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Genève - 17 février 2019
culte au temple de Malagnou - Genève
prédication du pasteur Marc Pernot
Mais pourquoi est-ce que Jésus n’aurait pas eu le droit de fabriquer du pain avec des pierres s’il en avait la possibilité ? C’est normal que son corps soit en manque de nourriture après 40 jours de jeûne. Et si, comme le dit Jésus en citant la Bible : « l’humain ne vivra pas de pain seulement... » cela confirme que nous avons besoin de nourrir notre corps et que c’est un besoin impérieux, comme pour toute vie : ce n’est même pas un choix.
Quel problème alors pour Jésus de penser à faire son pain ? Est-ce que ce serait pris comme un manque de confiance en Dieu « qui nourrit les oiseaux du ciel, qui pourtant ne sèment ni ne moissonnent » (Matthieu 6:26) comme le dit Jésus ? Mais nous savons bien, et Jésus certainement aussi, que cela ne marche pas comme ça. Malgré tout l’amour que Dieu a pour chacune de ses créatures, il arrive que des oiseaux meurent de faim, et même : un enfant de moins de 5 ans meurt de faim toutes les 10 secondes dans le monde. Cet enseignement de Jésus sur les oiseaux du ciel n’est donc pas à lire comme nous disant que la foi consiste à nous décharger sur Dieu pour ce qui est de la nourriture et du vêtement.
Bien sûr que notre corps demande un certain soin, et il est possible d’assumer notre dimension corporelle sans pour autant vivre entièrement au seul service de ses organes. C’est une sagesse élémentaire. L’humain est un animal social, spirituel et pensant. Toutes ces dimensions sont belles, saintes et bénies. Toutes demandent de la nourriture et du soin, ce qui demande une juste collaboration entre un travail de Dieu et un travail de l’humain, chacun à sa juste place et s’articulant avec l’autre (Dieu) et les autres (les humains et le monde).
Si Jésus avait des superpouvoirs lui permettant de faire des pains à partir de pierres du désert ce serait une belle façon d’articuler le travail de Dieu et celui de l’humain pour nourrir le corps, lui permettant ensuite de trouver tranquillement de la nourriture pour les autres dimensions de son être. En faisant quelque chose de nourrissant à partir de ces pierres, il ne fait du tort à personne, bien au contraire. Dans les évangiles nous voyons plusieurs épisodes où Jésus fait un geste puissant pour nourrir la foule (en multipliant des pains et des poissons Mt. 15:32), pour sauver sa peau (Luc 4:30) ou même pour payer une simple taxe (Mt. 17:27). Il prend aussi le temps de se reposer et de se ressourcer.
Alors quel est le problème ? Pourquoi est-ce que Jésus renonce à faire du pain s’il en avait la possibilité ?
Le seul problème, la seule raison qui fait qu’il devait absolument ne pas poursuivre ce projet qui lui vient à l’esprit c’est que cette suggestion lui est faite par le « tentateur » et non par Dieu. La proposition apparaît comme irréprochable, comme légitime dans son but comme dans ses moyens. Bien sûr, car c’est comme cela que marche la tentation. L’apôtre Paul le dit bien, il le dit même fort poétiquement « Il n’est pas étonnant que le satan lui-même se transforme en ange de lumière. » (2 Cor. 11:14). Bien sûr. C’est même comme cela qu’il est tentant, avec toutes les apparences de la légitimité, de la raisonnabilité, de la beauté, avec ses ailes toutes emplumées de lumières. Tout semble bien sauf que cela vient du mal et est donc source de mal, de souffrance et de mort, peut-être spirituelle, ou sociale, ou corporelle.
La ficelle est parfois un peu grosse : ce sont par exemple des mensonges qui mentent à peine, des trahisons qui comportent une part de légitime protestation, c’est une joyeuse et créative liberté qui tourne au libertinage morbide. Mais souvent le déguisement est parfait et l’ange est bien lumineux avec pas une corne ou un pied fourchu qui dépasse : hors de tout soupçon, comme ici. C’est en toute bonne foi que nous suivons alors notre conscience. Nous n’avons même pas noté qu’il y avait un dilemme, un choix à faire.
Le propre de l’humain, c’est pourtant d’avoir ce choix à faire. Comme le dit Kierkegaard, « l’humain non seulement peut choisir, mais il doit choisir », « sa condition magnifique mais extrêmement périlleuse est la faculté du choix. » (Les lys des champs et les oiseaux du ciel). Mais quand « le satan s’est transformé en ange de lumière », le fait même qu’il y ait une question ne nous apparaît pas. Sans choix de notre part, c’est la solution par défaut qui est suivie et elle n’est pas bonne.
C’est le lot de tout humain, et donc de Jésus de Nazareth, tout Christ qu’il est, tout fils de Dieu qu’il est car il est en même temps fils de l’homme. C’est notre lot à tous d’être à la fois enfant de Dieu, et enfant de l’humain.
Jésus vient d’être baptisé. Une voix, la voix de Dieu lui-même a dit « Celui-ci est mon Fils bien-aimé » (Mat. 3:17). Selon Luc, la voix divine ajoute « aujourd’hui, je t’ai engendré » (Luc 3:22). Cette qualité nous est également donnée. Aussitôt, nous dit notre texte, l’Esprit : le souffle de Dieu qui lui a été ainsi donné conduit Jésus dans le désert (c’est très bien, mais la suite est étrange :) « pour être tenté par le diable ». Je trouve cela particulièrement choquant. Comment ? Dieu nous jetterait joyeusement et délibérément dans les griffes du diable ? Cela pourrait éventuellement s’imaginer sur la base de quelques passages de l’Ancien Testament, mais dans le cadre de l’Évangile cela n’a pas de sens, à mon avis. Comme le dit Jésus « tout royaume divisé contre lui-même est dévasté » (Matthieu 12:25). Selon l’expérience même de Jésus et ce dont il témoigne, c’est que Dieu est source de vie, de guérison, «c’est que Dieu est lumière, et qu’il n’y a pas en lui de ténèbres. » (1 Jean 1:5). Ce dont Jésus témoigne c’est que Dieu est un allié face à la tentation, il nous dit en connaissance de cause « Veillez et priez, afin que vous ne soyez pas conduit et enfermé dans la tentation » (Mat. 26:41). Il est donc aberrant de penser que Dieu enverrait son « enfant bien-aimé » délibérément vers la source de la souffrance et de la mort. Dieu ne peut vouloir le faire souffrir, ni l’évaluer (il le connaît comme s’il l’avait fait), ni le former ainsi (il a d’autres moyens pédagogiques), ni comme publicité (ce serait cruel et cet épisode n’a de toute façon pas eu de témoin).
La traduction traditionnelle affirme donc que « Jésus fut emmené par l’Esprit dans le désert, pour être tenté par le diable ». Qu’y a-t-il dans le texte original ? Le mot « pour » n’est pas présent dans le texte, il y a seulement « être tenté par le diable », sans autre indication. C’est vrai qu’il arrive que l’infinitif en grec serve à indiquer le but d’une action, mais ce n’est pas toujours le cas, il peut aussi désigner un état, un petit peu comme avec le participe présent, mais l’infinitif sert alors à indiquer un état plus permanent. Comme il est impossible que Dieu envoie à dessein un de ses enfants vers le mal, je pense qu’il est plutôt dit ici que Jésus était en état de tentation permanente. Que son être est ainsi, ce qui est donc tout à fait normal, effectivement. Nul ne peut nous en vouloir, et Dieu encore moins. Il nous a fait ainsi, un être à la croisée des chemins, appelé à choisir. Un être pas complètement achevé, appelé à devenir encore plus humain au bon sens du terme. Jésus, dans son être, est tenté par le diable, Dieu est à ses côtés, son souffle l’assiste, le conduisant au désert. Selon une image bien connue dans la Bible, 40 jours et 40 nuits de jeûne comme Moïse dans le désert au Sinaï, se préparant à recevoir la Parole de Dieu. Le peuple hébreu, lui restera 40 ans dans le désert. Le nombre 40 évoque un temps de gestation, un temps un peu âpre et rude qui ne produit pas grand chose d’autre qu’une maturation du sujet. Ce « 40 » n’indique pas une quantité, il indique le sens et le but de ce temps de retraite. Jésus est déjà fils de Dieu, déjà adopté par l’amour de Dieu, déjà engendré par son souffle au plus profond de lui, il lui reste, comme à nous tous, à se développer. Tout être humain est comme un enfant, un être appelé à grandir. Dieu le comprend, Dieu le sait, et Dieu nous y aide.
Le mot «désert », midebar en hébreu, veut dire « désert » et signifie également deux autres choses :
- « Midebar » peut se lire comme « hors de (min) la parole (dabar) », cela évoque un temps de retrait en dehors du bruit, des distractions et du monde.
- « Midebar » peut se lire comme le participe présent du verbe dabar « parler » (Gen 45 :12, Nb 7 :89), nous nous rendons disponible à ce que Dieu pourrait nous dire, nous apporter. Une plongée dans la Parole créatrice.
Jésus est donc présenté en ce commencement comme un enfant de Dieu ne sachant peut-être même pas qu’il est tenté puisque c’est seulement après ces 40 jours et nuits qu’il entend comme une voix qui lui parle, qu’il saisit que cette voix pose question, appelle une réponse de sa part, un choix. Et que ce n’est pas si évident.
« Si tu es le fils de Dieu », c’est vrai qu’il l’est, « si tu est le fils de Dieu fais ceci » : c’est un appel à la cohérence et à la responsabilité, une idée tout habillée de logique, de vraisemblance, de légitimité et même de justifications bibliques. Satan s’est transformé en ange de lumière.
Notre conscience nous parle. C’est une bonne idée d’interroger notre conscience, ce prendre ce temps de suspension, sinon ce n’est pas vraiment choisir. Interroger sa conscience. Dieu nous y parle par l’Esprit. Les anges, c’est à dire l’action de Dieu venant à nous de multiples façons nous servent. C’est vrai. Mais d’autres voix s’expriment en nous. Certaines voix que nous savons être des cris de souffrances ou des poussées d’hormones, des faims du corps, du cœur et de l’esprit, et des idées sans queue ni tête. C’est assez facile d’évaluer tout cela. Il y a aussi quelques gros diables et quelques diablotins ayant toute apparence d’anges de lumières. Le texte montre bien qu’il ne s’agit pas de cette sorte de dieu méchant auquel certains croient, il est appelé ici tantôt « diable » (ce qui divise, déconstruit, éparpille), ou « satan » (ce qui est notre ennemi, nous tue, nous blesse, nous bloque), il est appelé « le tentateur » : ce n’est donc pas ici un être : ce sont trois fonctions, des torsions de notre être, des hémorragies.
Dieu nous aide à y voir clair et à y faire face. L’Esprit nous conduit au désert, temps hors du monde pour creuser en nous la faim d’une parole qui donne de pouvoir faire face en vérité, en fidélité. Chacun son rythme et sa façon de vivre régulièrement cet exercice présenté ici comme un itinéraire fantastique. Pratiquer cela le temps de maturation nécessaire, que notre temps de retraite devienne ce que suggère ce nombre 40. Que nous commencions à distinguer que ce qui nous semblait couler de source pose en réalité question. Cette parole qui s’exprime dans notre intelligence, dans notre cœur, dans notre intuition : vient-elle de Dieu ou du diable ? Tout ne se vaut pas, et pour que notre liberté soit une vraie liberté, encore faut-il que nous voyions clair afin de ne pas viser à côté.
Jésus arrive à discerner les ruses de sa propre tentation transformée en ange de lumière à trois reprises, en trois lieux, nous dit ce texte. Trois beaux lieux bien propices à ouvrir les yeux en vérité : dans le désert, sur une haute montagne et sur le sommet du temple de Jérusalem. Le désert c’est donc la lecture de la Bible et le retrait du monde pour s’ouvrir à Dieu. La haute montagne évoque la prière. Le temple évoque la religion. Jésus pratique régulièrement les trois, d’une façon souple, quand il en a besoin, tout au long de sa vie. L’aide de Dieu a d’abord été pour lui faire sentir ce besoin de désert, de formation, d’ouverture à la Parole de Dieu. Il lui revient en tête cette parole de la Bible « L'humain ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu. »(Deut. 8:3)
Excellent conseil. Afin de grandir, notre être a un ardent besoin de se nourrir. C’est comme ça pour le corps, pour le discernement et pour la foi.
Ce que Dieu nous donne pour nourrir notre discernement n’est pas pour nous une étroite loi à suivre absolument comme une mince passerelle au-dessus d’un gouffre. Cette Parole est comme une nourriture offerte par plus grand que l’humain, nourriture à prendre, à mâcher et ruminer, à digérer pour qu’elle nous fasse grandir de l’intérieur. Digérer car dans ce que nous prenons et mangeons en pensant que c’est une parole lumineuse de Dieu, se glissent des paroles du satan déguisé en ange de lumière, Même dans la Bible et plus souvent encore dans les sermons. Comme Jésus ici, nous sommes faits pour devenir être capable de voir clair et de faire le tri.
Nous n’en sommes que progressivement capables. Comme pour Jésus, l’Esprit et l’amour de Dieu est d’abord comme le lait du nourrisson, ensuite viendra le pain qui fait grandir. Le pain qui est dans la Bible l’image même de la bénédiction et du discernement de Dieu pour garder le meilleur puis lui donner bon goût par son souffle et son feu.
Au contraire, le satan transformé en ange de lumière nous fait prendre pour du pain de lourdes pierres, ce qui n’est pas très digeste et nous tireraient vers le bas. Le satan nous suggère de sauter dans le gouffre comme si le pire était une solution pour aller mieux... et autres bêtises que Jésus peut reconnaître et choisir d’éviter.
Jésus ne prend pas la grosse tête pour autant, il pense que nous avons ce même don par nature. Il le dit peu après dans le même évangile quand il dit que nous sommes le sel de la terre et la lumière du monde (Mat. 5:13). La lumière pour voir clair et mettre en lumière autour de nous. Et le sel pour purifier les aliments, gardant la qualité de la bonne nourriture tout en neutralisant la pourriture et la vermine qui nous rendrait malade et qui nous tuerait peut-être.
Amen
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
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3:16 Voici que les cieux s’ouvrirent et (Jésus) vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. 17 Et voici qu’une voix venant des cieux disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir. » 1 Alors Jésus fut conduit dans le désert par l'Esprit, son être tenté par le diable. 2 Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il finit par avoir faim. 3 Le tentateur s’approchant lui dit : Si tu es Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains. 4 Il répondit : Il est écrit : L'humain ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu.
5 Alors, le diable l'emmène dans la ville sainte, le place sur le haut du temple 6 et lui dit : Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il a été écrit : Il donnera à ses anges des ordres à ton sujet, et ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. 7 Jésus lui dit : Il est aussi écrit : Tu ne provoqueras pas le Seigneur, ton Dieu.
8 De nouveau, le diable l'emmena sur une montagne très haute, lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire, 9 et lui dit : Je te donnerai tout cela si tu tombes pour te prosterner devant moi. 10 Alors, Jésus lui dit : Retire-toi, Satan, car il est écrit : C'est le Seigneur, ton Dieu, que tu adoreras, et c'est à lui seul que tu rendras un culte.
11 Alors le diable le laissa, et des anges s’approchèrent et le servaient.
Jésus dit : 13 Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel ? Il ne vaut plus rien ; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes.
14 Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée. 15 Quand on allume une lampe, ce n’est pas pour la mettre sous le boisseau mais sur le chandelier, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. 16 Que votre lumière brille ainsi devant les humains pour qu’en voyant vos belles œuvres ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux.
Le Satan lui-même se transforme en ange de lumière.