Genève - Dimanche 11 novembre 2018
prédication du pasteur Marc Pernot
La parole est un couteau à double tranchant, la parole est un feu nous dit la Bible. Le couteau et le feu sont des inventions extraordinaires qui ont changé la vie des humains en leur permettant de découper la viande, de hacher les légumes, de les cuire et donc de mieux manger, plus sainement. Permettant aussi de se faire des vêtements, de lutter contre le froid, la nuit et les dangers. Le couteau et le feu sont aussi des armes de destruction. La parole est comme cela : une formidable source de vie et elle est parfois une arme pour torturer ou manipuler son prochain.
Comme bien des réalités complexes de l’existence, cette question apparaît dans la Bible, elle la met en récits afin de nous permettre de travailler cette question de l’efficacité de la parole afin qu’elle soit une source de meilleure vie à travers les échanges entre nous et avec Dieu. La Bible nous parle aussi des mésusages de la parole, et c’est ce que je vous propose de regarder maintenant, pour nous en défendre et pour moins l’utiliser ainsi, espérons-le.
Cela me semble particulièrement important à notre époque, puisque nous avons vu apparaître des concepts devenus courants comme celui de « post-vérité » (post-truth), de « fake-news » et autre tentatives de manipulation par de fausses informations. Cela ne date pas d’hier, comme nous le voyons avec Ésaïe dans ce passage avec les prophètes qui flattent leur public. Seulement, aujourd’hui ce type de manipulations est très à la mode actuellement. Cela nous a stupéfié quand, en 2016, au lendemain même du référendum sur le « Brexit », Nigel Farage et d’autres leaders ayant remporté la victoire ont reconnu avoir basé leur campagne sur des mensonges délibérés. Ce grand succès de propagande grâce à de tels moyens assumés a libéré d’autres personnes, je ne parle pas seulement de Donald Trump qui en use et abuse, cela fleurit dans la propagande pour toutes sortes de causes : dans le commerce, la politique, le management d’entreprise, les associations, pour de belles causes humanitaires et dans le cadre des religions, voire en famille... Hélas.
Une parole peut viser à opprimer son interlocuteur comme le dit Jésus, relevant que par leur enseignement, certains religieux de son époque « lient des fardeaux pesants et les mettent sur les épaules des gens, mais eux, ils ne veulent pas les remuer du petit doigt. » (Matthieu 23:4) Ils les chargent de menaces d’un Dieu punisseur, les chargent de dogmes à penser, de rites à faire, de sacrifices personnels à consentir... À la suite de Jésus la parole devrait être d’offrir une aide, un soulagement : « venez, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. » (Matthieu 11:28) et que ce soit vrai.
On comprend la logique de ceux qui utilisent des moyens malhonnêtes pour opprimer les autres, cela fait un tout bien harmonisé entre les moyens et les buts. Seulement, il n’y a pas que pour les mauvaises causes que la manipulation est utilisée. Il arrive que ceux qui défendent une magnifique cause se sentent justifiés par la beauté ou même par la sainteté du but pour employer des moyens de manipulation. Cette pente est si naturelle qu’aucune église, aucune noble cause n’est totalement immunisée. Ésaïe est horrifié par de tels procédés. Ils dit que cela nous mène tous ensemble à la ruine : ceux qui parlent comme ceux qui écoutent. C’est comme une brèche dans la structure même de notre existence, dans celle de nos relations entre nous et de notre foi. Jésus, lui, conseille : « Que votre parole soit oui pour dire oui, non pour dire non, ce qu’on y ajoute vient de la source même du mal. » (Matthieu 5:37-39)
Sur quoi repose ces mécanismes de propagandes et de manipulation ? Comment les détecter pour ne pas se faire trop facilement avoir et de les éradiquer de notre propre panoplie ?
Parce que c’est cela, le problème, comme le souligne Ésaïe, c’est que ces fausses paroles de propagande sont souvent hautement désirables. C’est ce que note aussi l’histoire d’Adam et Ève : comme l’arbre défendu est beau et délicieux à manger, comme il fait du bien ! Ésaïe exprime notre désir profond de belles paroles : « dites-nous des choses qui nous plaisent, ayez des visions qui nous feront rêver, pas la peine de chercher des visions exactes, arrêtez de nous mener à la dérangeante présence de l’Éternel »(30:10)
Donc même si ce nous entendons des discours qui nous plaisent, surtout quand ils nous plaisent au lieu de nous empêcher de penser en rond, il est bon de vérifier l’information, de la recouper, de la compléter, de chercher à réfléchir plus loin, plus profond, plus nuancé. La confiance envers celui qui parle n’empêche pas de croiser les points de vue. Au contraire. La confiance mutuelle entre deux vrais amis autorise cela, espère même cela, à mon avis. Avec Dieu certainement, et en église aussi.
Dans une intéressante analyse, Martin-Luther King met en garde contre l’absence de réflexion personnelle des personnes, particulièrement dans les questions de foi et d’éthique. Il développe cela pour expliquer l’importance d’une lecture de la Bible alliant foi et intelligence : la science et la foi n’ont aucune raison d’être en conflit, dit-il : « la science donne à l'homme une connaissance qui est puissance; la religion donne à l'homme une sagesse qui est contrôle. » Ensuite, et c’est le point qui m’intéresse ici, King explique que trop souvent le manque de réflexion est un outil utilisé pour manipuler les personnes, dans tous les domaines et malheureusement aussi en religion. Martin Luther King va jusqu’à citer Hitler (désolé ! King utilise précisément cette référence afin de montrer la puissance épouvantable du procédé capable d’annuler en nous jusqu’aux principes les plus fondamentaux). Dans le passage cité par King, tiré de Mein Kampf Hitler explique comment il conçoit une bonne propagande : « J'utilise l'émotion pour le grand nombre et je réserve la raison pour quelques-uns. » « Grâce à des mensonges adroits répétés sans relâche, il est possible de faire croire aux gens que le ciel est l'enfer, et l'enfer le ciel... Plus grand est le mensonge, plus promptement il est accepté. »
C’est effectivement là que l’on dépasse même le mensonge pour entrer dans ce que les analystes appellent la post-vérité, c’est à dire une façon de parler où la notion même de vérité n’a plus d’importance. Car le mensonge tord la vérité, ce qui n’est pas très sympa, mais il se réfère quand même à la vérité. Avec les propagandes basées sur les passions, les humeurs, les émotions de foule nous entrons dans une façon d’être où la vérité n’est même plus la question. C’est ce que souligne encore l’auteur cité par King pour une propagande efficace : « Plus sa teneur scientifique est modeste, plus elle s'adresse exclusivement aux sens de la foule, plus son succès sera décisif... toute propagande efficace doit se limiter à des points fort peu nombreux et les faire valoir à coups de formules stéréotypées aussi longtemps qu'il le faudra, pour que le dernier des auditeurs soit à même de saisir l'idée. »
C’est une pente très glissante pour de belles et nobles causes comme celles défendues par l’église ou des associations humanitaires car ce ne sont même plus des mensonges qui sont proférés : à l’image du serpent de la Genèse qui ne dit que des choses vraies mais qui joue sur les émotions et désirs profonds d’Adam et Ève afin de les manipuler. Ce récit montre bien le mécanisme de la manipulation mentale : le mensonge n’est pas dans le discours, il est dans l’effet du discours : il est dans le cœur de la proie qui est utilisé comme un levier contre elle-même. Le pasteur King met en garde contre ces dérives, il dénonce ceux qui transforment les béatitudes de Jésus pour enseigner à sacrifier leur sens critique : Heureux les simples d’esprit, ceux qui ne réfléchissent pas, le paradis est à eux ; heureux les purs par ignorance, car ils verront Dieu...
La pédagogie opérée par Jésus dans son langage est diamétralement opposée à cela. Nous le voyons au type même de langage que Jésus propose aux foules. C’est tout l’inverse d’une parole réduite à quelques idées facilement compréhensibles. D’ailleurs, ses disciples s’en plaignent, ils interrogent Jésus, agacés et intrigués : pourquoi est-ce que tu leur parles ainsi par énigmes ? (Matthieu 13:10-17) Jésus explique : je leur parle comme cela parce que ces personnes ont des yeux mais ne voient pas par elles-mêmes, qu’elles ont des oreilles et une intelligence mais ne s’en servent pas. Et que lui, Jésus, a pour vocation de les guérir : que chacun puisse voir de ses propres yeux la vérité, entendre, réfléchir, comprendre par lui-même. Le but de Jésus c’est donc pas tant de donner un catéchisme, un dogme, une morale, au contraire, c’est de nous donner une pleine possessions de nos moyens.
Parfois, c’est donc avec des énigmes que Jésus bouleverse leurs modes de raisonnement simplistes. Ailleurs, c’est avec un geste ou enseignement perturbant comme : «Moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. » (Matthieu 5:37-39) Cela va contre toutes les fibres de notre être « de ne pas résister au méchant », l’instinct de survie s’y oppose bien sûr, depuis les cellules de notre corps jusqu’à la possibilité de vivre en société. C’est impossible comme modèle. D’ailleurs Jésus lui-même résiste bien souvent aux méchants de plusieurs façons. Qu’est-ce qu’il cherche donc en nous disant cela ? Ce n’est pas une parole agréable à entendre, ni un truc qui nous fait rêver. C’est aux antipodes de l’idée toute simple que bétonnerait une propagande en vue de bien tenir en main son auditeur et de l’amener à adopter notre vérité sans plus réfléchir. Alors ? Le « ne résistez pas au méchant » de Jésus, comme souvent chez lui, est un appel à se poser des questions, premièrement. J’y ai donc moi-même réfléchi (vous pouvez ne pas être d’accord à la solution que je propose à cette énigme), il me semble que Jésus nous appelle ainsi à chercher un moyen d’espérer guérir le méchant de sa méchanceté, de travailler donc à un autre niveau que simplement celui du symptôme. De même que Jésus ne cherche pas tant à enseigner à ses disciples la théologie ou la morale que de les mettre en marche vers leur Dieu et vers leur entourage. Avec ses paroles et ses gestes surprenants, Jésus nous invite à une démarche scientifique, finalement : la science s’intéresse particulièrement aux faits qui n’entrent pas dans les théories établies, c’est en travaillant sur ces points-là que l’on peut avancer vers une plus grande fidélité de vie, une plus grande pertinence et une bonne robustesse.
Cela me conduit à penser qu’en tant que personne chrétienne et en tant qu’église, nous avons une responsabilité dans ce monde, tout particulièrement en des temps où la post-vérité se banalise comme méthode de propagande décomplexée.
Donner des consignes de vote ne résout pas le problème, au contraire puisque cela contribue à vouloir piloter les personnes plutôt que de les libérer. Que faire ? Jésus cherche à faire observer, entendre et penser par soi-même, il cherche à complexifier les modèles quitte à leur embrouiller la tête et leur donner mal au crâne comme les apôtres s’en plaignent.
Il convient d’ouvrir les yeux ensemble sur les cas particuliers, sur les limites des modèles, croiser les points de vue, essayer d’entendre, et de comprendre à nouveaux frais. C’est avec d’autres que nous pouvons exercer notre ouverture aux nuances et à une saine complexité. La question n’est donc pas d’être de la même opinion que les autres en église, ou avec ses amis, son conjoint. L’intérêt est de discerner les simplifications qui sont aussi dangereuses que les plus gros mensonges.
Ce n’est pas confortable et c’est passionnant. Comme un voyage peut l’être. C’est vivable grâce à deux réalités essentielles mise en valeur par le Christ dans l’Évangile : notre dignité et notre vie nous ont déjà été donnée, elles nous sont acquises. Nous sommes déjà enfant de Dieu : rien de moins. Cela est très utile pour commencer à vivre avec hardiesse et humilité. C’est très utile aussi pour ne pas trop se laisser manipuler. Car il y a deux ressorts puissants que la propagande cherche à faire jouer: l’estime de soi et la peur.
Notre recherche d’être quelqu’un de bien est une bonne motivation. Elle est un appel à la vie, puissant, fondamental, viscéral. Mais cette force peut devenir en nous un serpent qui parle et nous amène dans un orgueil fou. Il suffit parfois d’une parole de grâce, de se savoir aimé et donc aimable pour cesser de s’aliéner à celui qui joue avec ce ressort en nous disant : tu es de la race supérieure.
Le deuxième ressort puissant est la peur qu’utilisent si bien les propagandistes : hors de mon programme c’est la fin du monde, hors de ma chapelle c’est l’enfer éternel : prenez-donc sur votre dos ce fardeau, sacrifiez votre intelligence à la pure vérité sinon je ne réponds de rien ! Au contraire, Ésaïe nous dit cette parole de l’Éternel «c'est dans la calme et la confiance qu’est votre force », « tu verras ton Enseignant de tes propres yeux ! ». Et le Christ nous dit : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos » (Mat 11:28)
Tel est notre bouclier et notre aiguillon.
Amen.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
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Viens maintenant, écris cela sur une tablette à leur côté, et grave le : ce sera, pour demain un témoignage éternel. 9 Car c'est un peuple rebelle, ce sont des enfants menteurs, des enfants qui ne veulent pas écouter la Parole de l’Éternel, 10 eux qui disent aux voyants : Ne voyez pas ! — et aux visionnaires : N'ayez pas pour nous de visions exactes, dites-nous des choses qui nous plaisent, ayez des visions qui nous feront rêver ! 11 Détournez-vous du chemin, écartez-vous du sentier, ôtez de notre présence le Saint d'Israël !
12 C’est pourquoi, ainsi parle le Saint d'Israël : Puisque vous méprisez cette parole et que vous mettez votre confiance dans la violence, que vous prenez appui sur ce qui est perverti, 13 cette faute sera pour vous comme une brèche qui s’ouvre dans le gonflement d’une muraille élevée — en un instant, tout à coup, elle s'écroule. 14 On la brise comme on brise la jarre des potiers ; on la met en pièces, on ne l'épargne pas, et ses débris ne laissent pas un morceau pour prendre du feu au foyer ou pour puiser de l'eau à la citerne.
15 Car ainsi parle le Seigneur, l’Éternel, le Saint d'Israël : C'est par le
retour et le repos que vous êtes sauvés, c'est dans le calme et la
confiance qu’est votre force. Mais vous ne l'avez pas voulu ! ...
18 C'est pourquoi l’Éternel espère vous faire grâce, c'est pourquoi il s'élève pour avoir compassion de vous. Car l’Éternel est un Dieu juste : heureux tous ceux qui espèrent en lui ! 19 Oui, peuple de Sion, habitant de la cité de la Paix : tu ne pleureras plus ! Il te fera grâce, il te répondra quand il entendra ton cri. 20 Le Seigneur vous donnera du pain dans la détresse et de l'eau dans l'oppression ; pour t’enseigner il ne se tiendra pas à l'écart : tu verras ton Enseignant de tes propres yeux.
Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs, que l’Eternel Dieu avait faits. Il dit à la femme : Dieu a-t-il réellement dit: Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? 2 La femme répondit au serpent: Nous mangeons du fruit des arbres du jardin. 3 Mais quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez pas et vous n’y toucherez pas, de peur que vous ne mouriez.4 Alors le serpent dit à la femme : Vous ne mourrez pas, 5 mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et que vous serez comme Dieu, connaissant le bien et le mal. 6 La femme vit que l’arbre était bon à manger et agréable à la vue, et qu’il était précieux pour ouvrir l’intelligence. Elle prit de son fruit et en mangea, elle en donna aussi à son mari qui était auprès d’elle et il en mangea.
Les disciples de Jésus s’approchèrent, et lui dirent : Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? 11 Jésus leur répondit : ... 13 (Voilà) pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu’en regardant ils ne regardent pas, et qu’en entendant ils n’entendent ni ne comprennent. 14 Et pour eux s’accomplit cette prophétie d’Esaïe : Vous entendez de vos oreilles et vous ne comprenez pas, vous regardez de vos yeux mais vous ne voyez rien. 15 Car le cœur de ce peuple s’est épaissi, leurs oreilles entendent mal, et ils se sont bouché les yeux de peur qu’ils voient de leurs yeux, qu’ils entendent de leurs oreilles, qu’ils comprennent de leur cœur, qu’ils changent d’orientation. Mais je les guérirai !
16 Heureux sont vos yeux parce qu’ils voient, et vos oreilles parce qu’elles entendent ! 17 Je vous le dis en vérité, beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu.
Jésus enseigna : Que votre parole soit oui pour dire oui, non pour dire non, ce qu’on y ajoute vient du Mal. 38 Vous avez appris qu’il a été dit: œil pour œil, et dent pour dent. 39 Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant.