signature marcpernot.net

Vivre l’incertitude

(Genèse 1:1-5 ; Romains 11:33-36 ; Jean 1:18)

(écouter, culte en entier, imprimer)

Genève - 27 janvier 2019
culte à Saint Pierre de Genève
prédication du pasteur Marc Pernot

La Bible commence ainsi par une phrase évoquant le chaos : le chaos et le souffle de Dieu qui se meut à la surface de ce chaos, de cet abîme de non sens et de vacuité. De quoi parle ce texte ?

1) D’une présence pleine de souffle, de mouvement et de sens effleurant l’océan d’incertitudes qui menace de nous submerger ?

2) Ce texte pourrait tout aussi bien parler de philosophie, évoquant qu’il y a deux incréés dans l’univers : la matière en chaos et un souffle appelant à l’émergence de formes organisées ?

3) Peut-être que ce texte parlerait de religion, nous appelant à rendre un culte à ce qui relierait les humains entre eux pour que la vie soit possible ?

4) Peut-être enfin que ce texte parle de l’histoire du monde avec un créateur qui entreprendrait de façonner l’univers que nous connaissons ?

Ces quatre pistes ont été explorées, avec à chaque fois des choses intéressantes et inspirantes, et des réserves que nous sommes en droit d’avoir. En tout cas il est bon de chercher à mettre en corrélation ces différents champs de notre existence : la spiritualité, la philosophie, l’éthique, la religion, et notre regard sur le monde où nous sommes. Parce que notre humanité est riche de toutes ces dimensions. Parce que dans toutes ces dimensions nous avons affaire au chaos, à l’incertitude, au non-sens, au vide ; et que pour faire face nous avons besoin d’un souffle dans le vertige qui nous prend, d’un souffle qui nous tourne vers la vie. C’est ce que nous propose la Bible. C’est ce dont témoigne celles et ceux qui se sont sentis rejoints par le Souffle divin dont parle ce texte puissant.

Parmi ces quatre points, le 4ème est le plus discutable car les hébreux qui ont écrit ce texte aux environs du Vème siècle avant Jésus-Christ n’avaient aucune connaissance un tant soit peu scientifique sur la création de notre univers. Seulement : eux aussi travaillaient dans une recherche de cohérence, partant de ce dont ils disposaient : leur expérience spirituelle et leur réflexion pour retravailler les traditions anciennes disponibles. Parmi elles, les mythes babyloniens de la création du monde mettaient en scène un dieu créateur et un dieu destructeur, des anges dans les deux camps, et les humains pour les servir. Les hébreux vont retravailler ces textes : ils gardent un unique Dieu, celui qui est créateur et purement source de bien, et ils remplacent le dieu babylonien source de destruction par le chaos, sans volonté ni sens. C’est bien intéressant car cela rend effectivement bien compte de notre propre expérience spirituelle et de notre expérience de vie quotidienne inquiète face à l’incertitude de notre condition humaine.

Ce texte de la Genèse n’a donc à la base rien de scientifique sur l’histoire de l’univers. Il témoigne d’une expérience spirituelle et la développe sur le plan théologique, philosophique, éthique et religieux.

La science nous permet aujourd’hui d’avoir des informations fondamentales sur la matière et sur l’histoire de l’univers. Nous découvrons que l’incertitude n’est pas qu’un malaise face aux aléas de notre histoire, l’incertitude est au cœur même de notre univers. La matière nous semble qu’elle la matière était faite de particules tournant dans le vide autour d’un noyau. Puis, dans les années 1920, un physicien génial, Heisenberg a montré que les particules composant les atomes ne sont pas des corps minuscules comme nous l’imaginions car leur façon d’exister est totalement différente de ce dont nous avons l’expérience à notre échelle, au point que leur position et leur déplacement restent toujours en partie indéterminés.

Cette surprenante découverte de l’incertitude au cœur même de la matière a troublé Einstein qui aurait dit « Dieu ne joue pas aux dés ! », ce à quoi Bohr, soutenant Heisenberg, répondit : « Qui êtes-vous, Einstein, pour dire à Dieu ce qu'il doit faire ? ». Finalement, l’hypothèse d’Heisenberg va être démontrée, fondant la mécanique quantique. Elle va passionner les philosophes et les théologiens. Heisenberg était conscient de ces implications, peu de temps avant de mourir, il aurait déclaré à sa femme : « J’ai été content de pouvoir jeter un coup d’œil par-dessus l’épaule de Dieu au travail. »

L’incertitude est ainsi au cœur même de la matière. Elle est également dans les processus un tant soit peu complexes : le mouvement d’une aile de papillon en Amazonie pouvant influer sur une tempête ici-même. Ce qui fait que là aussi, il y a une dose d’incertitude qui ne peut être dépassée même avec les modèles les plus développés.

La science nous apprend également que tout système physique va spontanément vers un désordre croissant. C'est un fait d'expérience facile à faire : si l'on jette un verre en cristal sur le carrelage, il va se briser en morceaux. Si l'on prend ensuite ces morceaux et qu'on les jette à nouveau sur le carrelage il y a peu de chance qu'ils se recollent pour donner quoi que ce soit de construit, même en répétant un million de fois ce geste. Pourtant ce n'est statistiquement pas impossible car tous les atomes sont là et que l'on apporte une belle énergie, le plus probable est que les morceaux vont se briser encore plus, à moins que quelqu’un vienne délibérément mettre de l’ordre dans les morceaux. C’est ce que l’on appelle « le deuxième principe de la thermodynamique ». Statistiquement, la nature va vers le chaos. Or, la science nous montre que notre univers n’a pas toujours été comme il est aujourd’hui, qu’il y a eu évolution. En tout cas sur notre planète, il y a infiniment plus qu'un verre en cristal qui se serait recollé ou fabriqué tout seul : il y a des particules en vrac que l’on découvre après un certain temps être organisées en des êtres vivants capables de penser, de créer de belles choses et même d'aimer ! Cela donne à penser que l'hypothèse la plus rationnelle est qu'il existe une source d'évolution extérieure à l’univers et non le seul hasard. Ce n’est pas une preuve de l’existence de Dieu, cela assure néanmoins, à mon avis, que cette existence est non seulement plausible, c’est même bien plus raisonnable à penser que son inexistence.

Mais de quel Dieu parle-t-on alors ? Comment cette source probable d’évolution positive interagirait avec la matière ? Certains pensent à un créateur tout puissant qui ne laisse aucune place au hasard dans notre monde, tout étant guidé par son absolue providence, sauf peut-être quelque accidents dus à la liberté qu’il laisserait à l’humain (et encore). Une telle conception de la providence se retrouve principalement dans l’histoire de la théologie chrétienne à partir des Pères de l’église, en particulier avec Augustin. C’est à mon avis un héritage des philosophes grecs, avec Chrysippe ou Socrate, croyant chacun à sa façon qu’il y a un destin tout tracé.

Telle n’est pas la conception biblique de l’action de Dieu. Ni le mot « providence » ni le mot « destin » ne se trouvent dans la Bible. Au contraire, elle nous présente souvent un récit où Dieu est surpris par le cours des événements et doit échafauder un plan B. Si la Bible s’ouvre sur l’existence du chaos c’est pour prendre en compte notre expérience du chaos dans notre existence humaine et les difficultés que cela nous pose aujourd’hui encore. Je pense qu’il est essentiel de penser, comme dans ce texte et bien d’autres de la Bible, à la fois un créateur puissant et l’existence d’un chaos qui échappe à Dieu (pour l’instant).

Comment penser ainsi à la fois la puissance infinie d’un Dieu créateur et sa faiblesse de n’avoir pu éliminer les aléas de l’existence ? Avec deux points importants : 1èrement la création est encore en cours, elle est inachevée et cela explique une part du chaos existant (certaines catastrophes naturelles et maladies). 2èmement la personne humaine est douée de créativité, et donc de liberté, en agissant pour le bien la personne peut augmenter le bien. Ne faisant rien, elle laisse le chaos progresser naturellement. La personne peut même augmenter le chaos, elle est alors littéralement « diabolique » : source de dispersion.

La Bible ne parle pas de providence, elle parle d’un Dieu qui rend visite, qui accompagne, qui prend soin de la personne soit pour l’aider à surmonter un aléa de l’existence, soit pour l’aider à grandir ou à avancer. Rendre visite, c’est le beau verbe hébreu dqp (paquad).

La Bible ne parle pas non plus de destin tracé à l’avance, elle affirme que Dieu a une visée, comme dans ce beau texte du prophète Jérémie où l’Éternel dit : « Je connais les projets que j’ai formés sur vous : projets de paix et non de malheur, afin de vous donner un avenir et de l’espérance... Je me laisserai trouver par vous, dit l’Eternel, et je ramènerai vos captifs... » (Jérémie 29:11-14). Le Christ est celui qui rend visible le projet de Dieu (son logos Jn. 1:1 ou sa prothèsis éternelle Eph. 3:11)

La Bible ne pouvait connaître ni le principe d’incertitude d’Heisenberg, ni les théories du chaos, ni la 2ème loi de la thermodynamique, mais ce dont ces textes bibliques témoignent c’est la visite de Dieu dans notre vie humaine pour faire quelque chose de ce chaos qui existe en ce monde au milieu des bonnes choses déjà créées.

Les premiers versets de la Bible ne partent donc pas d’une histoire ancienne dont les hébreux auraient eu connaissance. Ces textes parlent de cette visite de Dieu qui est comme d’un souffle de lumière, de vie, de bénédiction venant à la surface de notre chaos, très concrètement. Les sept jours de la création n’évoquent pas le passé, ou pas seulement le passé, il parlent du présent de toute époque où Dieu fait avancer sa création, en particulier de nous créer comme des personnes capable de faire de belles choses.

Bien des textes de la Bible expriment que cette création est en cours, pour faire de belles choses du chaos. C’est par exemple ce que nous voyons dans de célèbres psaumes, le 23 où Dieu rend visite au cœur même de nos vallées d’ombre et de mort, nos temps de chaos. C’est ce que nous voyons dans le Psaume 121 qui parle d’un Dieu toujours en train de créer, « créant » dans le présent le ciel et la terre, et rendant visite à celui qui rencontre des aléas sur sa route. Ces psaumes conjuguent ainsi la force de Dieu et la faiblesse de Dieu qui n’a pas pu empêcher ces mauvaises choses de gêner notre progression. C’est vrai que du chaos menace notre existence. Dieu y travaille, et Dieu ne nous abandonne pas, il nous rend visite. Il nous aide à saisir les bonnes opportunités qu’offre l’incertitude, à l’image du Christ qui calme la tempête et apprend à Pierre de marcher sur l’eau. Dieu a des projets pour nous, pas seulement un unique projet mais de multiples bons projets possibles, offerts à notre liberté.

Comment est-ce que Dieu agit dans cet univers ? Là aussi, la Bible avoue souvent que c’est de l’ordre de l’inconnaissable, comme le dit l’apôtre Paul. Cette humilité est sage car le mode d’être de Dieu est pour nous encore infiniment plus inconcevable que le mode d’être des particules quantiques, à nous qui habitons une étroite bande de l’espace et du temps. « Personne n’a jamais vu Dieu, nous dit Jean , le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est celui qui l’a fait connaître, Dieu » (Jean 1:18). Et ce que le Christ nous montre de Dieu n’est pas non plus le fantasme d’un Jupiter doué de toute puissance, mais Dieu comme visitant l’humanité et luttant contre des maladies et des souffrances qu’il n’a jamais voulues ni permises. Dieu au plus proche de chacun, Dieu comme éclairant, fortifiant, créant ou restaurant chaque personne. Dieu ayant de bons projets pour chacun de nous et pour l’humanité. L’Emmanuel, Dieu avec nous, Dieu en nous.

Cela peut fonder une façon de vivre l’incertitude qui fait partie de la nature même de ce monde. Une théologie et une vocation, une confiance et une éthique, acceptant de ne pas tout contrôler, nous entraidant.

Seulement, la Bible ne parle pas que de la puissance de Dieu, elle évoque aussi la faiblesse de Dieu, et que parfois il n’a pas pu empêcher les aléas de l’existence de l’emporter localement. C’est ce que l’on voit en particulier en Jésus qui, bien qu’étant le Christ, connaît l’échec d’une lamentable exécution comme agitateur. Cette faiblesse, nous la voyons aussi dans les épisodes dramatiques de l’histoire humaine au XXème siècle. C’est ce que nous voyons encore plus vivement par exemple dans la mort et les souffrances d’un enfant malade. La Bible affirme que le salut de Dieu se poursuit au delà du visible en ce monde, et qu’en définitive, pour chacune et chacun, Dieu réalisera son projet de nous voire vivre en abondance. C’est ce que disent les récits de résurrection du Christ, c’est ce qu’affirment les Psaumes et bien des passages des lettres de Paul, et les dernières pages de la Bible avec le chapitre 22 de l’Apocalypse. Là-dessus nous n’avons, je le reconnais, aucun indice. Cela dépasse ce que nous pouvons concevoir, ce dont nous avons maintenant l’expérience et l’humilité. Cela dit, comme le suggère Saint Augustin, le plus inconcevable des miracles est que la vie soit apparue, une vie d’une telle qualité que celle que nous connaissons. Il est assez raisonnable d’extrapoler, comme on dit en mathématiques, sur le fait que l’artisan de ce chef d’œuvre la conservera au delà du visible.

Croire en l’existence de cette source d’évolution et de vie est ainsi assez raisonnable, me semble-t-il, tant par la raison que par la spiritualité. La foi est d’un autre ordre : c’est dire oui à ce Dieu qui est source de bien de cette façon, s’émerveiller de ses réalisations, être à l’écoute de ses projets, espérer faire équipe ensemble autour de lui. Lui faire confiance au-delà de notre légitime inquiétude et souffrances face au chaos.

Et lui rendre grâce.

Amen.

 

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot

 

Lecture de la Bible

Genèse 1:1-5

Commencement de la création par Dieu du ciel et de la terre. La terre était informe et néant, et des ténèbres à la surface de l’abîme, et le souffle de Dieu planant à la surface des eaux, et Dieu dit : « Que la lumière soit ! » et la lumière fut.

Dieu vit que la lumière était bonne.

Dieu sépara la lumière des ténèbres.

Dieu appela la lumière « jour » et il l’appela les ténèbres « nuit ».

Il y eut un soir, il y eut un matin : jour un.

Lettre de Paul aux Romains 11 :33-36

Ô profondeur de la richesse,
de la sagesse et de la science de Dieu !

Que ses jugements sont insondables,
et ses voies incompréhensibles!

Car, qui a connu la pensée du Seigneur,
Ou qui a été son conseiller ?

Qui lui a donné le premier,
pour qu’il ait à recevoir en retour ?

C’est de lui, par lui, et pour lui
que sont toutes choses.

A lui la gloire dans tous les siècles !

Amen !

Évangile selon Jean 1:18

Personne n’a jamais vu Dieu,
Mais le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est celui qui l’a fait connaître, Dieu.

(traduction : NBS)