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7 novembre 2021
à Saint Pierre de Genève
prédication du pasteur Marc Pernot
Le moralisme est un cancer de la religion, une maladie qui se soigne fort bien, heureusement car elle peut devenir mortelle, même pour la foi en Dieu.
Le récit de l’Évangile qui nous est proposé aujourd’hui présente ce risque à un degré élevé, c’est pourquoi, je pense, il est introduit par un enseignement de Jésus qui fonctionne préventivement comme un vaccin.
Ce passage est particulièrement dangereux par la leçon découlant d’une lecture au premier degré de ce récit où la veuve pauvre est montrée en exemple par Jésus « elle a donné tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre ». Transformé en leçon de morale cela nous inviterait à aller jusqu’à nous priver de tout pour donner à l’église, et sinon à nous sentir coupable ! J’ai connu des fidèles donnant jusqu’à se priver de ce qui était nécessaire à la bonne santé de leur personne ou de leur famille. Hélas. Mais si nous lisions ce texte comme cela, nous ferions exactement ce que Jésus dénonce ici comme étant un scandale : être un de ces interprètes de la Bible qui « dévorent les maisons des veuves ». C’est effectivement ce que produit le récit du don de la pauvre veuve si on en fait une lecture matérialiste.
Heureusement que l’Évangile a donné l’antidote à ce poison du moralisme juste avant ce récit, prévenant le danger d’une lecture au niveau matériel.
Les leçons de morale sont d’ailleurs toujours brutales, en particulier pour ceux qui sont déjà éprouvés, c’est ce qui en fait une pratique fort cruelle. Pourtant, il y a souvent une bonne idée à la base, une vraie valeur, comme ici le don, et de cette bonne idée, par un manque de nuance et de discernement, la morale absolue fait un couperet qui vient tourmenter et culpabiliser la personne qui est dans une situation délicate, parfois tragique. C’est le danger pour ce récit. À l’époque, une manquant souvent de tout, sans pension ni revenu. L’appel au don sans limite vient frapper encore son malheur, sa survie. C’est déjà cruel, cela devient assassin quand c’est asséné au nom de Dieu, menaçant sa vie spirituelle en plus de sa vie physique. Heureusement, donc, que nous avons cette mise en garde de Jésus contre les spécialistes de la Bible qui dévorent la maison des veuves, cela devrait rendre impossible une interprétation matérialiste de ce texte.
Alors, quelle lecture faire de cet appel à donner l’essentiel de sa vie dans le trésor du temple ?
C’est un geste fréquent dans l’Évangile du Christ de nous inviter à une espérance spirituelle en transposant notre espoir matériel. Par exemple : l’histoire de la libération des Hébreux hors d’Égypte est relue comme notre libération du péché et de la mort pour entrer dans la vie véritable. Autre exemple : Jésus dit que nos pires ennemis ne sont pas ceux qui tuent le corps mais ce qui peut tuer notre âme. Ou quand Jésus nous invite à ne ne pas prier pour des choses matérielles (Dieu sachant déjà très bien de quoi nous avons besoin) et de chercher plutôt l’action de Dieu en nous, etc.
La mise en garde de Jésus contre une lecture potentiellement désastreuse du don de la veuve pauvre nous invite à une relecture spirituelle. Cela est encore confirmé par l’emphase mise par Jésus dans sa relecture du don de la veuve : il rassemble ses disciples autour de lui afin de leur délivrer son enseignement, puis il l’introduit par son très solennel « Amen, je vous le dis » des grands jours, venant souligner un des points essentiel pour notre salut. La petite leçon sur l’importance du don ne mérite pas ce genre d’honneur. C’est une évidence, toutes les sociétés connaissent cette nécessité de faire un minimum corps ensemble. Même les pingouins le savent parfaitement afin de pouvoir survivre par -50° et manger des poissons tout en élevant leurs petits.
Jésus cherche à nous élever précisément à un autre niveau de l’existence, niveau qui n’annule pas le niveau de la vie matérielle, évidemment. Car si notre corps manque du nécessaire pour vivre, ne serait-ce qu’en terme de nombre de calories ou de sommeil, notre capacité à penser, à bouger, à agir, à épanouir notre être est altérée. Comme le dit Jésus : Dieu sait très bien de quoi nous avons besoin (Matthieu 6:8), nous connaissons tous ce minimum dont chaque être vivant à besoin. Jésus parle de la suite, de ce qui fait que notre vie est plus que de la survie, il parle du moteur même de la vie en abondance, de la vie vivifiante.
Le « trésor » dont il est question dans ce récit fait référence au sens physique au trésor du temple de Jérusalem. La transposition de ce monument au sens spirituel est bien connue dans l’Évangile.
Jésus parle du temple comme le « lieu de la prière de tous les peuples »(Marc 11:17), de la prière de toute personne, le lieu de notre relation intime avec la source, avec cette bonté immense qu’est Dieu.
Jésus parle aussi « du temple de son corps » (Jean 2:21), de son être fait de chair et de sang animé à la fois d’une vie physique, psychologique, sociale et spirituelle. Cette image dit le caractère sacré de la personne vivante. Elle est habitée, comme Jésus le dit plus loin dans l’Évangile selon Jean, par « l’Esprit de vérité (de fidélité), Esprit, Souffle que nous connaissons car il demeure avec nous et il est en nous » (Jean 14:17).
C’est ainsi que notre corps est le temple de l’Esprit Saint. (1 Corinthiens 6:19). Le trésor de ce temple, c’est le cœur de notre être (Mat. 6:21), là où Dieu interagit avec nous selon des effets complexes : un élan vital, une certaine intelligence de la vie, le sentiment de notre propre dignité, une soif de justice, une espérance, et ce qui fait que notre vie s’anime de bonté et de miséricorde, de créativité et de bénédiction dans notre entourage.
Qu’allons nous mettre dans ce trésor de notre être ?
Jésus nous montre premièrement en exemple les riches qui mettent de leur abondance dans ce trésor du temple de Jérusalem. C’est bien. Et au sens spirituel, c’est essentiel.
L’humain est un être qui déborde, comme Dieu. Nous ne survivons pas seulement, nous vivons aussi à un niveau de l’être si sophistiqué que nous sommes capables d’aimer, de prier et de créer. Nous sommes un être avec du trop plein de vie, et du coup nous sommes un être qui aime à déborder de soi-même. Chacun à sa façon. Tous les peuples chantent, rient, écrivent des histoires ou peignent des bisons dans une grotte, cherchent à embellir la vie. Tous les peuples cherchent à être en relation avec Dieu, avec nos semblables et avec le monde.
Regardant les riches donnant de leur abondance, Jésus nous invite à placer au cœur de notre prière et de notre espérance notre propre débordement de vie.
Ce geste se développe dans la mesure où nous avons conscience de notre propre valeur. Cette conscience de se développe par trois choses : la réflexion, la prière, et en quand quelqu’un nous aime ne serait-ce qu’un peu. C’est pourquoi ces trois gestes sont si encouragés et vécus par Jésus. Dans la mesure où nous prenons conscience de notre valeur, nous serons moins frappés aussi par cette maladie dont parle Jésus en fustigeant les scribes : ignorant leur véritable valeur, ils cherchent à être bien vus des autres. Et pour cela ils renversent, ils dénaturent les meilleures activités humaines, l’étude de la Bible, la prière, le cheminement, les repas partagés, le culte : ces excellentes activités pourraient participer à épanouir leur excellent fond en abondance, qui déborderait alors de vie en faveur des autres au lieu d’être bêtement avide de paraître aux yeux des autres.
Jésus nous propose de nous inspirer des généreux riches en plaçant notre abondance dans le trésor de notre temple. C’est de la prière de louange, c’est prendre le temps de vivre la joie puissante d’être plus que simplement en survie : d’être doué d’une vie abondante. Dieu peut faire surgir de cette abondance la joie de vivre de notre belle vocation.
Ensuite, Jésus montre en exemple la pauvre veuve qui nous appelle à mettre de notre indigence dans le trésor de notre temple, de notre prière et de notre espérance.
Car si nous sommes un être d’abondance par notre nature même d’humain, nous sommes aussi un être d’indigence : petit comme un enfant, avec des possibilités illimitées de perfectionnement. Dieu est notre limite, et nous avons naturellement faim de lui comme l’enfant a faim d’apprendre et de grandir.
Si nous pouvons déjà déborder de vie et de bénédiction sur le monde autour de nous, il est essentiel de placer cette espérance de grandir au cœur même de notre prière, de notre étude, de notre cheminement, de notre culte, de nos rencontres...
C’est ainsi que notre indigence, notre petitesse devient un trésor : elle devient une soif d’évolution, une soif de sa source en Dieu, elle ouvre une place en nous pour son souffle, pour sa soif d’aimer et de faire du bien.
C’est notre vie, notre évolution que nous mettons alors dans le trésor de notre temple.
Si Jésus rassemble ses disciples et fait résonner son puissant et solennel « Amen, je vous le dis », c’est pour souligner cela, ce geste, ce moteur d’une vie ardente, cette passion qui met à la fois notre abondance et notre indigence au cœur de notre espérance de Dieu, de notre façon d’être et d’espérer.
Cela éclaire, je pense, cette première « béatitude » qui est un résumé de tout l’Évangile du Christ : «Heureux les pauvres en Esprit, le Royaume des cieux est a eux » (Matthieu 5:3)
Car le pauvre c’est celui qui a un petit peu sans être complètement démuni non plus. La sagesse est de sentir que nous avons déjà en nous de cet Esprit de Dieu qui est une source d’abondance débordante, et en même temps de sentir que nous sommes indigent, ayant un besoin vital de plus encore de cet Esprit, et de le demander à Dieu.
Cette abondance et cette indigence, placés au cœur de notre foi, sont en nous comme un cœur battant de joie et de vie, de bonté et de miséricorde.
Ça mérite un « Amen je vous le dis ».
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
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38 Jésus leur disait dans son enseignement : Ayez à l’œil les scribes voulant se promener avec de longues robes, être salués sur les places publiques, 39avoir les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les dîners ; 40ils dévorent les maisons des veuves et font pour l’apparence de longues prières. Ils recevront un surplus de jugement.
41 Et Jésus, s'étant assis en face du trésor (du temple de Jérusalem), regardait comment la foule mettait des pièces dans le trésor. De nombreux riches mettaient beaucoup. 42Vint une pauvre veuve qui mit deux pièces, soit une thune.
43 Alors Jésus, appelant ses disciples auprès de lui, leur dit : Amen, je vous le dis, cette veuve là, la pauvre, a mis plus que tous ceux qui ont mis quelque chose dans le trésor ; 44car tous ont mis de leur abondance, mais elle, elle a mis de son indigence, tout ce qu'elle avait : elle donna l’ensemble de sa vie à elle.
(Cf. NBS)