(écouter, culte entier, imprimer)
18 octobre 2020
À Genève - Saint Pierre
prédication du pasteur Marc Pernot
Jésus est interrogé, et ce qu’il répond ici a alimenté des millénaires de débats philosophiques, éthiques, théologiques et spirituels.
La question posée était un piège car elle est complexe. Verser l’impôt n’est-ce pas faire une offrande au dieu de l’argent, au dieu de ce monde, au dieu de la matière et de la chair ? Ne devons-nous pas avoir uniquement Dieu dans notre Panthéon de chrétien ? Sinon, remplacer le pouvoir civil par quoi ?
Jésus répond en gros qu’il faut tenir compte des deux facteurs, et de César et de Dieu.
Il ne dit pas cela pour sauver sa peau alors qu’il est pris en tenaille entre des autorités civiles et des autorités religieuses qui ne rigolaient ni les unes ni les autres. Nous savons bien que Jésus dit ce qu’il pense et agit librement selon ses convictions, quitte à y laisser sa peau. Si Jésus nous dit qu’il est bon de tenir compte à la fois de César et de Dieu, c’est parce qu’il le pense. Parce qu’il le vit :
- Il passe son temps à parler du règne de Dieu disant qu’il est déjà là, en train de se déployer.
- Et pourtant, Jésus reconnaît ici la légitimité de César et n’a pas un geste, pas une parole pour remettre en cause les autorités romaines. Jésus refuse à plusieurs reprises d’être lui-même fait roi, se retirant dans la montagne pour prier tout seul (Jean 6:15). Ensuite, quand il est porté dans Jérusalem par une foule enthousiaste, plutôt que de marcher vers le palais du gouverneur, il va dans le temple pour que la prière soit le cœur de notre espérance.
Jésus reconnaît à la fois César et Dieu. Il se met à dos les religieux qui prônent une méfiance de ce monde, identifié à satan, en avec cela : notre corps, la chair, l’argent, les responsabilités. Jésus se met aussi à dos les activistes qui voulaient au contraire que la religion prenne le pouvoir en ce monde pour y bâtir le Royaume de Dieu.
Jésus reconnaît et César et Dieu. Cela ne veut pas dire qu’il nous invite à adorer l’un comme l’autre. Je pense que c’est plus au sens proposé par la parabole de Yotam, dans le livre des juges, qui illustre bien la place de chacun des deux.
Les trois premiers arbres évoquent trois réalités spirituelles majeures :
Nous voyons ici comment Dieu règne : il est source d’une fructification intérieure à l’humain. La demande des arbres et celle des foules acclamant Jésus sont donc sympathiques, et spontanément, nous dirions oui, bien sûr, il faut que règne sur le monde et sur nous ces sources divines de bienfaits. Et pourtant, nous dit cette parabole de Yotam, le pouvoir doit revenir au buisson d’épines. Il a un rôle bien précis dans la Bible : il sert de haie protégeant le verger des ravages faits par les animaux sauvages et les voleurs. C’est le rôle de César, un rôle limité car il ne produit aucun fruit ni bon ni nourrissant, et il est piquant, le buisson est pourtant indispensable. Effectivement : la cité bien gouvernée est comme une haie qui permet à ses citoyens de vivre en paix sans que la sauvagerie des hommes ou de la nature détruise tout. César impose la paix, il construit des routes, des hôpitaux, des écoles, mais son rôle n’est pas de nous dire ensuite quelle route nous devons prendre, que faire grâce à notre bonne santé ni que penser avec notre intelligence. Cela appartient à la liberté de chacun, cela n’appartient pas au gouvernement de César.
Nous avons ainsi deux règnes, celui de César, extérieur, et le règne de Dieu, intérieur, produisant des fruits en l’humain, et même avec l’humain, car l’olive, la figue et le raisin évoquent chacun pour sa part le fruit une collaboration de Dieu et de l’humain. Même Dieu nous laisse notre liberté, et même la rend possible, l’éveille dans la culture de ces 3 fruits.
C’est pourquoi Jésus refuse d’être fait roi, son pouvoir n’est pas un pouvoir sur les gens, il est chemin vers Dieu, il est source de réconciliation de chacun avec Dieu, il est source de réconciliation entre les humains. Il apporte de la sève à notre vigne, il met du fumier au pied de notre figuier, il arrose notre olivier. Il n’est pas question qu’il se transforme en buisson d’épines, comme gardien de ce que nous devrions faire, de ce que nous devrions penser ou pour qui ou quoi nous devrions voter.
César gouverne les peuples, il fait des statistiques pour lever les impôts, pour compter le nombre de personnes à réquisitionner pour construire telle route, renforcer telle compagnie. S’il en faut mil et qu’il en tombe cent, cela permettra de les remplacer facilement. Dieu ne fonctionne pas comme cela. C’est au singulier qu’il donne sa bénédiction sur chaque personne individuelle « l’Éternel te bénit, toi »(Nombres 6:24), il t’appelle par ton nom car il t’aime (Ésaïe 43). S’il tombe une seule personne, il la pleure. Si une seule progresse, il organise une grande fête nous dit Jésus (Luc 15:7,32).
Jésus reconnaît ainsi les rôles complémentaires de César et de Dieu, cela aura une très grande et lourde postérité dans ce que l’on appelle la doctrine des deux règnes. Nous la retrouvons chez Paul (Romains 13) et Pierre (1 Pi 2 :13) où tous les deux articulent l’obéissance aux autorités civiles, le respect de Dieu et l’amour de notre prochain. Ils vont à mon avis bien trop loin en disant que le magistrat tient son pouvoir de Dieu et ils seront suivis par bien des théologiens depuis Augustin jusqu’à Luther. Alors que Yotam disait que le pouvoir du buisson d’épines vient du peuple, et que ce pouvoir peut tourner à la catastrophe. C’est ce que souligneront Calvin et Théodore de Bèze à Genève, ce qui aura une importante influence sur la pensée moderne.
L’articulation entre César et Dieu a des répercutions très concrètes pour la vie en ce monde. Prenons un juge chrétien. Comme chrétien il a envie de dire au criminel « tout est pardonné, va en paix ». Comme magistrat devra prendre des mesures de contraintes afin de gérer sa folie assassine. Un boulanger aura envie de donner son pain gratuitement comme Dieu donne tout sans contre partie et comme une maman offre son lait. Mais si le boulanger donne son pain comment fera-t-il du pain demain et habillera-t-il sens enfants ?
Ces deux règnes de César et de Dieu sont ainsi en tension dans notre vie et dans notre être. Par notre corps nous sommes pétris de poussière de la terre, ayant des besoins face à des ressources limitées. Par notre esprit nous aspirons et sommes animés par infiniment plus. Ces règnes de César et de Dieu nous traversent.
C’est constitutif de notre nature humaine. Dans un sens, nous sommes un sac de peau remplis de molécules qui interagissent par des réactions chimiques quand elles reçoivent de l’énergie. Or, une réaction chimique ne réfléchit pas beaucoup.
Nous sommes de la matière et nous sommes aussi autre chose, d’un autre ordre. Par exemple, je peux décider de lever le bras. C’est un acte de liberté, de créativité. Même petit c’est déjà immense. C’est autre chose venu d’ailleurs c’est se sentir comme étant un individu parmi d’autres, c’est espérer, aimer. Il s’agit de tout autre chose que de la chimie. Que sommes nous ? Certains diraient que nous sommes une âme habitant un corps. Il me semble plus juste de dire avec la Bible, que nous sommes un corps animé. L’Esprit, n’est pas quelque chose qui serait dans notre corps comme de l’eau versée dans un vase d’argile, l’Esprit est une qualité de notre être, comme le corps est une autre qualité de notre être. D’ailleurs quand la Genèse dit que nous sommes créé à l’image de Dieu, c’est en tant qu’être humain entier, corps et esprit que nous le sommes. Et l’Évangile selon Jean dit qu’en Christ la Parole de Dieu a été faite chair, elle n’a pas seulement habité un corps, elle est chair, elle est corps animé d’un souffle divin.
Par notre corps nous vivons dans un monde de ressources limitées. Par l’Esprit nous participons à l’infini : par notre propre personnalité, par notre regard sur ce qui nous entoure, les interactions avec ce monde, avec d’autres vivants et avec ce qui est au delà de tout, par la foi. Cela fait que nous sommes à la fois du règne de César et de celui de Dieu pas seulement comme citoyen membre d’un royaume, nous le sommes aussi par nature. Cela fait que nous sommes toujours comme entre deux chaises, avec une insatisfaction à la croisée de nos limites et de notre infini. C’est aide de savoir que c’est normal, cela peut nous aider à ce que cette insatisfaction ne devienne pas de l’inquiétude, voire de l’angoisse, du désespoir ou de la culpabilité. Plutôt vivre cela comme une aspiration, comme une inspiration, comme un regard, comme une promesse.
Et si nous n’arrivons pas à aimer et aider 7 milliards 700 millions d’humains, nous commencerons à tenter de faire ce que nous pouvons, ce sera déjà génial.
Une première lecture de ce passage de l’Évangile nous invitait à réfléchir à l’articulation entre César et Dieu, puis entre le corps et l’Esprit.
Une seconde lecture, plus en détail, de ce passage de l’Évangile s’intéresse à la façon de regarder l’autre, à regarder son visage. Ce qui nous invite à lire ou relire quelques belles pages du philosophe Lévinas.
Au début de ce passage, les adversaires de Jésus s’approchent avec de grands sourires de requin, disant à Jésus : « Nous savons que tu enseignes la voie de Dieu en toute fidélité, sans redouter personne, car tu ne regardes pas le visage des humains. » En réalité, il est marqué littéralement « regarder dans le visage des humains » (βλέπεις εἰς πρόσωπον ἀνθρώπων).
Le texte nous montre que si, bien entendu, Jésus regarde le visage de la personne qu’il a en face de lui, et qu’il regarde même derrière l’apparence, à l’intérieur. C’est l’écart entre leur visage et ce qui est à l’intérieur qui constitue leur hypocrisie.
Cette invitation à s’interroger que nous adresse Jésus à propos de la pièce de monnaie, prend alors un tout autre sens : regarder le visage de l’autre et s’interroger : « quel image et quelle inscription ? ».
À l’extérieur d’un humain on voit un César, un corps, un visage de chair, ça ressemble à un humain. Regardez bien, regardez à l’intérieur du visage «Quelle image voyez vous ? » demande Jésus. La Genèse (1:27) nous dit que tout humain est par nature, créé à l’image de Dieu. À l’image du Dieu vivant dont on ne peut se faire d’image.
À l’extérieur, chaque être humain a un visage unique, personnel et portant les traces de son histoire, celle du temps. À l’intérieur cette personne porte l’image de Dieu, faite de liberté, d’infini, d’éternité, de soif de créer de belles choses.
À l’extérieur, ce visage porte un nom, son nom personnel et celui de sa famille, trace d’une histoire particulière, d’une culture. À l’intérieur, il y a un nom, qui nous est donné par Dieu, disant « celui-ci est mon enfant bien aimé, écoutez-le, écoutez-la ! »(Marc 9:7).
À l’extérieur, César porte un masque, et il peut devenir trompeur, piquant, dévoreur. Certes. Et à l’intérieur, tant de mystère. Cela peut rendre humble, et prudent. Regarder le visage de l’autre, regarder au-delà du visage dans le visage, à l’intérieur. Et se demander comme il est écrit ici « qu’est-ce qui me semble, en vérité », c’est à dire selon Dieu, par la foi. Se demander quelle image, quelle inscription ? Qu’est-ce que ce visage porte comme sens que la bouche ne dit peut-être pas. Qu’est-ce que cette personne, avec ces deux dimensions « me semble en vérité » espérer, quelle soif, quels pleurs, quelle envie d’offrir me semble pouvoir être lue sur son visage et dans son visage.
Rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. L’infiniment particulier existe dans les deux dimensions de la personne que nous avons en face de nous. Les deux sont infiniment respectables, et la personne est à la fois les deux. Le côté César est dangereux et si touchant, si puissant et si fragile. Le côté divin est tellement extraordinaire qu’un vertige nous prend, une espérance folle.
Amen.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot
Les Pharisiens allèrent se consulter sur les moyens de prendre Jésus au piège de ses propres paroles.
16 Ils envoyèrent auprès de lui leurs disciples avec les Hérodiens : Maître, lui dirent-ils, nous savons que tu es véridique (fidèle), et que tu enseignes la voie de Dieu en toute fidélité, sans redouter personne, car tu ne regardes pas à l'apparence des humains (littéralement : « dans le visage des hommes »). 17Dis-nous donc ce qu’il te semble : Est-il permis, ou non, de payer le tribut à César ?
18 Mais Jésus qui connaissait leur méchanceté répondit : Pourquoi me mettez-vous à l'épreuve, hypocrites ?
19 Montrez-moi la monnaie avec laquelle on paie le tribut.
Et ils lui présentèrent un denier.
20 Il leur demanda : De qui sont cette image et cette inscription ?
21 De César, lui répondirent-ils.
Alors il leur dit : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.
22 Étonnés de ce qu'ils entendaient, ils le quittèrent et s'en allèrent.
Yotam alla se placer sur le sommet du mont Garizim, et voici ce qu'il leur cria à haute voix : Écoutez-moi, notables de Sichem, et que Dieu vous écoute !
8 Les arbres partirent Pour aller oindre un roi à leur tête. Ils dirent à l'olivier : Règne sur nous. 9Mais l'olivier leur répondit : Renoncerais-je à mon huile par laquelle, grâce à moi, on honore Dieu et les hommes, pour aller me balancer au-dessus des arbres ?
10 Et les arbres dirent au figuier : Viens, toi, règne sur nous. 11 Mais le figuier leur répondit : renoncerais-je a ma douceur et a mon excellent fruit, pour aller me balancer au-dessus des arbres ?
12 Et les arbres dirent à la vigne : Viens, toi, règne sur nous. 13 Mais la vigne leur répondit : renoncerais-je a mon vin qui réjouit dieu et les hommes, pour aller me balancer au-dessus des arbres ?
14 Alors tous les arbres dirent au buisson d'épines : Viens, toi, règne sur nous. 15Et le buisson d'épines répondit aux arbres : Si c'est de bonne foi que vous voulez me donner l'onction comme roi sur vous, venez, réfugiez-vous sous mon ombrage, sinon, un feu sortira du buisson d'épines et dévorera les cèdres du Liban.
(cf. traduction La Colombe)