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Qu’est-ce qui demeure quand tout passe ?
Vaste question et vivante expérience.

(Jean 20:1-18 ; Jean 1:35-42 ; 1 Corinthiens 1:22-25)

(écouter, culte en entier, imprimer)

Pâques 2019
Au temple de Champel - Genève
prédication du pasteur Marc Pernot

« Qui cherches-tu ? »(Jean 20:15), cette question du Christ à Marie-Madeleine fait écho aux tout premiers mots que le Christ prononce dans ce même évangile « Que cherchez-vous ? »(Jean 1:38) auxquels André et son compagnon répondent : « Rabbi (c’est à dire Professeur) où demeures-tu ? » Nous voyons par cette réponse que ces deux premiers disciples de Jésus le prennent pour un professeur de philosophie. Jésus ne dit pas non. C’est d’ailleurs apparemment lui qui a commencé à faire de la philosophie en les invitant à réfléchir sur cette question « Que cherchez vous ? » car cette question est la base même de la philosophie grecque, c’est la base de la philosophie comme façon d’être et de vivre : précisément ce mélange d’humilité et d’ambition qui distingue le philosophe (qui cherche) des courants de sagesse (qui pensent savoir).

Selon Jean, Jésus attaque son ministère en nous invitant à philosopher.

Apparemment, Jésus avait bien senti ce qui animait deux personnes car elles répondent « Professeur, où demeures-tu ? ». Ce n’est évidemment pas pour s’intéresser à la couleur du papier peint dans la maison où Jésus habite, le verbe utilisé ici ne signifie pas « habiter » (il y a plusieurs verbes grecs qui servent à dire cela), le verbe utilisé, « μένω », parle de ce qui demeure au sens de ce qui persiste, ce qui dure éternellement. Cette recherche de ce qui demeure alors que tout change, s’use ou s’efface : c’est le premier grand débat à l’aube de la philosophie classique avec deux précurseurs : Parménide et Héraclite, chacun apportant une réponse différente à cette question, formant deux écoles philosophiques qui traverseront les millénaires. C’était à la fin du VIe siècle, début du Ve siècle avant Jésus-Christ, une époque incroyablement féconde aux quatre coins de la planète puisqu’elle a vu naître ainsi la philosophie grecque, la mise en chantier de l’écriture de la Bible, l’enseignement de Bouddha, celui de Confucius et celui de Lao-Tseu ! C’est à se demander s’il n’y a pas eu comme un souffle d’Esprit-Saint pour éveiller chacun en particulier, Dieu ayant le projet de faire franchir à l’humanité un palier dans son évolution ?

En tout cas, il me semble bon de s’interroger sur cette question du Christ « Que cherchez-vous ? ». Qu’est-ce que je cherche réellement dans la vie ? Je pense que cela ne fait pas du mal de réfléchir à cela trois ou quatre fois dans sa vie. Le fait même de chercher quelque chose me semble être le minimum de base pour une saine attitude face à sa propre existence. Il est ensuite possible d’affiner cette question, de l’approfondir par un peu de philosophie, à son niveau qui n’a pas besoin d’être celui d’Heidegger. Tout simplement aussi, au soir de sa journée se demander « Qu’est-ce qu’en réalité je cherchais quand j’ai agi ou réagi ainsi ? ». Chacun travaille cette question à sa façon. Pourquoi pas dans la prière ? Comme le récit de ces deux premières personnes qui suivent Jésus nous le propose.

Il est possible de chercher ce qui demeure, ce qui est plus solide et vrai que la simple écume de la vie ou de la survie. D’autres questionnements seraient possibles pour orienter une vie, par exemple « Qu’est-ce qui est beau ? » ou « qu’est-ce qui est agréable ? », ou grand, juste ? Il me semble que la question du « Qu’est-ce qui demeure ? » est plus vaste et plus féconde car « ce qui demeure » est en harmonie avec l’essence-même de la vie et, du coup, a bien des chances d’être fort agréable, bon, grand, juste et beau.

Selon Jean, l’Évangile de Jésus-Christ s’ouvre sur cette recherche philosophique fondamentale. André et son ami anonyme ont dû sentir en Jésus quelque chose de solide et vrai, puisqu’ils le suivent pour creuser cette question « de ce qui demeure quand tout passe ». Jésus répond « Venez et vous verrez. Il allèrent donc et virent où il demeurait. »(Jn 1:39)

Leur question est une demande d’enseignement philosophique, Jésus ne répond pourtant pas avec un enseignement, ce qu’il sait le faire. Il préfère ici poser une réponse en actes plus qu’en paroles. Il montre que ce n’est pas seulement à penser mais à vivre. Pauvres de nous qui n’avons pas Jésus devant les yeux pour le voir vivre. Il nous reste, et c’est déjà une grande chance, quelques échantillons dans les récits des évangiles. Que répondent les actes de Jésus à cette question « qu’est-ce qui demeure ? » Les verbes dont Jésus est ici le sujet nous renseignent : Jésus passe en marchant ; Jésus se tourne ; Jésus les regarde ; Jésus leur parle.

D’abord 1) être en marche et 2) se tourner à bon escient : ce premier type de réponses correspond à l’école Ionienne fondée par Héraclite : ce qui demeure à travers le changement est le changement lui-même. Vivre en vérité consiste à surfer habilement sur la vie et ses mouvements, les bons mouvements et les accidents de la vie.

Jésus ajoute une autre dimension à cette réponse : il ne se tourne pas simplement pour se tourner, il se tourne vers les deux personnes : 3) il les regarde et 4) il les interpelle et les interroge. Ce second type de réponses est la relation : une relation qui s’intéresse à l’autre et qui cherche à le mettre en mouvement.

La première réponse était assez évidente, en un sens : pour être en vie, commençons par être vivant. La seconde réponse est une des bases de l’Évangile du Christ : est vivant ce qui aime, ce qui s’intéresse à l’autre. Dans la Bible, le Cantique des cantiques dit la même chose : seul « l’amour est fort comme la mort » (8:6) et peut donc la dépasser. L’apôtre Paul dit que la plus grande des choses « qui demeure » est l’amour (l’agapè : cherchant le bien de l’autre)(1 Cor 13:13). Dans sa première lettre, Jean dire que « quiconque aime est né de Dieu » (1Jn 4:7). Cette réponse ne me semble pas être sans rapport avec l’autre grande réponse de la philosophie antique avec l’école Éléate de Parménide disant que la seule chose qui dure derrière ce qui passe est « l’Être ». Seulement Jésus tient à être plus concret sans pour autant tomber dans le moralisme. Être vraiment vivant, c’est avancer à notre pas, c’est se tourner et aimer : aimer Dieu (la source de l’être), aimer son prochain et aimer soi-même afin de permettre à l’être qui est en chacun de s’épanouir.

Ce débat de philosophie-à-vivre ouvre ainsi l’Évangile selon Jean. Ce débat revient explicitement à l’autre extrémité de l’Évangile, dans le récit de la démarche de Marie-Madeleine en deuil de Jésus. Quand quelque chose apparaît au début et à la fin d’un texte, c’est souvent pour dire que cette question est importante tout au long du livre, et c’est le cas. C’est vrai que la mort pose une vraie question à notre vie, tout particulièrement en rapport avec cette question « Qu’est-ce qui demeure quand tout passe ? ». Cette question est pertinente aussi dans tous nos commencements, tous nos virages.

Marie-Madeleine a manifestement bien intégré la leçon de philosophie première. Elle cherche ce qui demeure de Jésus quand tout semble être passé, et sa recherche correspond bien à la réponse apportée par Jésus, et Marie met aussi la met en actes : elle est en mouvement dès l’aube et elle est mue par une mémoire aimante puisque le mot « tombeau » est ici « mnemeion », le mémorial.

Elle est pourtant déçue dans un premier temps, car ce n’est pas là qu’elle va trouver ce qui demeure quand tout passe : le tombeau s’avère vide, totalement vide de ce qu’elle cherche et qu’elle aime. Sa démarche et son amour passent par la mémoire affectueuse, c’est bien comme une première étape en attente d’autre chose.

Nous avons vu au début de l’Évangile que pour chercher ce qui demeure, il y a le mouvement et l’amour, il y a aussi la conversion : le fait de se tourner vers l’autre, de se tourner vers l’être. Marie a tout bon pour une moitié du programme mais la suite, comment en serait-elle capable ? Le tombeau est vide, et ne sachant pas « où on l’a mis », comment pourrait-elle se tourner vers lui en vérité ? Cela montre la limite de la démarche seulement philosophique, c’est aussi la limite de la seule mémoire de ceux que l’on a perdu ou de ce que l’on a perdu. C’est la limite de notre recherche « de ce qui demeure quand tout passe » dans notre vie de tous les jours. C’est hors de notre portée, il faudrait un miracle. C’est ce que met en récit ce texte. Sans l’intervention des anges ou du Christ vivant (c’est à dire dans les deux cas : l’intervention de la Parole de Dieu, c’est à dire de Dieu agissant en elle) Marie Madeleine en serait restée au tombeau vide et à sa détresse.

Sa recherche mise en actes l’a conduite à la porte, ce qui est déjà fort bien, mais à la porte seulement. Comme Moïse et les hébreux après leur exode dans le désert atteignent la terre promise sans toutefois pouvoir franchir le Jourdain (Deutéronome 34:4).

Ce que Jean exprime dans ce récit des aventures de Marie-Madeleine, l’apôtre Paul l’exprime sous une autre forme (1 Corinthiens 1:22-24) :

Les Juifs demandent des miracles,
et les Grecs cherchent la sagesse :
nous, nous prêchons Christ crucifié,
scandale pour les Juifs et folie pour les païens,
mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs :
Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu.

On sent bien la double formation de Paul, à la fois juive et grecque, à la fois spirituelle et philosophique. « Christ, sagesse de Dieu » répondant à la « recherche de sagesse », la philosophie. Paul est d’accord et je pense que nous avons vu dans l’Évangile que c’est vrai. Seulement : ce n’est pas le tout, il y a aussi « Christ, puissance de Dieu », avec des signes concrets de cette puissance dans notre vie. C’est de cette puissance dont nous avons bien besoin dans la vie, particulièrement à chaque changement ou surprise, qu’elle soit bonne ou mauvaise, afin de passer le Jourdain pas simplement voir la terre promise de haut.

L’Évangile s’ouvre sur un « Que cherchez-vous ? » très philosophique. Les anges ou le Christ nous font ici entendre un « Qui cherches-tu ? ». C’est encore de la philosophie, mais dans une relation personnelle de personne à personne, c’est déjà de la foi.

Ce que fait cette puissance de Dieu c’est d’interpeler Marie, d’abord en poursuivant ainsi son questionnement de façon plus personnelle et intérieure (avec le « pourquoi pleures-tu ? », qui est aussi un « En vue de quoi pleures-tu ? »). La voix de Dieu l’appelle ensuite explicitement par son nom à elle : « Marie ». C’est cela qui lui donne d’arrêter de regarder en arrière et de repartir de là où elle est, du tombeau et de ses pleurs, de sa perte, et de vivre.

Je retrouve ici quelque chose de passionnant dans les Confessions de Saint Augustin, cherchant lui aussi « ce qui demeure quand tout passe » avec sa sublime réflexion sur le temps passé, présent et futur. Il cherche d’abord du côté de la mémoire, travaillée en vue du futur (Conf. XI,29:39), comme Marie-Madeleine ici. Il y a là quelque chose d’important, c’est vrai. Une étape. Avec toujours une intranquillité tant dans la mémoire de ce qui n’est plus que dans l’aspiration inquiète vers ce qui doit venir, et envers ce qui va passer, puisque tout passe.

Comme Marie-Madeleine, Augustin évolue également du « que cherchez vous ? » à « qui cherches tu ? » : la vérité n’est plus pour lui un objet à chercher, elle est une personne qui s’adresse à lui et qui l’interpelle. Ce n’est pas la première fois que Dieu nous convoque ainsi, dit Augustin. La première fois c’était pour nous appeler à être. Déjà nous étions aimé. Le récit de l’Évangile montre que Dieu s’adresse encore à nous, soit pour une vocation, soit pour nous sauver, pour nous convertir ou pour nous ressusciter, c’est la même chose.

Jésus dit « Marie » et elle répond « Rabbouni » (ce qui veut dire encore « professeur » mais cette fois-ci ce n’est plus un professeur de philo, c’est une puissance de Dieu qui se révèle être là). À cette vocation adressée par Dieu répond son invocation à elle, dans un échange d’appels et de paroles entre la créature et son créateur (Conf. XIII,1:1).

Le point fixe, la vérité qui demeure quand tout passe est là, pour Augustin : dans cette tension de la personne vers ce Dieu qui l’appelle, c’est dans ce très personnel et intime « en toi au dessus de moi » (« in te supra me » Conf. X,26:37) qui m’appelle par mon nom, et qui m’appelle à la vie. Là est la puissance de Dieu dont parle Paul. La recherche de sagesse ne pouvait nous amener qu’à la porte de ce « toi au dessus de moi », ce qui est déjà précieux. Pour y entrer il faut cette puissance de convocation divine, ce tressaillement de nos tripes qui nous fait aimer et répondre par l’invocation de Dieu.

C’est là qu’est vraiment le lieu de ce qui demeure éternellement. Le lieu de notre unification, de notre consolation, de notre paix. Le lieu de notre résurrection aujourd’hui comme Marie-Madeleine dans ce jardin.

La résurrection, c’est littéralement être éveillé et être mis debout. Il y a là un parfum de vie à la fois dynamique et dressée, active et enfin capable de droiture.

Amen.

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot

 

Lecture de la Bible

Jean 20:1-18

Le premier jour de la semaine, Marie-Madeleine vient au tombeau dès le matin, alors qu'il fait encore sombre, et elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau. 2 Elle court trouver Simon Pierre et l'autre disciple, l'ami de Jésus, et elle leur dit : On a enlevé le Seigneur du tombeau, et nous ne savons pas où on l'a mis !

3 Pierre et l'autre disciple sortirent donc pour venir au tombeau. 4 Ils couraient tous deux ensemble. Mais l'autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau ; 5 il se baisse, voit les bandelettes qui gisent là ; pourtant il n'entra pas. 6 Simon Pierre, qui le suivait, arrive. Entrant dans le tombeau, il voit les bandelettes qui gisent là 7 et le linge qui était sur la tête de Jésus ; ce linge ne gisait pas avec les bandelettes, mais il était roulé à part, dans un autre lieu. 8 Alors l'autre disciple, qui était arrivé le premier au tombeau, entra aussi ; il vit et il crut. 9 Car ils n'avaient pas encore compris l'Écriture, selon laquelle il devait se relever d'entre les morts. 10 Les disciples s'en retournèrent donc chez eux.

11 Cependant Marie se tenait dehors, près du tombeau, et elle pleurait. Tout en pleurant, elle se baissa pour regarder dans le tombeau. 12 Elle voit alors deux anges vêtus de blanc, assis là où gisait précédemment le corps de Jésus, l'un à la tête et l'autre aux pieds. 13 Ils lui dirent : Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur répondit : Parce qu'on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l'a mis. 14 Après avoir dit cela, elle se retourna ; elle voit Jésus, debout ; mais elle ne savait pas que c'était Jésus. 15 Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Pensant que c'était le jardinier, elle lui dit : Seigneur, si c'est toi qui l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis, et moi, j'irai le prendre. 16 Jésus lui dit : Marie ! Elle se retourna et lui dit en hébreu : Rabbouni ! — c'est-à-dire : Maître ! 17 Jésus lui dit : Cesse de t'accrocher à moi, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va vers mes frères et dis-leur que je monte vers celui qui est mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu.

18 Marie-Madeleine vient annoncer aux disciples qu'elle a vu le Seigneur et qu'il lui a dit cela.

Jean 1:35-42

Le lendemain (du baptême de Jésus), Jean était de nouveau là, avec deux de ses disciples ; 36il regarda Jésus qui marchait et dit : « Voici l'Agneau de Dieu. » 37Les deux disciples l’entendirent parler et suivirent Jésus. 38Jésus se retournant, vit qu'ils le suivaient et leur dit : « Que cherchez-vous ? » Ils lui dirent : « Rabbi (c’est à dire Maître) où demeures-tu ? » 39Il leur dit : « Venez et vous verrez. » Il allèrent donc et virent où il demeurait. Ils demeurèrent auprès de lui ce jour-là. L’heure était comme la dixième.

40 André, frère de Simon Pierre, était l'un des deux qui avaient entendu les paroles de Jean et qui avaient suivi Jésus. 41Il trouva d'abord son propre frère Simon et lui dit : « Nous avons trouvé le Messie (c’est à dire le Christ) » 42Il le conduisit vers Jésus.

1 Corinthiens 1:22-25

22 Les Juifs demandent des miracles, et les Grecs cherchent la sagesse : 23 nous, nous prêchons Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens, 24 mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs : Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. 25 Car la folie de Dieu est plus sage que les hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes.

(Cf. traduction NBS)