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Payer ses impôts simplement en allant à la pêche

(Matthieu 17:24-27 ; Exode 30:14-16 ; Genèse 22:1-2, 13-14)

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Dimanche 19 juin 2022
Culte au temple de Cologny
prédication du pasteur Marc Pernot

Dans ce court récit rafraîchissant, Jésus propose une façon sympathique de payer ses impôts : en allant simplement à la pêche sur le lac. Voilà un miracle joignant l’utile à l’agréable.

De quoi s’agit-il ici ?

D’une taxe qui était levée pour soutenir l’entretien et le fonctionnement du temple de Jérusalem. Comme nous le voyons ici, il était possible de refuser de payer cette taxe, nous savons par ailleurs que les hommes de la communauté des Esséniens avaient décidé ne la payer qu’une fois dans leur vie, puis ne la payaient plus. C’est peut-être pour cela que les percepteurs se demandaient si Jésus payerait, car même si Jésus n’avait manifestement le mode de vie ascétique des Esséniens, son cousin Jean-Baptiste était de cette sensibilité et Jésus était lui-même assez critique vis à vis des autorités du temple (Mt 12:6 ; 21:12).

Comme Jésus habitait souvent chez Pierre, c’est à lui que les percepteurs posent la question. Pierre répond bille en tête à la place de Jésus, ce qui est bien dans le style de Pierre. Jésus doit encore une fois le reprendre (16:23), cela nous donne la chance d’avoir ici un enseignement de Jésus intéressant et très original.

« Qu’en penses-tu, toi ? »

La première chose que Jésus enseigne à Pierre c’est à réfléchir en allant au fond de la question avant de trancher. «Simon, qu’en penses-tu ? » lui dit Jésus, « Qu’en penses-tu, toi ? », au delà des évidences.

Cette taxe ecclésiastique s’appuie sur une tradition remontant à l’Exode, elle a été plus tard reprise et systématisée au temps d’Esdras (Néhémie 10 :32), même si cette taxe est donc en usage depuis des siècles, Jésus dit à Pierre que le fait de la payer ou non mérite d’être questionné en profondeur en se sentant libre de se faire sa propre opinion.

Ces mots de Jésus à Pierre nous encouragent à avoir une démarche réfléchie et responsable. Dans ses paroles il y a aussi un discret reproche de Jésus à Pierre qui n’a pas hésité à répondre à sa place. S’il avait saisi la démarche du « Qu’en penses-tu, toi ? », plutôt que de répondre à la place d’un autre il aurait répondu aux percepteurs : « Il est assez grand, interrogez lui-même ! » (Jean 9:23).

Les enfants de Dieu sont donc libres !

Jésus aide ensuite Pierre à réfléchir avec une petite histoire de rois de ce monde qui ne lèvent en général pas d’impôts sur leurs propres enfants. Jésus relativise ainsi le bien fondé de la taxe ecclésiastique. Cet enseignement a des implications théologiques très importantes. Ce cri de Jésus « Les enfants (de Dieu) sont donc libres ! » est d’une immense portée qui dépasse la question de la taxe.

Jésus déclare qu’en l’état, nous sommes enfants de Dieu de plein droit. Être prince ou princesse est une façon particulière d’être citoyen du Royaume : nous ne sommes ni roi ni reine à la place de Dieu, nous ne sommes pas non plus des serfs ni même des employés.

En quelque circonstance que ce soit nous n’avons pas de prix à payer pour avoir notre place dans le peuple de Dieu comme le pensait le livre de l’Exode. Notre place d’enfant de Dieu est un état de fait, que nous soyons riche ou pauvre, nous dit l’Exode, que nous soyons plus ou moins juste ou pécheur, que nous soyons homme ou femme montrera Jésus. C’est précisément cet état de fait qui nous rend libre. Libre de réfléchir, même si c’est imparfaitement. Libre de donner ou non à Dieu en retour puisque lui-même nous offre de bon cœur une place princière dans son Royaume.

Comme enfant de Dieu, je suis libre. C’est Jésus qui le dit, comme ça, en passant. Libre : cela donne le vertige avec cet immense champ de possibilités, d’opinions, de chantiers à ouvrir pour bâtir avec Dieu un royaume plus juste, plus pacifié, plus épanouissant pour chacun. Et nous savons bien que si nous sommes libre au sens où Dieu nous autorise... nous sommes loin d’être libre avec nos capacités limitées et notre caractère. « Les enfants de Dieu sont libres » est donc une autorisation et c’est un chantier en cours, une visée pour l’avenir, une promesse.

La question n’est donc pas de payer à Dieu une taxe pour acheter notre droit de citoyenneté ou pour acheter son pardon et des bénédictions spéciales. À la place, il y a l’Évangile qui donne une paix qui vient de Dieu, et une impatience de recevoir de lui aujourd’hui ce supplément d’intelligence et de force afin de nous libérer encore.

Pourquoi est-ce que Jésus payerait alors la taxe ?

Ce qui le choquait profondément c’est que la taxe soit obligatoire, comme pour acheter le droit d’exister devant Dieu. Mais s’il s’agit de la payer volontairement, cela concorde avec la logique même de Dieu qui est celle du don gracieux.

Ce changement de logique est une question ancienne dans la Bible. Certains pensaient que notre alliance avec Dieu était du type conditionnelle : Dieu bénissant ceux qui suivent bien sa Loi et punissant ceux qui ne filent pas droit (c’est par exemple l’alliance du Deutéronome). L’alliance avec Abraham est différente, elle est inconditionnelle : Dieu bénit Abraham sans condition et lui promet qu’il sera bénédiction pour une multitude, Abraham mettra seulement du temps à s’ajuster à Dieu. Dans le célèbre épisode où Abraham se sent appelé à sacrifier son amour et son propre fils comme prix à payer pour la bénédiction de Dieu. Il va ensuite découvrir que ce n’est pas à lui à se sacrifier, qu’il a encore moins à sacrifier son enfant (quelle horreur) : c’est Dieu lui-même qui offrira le mouton et qui va lui rappeler la bénédiction qu’il lui avait déjà donnée avant. C’est ce changement de logique que Jésus rappelle ici, passant du donnant-donnant à la logique de la bénédiction donnée et des fruits annoncés. Pour nous rappeler cet épisode central de la saga d’Abraham, nous avons la chance d’avoir une citation de cet épisode sur la tranche de nos pièces de 5 francs suisses « Dominus providebit » « L’Éternel y pourvoira » (22:8 et 14), c’est une confession de foi fondamentale en la grâce de Dieu : il n’y a plus de taxe à payer pour être pardonné, ni pour être libéré et béni, pas une thune à sacrifier pour avoir un avenir et une espérance.

Pourtant, Jésus appelle à donner.

Ce n’est pas que ce soit rendu nécessaire par Dieu, puisque sa logique est celle du don gratuit. Si Jésus pense qu’il est bon de donner c’est «afin que nous ne scandalisions pas les gens ». En grec, ce verbe « scandaliser » appartient au vocabulaire théologique, il n’a pas le sens ordinaire que nous donnons à ce mot en français. Jésus n’a jamais eu peur de choquer par ses actes et ses paroles quand il le jugeait utile. « Scandaliser » quelqu’un, dans la Bible, c’est provoquer sa perte, c’est compromettre sa foi, nuire à sa bonne relation à Dieu et donc à la vie de la personne. En quoi le fait de ne pas payer la taxe ecclésiastique pourrait « scandaliser » les gens ? Cette taxe allait à l’entretien du temple et du culte, c’est-à-dire à la dimension collective de la religion. Or, Jésus insiste énormément sur le côté individuel de la réflexion et de la prière afin quelles soient les plus sincères, libres, et authentiques possibles. Jésus insiste même pour que la prière du fidèle soit dans sa propre chambre qui devient le lieu où Dieu est présent (Matthieu 6:6). Si Jésus refusait, en plus, de soutenir le temple de Jérusalem cela pourrait être pris comme s’il disqualifiait la dimension collective de la recherche de Dieu, ce qui ne serait pas bon car cela reste indispensable. Jésus est un homme de réflexion et de prière dans son fort intérieur, il est aussi un homme de la foi qui s’exprime en public et qui discute ardemment. C’est comme une respiration, une foi vécue dans l’intime et une action qui peut d’autant plus penser au salut des autres que l’on n’a plus à se préoccuper à acheter son propre petit salut éternel et autres bénédictions courantes.

Jésus appelle Pierre à donner, et ce n’est plus une taxe car Dieu a déjà pourvu et que Dieu pourvoira encore.

Comment donner, alors ? Et que donner ?

Jésus indique à Pierre une façon de faire. Il s’agit d’attraper ce que Dieu a déjà pourvu pour le donner nous-même ensuite.

Pierre était pêcheur de poisson, il avait une entreprise de pêche sur le lac de Galilée. Jésus l’avait appelé à devenir pêcheur d’humains (Matthieu 4:19), pour aller au delà de la surface visible des gens, chercher ce qui est profondément humain en chacun, humain au sens où Dieu l’entend c’est-dire à l’image de Dieu, aimant et créateur. C’est donc le métier de Pierre, ce métier de pêcheur d’humain qu’il est appelé à faire, pour chercher par dessus tout le trésor qui est dans la bouche de l’humain qu’il rencontre. Que ce soit cela, cette valeur précieuse qu’il offre pour faire vivre les autres plutôt que de les scandaliser en les abandonnant pour ne s’occuper que de nous-même et de notre propre petit salut.

L’histoire s’arrête sur cette consigne que Jésus donne à Pierre. Le miracle lui-même n’est pas raconté, ce qui est unique dans les évangiles. Est-ce que vraiment Pierre verra le miracle s’accomplir ?

Dans la Bible, quand une histoire reste ainsi en suspend, c’est afin que nous écrivions la suite avec notre propre vie. Je suis persuadé que nous trouverons de l’or, de l’argent et des perles précieuses dans la bouche des personnes que nous aimons assez fort pour nous intéresser à ce cœur divin qui bat au fond de chacun. Des trésors pour faire vivre de cette vie divine qui est toujours un miracle inattendu.

Pour nous le rappeler, nous avons dans notre poche, parfois, une pièce de monnaie en simple cuivre et nickel qui nous dit que « Dieu y pourvoit et y pourvoira ». Le trésor est sur la tranche.

Amen

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

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Texte Biblique

Matthieu 17:24-27

Lorsqu’ils arrivèrent à Capernaüm, ceux qui percevaient les didrachmes s’approchèrent de Pierre et lui dirent : Votre maître ne paie-t-il pas les didrachmes ? 25Oui, dit-il. Et quand il fut entré dans la maison, Jésus le devança en lui disant : Simon, qu’en penses-tu ? Les rois de la terre, de qui prennent-ils des taxes ou un impôt, de leurs fils ou des autres ? 26Simon lui répondit : Des autres. Jésus lui répondit : Les enfants sont donc libres. 27Mais afin que nous ne les scandalisions pas, va à la mer, jette l’hameçon, et tire le premier poisson qui se présentera, ouvre sa bouche et tu trouveras un statère. Prends-le et donne-le-leur pour moi et pour toi.

Exode 30:14-16

Quiconque sera compris dans le dénombrement, depuis l'âge de vingt ans et au-dessus, donnera l'offrande d’élévation pour l'Éternel. 15Le riche ne paiera pas plus et le pauvre ne paiera pas moins d'un demi-sicle d'offrande d’élévation pour l’Éternel, afin de faire l’expiation sur leurs personnes. 16Tu recevras des Israélites l'argent des expiations, et tu l'emploieras au travail de la tente de la rencontre.

Genèse 22:1-2... 13-14

Dieu mit Abraham à l’épreuve, et lui dit : Abraham ! Et il répondit : Me voici ! 2 Dieu dit: Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac ; va-t’en au pays de Morija, et là offre-le en holocauste sur l’une des montagnes que je te dirai...

13 Abraham leva les yeux, et vit derrière lui un bélier retenu dans un buisson par les cornes, Abraham alla prendre le bélier et l’offrit en holocauste à la place de son fils. 14Abraham donna à cet endroit le nom de « L’Éternel pourvoit ». C'est pourquoi l'on dit maintenant : sur la montagne, « l'Éternel pourvoira ».