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Nous sommes « capables de Dieu »

(Actes 1:5 - 2:6 ; Genèse 11:1-9)

(écouter, culte en entier, imprimer)

Le dimanche de Pentecôte, 9 juin 2019
Au temple des Eaux-Vives - Genève
prédication du pasteur Marc Pernot

Le récit de la Pentecôte est profondément optimiste sur la nature humaine. L’Esprit Saint est et sera donné individuellement à chacune des personnes : homme, femme et enfant sans distinction. Le don de l’Esprit Saint fait ainsi de chaque personne un prophète ou une prophétesse de Dieu. Ce n’est pas l’église qui reçoit ce don avec une flamme collective : l’Esprit est donné par des flammes séparées et données à chacune et chacun. C’est chaque individu qui entre en ligne directe avec Dieu. C’est même plus que cela : Dieu donne à notre conscience une dimension divine. Le résultat est que nous n’avons plus à recevoir les bonnes informations et les instructions de l’extérieur (d’un sage, d’un savant, ou de l’église). Le projet est que chacun soit capable de trouver l’information et l’acte en soi-même, grâce à Dieu.

Bien entendu, c’est par degrés que cette connexion peut s’établir, déjà nous commençons maintenant à recevoir l’Esprit, et il y a encore une certaine marge de progression possible. Évidemment.

Capable de Dieu (« capax dei » disait Augustin)

Nous voyons que les personnes touchées ici sont des personnes normales, ce n’est pas réservé aux apôtres. Il est précisé qu’il y a même des femmes, ce qui est extraordinaire dans cette culture patriarcale où l’éducation des filles n’était pas une évidence, ni même le droit de prier. Ce don de l’Esprit est dit concerner toutes les nations jusqu’aux extrémités de la terre (Actes 1:8, 2:17,39). Dans ce récit, chacune et chacun reçoit l’Esprit Saint, la source intérieure de la Parole de Dieu, devenant prophète, devenant acteur, devenant même source de Parole créatrice de lumière et de vie. Car c’est de cela dont il est question avec l’Esprit-Saint.

L’alliance avec Dieu n’est plus seulement avec un peuple choisi, elle est ouverte à l’humanité entière. L’alliance n’est plus seulement globale à travers des champions, la relation à Dieu est particulière, avec chaque personne de l’humanité.

Ce n’est pas l’apôtre Paul qui invente cette évolution. Ce n’est d’ailleurs pas Jésus non plus qui l’a inventée. Cela date de bien avant : des prophètes Joël 2:28 ou Jérémie 31:31-35 pour le passage au niveau de l’individu. Et en ce qui concerne l’ouverture à l’ensemble de l’humanité, cela date des rédacteurs de la Genèse, au moins 4 ou 5 siècles avant Jésus, par exemple dans cette promesse faite à Abram «Toutes les familles de la terre seront bénies en toi. » (Genèse 12:3). Dire que Jésus est le Christ, le Messie attendu signifie que cela commence à se réaliser dans l’actualité peu à peu.

La place du collectif et de la personne individuelle proposée par ce récit de la Pentecôte est ainsi travaillée.

A quoi sert l’église si l’alliance est avant tout quelque chose de très personnel : Dieu inspirant directement chacun ? L’Église n’a plus à être surplombante en disant à ses ouailles ce qu’ils devraient penser ou faire. La mission de l’Église est de faire ce que le groupe des apôtres a fait dans ce récit : aider chacun à se préparer : dire à chacun qu’il est personnellement « capable de Dieu » : digne que Dieu élargisse sa conscience, lui donne une profondeur et une hauteur, une sensibilité et une charité bonne, sainte, juste et bienfaisante.

C’est pourquoi notre culte ne vise pas à établir ensemble un texte de ce que Dieu nous aurait révélé aujourd’hui. Le but du culte est d’inviter chacun à se questionner et de lui dire que c’est directement avec Dieu que son intelligence et son cœur trouveront sa propre réponse. C’est ainsi que collectivement, nous transmettrons cette inspiration jusqu’aux extrémités de la terre.

Babel et Pentecôte

Bien des éléments font que le récit de la Pentecôte est manifestement une relecture du grand mythe de Babel dans la Genèse. Ce n’est pas sans raison que l’auteur des Actes des apôtres reprend les codes de cette histoire connue précisément pour interroger le lecteur sur la question de la place de l’individu par rapport au groupe, ainsi que la place de Dieu pour nous.

Afin d’aller plus loin dans la lecture du récit de la Pentecôte sur ces questions nous ne pouvons faire l’impasse sur l’approche proposée par le mythe de Babel. L’auteur des Actes des apôtres suppose que nous le connaissons bien. C’est vrai que cette histoire est encore connue de nombreuses personnes, en particulier grâce à l’extraordinaire tableau de Pieter Bruegel représentant la tour de Babel, qui me semble être parmi les 10 tableaux les plus marquants dans le monde.

Pieter Bruegel - la tour de Babel

L’histoire de Babel est connue, seulement, elle est bien souvent connue de travers à cause d’une interprétation moraliste très courante qui la gâche en grande partie : nous avons souvent en tête l’idée que la tour de Babel s’écroule sur la tête d’une humanité orgueilleuse, défiant Dieu par son industrie. Brugel ne tombe pas dans ce piège, il représente la ville et la construction de la magnifique tour de Babel, avec cette multitude d’artisans en plein travail. Il donne une vision optimiste et heureuse des humains travaillant ensemble sur de grands projets. Tout semble en paix, les bateaux sur la mer calme, le ciel que la forte tour atteint déjà les nuages, la ville et les paysans dans la campagne. Le spectateur du tableau se demandent si ces personnages vivant leurs projets bien tranquillement savent ce qui va se passer ensuite ? A quel signe pourraient-ils deviner qu’il va survenir une rupture radicale dans l’histoire ? Bruegel utilise le fait que nous connaissons l’histoire qu’il représente pour nous faire nous interroger nous-même sur notre propre façon d’être et de faire des projets. Le génial Bruegel est un excellent exégète de ce texte biblique, à l’inverse de certains religieux de son époque. Il a vraisemblablement été conseillé par de savants exégètes connaissant l’hébreu biblique, car le but de ce texte est exactement ce qu’il rend à travers sa peinture : une invitation à s’interroger soi-même en entrant dans la profondeur invisible de l’être et des relations avec notre société et avec Dieu.

En effet, contrairement à une lecture simpliste de ce mythe de Babel, il n’y a pas un mot dans le texte pour dire que ce que font les humains serait mauvais, pas un mot pour dire que la tour s’écroulerait sur eux. Cela fait que cette histoire peut être lue de deux façons très différentes :

1) Négativement : avec cette horreur qu’est la pensée unique imposée à chacun, comme dans les pires dictatures où ceux qui pensent différemment sont éliminés. Avec aussi la folie d’orgueil de vouloir s’élever au ciel pour être dieu à la place de Dieu (cela existe dans toutes les entreprises, tous les groupes, même dans l’église). Cette interprétation négative de l’humanité de Babel n’est pas impossible, Dieu interviendrait alors non pas pour les punir, mais pour nous guérir de cette pensée unique et de cet orgueil.

2) Positivement : avec une humanité réconciliée, unie dans un beau projet de construction : une ville et donc des services mutuels, une mise en commun des moyens, des échanges. Avec, au centre de ce projet commun, une véritable spiritualité, une élévation qui va jusqu’à toucher le ciel. C’est ainsi qu’ils « cherchent à se donner un nom » : en cherchant à donner du sens à ce qu’ils font. Dieu descend pour voir, et il dit qu’avec cette base là « Maintenant il n'y aura rien d’impossible dans ce qu’ils auront décidé de faire ». C’est un beau compliment : cette belle entente entre eux mise à la fois au service du bien commun que de l’élévation est une formidable force. Dieu intervient alors pour les envoyer dans le monde et partager cette belle façon d’être humain. Il sont envoyés dans le monde comme du levain est « mêlé » à la pâte pour faire du bon pain.

Cette double lecture rendue possible par le texte de Babel nous invite à entrer en nous-même pour voir ce qui est derrière l’apparence. Christ nous conseille de vivre en aimant Dieu et en aimant notre prochain comme nous même. Cela nous invite à descendre voir en nous-même ce que valent nos projets quant à la qualité de nos relations avec Dieu, avec les autres et avec nous-même.

Une aide pour se connaître et prendre soin de soi

Un même projet, en apparence, peut être alors une merveille ou une catastrophe. Par exemple :

Un grand projet commun peut reposer sur un réel respect de chacun ou peut reposer sur la tyrannie de la pensée unique ? C’est si vite fait de passer le l’un à l’autre.

Est-ce que nous avons au cœur de notre projet de vie un pôle d’élévation comme les Babéliens avec la construction d’une tour au cœur de leur ville ? Cela vaut pour notre vie quotidienne, pour tout couple, pour l’éducation d’un enfant, pour un temps de vacance, pour une année nouvelle qui s’ouvre...

Est-ce que notre recherche d’élévation est une hybris, cette folie d’orgueil qui mène si souvent l’humain à sa perte ? Ou est-ce une réelle élévation dans la qualité d’être et de relations ? Tout dépend de l’inspiration profonde qui est derrière notre exercice de la philosophie, de la théologie, de la science, des arts et de notre spiritualité.

Est-ce que notre religion est pour nous sacrée, ou est-ce qu’elle est une ouverture au sacré qu’est Dieu ? Est-ce que le rite est signe de ce que Dieu donne ou est-ce qu’il est pris pour Dieu lui-même ?

Et mil autres questions que nous pouvons nous poser. Le texte biblique, dans sa diversité des interprétations possibles est un miroir très utile pour nous découvrir nous mêmes. Il nous propose de nouvelles pistes pour avancer.

Cet utile réflexion est une préparation, un prélude à l’essentiel qui est la visite de Dieu pour intervenir, mettre le doigt pile là où il faut pour nous soigner ou nous aider à aller plus loin. C’est une constatation des auteurs de ces textes. Dieu est comme ça. C’est aussi l’indication que Dieu est d’un grand secours pour nous aider, à la fois pour descendre dans la profondeur de nous-même afin d’arriver à voir où nous en sommes, et à la fois pour nous aider à faire quelque chose de ce que nous aurons discerné.

Le récit de la Pentecôte s’inscrit manifestement dans la double lecture de l’histoire de Babel. Les disciples de Jésus sont à un moment clef de leur histoire. Après avoir vécu en compagnon de Jésus pendant ces quelques années, il n’est plus là : que faire maintenant ? Au moins ils ont cette expérience et cette question en commun, ils forment un groupe. Rassemblés dans le même lieu, les murs de leur chambre haute sont comme les murailles de la ville. Leur élévation (leur tour de Babel) est la mémoire de Jésus et leur prière. Babel les enseigne, les questionne : sont-ils ensemble pour se préparer chacun à recevoir l’Esprit Saint que Jésus leur a dit d’attendre ? Ou bien est-ce un repli entre soi dans une pensée unique, avec une seule âme, un même projet, une même langue jusqu’à leur prière qui est commune ? Est-ce que leur rassemblement est un refus du monde extérieur considéré comme mauvais ? Ou est-ce au contraire pour se préparer à offrir au monde la merveille qui les fait vivre ? Là encore, l’ambiguïté est présente. Et l’histoire de Babel a dû les inspirer pour entrer en eux-mêmes, et laisser Dieu les aider à avancer.

Dieu nous rend une aimable visite

Comme promis par l’histoire de Babel Dieu leur rend visite. Le récit des actes s’oriente alors radicalement vers la lecture positive de l’énigme de Babel. Bien sûr, car même si leur conduite est mitigée, en Christ, nous savons que «Dieu est lumière et qu’il n’y a point en lui de ténèbres » (1Jn 1:5). Seulement, cette conséquence de l’intervention de Dieu est ici infiniment supérieure à ce dont parlait Babel. Dieu ne se contente pas d’une petite visite opportune pour leur permettre d’avancer avant que Dieu se retire lui aussi dans sa tour d’ivoire. Dans les Actes, Dieu rend visite et reste avec eux, il demeure même en eux. Il les guérit de la pensée et de la prière unique en personnalisant cette présence, descendant jusqu’au niveau de l’individu. Il leur donne le courage de sortir de leur chambre haute bétonnée pour aller vers l’autre et lui parler de la langue même de Dieu, celle de la bienveillance pour l’autre, celle de l’amour du prochain, langue que tout le monde comprend, même un chien saisit quand on s’approche de lui avec bienveillance plutôt qu’avec méfiance et agressivité.

N’y a-t-il pas le risque que chacun se prenne pour un petit dieu à cause de cette multiplicité des inspirations divines ? Au contraire, c’est quand manque cette inspiration divine que nous nous prenons pour un petit dieu. Alors que quand ce que nous exprimons en parole ou en acte est inspiré par Dieu en nous, alors ce sera source de vie. Encore faut-il que ce soit vraiment le cas, c’est ce sur quoi nous pouvons travailler.

Que Dieu nous bénisse et nous accompagne.

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot

Si vous le vouliez, il y a une suite ici : "Qui a tué Ananias et Saphira ?" ou Pentecôte - Mode d'emploi.

 

 

Lecture de la Bible

Actes 1:5 à 2:6

Jésus leur dit : 5 Jean a baptisé d’eau, mais vous, dans peu de jours, serez baptisés dans l’Esprit-Saint. Eux donc, réunis, demandèrent : Seigneur, est-ce en ce temps que tu rétabliras le royaume d’Israël ? 7 Il leur répondit : Ce n’est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. 8 Mais vous recevrez une puissance, le Saint-Esprit survenant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre.

... 14 Tous d’un commun accord persévéraient dans la prière, avec les femmes, et Marie, mère de Jésus, et avec ses frères...

2:1 Le jour de la Pentecôte arriva et ils étaient tous ensemble, d’un commun accord, dans le même lieu. 2 Tout à coup il vint du ciel un bruit comme celui d’un vent impétueux, et il remplit toute la maison où ils étaient assis.

3 Des langues, semblables à des langues de feu, leur apparurent, séparées les unes des autres, et se posèrent sur chacun d’eux. 4 Et ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer. 5 Or, il y avait en séjour à Jérusalem des Juifs, hommes pieux, de toutes les nations qui sont sous le ciel. 6 Au bruit qui eut lieu, la multitude accourut, et elle fut confondue parce qu’ils les entendaient parler chacun dans sa propre langue.

Genèse 11:1-9

Toute la terre eut une seule langue et les mêmes mots. 2 Partis de l’Est, ils trouvèrent une vallée au pays de Chinéar, et ils y habitèrent.

3 Ils se dirent l'un à l'autre : Allons ! faisons des briques et cuisons-les au feu. La brique leur servit de pierre, et le goudron leur servit de ciment.

4 Ils dirent encore : Allons ! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet soit au ciel, et nous nous ferons un nom, afin de ne pas nous disperser à la surface de toute la terre.

5 L'Éternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils de l’homme. 6 L'Éternel dit : Voilà un seul peuple, parlant d’une seule voix, et voilà ce qu'ils ont entrepris de faire ! Maintenant il n'y aura rien d’impossible dans ce qu’ils auront décidé de faire. 7 Allons ! descendons : et là mélangeons leur langage, afin qu'ils n'entendent plus le langage les uns des autres. 8 L'Éternel les dispersa à partir de cet endroit sur toute la surface de la terre ; et ils arrêtèrent de bâtir la ville. 9 C'est pourquoi on l'appela du nom de Babel, car c'est là que l'Éternel mélangea le langage de toute la terre, et c'est de là que l'Éternel les dispersa sur toute la surface de la terre.

(Cf. traduction NBS)