(écouter, culte en entier, imprimer)
Le dimanche 11 août 2019
Au temple Saint-Pïerre - Genève
prédication du pasteur Marc Pernot
Quelle impression avons-nous en écoutant ce récit ? Que Jacques et Jean sont ambitieux et que leurs 10 collègues ont raison de s’indigner (tout le monde sait bien que l’humilité est une vertu cardinale). Sauf qu’en examinant le déroulement de ce récit nous sommes obligés de constater que c’est l’inverse qui est raconté : la démarche des deux frères est encouragée et accompagnée par Jésus, alors qu’il va sévèrement critiquer l’attitude des dix autres comme étant tyrannique.
Cette inversion du sens par rapport à notre intuition est à mon avis délibérée. C’est ainsi que Jésus construit ses paraboles : sur des retournements qui nous prennent par surprise, afin de nous aider à entrer dans une logique nouvelle qu’est celle de l’Évangile.
Reprenons ce récit, pas à pas.
Cet épisode s’ouvre sur cette union de deux frères pour leur projet. Cela commence bien. Un des points essentiels de l’Évangile est la bienveillance de Dieu pour nous, un autre point est de faire corps ensemble. Par exemple quand Jésus nous dit que « là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux / en eux. » (Matthieu 18:19-20) C’est ce que nous faisons en ce moment-même. Bravo et merci d’être venu pour que nous soyons ainsi rassemblés quelques instants.
Poursuivons notre lecture :
Ce détail est inutile dans le récit, il est même incongru puisque le texte précise juste avant que « Jésus prit les douze auprès de lui » (v.32). La question n’est donc pas la distance avec Jésus en nombre de mètres. Comme quoi, on peut être à côté physiquement tout en étant éloigné.
Le récit nous dit que les deux frères s’approchent du Christ : puisque ce n’est pas une question de centimètres, ils s’approchent de sa qualité d’être : de sa qualité d’humanité et de foi ; de sa liberté de pensée, sa liberté de culte et de prière ; de sa façon d’aimer, de servir et d’espérer ; ils s’approchent de la profonde cohérence qu’a Jésus entre ce qu’il pense, ce qu’il dit et ce qu’il fait ; de sa qualité de présence au monde et à Dieu en même temps...
Si seulement, en sortant de ce culte nous pouvions nous être « approché » un petit peu du Christ ! Et c’est pourquoi, comme ces deux frères, nous nous sommes assemblés, non pour dire du mal des autres comme le font les dix, mais pour nous approcher du Christ.
Jacques et Jean, donc, s'approchèrent de Jésus et ils lui dirent :
Il y a là deux points excellents : le premier est qu’ils reconnaissent Jésus comme maître. Ils se placent à son école, ils écoutent son enseignement. Cela passe par l’intelligence : un effort de compréhension, d’assimilation, d’évolution dans leur propre façon de voir. Le premier point est donc l’écoute active. Les deux frères vont plus loin en demandant à Jésus d’agir dans leur vie. C’est un autre degré dans la confiance. C’est comme quand on va chez le médecin : c’est une chose d’écouter ses conseils d’hygiène de vie, c’est autre chose quand on lui demande de nous opérer. Le saut que font ces deux frères, Jacques et Jean le demandent avec timidité, sachant que ce n’est en aucune façon un droit, que c’est un service qu’ils demandent, une faveur.
Jésus répond à leur démarche, comme souvent de sa part, en leur posant une question :
Excellente question, fondamentale, que nous pouvons nous poser, en particulier dans la prière : de quoi ai-je soif ? Qu’est-ce que Dieu pourrait en penser, sachant un petit peu ce qu’il est ? Cette question est tout autant valable pour un athée que pour un croyant : est-ce que ce dont j’ai soif est cohérent avec ce que je pense être bon ? La prière est au moins cela, elle va au delà en faisant une place à l’action de Dieu pour qu’il nous aide à comprendre notre soif et travailler sur la source d’eau que nous chercherons pour lui répondre.
De quoi rêvent les deux frères ? Là, l’histoire se complique un petit peu pour nos oreilles du XXIe siècle :
C’est effectivement assez étrange pour nous. En astiquant une lampe en cuivre trouvée dans une brocante, si un génie nous proposait de faire un vœu et un seul, nous ne penserions pas une seconde à ce que Jacques et Jean demandent au Christ. Ce serait bien dommage car cette demande des deux frères est excellente, comme le montre le fait que Jésus les aide à travailler sur le projet qu’exprime leur demande, à mieux le comprendre et à affiner non pas leur objectif, mais les moyens d’y arriver.
Quand Jésus n’est pas d’accord avec ce que pensent et disent les apôtres, il n’hésite pas à le dire nettement (en bon maître qu’il est), et c’est ce qu’il va faire immédiatement après pour les dix autres apôtres qui n’ont rien compris à ce que demandent leurs deux collègues. Peut-être que leur problème, à ces dix, est un manque de culture biblique qui les place en décalage avec le niveau très élevé d’éducation qu’avaient Jean et de Jésus, en tout cas. Cela a pu faire que les dix se méprennent sur la demande des deux frères, prenant leur demande au sens commun dans la pensée grecque, mondialisée de leur époque, et non dans le sens technique qu’elle a dans la Bible hébraïque. La « gloire » dont il est question ici n’a rien à voir avec les honneurs du monde auquel fait référence un dictionnaire de grec classique, et le trône de gloire n’est pas un fauteuil en bois doré (ou en acier valyrien) comme le pensent apparemment les dix apôtres. Dans la Bible hébraïque « la gloire de l’Éternel » est une expression consacrée pour parler de la présence efficace de Dieu auprès de son peuple pour lui donner la vie. C’est ainsi que dans le livre de l’Exode « la gloire de l’Éternel » arrache les hébreux à l’esclavage du pharaon, qu’elle se manifeste au Sinaï pour leur donner des conseils de vie, qu’elle marque les étapes de leur route à travers le désert(15:21, 16:10, 24:16...). Chercher à être associé à cette « gloire » n’est donc pas une course aux honneurs, comme le pensent les dix, c’est espérer entrer au service actif avec Dieu, en Christ, pour aider d’autres personnes à avancer dans leur vie.
« Jésus les appela » : cette expression est inutile dans la narration, là encore, sauf que cela fait contraste avec les deux frères qui sont dans la dynamique de s’approcher du Christ. Les dix sont physiquement auprès de Jésus. Seulement ils ne comprennent pas et ne cherchent donc pas à comprendre. Ils sont loin de saisir ce que signifie « gloire » et grandeur dans l’Évangile.
Précisément « la gloire du Christ » va consister à se rendre présent auprès d’eux, et à chercher à les mettre en mouvement : Jésus les appelle et leur parle. Il agit en maître qui aime les élèves qui lui sont confiés. Il agit en médecin qui va vers le malade pour le soigner et le libérer de ce qui l’empêche de vivre.
Jésus ne les accuse pas directement, il leur tend le miroir d’une petite histoire mettant en scène les tyrans de ce monde qui comprennent « la gloire » dans la supériorité et le pouvoir sur les autres. Jésus leur dit « qu’il ne soit pas ainsi parmi vous ». C’est aux dix que Jésus dit cela, pas aux deux frères. Car c’est ce qu’ils font en jugeant leurs deux collègues et qui plus est en les jugeant de travers. Mais ce n’est qu’un symptôme, leur problème est plus profond que cela : c’est leur propre conception de « la gloire » ? C’est leur échelle de grandeur qui est nocive, comme si la grandeur d’une personne consistait à être au-dessus des autres. À les dominer. C’est cela qui est à la racine de la tyrannie.
Il n’en est pas ainsi dans cette notion de « gloire de l’Éternel » dans la Bible, qui consiste pour Dieu à être serviteur des hébreux. C’est ainsi que l’Éternel, révélant « sa gloire » à Moïse, lui apprend que Dieu bénit une personne en « levant son visage vers elle » (Nombres 6:26), Dieu s’étant donc placé sous la personne pour la relever et l’aider à avancer. La gloire de Dieu est d’y arriver. C’est particulièrement ce type de « gloire » que l’on voit se manifester en Jésus de Nazareth, évidemment : celle d’être serviteur de l’avancée des autres. C’est ce qu’il montre dans un geste qui est en quelque sorte son testament à la Cène, quand lui, le maître et le seigneur leur lave les pieds, ce qui était le travail de la moins gradée des servantes de la maison (Jean 13:13-14).
Jaques et Jean demandent de participer dès maintenant au service que Jésus est en train d’accomplir, et dans lequel ils reconnaissent quelque chose comme ce qu’a accompli « la gloire de l’Éternel » pour sauver les hébreux.
Les deux frères demandent d’être assis l’un à sa droite et l’autre à sa gauche : le sens de la droite et de la gauche était assez clair dans la culture de l’époque. Un combattant portait une épée de sa main droite et un bouclier à son bras gauche. C’est effectivement comme dans la vie, il est utile d’avoir une énergie pour avancer et une résistance à ce qui pourrait nous perdre : une part de recherche et une part de convictions, une autonomie et une solidarité...
Jacques et Jean ont dû remarquer dans l’action de Jésus à la fois sa compassion pour ceux qui souffrent et son action pour les faire se déplacer. Jésus réconfortant les affligés et troublant les trop confortables.
Les deux frères faisant équipe se répartissent les deux côtés du service, l’un se sent peut-être plus porté sur une mission de soin et de compassion ; l’autre frère étant plus porté sur la mission par la proclamation de la Parole, comparée dans la Bible à une épée à double tranchants.
Contrairement à ce que pensent les dix autres, les deux savent qu’il n’y a pas qu’une seule place à gauche et une seule place à droite du Christ. Il y a des places pour tout le monde dans le service avec le Christ, c’est pourquoi il est question ici des places de droite et de gauche, au pluriel. Chacun selon sa personnalité et son histoire, ses propres choix et les occasions, il existe une infinie de façon de prendre place dans le service actif du monde avec le Christ,
C’est ce que dit Jésus : « le Fils de l'homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie afin d’affranchir une multitude ». Telle est la mission fondamentale de tout « enfant humain » que nous sommes et dont le Christ est l’archétype. « Donner sa vie » n’allant heureusement pas toujours jusqu’à la perdre comme Jésus, cela consiste à faire au mieux, comme on peut, c’est ce que faisait apparemment Jésus dans son itinéraire assez improbable.
Certaines traductions disent qu’il faudrait donner sa vie « en rançon ». Ce n’est pas dans le texte : il y a simplement le mot grec lutron qui est l’action d’affranchir un esclave. Pour libérer les hébreux de l’esclavage en Égypte, « la gloire de l’Éternel » n’a pas payé de rançon. C’est ainsi que Jésus agit pour que chacun soit un petit peu plus libre de penser et de vivre : par sa parole et par l’Esprit agissant en nous.
Jacques et Jean ont donc là parfaitement raison dans leur soif de servir aux côtés du Christ. C’est une excellente et juste ambition.
Ce que Jésus les amène à reconsidérer c’est la façon d’atteindre cet objectif : ils demandent à Jésus de le faire pour eux. Jésus leur explique que cela ne marche pas comme ça. Entrer au service, leur dit-il, c’est comme de boire dans une coupe, c’est comme être plongé dans un bain. Personne, pas même le Christ, ne peut boire à la place d’un autre, ni prendre un bain à la place d’un autre.
Les deux frères ont soif d’entrer dans le service actif avec le Christ, pour cela, leur dit Jésus : il leur suffit de boire à la coupe qu’il est en train de boire et d’être plongé dans le bain dans lequel il est plongé.
Les traductions sont parfois erronées, certaines font parler Jésus de « la coupe que je dois boire et le baptême dont je dois être baptisé » comme si Jésus parlait de son exécution à venir sur la croix. Or, les verbes ne sont pas ici au futur, et il n’y a pas de « devoir boire ou être baptisé ». Les verbes boire et être baptisé sont au présent, indiquant une action quotidienne. Cette coupe et ce baptême ne sont pas sa mort. Quels sont-ils ? Cela semble clair pour ces deux apôtres qui voient Jésus vivre au jour le jour.
À quelle coupe Jésus boit-il quotidiennement pour se ressourcer ? Les apôtres le voyaient, le savaient et l’ont écrit : Jésus s’isolait régulièrement pour prier et pour s’interroger avec Dieu. C’est un acte volontaire de sa part, contrairement au baptême dont il parle au passif. Littéralement « le bain où je suis plongé pour être plongé ». Plongé dans quoi ? Dans la grâce de Dieu, dans cet amour inconditionnel de Dieu, dans son aide et dans son Esprit, son souffle créateur. Personne, pas même le Christ, peut donner cela, c’est préparé à l’avance par le sujet de ces verbes au passif : Dieu, qui l’a préparé de toute éternité pour chacun de ses enfants.
Avec Jacques et Jean nous voulons nous rendre un petit peu utile ? Venez, nous dit Jésus, venez car tout est déjà prêt pour vous.
Amen.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot
35 Jacques et Jean, les deux fils de Zébédée, s'approchèrent de Jésus et lui dirent : Maître, nous désirons que tu fasses pour nous ce que nous te demanderons.
36 Il leur dit : Que désirez-vous que je fasse pour vous ?
37 Donne-nous, lui dirent-ils, d'être assis dans ta gloire entrant l'un dans tes droites et l'autre dans tes gauches.
38 Jésus leur dit : Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que moi-même je bois, ou être baptisés du baptême dont moi-même je suis baptisé ?
Ils lui dirent : Nous le pouvons.
39 Et Jésus leur répondit : Il est vrai que vous boirez la coupe que moi-même je bois, et que vous serez baptisés du baptême dont moi-même je suis baptisé ; 40 mais pour ce qui est de siéger à mes droites ou à mes gauches, ce n'est pas à moi de le donner, mais c’est à ceux pour qui cela a été préparé.
41 Les dix, qui avaient entendu, commencèrent à s'indigner contre Jacques et Jean. 42Jésus les appela et leur dit : Vous savez que ceux qu'on regarde comme les chefs des nations les tyrannisent, et que les grands abusent de leur pouvoir sur elles. 43Il n'en est pas de même parmi vous. Mais quiconque veut être grand parmi vous, sera votre serviteur ; 44et quiconque veut être le premier parmi vous, sera l'esclave de tous. 45Car le Fils de l'homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie afin d’affranchir une multitude.
(Cf. traduction NBS)