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Rameaux - 28 mars 2021
À Genève - Champel
prédication du pasteur Marc Pernot
Par deux fois, l’Évangile selon Luc nous montre Jésus pleurant sur Jérusalem qui rejette le projet de Dieu : projet de paix grâce aux bons soins apportés par l’Éternel. Pourquoi ? Jésus fait le point et considère que son ministère est en grande partie un échec, et il pleure de compassion devant ce lamentable gâchis, cette perte de chance pour les humains.
Ces récits montrant Jésus triste et déçu me semblent avoir une réalité historique, ils montrent un Jésus à la peine, tâtonnant pour avancer dans sa mission. Après ces moments de déprime, les deux fois, Jésus réagit en se retroussant les manches pour essayer plus ardemment encore une nouvelle stratégie.
On a beau dire que l’essentiel est le message apporté par le Christ, il me semble que la vie concrète de cet homme, Jésus de Nazareth, a son importance et est touchante. Ce n’est pas seulement un idéal que nous adoptons en choisissant de reconnaître Jésus comme Christ, c’est de cet homme-là qui vit ardemment sa vie, que nous sommes les disciples.
Dans un premier temps, je vous propose de regarder la trajectoire de Jésus, au sens historique. Ensuite, il y a bien entendu un message théologique et spirituel dans ces récits, et quand on parle de Jérusalem qui lapide les envoyés de Dieu, c’est à son lecteur que ce texte parle, de nous et de notre résistance, et même parfois de notre opposition au souffle de Dieu.
Au moment de son premier pleur sur la ville, au chapitre 13, Jésus est actif comme prédicateur itinérant depuis quelques années. Il a connu un début encourageant bien qu’ambigu : des foules se pressent, ce n’est hélas pas tant pour ses prédications que pour chercher des guérisons qui surviennent sans que Jésus le cherche particulièrement. Parfois, une foule de quelques milliers s’assemble par curiosité. Le groupe de réels disciples de Jésus est dit s’élever à 70 personnes et 12 très proches (Luc 10:1). Dans le livre des Actes, Luc parle de 120 disciples après la mort de Jésus (Actes 1:15). Même si ces nombres, remarquables bibliquement (7, 10 et 12), laissent penser à des valeurs symboliques, l’ordre de grandeur reste signifiant : cela fait peu de monde. Loin d’un succès planétaire qui est pourtant la vocation même du Christ, du Messie, celle de bénir l’humanité entière de toutes les nations.
Que faire ? Dès son premier constat amer, Jésus décide de changer de braquet. Il risque le tout pour le tout. Et il aura effectivement le tout pour le tout. Finie l’action modeste, artisanale, familiale, au jour le jour. Cap sur Jérusalem, le cœur du cœur du monde du point de vue spirituel. Jésus lance l’opération « rameaux ». Ce sera un échec. Et Jésus en pleure. Encore une fois. Ses disciples comprennent de travers, les pharisiens rejettent sa façon de voir, et les autorités ne se sont même pas déplacées. Jésus est seul. Tout seul.
Ce n’est pas sur lui-même qu’il pleure. Il pleure sur ce monde qu’il n’arrive pas à toucher, sur cette carapace qui blinde l’humanité, qui l’enserre, l’étouffe, et fait passer les gens à côté de la vie. Au lieu d’en vouloir à tout le monde, au lieu de renoncer, Jésus pleure sur la ville et ce qu’il exprime semble ne laisser aucun espoir : « tu n'as pas connu le temps où tu as été visitée ! ». C’est bien tard, c’est trop tard ? Pourtant, le mot suivant montre Jésus poursuivre, il entre, il se rend au cœur de la ville dans le temple. D’où lui est venue cette force pour rebondir, pour tenter un autre geste, une autre façon de les toucher au cœur, et leur faire connaître la source de la Paix ?
En voyant Jésus pleurer sur la ville, pleurer sur son propre échec, j’ai envie de lui dire qu’il n’est pas si seul, et qu’il n’a pas échoué, pas encore. Même si nous pourrions être bien plus nombreux, plus enthousiastes et plus responsables, nous sommes quand même là ce matin dans ce temple ou sur internet, nous sommes des centaines et des centaines de milliers, partout dans le monde suspendu à ses lèvres, comme la foule de Jérusalem l’est à la fin de ce texte. Nous sommes venus dans un esprit de prière, espérant quelque chose de Dieu pour vivre plus intensément. Tout n’est pas raté dans ce service du Christ pour sauver le monde. Et en même temps, tout reste encore à faire à notre génération, à faire aujourd’hui pour en vivre et pour ajouter notre pierre à l’édifice.
Jésus évolue entre ses premiers pleurs sur Jérusalem, ses seconds pleurs et la suite donnée.
La première fois, Jésus était menacé par ses opposants, menacé physiquement. Nous savons hélas que bien des hommes et des femmes ne peuvent être chrétien, et encore moins devenir disciple du Christ sans mettre leur vie en danger, aujourd’hui encore. Jésus en pleure et analyse cela comme de la mauvaise volonté de la part de personnes haineuses : « Jérusalem, Jérusalem, tuant les prophètes et lapidant ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble sa couvée sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu ! ». Jésus espère, il essaye de les convaincre de dire enfin : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! », d’avoir cette ouverture, au lieu de penser détenir soi-même la seule pure vérité de Dieu. Pour Jésus, à ce moment là, le problème apparaît comme étant un manque de bonne volonté, un refus délibéré et explicite de Dieu.
La seconde fois que Jésus pleure sur Jérusalem, son diagnostique sur la maladie de l’humanité a évolué. Encore une fois, Jésus pleure sur Jérusalem, pourtant, la foule acclame Jésus comme il l’espérait dans ses premiers pleurs : «Béni celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel, et gloire dans les lieux très hauts. » Génial ? Jésus a enfin réussi ? Manifestement non, car quand Jésus analyse la situation, il se rend compte que cela ne va pas mieux. Ils n’ont toujours pas compris. La question n’était pas d’obtenir une acceptation de Jésus comme Christ, même pleine d’enthousiasme. Jésus voit maintenant que le fond du problème est en amont. C’est une question intérieure à l’humain : la personne humaine voulant bien, à la limite, applaudir le salut de Dieu, mais surtout pas changer soi-même. Or le salut est là, c’est l’humain qui a besoin de la source de la Paix, Dieu, lui, contrairement à ce que pense la foule, Dieu a toujours été en paix dans son amour pour le monde et pour nous.
Jésus, traverse cette foule, voit l’état de ses disciples et celui de ses opposants, voit la situation plus profondément : il pleure à nouveau, il pose comme diagnostic que l’humanité est aveugle, elle n’est ainsi même pas en état de vraiment choisir : « Si tu connaissais en ce jour, toi aussi, ce qui procure la paix ! Mais maintenant cela a été caché à tes yeux. » Jésus n’accuse personne, il de dit pas que ce sont ces personnes qui n’ont pas voulu ouvrir les yeux, il n’accuse ni les religieux ni les politiques de les avoir aveuglées, peu importe. La question est une question intérieure, une fermeture de la personne humaine. Ils ont pourtant des yeux, il suffirait qu’ils les ouvrent pour comprendre ce qu’est ce salut, le toucher de la main, s’en saisir et commencer à en vivre dans l’instant. Et puis non.
Jésus pleure encore une fois.
L’émotion est nécessaire, les pleurs font du bien, ils sont le résultat d’un lucidité et d’un amour. Jésus se lève d’un bond, avec énergie. Le problème de l’humain est intérieur, spirituel, Jésus va chercher à aller au cœur avec une parole et un geste forts comme un coup de défibrillateur. C’est l’opération « remettre le temple au milieu du village ». Ou plutôt remettre la prière au cœur de notre humanité : la relation directe, personnelle et intime avec Dieu. Alors que certains voyaient l’essentiel dans les grands élans, les « hosanna », les rites religieux pour amadouer un Dieu terrible. Jésus, ici, de la parole et du geste, invite le fidèle à une relation directe avec Dieu confiante, il est la source de la Paix. Il ne s’agit pas de convaincre Dieu de changer, il s’agit de se laisser visiter par la source de la paix afin de la connaître et de voir ce que cela donne de nos propres yeux. C’est un appel à la réflexion et à l’émotion, à une connaissance du cœur et de l’intelligence.
Le remède que Jésus propose est excellent. Tout simple. Remettre au cœur de notre maison l’ouverture à Dieu, à sa nouveauté. Cette base étant assurée le reste ira bien, quand l’arbre est bon les fruits seront bons. Ce conseil de Jésus est intéressant aussi pour l’Église : plutôt que de s’occuper de telle ou telle autre chose hyper importante, son rôle est de permettre à chaque personne de saisir que c’est le bon moment pour recevoir ce que Dieu procure. C’est l’unique mission de l’Église. C’est cela qui aide à faire place à Dieu en nous. Et ensuite de nous laisser assembler par lui sous ses ailes. L’union vient ainsi de Dieu, elle passe par cette sincérité de chacun à accueillir ce qui vient de Dieu. C’est bien plus profond que de chercher à bâtir une unité, voire de l’imposer de l’extérieur comme des barrières qui nous parqueraient et des dogmes qui nous écraseraient. La question est de reconnaître que nous sommes visités par Dieu, qu’il pourrait passer chez nous, en nous. C’est ce souffle qui a permis à Jésus, à chaque fois, de passer des pleurs à l’action aimante, du désespoir à l’enthousiasme du service renouvelé.
Cela nous amène à un second sens de ces pleurs de Jésus, au delà du sens historique :
Sur quoi est-ce que pleure Jésus quand il pleure sur Jérusalem ? Ce n’est pas une question de géographie car le ministère du Christ est par définition même pour tous les lieux et toutes les nations. Ce n’est pas une question de politique publique car Jésus a délibérément refusé de s’occuper de cela, c’est à nous de le gérer par nous-même. Alors ? Jérusalem, dans la Bible, c’est Yerou-Shalaïm (יְרוּשָׁלִַם), littéralement « le fondement de la double paix ». La « paix » étant ici l’harmonie d’une construction aboutie. Jérusalem est ainsi une figure de ce qui doit être le cœur du cœur de l’humanité aboutie, et le cœur du cœur de toute personne en forme, épanouie. Comme le suggère cette « double paix », il y a la paix avec Dieu et il y a la paix avec notre monde et ses habitants. L’humain est en pont entre ces deux pôles, entre ces deux paix. Notre être est comme une corde vibrante tendue entre Dieu et le monde, donnant alors son propre chant, accordé aux autres. Christ, encore et encore, sans se lasser, essaye de rassembler notre être dans ces deux dimensions, de les pacifier, de les accorder sous son aile, avec sa façon d’être à la fois aimant Dieu et aimant son prochain, aimant cette terre comme il aime le ciel. Et rassembler aussi l’humanité en un corps.
Tant de fois, Dieu a envoyé sa Parole pour nous aider à construire cette double Paix comme un fondement à notre liberté. L’humain a du mal, il a lapidé, il a enfoui cette dimension divine sous la matière la plus brute, sous son cœur de pierre, sous sa tête de brique. Jésus nous dit que nous pouvons être au contraire comme des poussins ayant trouvé, tout naturellement, les moyens de briser notre enfermement dans la pierre de notre coquille d’œuf, sortir pour vivre, reconnaître notre Dieu-maman-papa-poule, se laisser rassembler sous son aile. Le projet, l’alternative à lapider le souffle divin, c’est de briser notre coquille, d’écarter la pierre, de naître à la liberté, au lieu d’enterrer ce souffle divin, de le lapider.
Nous retrouvons cette alternative schématique dans le 2nd pleur de Jésus sur Jérusalem, c’est-à-dire sur notre être intérieur. « Si tu connaissais en ce jour, toi aussi, ce qui, celui qui procure la paix ! » C’est être construit soi-même comme une maison de prière, emplie de ce souffle divin. Le contraire de cette paix c’est un asservissement, une liberté étouffée, une personnalité pressée, écrasée, isolée dans sa coquille. Cette alternative s’adresse à toute personne, athée comme croyante, de toute religion et de toute philosophie. Il y a une façon d’espérer et de vivre qui va dans le sens d’une ouverture à la source de la vie, et il y a une façon de d’espérer et de vivre qui va sans le sens d’un enfermement et qui lapide tout ce qui pourrait nous en sortir.
Pâques nous dit que le temps est venu de sortir de notre coquille. Notre force pour cela, notre petit bec plus fort que la pierre, c’est de comprendre que le temps est venu de connaître celui qui procure la paix, de l’accueillir en nous d’un sonore « béni soit celui qui vient au nom du Seigneur », d’être suspendu à ses lèvres, de laisser s’établir peu à peu cette double paix sur lequel se fonde notre liberté, notre chant.
Amen
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot
Jérusalem, Jérusalem, tuant les prophètes et lapidant ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble sa couvée sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu !
35 Voici, votre maison vous est laissée, je vous le dis : vous ne me verrez pas jusqu’à ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !
14:1 Puis Jésus entra dans la maison d’un des chefs Pharisiens.
Ils amenèrent à Jésus l'ânon, et jetant sur lui leurs manteaux, ils firent monter Jésus. 36 Ils étendaient aussi des manteaux sur le chemin où il montait. 37Déjà, Jésus approchait de la descente du mont des Oliviers, toute la foule des disciples se réjouissant se mit à célébrer Dieu à grande voix pour tous les actes puissants qu'ils avaient vus.38 Ils disaient : Béni celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel, et gloire dans les lieux très hauts.
39 Quelques-uns des Pharisiens, dans la foule, dirent à Jésus : Maître, réprimande tes disciples. 40 Il répondit : Je vous le dis, s'ils se taisent, les pierres crieront !
41 Lorsqu’il approcha de la ville, en la voyant, Jésus pleura sur elle en disant : 42 Si tu connaissais en ce jour, toi aussi, ce qui (celui qui) procure la paix ! Mais maintenant cela a été caché à tes yeux. 43 Il viendra sur toi des jours où tes ennemis t'environneront de palissades, t'encercleront et te presseront de toutes parts ; 44 ils t'écraseront, toi et tes enfants en toi, et ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n'as pas connu le moment où tu as été visitée.
45 Étant entré dans le temple, Jésus se mit à chasser les marchands,46 en leur disant : Il est écrit : Ma maison sera une maison de prière. Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs.
47 Il enseignait tous les jours dans le temple. Et les principaux sacrificateurs, les scribes et les chefs du peuple cherchaient à le perdre, 48 mais ils ne trouvait pas comment faire car tout le peuple était suspendu à ses lèvres.