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Une main levée, une main vers les autres,
deux mains qui tiennent bon

(Exode 17)

(écouter l'enregistrement)  (voir la vidéo ci-dessous)

Culte du dimanche 29 avril 2012
prédication du pasteur Marc Pernot

Ces hébreux nous rappellent trop l’humanité actuelle qui ne croit plus trop que Dieu puisse nous apporter quelque chose, et qui ne pense plus qu’à une chose : notre soif matérielle, notre inquiétude sur l’avenir de notre confort et de notre abondance.

Mais je trouve que ces hébreux ont ici des revendications légitimes. Nous ne sommes pas de purs esprits et nous avons évidemment besoin d’eau pour abreuver notre corps. Moïse, au début de ce récit, incarne l’homme de foi, mais dans sa version exagérée, sur le mode du fanatisme. Et c’est bien intéressant car ce texte nous montre ainsi le juste chemin de la foi.

Au nom de la « la foi seule » faudrait-il oublier que notre corps a aussi besoin d’eau ? Faudrait-il laisser mourir de soif les siens comme le fait Moïse, tout à ce formidable cheminement spirituel que lui inspire Dieu ? Non. C’est évidemment une erreur. Nous ne sommes pas appelé à « la foi seule », mais à une foi qui irrigue notre vie en ce monde et celle des autres autour de nous, une foi qui ne se détourne pas d’une action en ce monde pour plus de justice. Mais souvent la pente qui nous tire vers les extrêmes est très glissante. L’homme est un animal spirituel et il est tout aussi rapide de glisser vers le spirituel seul en oubliant l’animal, que de basculer vers l’animal seul en oubliant le spirituel. Ce chapitre de la Bible reste sur le fil du rasoir. Mais c’est un équilibre très fin dont le juste dosage dépend du moment, cela demande une certain savoir faire, un savoir vivre, ou plutôt un savoir être que montre ce texte.

Mais nous n’en sommes pas là, au début de ce texte, les hébreux font une manifestation qui ne plait pas du tout à leur champion de la foi.

« Pourquoi me cherchez-vous querelle ?
Pourquoi tentez-vous l’Éternel ? » dit Moïse.

Et bien ils ont soif ! Ils meurent de soif et Moïse s’en fiche, pour lui, ce n’est pas grave, l’essentiel est la foi. Oui, mais quand-même, nous dit ce texte.

« Pourquoi nous as-tu fait monter hors d’Egypte,
pour nous faire mourir de soif,
moi, mes enfants et mes troupeaux? »

Cette question du « pourquoi » est essentielle, ou plutôt la question du « pour quoi » en deux mots, dans quel but, avec quelle vision de la bonne vie humaine, quel idéal poursuivons-nous. C’est une bonne question. Quelle vision de l’homme, quelle vision de la justice avons-nous en réalité ?

Pâques est une libération hors d’Égypte et une mise en route vers la terre promise, cela évoque un changement de façon d’être, un changement de façon de voir l’existence, un changement d’espérance.

L’Égypte est un type, l’Israël idéal arrivé au terme de son cheminement est un autre type. Le livre de l’Exode est un catéchisme qui propose un changement.

L’Égypte évoque dans la Bible l’humanité qui compte sur les seules forces de l’industrie humaine pour se sauver, sur la force de ses armées et sur le travail de ses esclaves, la richesse de ses cultures et ses pyramides, et sur l’embaumement du corps pour parvenir à une vie éternelle. La libération d’Égypte évoque une libération de la tyrannie de la vie matérielle, libération de l’espérance du salut du corps et par le corps seul.

C’est vrai que notre corps peut devenir pour nous une prison, la société humaine peut aussi devenir pour l’homme une prison avec ces liens, ces habitus sociaux, les communautarismes et les corporatismes, les idéalismes, avec tout ce qui nous aveugle et nous mène par le bout du nez. Effectivement, il faut un miracle pour ouvrir une brèche. Mais cette libération de l’oppression du corps ne veut pas dire que nous serions sans corps.

Au début de ce récit, Moïse est comme porté par cette libération : en route vers la terre promise, toute notre soif est là, doit être là, dans la soif de la Parole de Dieu, soif de son souffle, soif de vraie relation à Dieu, de contemplation de sa gloire… Oui, il y a là quelque chose d’essentiel, mais pour donner vie au reste, comme Dieu crée l’univers et le bénit.

Et donc le peuple à raison de faire une manifestation. Nous ne sommes pas libérés de l’oppression du matérialisme pour sacrifier notre dimension matérielle mais pour la remettre à sa place. À une juste place. Et pour mettre le spirituel à sa juste place également.

La même question et le même risque se posent avec la relecture chrétienne de la Pâque juive. À force de répéter que la mort du Christ est un sacrifice, et que ce sacrifice nous sauve, il y a un risque à penser que l’idéal serait le martyr. Ce n’est plus trop notre style, heureusement, mais parfois, le chrétien a pu se sentir gêné de faire un métier qui lui semble bien peu spirituel, et de passer une grande partie de sa journée à gérer notre vie matérielle alors que, pense t-il, nous devrions être plus tendus vers Dieu. Comme si nous devrions sacrifier notre corps et notre vie en ce monde pour Dieu. Au contraire, bien au contraire ! Le Christ ne va pas de gaîté de cœur en sacrifiant sa vie, non, il aime la vie, c’est en pleurant qu’il la quitte, et s’il accepte de la quitter c’est pour dire précisément que notre vie en ce monde a du prix pour lui. Un prix infini. Sa vie et sa mort manifestent ainsi l’amour de Dieu pour le monde, l’amour de Dieu pour notre vie particulière en ce monde.

La mort du Christ n’est donc pas un appel au martyr, ni un appel à sacrifier l’animal que nous sommes, au contraire, mais à aimer cette créature que nous sommes, à aimer cet animal qu’est l’homme. Car Dieu aime le monde. Il l’aime tellement qu’il s’incarne, qu’il se rend présent en chacun de nous et qu’il se rend présent dans l’amour qui nous unit. Et dans un désir d’action dans le monde pour plus de justice.

Mais dans notre récit du livre de l’Exode, le peuple hébreu et Moïse n’en sont qu’au début du cheminement hors de l’esclavage d’Égypte. Les hébreux ont encore un pied dans le trop matérialiste, et Moïse s’est déjà envolé vers le trop spirituel.

Ce texte propose un cheminement, une démarche pour chercher l’équilibre. Et heureusement, Moïse a le réflexe, au moins, de demander à l’Éternel que faire dans la situation catastrophique, à la fois matérielle et spirituelle, où ils sont, les uns et les autres, tombés.

Ce récit pourrait sembler encore très archaïque du point de vue de la théologie et de l’espérance du salut. Avec :

Dans un sens, c’est un peu cela mais à quelques nuances près, et de taille. En Christ, chacun devient prophète, chacun est dans une certaine mesure Moïse, l’Esprit n’est plus réservé à quelques champions. Et Jésus annonce que « Dieu vient demeurer en nous ». Dieu n’est donc plus dans une haute sphère, il nous dit que son règne, c’est à dire son action de salut, est au dedans de chacun de nous, et au milieu de nous, dans nos vraies relations (Luc 17:21).

Le cheminement proposé dans ce texte nous est donc proposé pour que nous-mêmes, personnellement et collectivement en tant qu’humanité, nous puissions vivre sainement cette libération de la tyrannie du corps sans pour autant sacrifier notre corps, que nous puissions avoir soif de la Parole de Dieu, sans négliger pour autant d’avoir soif de plus de justice en ce monde, ni d’oublier le besoin d’eau qu’a aussi notre corps. Et que nous puissions agir concrètement pour que toutes les bonnes dimensions de notre être puissent être abreuvées, sans oublier les personnes et les animaux qui nous sont confiés.

Voici le cheminement que nous propose ce texte :

Mais Moïse avait trop tardé pour prendre en compte les soifs légitimes de notre corps. Dans un sens, il incarne ici à la fois ce que devrait être une juste foi, une juste relation à Dieu mais aussi l’exagération de l’homme trop uniquement religieux. Et, du coup, le peuple va trop loin, doutant de Dieu et de nouveau tournés vers l’Égypte. Rien de tel qu’un fou de Dieu pour rendre athée les autres. Mais peut-être même sans l’exagération de Moïse, c’est ce qui est encore trop centré sur notre dimension animale, trop angoissé, légitimement, d’ailleurs, qui fait que nous sommes viscéralement attaché à des soifs très profondes. Ce manque d’équilibre fait que ce qui devait être, dans le cheminement auquel Dieu nous invite, un Rephidim, c’est-à-dire un lieu où l’on peut se détendre un peu au milieu de la marche, ce lieu devient un lieu de mort avec cet Amalek qui vient ronger leur moral.

Cet Amalek évoque pour nous également une dimension de ce que nous sommes, ce mal ne vient pas de l'extérieur, comme l' Egyptien qui nous retient prisonnier est notre propre péché, notre manque de développement et de profondeur. Amalek en hébreu peut vouloir dire « AM » : le peuple « LaKK » qui lape comme un chien. Ils ont été tellement angoissés par leur manque d’eau que, tournant le dos au spirituel et trouvant enfin de l’eau, ils sont obnubilés par le seul fait de laper cette eau.

Le texte nous propose une piste pour avancer.

Quand ces mains sont pesantes, elles tombent, nous dit le texte, et le peuple, notre peuple devient un peuple à genoux qui lape le sable du désert. Pour dire que les mains de Moïse sont trop pesantes pour qu’il puisse les élever le texte dit que « ses mains sont pleines de gloire » (kabod), c’est quand nous redevenons Égyptien, trop fiers de nos belles pyramides.

Et quand la main de Moïse est élevée, donnant la victoire à nos forces humaines, le texte nous dit qu’alors, ses deux mains, celle qui est élevée et l’autre tournée vers le monde sont « des mains de confiance », « des mains de foi », « des mains qui tiennent bon ».

Alors oui, nous pouvons écrire une page du Livre, pour faire mémoire de la fidélité de Dieu. Un livre, un culte, un chant comme une main levée vers Dieu pour que l’autre main se préoccupe de donner à chacun ce dont il a besoin pour vivre et avancer.

Dieu ne garde pas rancune, il pardonne nos Amalec, il souffle, et la mémoire en est effacée, même plus un mauvais souvenir, libre de boire à la source et d’avancer, avec notre Moïse avec Dieu, avec ses mains de confiance et son espérance, les anciens autour de lui, avec Aaron qui a la langue bien pendue et les costauds pour se défendre des mauvais chiens.

Amen

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Lecture de la Bible

Exode 17

Toute l’assemblée des enfants d’Israël partit du désert de Sin, selon les marches que l’Éternel leur avait ordonnées; et ils campèrent à Rephidim, où le peuple ne trouva pas d’eau à boire.

2 Alors le peuple chercha querelle à Moïse. Ils dirent: Donnez-nous de l’eau à boire. Moïse leur répondit: Pourquoi me cherchez-vous querelle? Pourquoi tentez-vous l’Éternel? 3 Le peuple était là, pressé par la soif, et murmurait contre Moïse. Il disait: Pourquoi nous as-tu fait monter hors d’Egypte, pour nous faire mourir de soif, moi, mes enfants et mes troupeaux?

4 Moïse cria à l’Éternel, en disant: Que ferai-je pour ce peuple? Encore un peu, et ils me lapideront. 5 L’Éternel dit à Moïse: Passe devant le peuple, et prends avec toi des anciens d’Israël; prends aussi dans ta main ton bâton avec lequel tu as frappé le fleuve, et marche!

6 Voici, je me tiendrai devant toi sur le rocher d’Horeb; tu frapperas le rocher, et il en sortira de l’eau, et le peuple boira. Et Moïse fit ainsi, aux yeux des anciens d’Israël.

7 Il donna à ce lieu le nom de Massa et Meriba, parce que les enfants d’Israël avaient contesté, et parce qu’ils avaient tenté l’Éternel, en disant: L’Éternel est-il au milieu de nous, ou n’y est-il pas?

8 Alors, Amalek vint combattre Israël à Rephidim. 9 Alors Moïse dit à Josué: Choisis-nous des hommes, sors, et combats Amalek; demain je me tiendrai sur le sommet de la colline, le bâton de Dieu dans ma main. 10 Josué fit ce que lui avait dit Moïse, pour combattre Amalek. Et Moïse, Aaron et Hur montèrent au sommet de la colline.

11 Lorsque Moïse élevait sa main, Israël était le plus fort; et lorsqu’il baissait sa main, Amalek était le plus fort. 12 Les mains de Moïse étant lourdes, ils prirent une pierre qu’ils placèrent sous lui, et il s’assit dessus. Aaron et Hur soutenaient ses mains, l’un d’un côté, l’autre de l’autre; et ses mains restèrent fermes jusqu’au coucher du soleil. 13 Et Josué vainquit Amalek et son peuple, au tranchant de l’épée.

14 L’Éternel dit à Moïse: écris cela dans le livre, pour que le souvenir s’en conserve, et déclare à Josué que j’effacerai la mémoire d’Amalek de dessous les cieux.

15 Moïse bâtit un autel, et lui donna pour nom: « l’Éternel ma bannière ». 16 Il dit: Quand la main est levée contre le trône de l’Éternel, il y a guerre de l’Éternel contre Amalek, de génération en génération.

 

 

Vidéo de la partie centrale du culte (prédication à 07:50)

(début de la prédication à 07:50)

film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot