( Matthieu 13 :24-53 )
(écouter l'enregistrement) (voir la vidéo ci-dessous)
Culte du dimanche 8 novembre 2009
prédication du pasteur Marc Pernot
Cette page de l’Évangile ne contient pas moins de six paraboles différentes pour parler du Royaume de Dieu, six petites histoires toutes simples introduites par cette même phrase « Le Royaume des cieux est semblable à … ». Ces six récits se croisent, se complètent, se nuancent mutuellement. Déjà une seule parabole est bien plus riche en possibilités d’interprétations qu’un enseignement théologique plus formel. Nous avons ici non pas une parabole mais un réseau de six paraboles sur le même sujet ! Le moins que l’on puisse dire c’est que l’Évangile ne lésine pas sur les moyens pédagogiques pour ouvrir devant nous un espace pour notre interprétation personnelle, un espace large et varié comme un Royaume.
Il faut dire que le sujet que Jésus veut traiter ici est probablement un point essentiel de l’Évangile, voire le point essentiel, puis qu’il s’agit du Royaume de Dieu, et que l’Évangile c’est précisément que « le Royaume des Cieux s’est approché ». C’est sur ces paroles que s’ouvrent la prédication de Jean-Baptiste, le précurseur (Mt 3:2), et c’est également sur cette annonce que s’ouvre la prédication de Jésus (Mt 4:17) dans ce même Évangile selon Matthieu. Il y a là quelque chose d’essentiel, sans doute, mais quoi ? Qu’est-ce que cette histoire aux résonances mythologiques de « royaume des cieux » peut bien vouloir nous dire ?
Le Royaume des cieux, c’est une figure de ce vers quoi nous voulons tendre, la finalité de notre histoire.
Visiblement, Jésus désire complexifier cette notion de Royaume des Cieux, nuancer sa définition. Il désire brouiller les pistes, troubler les possesseurs d’idées étroites, ouvrir un espace de réflexion personnelle sur ce sujet essentiel.
Pour certains, le Royaume des cieux, ce serait la vie future, une sorte de lieux de bonheur où seraient accueillis ceux qui n’auraient une pas trop mauvaise notre lors du jugement après leur mort.
Pour d’autres, le Royaume de Dieu serait le monde présent où tous les problèmes seraient résolus, en particulier grâce à l’intervention formidable du Messie.
Jésus n’est en fait pas contre ces idées. Il soutient qu’il y a une vie future (nous verrons bien, le temps venu). Jésus n’est pas indifférent à la santé, à la justice en ce monde, au soucis de l’autre, il le montrera par bien des paroles et par des gestes si courageux que cela va lui coûter sa peau. Mais pour lui, le Royaume de Dieu, cet essentiel qu’il nous propose de considérer comme notre destination. Ce Royaume, Jésus en parle au présent, il est à la fois à découvrir comme déjà là et à espérer encore. Ce Royaume n’est pas un lieu, ni futur, ni présent, ce Royaume n’est pas un état, mais c’est plutôt une qualité et un processus, un processus de création, un processus d’humanisation, de bonification que nous pouvons recevoir et auquel nous pouvons participer.
Jésus a besoin de pas moins de 6 paraboles pour nous parler du Royaume des cieux et pour tenter de nous faire saisir l’essentiel sans nous enfermer dans une doctrine étroite, une doctrine qui viendrait étouffer le dynamisme de ce Royaume en nous. Il faudrait une prédication entière pour chacune de ces 6 paraboles, mais je voudrais ce matin seulement tenter de jeter un coup d’œil sur l’ensemble de ces 6 paraboles qui se nuancent et se complètent mutuellement.
Ce qui unit ces 6 paraboles, quand même, c’est qu’il y a toujours une réalité un peu neutre (un champ, la mer, de la farine, ou un tas de perles quelconques), et il y a quelque chose de positif et de bon qui évoque le Royaume des cieux. L’espace un peu neutre est une image de notre existence et ce monde dans lequel nous sommes. Nous voyons donc bien, à travers ces 6 exemples que le Royaume nous concerne aujourd’hui Et nous voyons que ce monde n’est ni à rejeter comme mauvais, ni à négliger. Au contraire, son caractère neutre rendant toute chose possible, le meilleur comme le pire.
Nous voyons que Jésus cherche à nous faire porter un regard positif sur notre monde : le bien existe, de multiples façons, même si ce n’est que partiellement, même si ce n’est que sous forme d’un minuscule germe, ou seulement sous forme d’une espérance comme celle du semeur, du pêcheur, ou du chercheur de trésors. Ce regard optimiste de Jésus n’est pas naïf, il évoque aussi le mal qui existe dans le monde :
Nous pouvons remarquer ensuite que, dans la plupart des cas, le Royaume des cieux est une dynamique : il est comparé à un homme qui sème, il est comparé à une graine qui pousse, à du levain qui aère la pâte, à un homme qui cherche, à un filet de pêche jeté. Ce côté dynamique est ainsi une dimension importante de cette vie selon Dieu qu’est le Royaume. Mais il y a quand même une des paraboles qui tranche par rapport aux 5 autres en présentant un Royaume statique :
Le royaume des cieux est semblable à un trésor ayant été caché dans un champ.
Qu’on le veuille ou non, qu’on le sache ou non, qu’on le cherche ou non, il existe un trésor enfoui au plus profond de notre être et au cœur de l’humanité, il existe un trésor dans l’univers, trésor dont nous ne sommes qu’une partie. C’est ce que l’on appelle en théologie chrétienne « la grâce » qui fait en particulier que tout homme, indépendamment de ses performances, a une valeur infinie. Même si cette valeur est comme un trésor enterré, totalement invisible de l’extérieur, le trésor existe. La plupart du temps, nous avons une valeur objective, par exemple un peu d’intelligence ou quelque autre capacité. Mais dans des cas extrêmes, par exemple un nourrisson ou une personne profondément handicapée, la valeur est effectivement plutôt une valeur subjective : par l’amour, par l’attachement, ou par le simple respect que quelqu’un a pour elle. La valeur est alors comme cachée, elle est plus métaphysique que physique. Et même s’il n’y avait personne pour nous reconnaître comme valant quelque chose, cet à dire s’il n’y avait personne pour mettre en nous-mêmes cette valeur cachée (comme ces clochards qui meurent dans les rues sans que personne sache même leur nom) il y a et il y aura toujours Dieu pour nous donner de la valeur, nous dit Jésus dans cette parabole (car c’est Dieu qui est le sujet anonyme du passif « un trésor ayant été caché »).
Le Royaume, nous dit Jésus, est au dedans de nous, et il est au milieu de nous, dans ces liens spirituels, dans ces attachements qui nous relient les uns aux autres, dans cette valeur éternelle reconnue par Dieu. Valeur de chaque homme, valeur de l’humanité, valeur de la vie en ce monde, valeur d’une culture…
Quand on reconnaît ce trésor que fait-on ? Jésus, là encore, nous étonne avec ses curieuses paraboles :
L’homme qui l’a trouvé le recache dans le champ et, dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il a, et achète ce champ.
Le premier réflexe serait peut-être, une fois la valeur spirituelle reconnue, de la déterrer et d’abandonner le reste du champ. mais non, nous dit Jésus, il ne faut pas séparer le trésor du champs : au nom de la valeur infinie qu’à tout homme sur le plan spirituel, c’est à tout l’homme que Jésus nous invite à nous intéresser.
Le Royaume est ainsi une réalité qui nous habite, et qui a la stabilité d’un rocher inébranlable, celle de l’attachement par grâce. Même s’il n’y avait rien d’autre, il y aurait au moins cela de bon, cela d’éternel, cela qui vaut la peine de s’engager, cela qui fait que Dieu s’engage pour chacun de nous.
La parabole de la perle parle aussi d’un trésor caché, mais Jésus ajoute une dimension dynamique : le Royaume est semblable à l’homme qui part en voyage pour chercher un trésor supérieur à ce qu’il a déjà trouvé. Il y a quelque chose d’essentiel, nous dit Jésus, dans le fait même de se bouger et de chercher. Et nous avons en cela bien des affinités avec tout homme qui cherche le bien, les philosophes et les religieux, les militants, les scientifiques et les penseurs… Il existe quantité de perles de valeurs vraies. La perle de grand prix nous dit ce texte est littéralement « poly-valable » et là encore, nous avons un appel à prendre en compte les multiples dimensions de l’humanité et du monde de façon globale, pas seulement comme des perles séparées.
La vie selon Dieu est une dynamique, comme cette recherche de la valeur complexe, mais le Royaume est encore plus dynamique que cela, les autres paraboles nous montrent qu’il est un processus de bonification. Il le fait de deux façons.
D’abord en semant de bonnes choses : des graines dans la terre et de la levure dans la farine, et non l’inverse sinon ça ne donne pas grand chose. A chaque situation, à chaque réalité de ce monde, il faut trouver une juste façon d’agir de façon créatrice. On peut ajouter quelque chose comme une bonne graine ou creuser de l’espace comme la levure… selon ce que nous aurons à cœur de faire. Le royaume des cieux est donc un élan créatif, nous en sommes les bénéficiaires, mais aussi parfois les auteurs, même modestement, d’une bulle d’air ou deux dans la pâte du monde, ou d’une bonne graine (il en existe de 1000 sortes, et il en est de ridiculement petites qui peuvent apporter énormément).
La seconde façon d’améliorer la réalité est de purifier, c’est plus délicat. Jésus compare le Royaume de Dieu à un filet de pêcheur jeté dans la mer et qui rassemble des poissons de toute espèce, les bons poissons sont ensuite gardés et les mauvais sont brûlés comme on le fait avec de vieux poissons pourris. Cette idée d'aller à la pêche et de ne retenir que ce qui est bon est la base même de la bienveillance proposée par le Christ. En chacun de nous il y a un trésor, un bon poisson, même s’il est tout au fond ou perdu dans un banc de poissons toxiques. L'Évangile nous dit que Dieu agit comme ce bon pêcheur, avec une bienveillance active pour chacun. Face au monde, face à une personne que nous rencontrons et face aussi à notre propre existence nous pouvons ainsi aller à la pêche, chercher sous la surface pour trouver ce qui est bon. Quand on va ainsi à la pêche, on retire plein de choses, de bons poissons, de mauvais et de vieilles chaussures. Il y a un peu de tout ça au fond de chacun, plus ou moins. Mais il y a toujours au moins un petit poisson vraiment bon, l’essentiel c’est d’aller le chercher, de le trouver, de le garder, et de rejeter le mal.
Le Royaume est ainsi une bienveillance active, délibérée. Cela rend la vie tellement plus belle que de passer sans voir le bien. Cela rend la vie tellement plus joyeuse que d’aller à la pêche de ce qui est mauvais et de ne retenir que ça.
Le Royaume est un élan de bienveillance, d’ensemencement et de purification. Dieu est comme cela et tout élan de ce type participe à cet élan de vie, et de qualité de la vie, lui donnant une dimension d’éternité.
Oui, nous dit Jésus, la bienveillance a une réelle efficacité pour créer le monde de demain, mais la parabole du bon grain et de l’ivraie nous place face à la dure réalité de l’existence permanente du mal. Patience nous dit Jésus, le monde est en cours de genèse, nous sommes nous-mêmes en cours de genèse, tout l’univers est dans un lent mouvement d’évolution, une part de chaos demeure sans que nous en soyons responsables, ni Dieu, ni nous. Par contre, si nous semons du bien, nous sommes parfois comme cet « homme ennemi » de la parabole qui sème du chiendent. Parfois, oui, nous pouvons avec l’aide de Dieu aller à la pêche des bons poissons et éliminer des mauvais mais parfois ce n’est pas possible. Parfois c’est impossible même pour Dieu d’arracher le mal. Parfois il pleure devant notre méchanceté. Il essaye de planter des graines de bonté et de miséricorde, il tente d’accompagner et de consoler comme une mère console son enfant, il tente d’appeler le meilleur de nous-mêmes, d’insuffler un peu de sa vitalité dans la pâte de notre matière, et patiente, malgré son impatience bienfaisante.
Notre Père à tous, que ton Règne vienne, sur le terre et en nous, dans notre être tout entier, animer notre vitalité.
Amen.
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Jésus leur proposa une autre parabole, et il dit: Le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé une bonne semence dans son champ. 25 Mais, pendant que les gens dormaient, son ennemi vint, sema de l’ivraie parmi le blé, et s’en alla. 26 Lorsque l’herbe eut poussé et donné du fruit, l’ivraie parut aussi. 27 Les serviteurs du maître de la maison vinrent lui dire: Seigneur, n’as-tu pas semé une bonne semence dans ton champ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie? 28 Il leur répondit: C’est un ennemi qui a fait cela. Et les serviteurs lui dirent: Veux-tu que nous allions l’arracher? 29 Non, dit-il, de peur qu’en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le blé. 30 Laissez croître ensemble l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et, à l’époque de la moisson, je dirai aux moissonneurs: Arrachez d’abord l’ivraie, et liez-la en gerbes pour la brûler, mais amassez le blé dans mon grenier.
31 Il leur proposa une autre parabole, et il dit: Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé qu’un homme a pris et semé dans son champ. 32 C’est la plus petite de toutes les semences; mais, quand il a poussé, il est plus grand que les légumes et devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses branches.
33 Il leur dit cette autre parabole: Le royaume des cieux est semblable à du levain qu’une femme a pris et mis dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que toute la pâte soit levée.
34 Jésus dit à la foule
toutes ces choses en paraboles,
et il ne lui parlait pas sans parabole…
44 Le royaume des cieux est encore semblable à un trésor caché dans un champ. L’homme qui l’a trouvé le cache; et, dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il a, et achète ce champ.
45 Le royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherche de belles perles. 46 Il a trouvé une perle de grand prix; et il est allé vendre tout ce qu’il avait, et l’a achetée.
47 Le royaume des cieux est encore semblable à un filet jeté dans la mer et ramassant des poissons de toute espèce. 48 Quand il est rempli, les pêcheurs le tirent; et, après s’être assis sur le rivage, ils mettent dans des vases ce qui est bon, et ils jettent ce qui est mauvais. 49 Il en sera de même à la fin du monde. Les anges viendront séparer les méchants d’avec les justes, 50 et ils les jetteront dans la fournaise ardente, où il y aura des pleurs et des grincements de dents.
51 Avez-vous compris toutes ces choses? -Oui, répondirent-ils.