l’Évangile nous raconte qu’une fois déjà Pierre était si fier d’avoir été un instant bien inspiré par Dieu qu’il s’est mis à vouloir apprendre à Jésus ce qu’il devrait faire, et que Jésus, secoué lui-même par ce que lui disait Pierre, lui a répondu « arrière de moi, satan » (Mt 16:23) si tu continues tu vas me faire chuter moi-même.

À la Pentecôte, Pierre se sent pousser des ailes, il a été parmi les plus proches de Jésus, depuis la Pentecôte il se sent en profondément animé, inspiré par Dieu, il se sent en communion profonde avec le Christ.

Pierre est vraiment inspiré et il veut bien faire, il cherche à construire une communauté idéale, digne du Christ. En examinant les détails de ce récit des Actes, on peut alors remarquer que la phrase de Jésus à Pierre « arrière de moi, satan » est comme rappelée ici.

En effet, en hébreu, satan n’est pas un nom propre, c’est une fonction « celui qui condamne ». Effectivement, Pierre est ici celui qui condamne avec la plus extrême sévérité Ananias et Saphira, en qualifiant leur faute de péché contre l’Esprit de Dieu. Cela leur annonce explicitement leur condamnation à la mort éternelle sans rémission possible (Mt 12:31). De quoi en mourir de honte, de remords, d’apoplexie et de crise cardiaque tout à la fois dans ce contexte.

Quand Pierre les condamne ainsi, il se prend pour Dieu, c’est d’autant plus ironique que si l’on connaît un petit peu l’Évangile, Dieu n’aurait jamais, au grand jamais condamné Ananias et Saphira à mort. Qu’aurait fait Jésus ? Peut-être qu’il aurait dit comme à la femme adultère «moi non plus je ne te condamne pas, va et ne pèche plus » ( Jn 8:11) ? L’apôtre Pierre est ici dans une tout autre logique. Il ne fait preuve d’aucune compassion pour Ananias et Saphira, cela lui semble juste compte tenu du rapport que Pierre entretient avec ses certitudes, devenues sacrées à ses propres yeux. Pierre aurait pu féliciter Ananias et Saphira d’avoir donné une partie de leurs biens. Il aurait pu les féliciter d’avoir réfléchi et d’avoir décidé pour eux-mêmes en n’oubliant personne : ni Dieu, ni leur prochain, ni eux-mêmes. Car c’est ce difficile équilibre que nous avons à ajuster à chaque moment de notre vie, et le faire avec notre propre intelligence, dans une décision personnelle, comme le propose Jésus (Marc 12:29-31). Ils ne pouvaient vivre cela sans trahir cette communauté de la pensée unique. Si Pierre pensait qu’ils étaient pécheurs, il aurait pu leur dire comme le Christ à la femme pécheresse « Tes péchés sont pardonnés... Ta foi t’a sauvée, avance dans la paix. » (Lu 7:48-50). Ou il aurait pu prier Dieu comme Jésus pour les soldats qui sont en train de le crucifier : «Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. » (Luc 23:34). Pierre aurait pu se rappeler que Jésus leur avait dit, alors que les apôtres critiquaient une femme « pourquoi lui faites-vous de la peine ? Elle a fait ce qu’elle a pu ».

Pierre accuse Ananias et Saphira de ces deux noms de satan et de tentateur, qui est dans la Bible un autre nom de la source du mal. Le récit des Actes montre que Pierre devient, malgré ses bonnes intentions, le tentateur, il insuffle le poison du doute dans le cœur d’Ananias et Saphira comme le serpent de la Genèse : doute sur l’amour de Dieu, doute sur la possibilité de sa miséricorde. Pierre remplit ainsi leur cœur du sentiment de culpabilité, du sentiment d’être indigne, d’être une abomination aux yeux de Dieu. Pierre devient même pire que le serpent de la Génèse (car lui ne mentait pas) alors que Pierre ment à Saphira en prétendant ne pas connaître le prix de vente du champ pour mieux la tenter. Pierre place ainsi Saphira devant une alternative extrêmement cruelle : doit-elle se sauver elle-même et faire condamner son mari ? Elle ment à Pierre et le couperet tombe.

Pourtant Pierre voulait bien faire, vraiment. Il y met toute sa foi, toutes ses forces, et son enthousiasme pour ce qu’il a reçu du Christ. Il se veut garant de cette bonne morale qu’est la solidarité et la fiabilité de la parole droite. Il veut que la communauté chrétienne soit à la fauteur de la fidélité parfaite du Christ. Mais même avec la théologie la plus élevée, la foi la plus grande, et la générosité la plus radicale on peut faire des sources de morts s’il n’y a pas de l’amour comme le dit Paul (1 Corinthiens 12-13) qui propose un tout autre modèle de communion, où l’unité du corps se fait dans la diversité des membres, par l’Esprit en chacun, en non par la pensée unique sacralisée.

Pourtant Pierre, ici comme dans l’épisode des Évangile, vient d’être réellement inspiré par Dieu et cherche à en vivre. Il est à la fois l’homme en communion avec Dieu et l’homme se prenant pour Zeus tout-puissant tenant sa foudre en main, et il ne s’en est pas rendu compte. Ce texte est intéressant car risque est inhérent à toute personne qui vient de vivre une élévation nouvelle : qui par sa science, qui par sa foi, qui par son émotion esthétique, qui par un beau projet qui a marché. Cette page de la Bible nous permet de travailler là-dessus en nous-mêmes. Et si ce récit terrible prolonge celui de Pentecôte c’est parce que l’élévation extraordinaire que Dieu nous donne par la foi présente un risque de dérive, et est en même temps la solution à ce risque.

Ananias et Saphira meurent donc, ils meurent aussi pour cette communauté à qui ils vont vraiment manquer. Par contre, il reste Barnabé, le bon élève qui a donné, lui, la totalité de son capital à la gestion centralisée des apôtres. Le texte précise que le nom « Barnabas » signifie « le fils de l’exhortation », c’est pour nous dire qu’il y a une leçon à tirer de son nom pour notre réflexion sur ce sujet. Barnabas incarne ce qui, en nous, est enfanté par la morale, la théologie, l’interprétation enseignées par d’autres. C’est inquiétant car le projet du Christ c’est que chaque personne naisse de Dieu, directement par son Esprit, par son souffle. Cette distinction entre naître de Dieu ou naître de l’exhortation au nom de Dieu ouvre mil pistes sur ce que c’est que l’éduction d’un enfant, l’accompagnement d’une personne, sur la mission de l’Église, sa posture vis à vis de la personne, le rôle de sa prédication qui, quand tout va bien, renvoie seulement vers l’essentiel.

Le nom « Ananias », littéralement, veut dire « la grâce de l’Éternel ». Avec l’attitude de Pierre la notion même de grâce de Dieu est foudroyée pour Ananias et elle l’est aussi pour les personnes qui sont autour, dans et hors de la communauté, puisque aussitôt tous sont pris de crainte.

Le nom « Saphira », en hébreu, a donné le mot saphir en français. Par sa pérennité de diamant et sa couleur d’azur, le saphir évoque dans la Bible le trône de Dieu, l’action de Dieu dans le monde et en nous-mêmes. Effectivement Pierre dynamite le trône de Dieu quand il confond l’Église et Dieu.

Le résultat, nous dit le texte, c’est une grande crainte de la part des gens, ils viennent pourtant en nombre. Ce qui les fait venir, c’est la crainte pour soi-même et c’est l’espérance de bénéfice pour soi-même comme on le voit à la fin de ce texte avec la foule qui attend des miracles. C’est ainsi l’intérêt personnel qui les fait aller vers l’église et non plus l’amour et la gratitude qui les fait placer en Dieu leur confiance.

Comment Ananias et Saphira auraient-ils pu se sentir vraiment libres d’assumer leurs choix personnels, inspirés par leur intelligence et par leur foi face à une telle menace ? La grâce et l’action directe de Dieu au cœur de la personne ont été tués par la façon dont Pierre et ses amis cherchaient à construire l’unité.

Nous voulons bien sûr, comme Pierre, l’unité entre les personnes. Mais comme Dieu donne la vie et son souffle à chacun, il vaut mieux lui faire confiance pour réaliser cette unité plutôt que de la forcer de l’extérieur. Cette unité n’est pas une uniformité contrairement à ce que cherche à mettre en place Pierre. Justement, dimanche dernier dans cette cathédrale, le Conseil Œcuménique des Églises a célébré les 20 ans de la belle déclaration d’Augsbourg unissant catholiques et protestants. La clef de cette concorde a été de reconnaître que l’unité de la foi se vit dans « une différence de langages, de formes théologiques et d'accentuations particulières». Cela aussi peut se décliner dans notre façon de nous unir avec nos proches.

Qu’est-ce qui peut réaliser cette belle union ? Seulement ce qu’évoquent les noms d’Ananias et de Saphira, dans notre fragilité, « faisant ce que nous pouvons » après avoir chaque jour remis au cœur de notre foi Ananias, l’amour de Dieu sans limite ni conditions, nous découvrons que, tous, nous sommes « enfant de la grâce de l’Éternel », et du coup, de plus en plus enfant de son trône d’azur, de son Royaume, de son action directe en faveur de notre cœur, de nos pensées et de nos actes.

Amen.

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

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Lecture de la Bible

Actes 4:32 à 5:6

La multitude des croyants était un seul cœur et une seule âme. Nul ne disait qu’un de ses biens lui appartenait en propre, mais tout était commun entre eux. 33 Une grande puissance marquait le témoignage rendu par les apôtres à la résurrection du Seigneur Jésus, et une grande grâce était à l’œuvre chez eux tous. 34 Nul parmi eux n’était indigent : en effet, ceux qui se trouvaient possesseurs de terrains ou de maisons les vendaient, apportaient le prix des biens qu’ils avaient cédés 35 et le déposaient aux pieds des apôtres. Chacun en recevait une part selon ses besoins.

36 Ainsi Joseph, surnommé Barnabas par les apôtres – ce qui signifie fils de l’exhortation – possédait un champ. C’était un lévite, originaire de Chypre. 37 Il vendit son champ, en apporta le montant et le déposa aux pieds des apôtres.

5:1 Un homme du nom d’Ananias vendit une propriété, d’accord avec Saphira sa femme ; 2 puis, de connivence avec elle, il retint une partie du prix, apporta le reste et le déposa aux pieds des apôtres. 3 Mais Pierre dit : « Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur ? Tu as menti à l’Esprit Saint et tu as retenu une partie du prix du terrain. 4 Ne pouvais-tu pas le garder sans le vendre, ou, si tu le vendais, disposer du prix à ton gré ? Comment ce projet a-t-il pu te venir au cœur ? Ce n’est pas aux hommes que tu as menti, c’est à Dieu. » 5 Quand il entendit ces mots, Ananias tomba et expira. Une grande crainte saisit tous ceux qui l’apprenaient. 6 Les jeunes gens vinrent alors ensevelir le corps et l’emportèrent pour l’enterrer.

7 Trois heures environ s’écoulèrent ; sa femme entra, sans savoir ce qui était arrivé. 8 Pierre l’interpella : « Dis-moi, c’est bien tel prix que vous avez vendu le terrain ? » Elle dit : « Oui, c’est bien ce prix-là ! » 9 Alors Pierre reprit : « Comment avez-vous pu vous mettre d’accord pour provoquer l’Esprit du Seigneur ? Écoute : les pas de ceux qui viennent d’enterrer ton mari sont à la porte ; ils vont t’emporter, toi aussi. » 10 Aussitôt elle tomba aux pieds de Pierre et expira. Quand les jeunes gens rentrèrent, ils la trouvèrent morte et l’emportèrent pour l’enterrer auprès de son mari. 11 Une grande crainte saisit alors toute l’Église et tous ceux qui apprenaient cet événement.

12 Beaucoup de signes et de prodiges s’accomplissaient dans le peuple par la main des apôtres. Ils se tenaient tous, unanimes, sous le Portique de Salomon, 13 mais personne d’autre n’osait s’agréger à eux ; le peuple faisait pourtant leur éloge.

(Cf. traduction NBS)