Noël : Joseph le juste, Hérode le terrible, et Rachel l’inconsolable

(Matthieu 2)

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Noël, 25 décembre 2021
Culte au temple de Cologny
prédication du pasteur Marc Pernot

L'Évangile de Noël est une belle et terrible histoire. Belle parce qu’elle annonce la naissance d’un germe de bonté inouïe dans le monde. Et terrible histoire avec ce massacre des enfants innocents.

Comme souvent dans la Bible, le récit présente une figure du juste (ici, c’est Joseph qui protège Jésus) et une figure du méchant (Hérode). Cette forme de récit permet au lecteur de se forger une pensée subtile. C’est au lecteur de reconnaître ces types de juste et de méchant dans sa propre histoire et dans notre monde, de faire la part des choses et de voir qu’une bonne dynamique est possible, toujours possible.

Un diagnostic lucide sur notre temps

Le récit commence sur une touche réaliste : « Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode. » Nous sommes « au temps du roi Hérode », ce temps lui appartient, il règne en un certain sens, et en même temps le récit dit que Jésus est déjà né, et il représente une force puissante qui va bien plus changer le monde qu’Hérode.

Une lecture pessimiste de notre temps serait donc fausse en ne portant qu’un regard grossier sur une partie seulement de la réalité. De même ceux qui diraient que Jésus est venu et donc que tout va bien dans ce monde enchanté : cette lecture aussi serait en partie fausse. L’Évangile tient les deux : Jésus est déjà né, et nous sommes au temps du roi Hérode. Ce récit nous donne un outil d’analyse nuancé sur notre monde et sur nous-même. Quelles forces positives ou négatives sont en présence en ce monde, et en nous-même, qu’est-ce qui est hérodien et qu’est-ce qui est christique ?

Un médecin a besoin d’analyses nuancées pour faire son diagnostic et donner les meilleurs soins. Il ne nous demande pas seulement si nous souffrons, il nous demande d’évaluer notre souffrance sur une échelle de zéro à cinq, il n’analyse pas seulement si nous avons du cholestérol mais notre taux de différents cholestérols et l’évolution de ces facteurs dans le temps. Ce texte de l’Évangile nous invite à ausculter notre monde et nous-même, le passer au scanner pour voir au-delà du très visible Hérode, et discerner qu’il existe aussi un germe de résurrection et de vie, ce consolation et de paix qui est déjà là, en profondeur. En finir avec le désespoir aveugle.

Cette page d’Évangile est une bonne nouvelle qui n’est pas réservée aux chrétiens ni même aux croyants. Une athée de bonne volonté peut aussi bénéficier de cette démarche qui consiste à discerner à la fois les germes de vie et les forces de destruction. Puis à poser un diagnostic nuancé. Il nous reste enfin à être comme Joseph « le juste » qui navigue habilement afin de faire vivre la source de la vie, et la protéger de ce qui pourrait la détruire.

Joseph, « le juste », a adopté Jésus comme venant de l’Esprit de Dieu. Comment en est-il arrivé à cette décision d’adopter ce petit germe de nouveauté de vie ? C’est l’objet du premier chapitre de l’Évangile selon Matthieu (que nous avons lu hier soir), c’est un acte de volonté et d’amour, c’est un acte intelligent et spirituel.

À l’autre extrême, qu’est-ce qui rend Hérode si méchant ? C’est qu’il a peur. C’est dommage car Jésus ne lui fait pas concurrence, au contraire. Hérode aurait eu bien plus de rayonnement en faisant son travail en vivant l’Évangile du Christ qu’en restant un tyran sanguinaire. Il aurait eu plus de joie en faisant du bien, plus qu’en inspirant la crainte et l’aversion.

Ces deux forces, du Christ et d’Hérode, sont en chacune et chacun de nous, bien sûr : il y a du Christ, même tout petit et en germe, et il y a en nous un homme et une femme qui a peur des autres, peur de la vie.

Christ s’attaque à la racine de ce qui est Hérode en nous quand il annonce l’Évangile : tel que nous sommes, Dieu nous apprécie au point de nous reconnaître prince ou princesse de son Royaume. Nous n’avons pas à arracher le fait d’être royal, nous n’avons pas à écraser des gens pour défendre notre trône car Dieu lui-même l’a dressé pour nous et nous le conserve sans condition ni limite. La première chose que l’Esprit souffle à Joseph c’est de ne pas avoir peur (1:20) et cela permet à Joseph de vraiment être lui-même, d’avancer, d’exprimer son bon fond, et de s’adapter aux circonstances, et de tenir bon.

Sur les pas de Joseph, le juste

Hérode n’est pas dénué de talents non plus, il avance en s’appuyant sur l’érudition des sages, il entretien des relations, il affine sa stratégie pour éliminer ce qu’il pense faire obstacle. Dommage que ces talents soient orientés vers la mort : avec bien des dégâts et des souffrances, des pleurs dans la population.

Joseph, lui, adopte Jésus. C’est un acte de volonté et de charité (cf. Dun Scott, Saint Bernard, Jean de la Croix). Ce n’est pas seulement la vie qu’il a adopté ainsi, c’est de protéger et de faire vivre la source de la vie (en Jésus). C’est même de protéger et de faire vivre « sa mère ». Si Matthieu désigne ainsi Marie par sa seule fonction d’être mère, c’est pour nous donner, à nous lecteur, une indication : la suggestion de soigner non seulement la vie en nous, non seulement la source de vie qu’incarne le Christ, mais même de soigner ce qui peut faire naître la source de vie, en nous et dans ce monde. C’est l’ouverture au spirituel que l’on observe en Joseph, s’exercer à cela.

Il y a du Christ et de l’Hérode en toute personne.

Et il y a du Joseph en nous, lui qui, par un acte de volonté, de charité et de prière choisit de faire que Christ puisse naître, vivre et se développer.

Sur les pas de Rachel, l’inconsolable

Cette page d’Évangile attire ainsi notre attention sur ce que nous pouvons faire, activement. Ce n’est pas le tout. Cette page d’Évangile évoque aussi ce que nous pouvons subir, Matthieu attire notre attention sur les victimes d’Hérode, que nous sommes aussi par certains côtés, bien entendu. Il cite pour cela une page du prophète Jérémie évoquant le désespoir de la population six cents ans avant Jésus-Christ :

18 Une voix dans Rama s’est fait entendre,
des pleurs et une longue plainte :
c’est Rachel qui pleure ses enfants
et ne veut pas être consolée,
parce qu’ils ne sont plus.

Matthieu cite ce passage du livre de Jérémie comme s’il s’accomplissait aujourd’hui. L’aujourd’hui de ces pleurs et de ces lamentations est toujours aujourd’hui puisque le texte de Jérémie s’adresse à son lecteur, il s’adresse aux victimes des Hérode de tout temps, il s’adresse à nous, pour entendre les souffrances du monde.

Rachel dont les enfants sont massacrés, emportés en exil, réduits à l’esclavage... est une figure qui nous parle de bien des détresses provoquées par toutes sortes d’Hérode, en nous et autour de nous.

Rachel pleure et refuse d’être consolée. Cela peut nous arriver à tous. Bien des jeunes sont actuellement désespérés sur leur avenir. Il y a aussi des personnes vivant une situation dramatique, ou déçues d’elles-mêmes. Il n’y a rien de pire que d’être tellement en deuil que l’on ne désire même plus être consolé, et que désespérer nous semble la seule chose possible à faire.

Cette citation de Jérémie est poignante. Mais elle n’est pas désespérée, au contraire. Car ce passage de la Bible que cite Matthieu se trouve dans une prophétie de Jérémie qui annonce que déjà un avenir s’ouvre dans une alliance nouvelle. Les lecteurs de l’Évangile de Matthieu avaient été au catéchisme et connaissaient par cœur la fin de cette citation :

16Ainsi parle l’Éternel :
Sèche les pleurs de ta voix, les larmes de tes yeux ;
Car il y aura des fruits à ce que tu as semé,
Ils reviendront du pays de l’ennemi.
17Il y a de l’espérance pour ton avenir,
Tes enfants reviendront chez eux. (Jérémie 31)

Cette voix de l’Éternel est particulièrement donnée au monde en Christ. C’est sur les pas de Rachel que nous pouvons marcher : entendre d’abord pour nous-même, puis proclamer à d’autres que l’Éternel se penche vers nous et sèche nos larmes inconsolables, soigne nos blessures irrémissibles, ressuscite notre dynamique de vie, nous fait revenir de nos exils.

Alors nous pourrons marcher sur les pas de Joseph adopter, nourrir, protéger, faire vivre la bonne part créatrice de chacune et chacun en ce monde. Faire corps.

Dieu ouvre devant nous un avenir et une espérance

Amen.

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Texte Biblique

Évangile selon Matthieu 2:1-23

1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem 2et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à l’Orient et nous sommes venus lui rendre hommage. » 3À cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui. 4Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s’enquit auprès d’eux du lieu où le Messie devait naître. 5« A Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c’est ce qui est écrit par le prophète : 6Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda : car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple. »

7 Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l’époque à laquelle l’astre apparaissait, 8et les envoya à Bethléem en disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant ; et, quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j’aille lui rendre hommage. »...

13 Voici que l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Egypte ; restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. » 14Joseph se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Egypte. 15Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode, pour que s’accomplisse ce qu’avait dit le Seigneur par le prophète : D’Egypte, j’ai appelé mon fils.

16 Alors Hérode... entra dans une grande fureur et envoya tuer, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants jusqu’à deux ans, d’après l’époque qu’il s’était fait préciser par les mages. 17Alors s’accomplit ce qui avait été dit par le prophète Jérémie : « 18Une voix dans Rama s’est fait entendre, des pleurs et une longue plainte : c’est Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, parce qu’ils ne sont plus. »

19 Après la mort d’Hérode, l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph, en Egypte, 20et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et mets-toi en route pour la terre d’Israël ; en effet, ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant. » 21Joseph se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, et il entra dans la terre d’Israël. 22Mais, apprenant qu’Archélaüs régnait sur la Judée à la place de son père Hérode, il eut peur de s’y rendre ; et divinement averti en songe, il se retira dans la région de Galilée 23et vint habiter une ville appelée Nazareth, pour que s’accomplisse ce qui avait été dit par les prophètes : Il sera appelé Nazôréen.