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Notre vie a-t-elle un sens ?

(Ecclésiaste 1:1-11 ; Luc 10:25-37)

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24 septembre 2023
culte eu temple de Vandœuvres
prédication du pasteur Marc Pernot

Notre vie a-t-elle un sens ? La science n’a pas de réponse à cette question, pas plus qu’elle pourrait expliquer pourquoi une personne humaine est douée d’une personnalité, ni pourquoi Roméo aime Juliette plutôt qu’Ernestine.

Pourtant, cette question : notre vie a-t-elle un sens ? est essentielle, nous le voyons par le fait que tant de personnes jeunes ou âgées sont rongées jusqu’au fond de leur être par le désespoir, par l’inquiétude, par un sentiment désabusé si bien exprimé par le livre de l’Ecclésiaste dans la Bible, ce sentiment du « à quoi bon ? ». C’est faute d’avoir saisi à bras le corps cette question du sens de notre vie, question à la fois élémentaire et ultime. Question pour le croyant comme pour l’incroyant. C’est cette question que pose le théologien venant rencontrer Jésus en lui demandant comment faire pour dépasser les limites de notre existence si brève et limitée ? Jésus l’invite à une recherche, comme nous le faisons ici « Qu'est-il écrit dans les livres ? » lui demande-t-il, puis il l’invite à une expérience plus personnelle « Comment l’interprètes-tu, toi-même ?»

Notre vie n’a pas un sens utilitaire

À mon avis, le désespoir sur le sens de notre vie est en grande partie dû à une confusion qu’expriment les premiers mots de l’Ecclésiaste et que l’on retrouve dans les premiers mots du théologien qui interroge Jésus : il faudrait « faire quelque chose» pour que notre vie soit accomplie, pleine de sens et de valeur.

L’Ecclésiaste sent bien qu’il y avait là une difficulté : « Que reste-t-il à la personne humaine de toute la peine qu'elle se donne sous le soleil ? » . L’Ecclésiaste sent bien qu’une conception utilitariste de notre vie conduit au désespoir. Même pour la personne productive. Le théologien qui va vers Jésus est partagé, lui aussi, sur cette théorie : on le voit dans le fait que sa question est boiteuse. Il demande « que dois-je faire », que dois-je produire pour accomplir ma vie, et en même temps il a conscience qu’avoir une vie accomplie est une chose qui « s’hérite ». Or, par définition, un héritage est un pur don, quelque chose que l’on n’a pas gagné en travaillant, mais que l’on reçoit comme une grâce.

La merveille d’exister

Comment ce « spécialiste de la Bible » le sait il, que nous « héritons de l’éternité de notre vie » ? Il l’a lu dans la Bible, et il s’est exercé depuis son enfance à intérioriser cette vérité essentielle grâce au shabbat. La Loi de Moïse propose que ne produisions rien pendant une journée par semaine, et que ce soit une journée pour nous réjouir du pur fait d’exister. Il y a d’autres jours pour produire ou pour avoir mil activités diverses, si on en a la possibilité. Le shabbat replace au centre le simple fait d’exister personnellement, et de s’en réjouir.

C’est ce que dit Jésus aussi quand il nous fait remarquer (dan un autre passage de l’Évangile) que les fleurs des champs poussent et que pourtant elles ne travaillent ni ne filent, et qu’elles sont plus belles que le roi Salomon dans toute la gloire de son vêtement royal.(Matthieu 6:28-29). Nous faisons parfois des merveilles, mais nous sommes encore plus une merveille par le fait d’exister comme une fleur des champs. Notre existence a un sens et une valeur en elle-même.

Nous retrouvons cette notion dans la parabole que raconte Jésus pour répondre au théologien : l’homme qui est tombé aux mains des brigands a manifestement toute sa valeur, justifiant d’être choyé, traité comme un roi, alors qu’il ne fait rien du tout dans cette histoire, ni avant ni après être blessé, il ne dit rien. Il est.

D’ailleurs, en conclusion à sa parabole, si l’on regarde bien, c’est à cette personne là, à l’homme choyé par le bon samaritain, que Jésus nous invite à nous identifier. En effet, la question était « qui est mon prochain ? » et Jésus répond en demandant : qui a été le prochain« de celui qui est tombé au milieu des brigands ? », Jésus nous propose de sentir que nous sommes à l’image de cette homme choyé alors même qu’il n’a rien fait pour cela.

Nous avons effectivement « hérité » le fait que notre existence personnelle a un sens. Au moins autant que la fleur d’alpage qui n’a rien fait pour pousser. Nous avons cette dignité, cette beauté, cette valeur qui dépasse celle du roi Salomon dans toute sa gloire.

Pour le sentir, il me semble qu’il est bon de prendre le temps de s’émerveiller devant le fait que l’univers existe, que la vie existe. C’est absolument époustouflant, improbable, merveilleux. Or nous sommes une part de cet univers, nous ne valons ni plus ni moins, personnellement, qu’une étoile, une galaxie, ou une fleur des champs. Tout élément participe à l’ensemble. L’utilité que peut avoir notre travail sous le dur soleil pouvait sembler insignifiante à l’Ecclésiaste, mais notre seule existence est déjà signifiante dans l’univers. Chaque existence fait une différence inoubliable. Le seul fait que nous existions a du sens.

C’est ainsi que Ludwig Wittgenstein (1889-1951), que j’ai été amené à apprécier aussi bien pour ses travaux de mathématiciens que de philosophe, nous invite à nous interroger sur l’existence du monde parle de l’éthique, c’est-à-dire de la belle façon d’être et de vivre, il nous appelle à nous étonner, à nous émerveiller de l’existence du monde. D’abord, puis il parle ensuite d’une seconde expérience : celle de sentir que nous sommes en sécurité « que rien ne peut me faire du mal quoiqu’il arrive ». Il n’y a pas de chantage. C’est ce que Jésus nous propose à travers cette figure de l’homme de la parabole qui est soigné quand il est blessé, qui est porté, qui est mis en sécurité autant qu’il le faudra.

S’il nous arrive d’avoir le sentiment si communément humain d’être superflu... au lieu d’en faire un accablement, nous pouvons en faire un émerveillement, celui d’être une fleur, infime mais nécessaire en ce monde, ce monde dont l’existence tout entière est étonnante. Nous pouvons en faire une grâce, celle de compter personnellement pour quelque chose dans cet ensemble, que nous le voulions ou non. Jésus nous dit ici combien nous comptons pour Dieu, ce bon samaritain dont nous héritons, Dieu nous soigne, nous garde en sécurité sans condition. Comme ce blessé de la parabole.

Ensuite, il y a d’autres personnages dans cette histoire que nous raconte Jésus. Et ces personnages nous permettent de réfléchir sur ce que nous pouvons « faire », ou non.

La question de notre vocation.

A côté de l’homme choyé qui ne fait rien d’autre que d’exister, chacun des trois personnages répond à sa façon à une vocation, et « fait » quelque chose. Les deux premiers hommes se sont engagés dans une vocation de prêtre et de lévite et y restent fidèles, passant sans porter secours à l’homme blessé. Le troisième homme n’avait apparemment pas de vocation particulière cinq minutes avant d’être ému par la situation de l’homme blessé, il choisit alors de saisir cette vocation de prendre soin de lui alors que rien ne le préparait à cela.

Certains moralistes mettent en avant le troisième homme « le bon samaritain », d’accord, mais disqualifient les deux premiers comme étant mauvais. Ce n’est à mon avis pas une interprétation correcte, pour au moins deux raisons. Premièrement parce que Jésus ne dit pas que les deux premiers ont eu tort. La vie est complexe. Les évangiles nous montrent souvent Jésus faire de même, se retirant dans la montagne pour prier Dieu, pour reprendre souffle et se ressourcer, pour se laisser choyer lui-même par Dieu, et pour cela il laisse les foules en attente d’enseignement, il laisse les malades en attente de soin, les culpabilisés en attente de l’annonce du pardon de Dieu. Parfois Jésus se laisse déranger dans sa prière pour réponde à une demande et parfois non. Cela lui appartient. Et cela m’amène au second problème que pose cette lecture moraliste de la parabole de Jésus qui transforme la vocation en un service imposé. Cela ruine toute inspiration personnelle, tout souffle d’Esprit, toute conscience, toute humanité, tout discernement. Ce n’est plus par grâce que l’on agit, c’est une besogne. Un servage. Pire : cela culpabilise de ne pas tout faire. Cela culpabilise de ne pas s’en sentir la force, de ne pas être ému par telle ou telle cause. On retombe dans cette sorte de chantage où pour être considéré comme « bon », il faudrait absolument se sentir appelé à servir toutes les causes.

L’Évangile c’est l’inverse. L’Évangile c’est d’abord que Dieu nous regarde, alors que nous n’avons rien fait, et nous considère comme bon, et même comme « très bon », et que Dieu nous bénit, prend soin de nous comme le bon samaritain le fait pour nous. Ensuite, il est possible que ce soit inspirant pour nous d’être ainsi aimé et servi. Si une occasion se présente comme devant les pas de ce samaritain, si notre cœur s’en émeut, si nous pouvons faire quelque chose sans trahir d’autres engagements, sans nous trahir nous-même. Ce sera alors utile, et ce sera bon de nous sentir un peu utile. C’est vrai. Ce sera alors comme une grâce, ce sera une chose faite par abondance, pas sous la pression du regard des hommes, ni de Dieu.

Si l’on place son estime de soi dans le fait d’être utile, cela rabaisse l’humain au niveau d’une machine à café que l’on met au rebus dès qu’elle cesse de fonctionner (et encore : il nous arrive de garder un ancien moulin à café parce qu’il était celui de notre grand-mère). Si l’on y pense, cette façon de voir le sens de la vie humaine comme devant « se réaliser » pour être bon, c’est méprisant pour les personnes qui ont moins de possibilités d’aider : les petits, les blessés, les paralysés du corps, de l’esprit ou du cœur, or Jésus ne considérait absolument pas ces personnes comme étant moins dignes de vivre, il nous montre en exemple les petits enfants, et ici il nous montre en exemple l’homme choyé de cette parabole. C’est ainsi que même s’il nous arrivait de perdre tout moyen d’être productif, nous ne perdons pas le sentiment de notre dignité, c’est là que tout l’Évangile résonne, et nous en sommes témoins pour chacun : Christ est venu pour nous montrer que rien de ce qui peut nous arriver ne diminuera l’amour de Dieu pour nous, rien ne diminuera l’infinie valeur du fait que nous existions, nous, dans cet univers époustouflant de grandeur et de beauté. Nous sommes et nous resterons une fleur de ce champ.

Grâces soient rendues à Dieu.

(Traduction La Colombe)


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Textes Bibliques

Ecclésiaste 1:1-11

Paroles de l'Ecclésiaste, fils de David, roi à Jérusalem.

2Vanité des vanités, dit l'Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité. 3Que reste-t-il à la personne humaine de toute la peine qu'elle se donne sous le soleil ? 4Une génération s'en va, une génération vient, et la terre subsiste toujours. 5Le soleil se lève, le soleil se couche ; il tend vers le lieu d'où il se lèvera. 6 Ainsi va le vent : allant vers le sud, tournant vers le nord, tournant, tournant, le vent reprend ses circuits. 7Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n'est jamais remplie, vers le lieu où ils coulent, les fleuves continuent à couler. 8Toutes choses se fatiguent au-delà de ce qu'on peut dire, l'œil ne se rassasie pas de voir, l'oreille ne se lasse pas d'entendre. 9Ce qui a été, c'est ce qui sera, et ce qui s'est fait, c'est ce qui se fera, il n'y a rien de nouveau sous le soleil.

Luc 10:25-37

Voici qu'un docteur de la loi se leva et dit à Jésus, pour le mettre à l'épreuve : Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? 26Jésus lui dit : Qu'est-il écrit dans la loi ? Qu'y lis-tu ? 27Il répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée ; et ton prochain comme toi-même. 28Tu as bien répondu, lui dit Jésus ; fais cela, et tu vivras.

29Mais lui voulut se justifier et dit à Jésus : Et qui est mon prochain ? 30Jésus reprit la parole et dit : Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba au milieu des brigands, qui le dépouillèrent, le rouèrent de coups et s'en allèrent en le laissant à demi-mort. 31Par hasard, un sacrificateur descendait par le même chemin ; il vit cet homme et passa outre. 32Un Lévite arriva de même à cet endroit ; il le vit et passa outre. 33Mais un Samaritain, qui voyageait, arriva près de lui, le vit et en eut compassion. 34Il s'approcha et banda ses plaies, en y versant de l'huile et du vin ; puis il le plaça sur sa propre monture, le conduisit à une hôtellerie et prit soin de lui. 35Le lendemain, il sortit deux deniers, les donna à l'hôtelier et dit : Prends soin de lui, et ce que tu dépenseras en plus, je te le paierai moi-même à mon retour.

36Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé au milieu des brigands ?

37Il répondit : C'est celui qui a exercé la miséricorde envers lui. Et Jésus lui dit : Va, et toi, fais de même.