(écouter l'enregistrement - voir la vidéo ci-dessous)
Culte de la veillée de Noël 2016
prédication du pasteur Marc Pernot
Pour construire une maison, il est bien utile d’avoir une grue à côté pour monter les matériaux jusqu’au sommet du toit. Mais comment construit-on un gratte-ciel, il n’existe pas de grue assez haute ? En fait, c’est très simple, la grue permet de faire monter les murs autant que possible. La grue est ensuite montée au sommet des murs déjà construits ce qui lui permet de les faire monter plus haut encore. En résumé : on monte d’abord la grue, puis les murs, puis la grue, puis les murs, etc. À la fin, la grue est démontée car elle ne sert plus à rien et que cela ne ferait pas très joli d’avoir un bout de grue au sommet du joli gratte ciel.
Luc semble construire son récit sur ce même modèle, avec ces histoires de la venue de deux enfants, avec d’abord l’annonce de la conception de Jean-Baptiste, puis l’annonce de la conception de Jésus, puis la rencontre entre les mères de Jean-Baptiste et Jésus, puis la naissance de Jean-Baptiste, puis la naissance de Jésus, puis Jean-Baptiste appelant les foules, pour enfin arriver à Jésus parlant à la foule.
Pourquoi est-ce que Luc a mélangé ces deux récits ? Cela aurait été plus simple de nous parler seulement de Jésus puisque c’est lui l’essentiel : le point de rencontre entre Dieu et l’humanité, le sens de la vie humaine et son but.
Mais quand même, Jean-Baptiste prépare la venue du Christ, il prépare la venue du salut de Dieu dans notre monde et dans notre propre existence. Il est donc logique de commencer par lui, et les 4 évangiles que nous avons dans la Bible racontent effectivement d’abord l’histoire de Jean-Baptiste avant qu’il disparaisse pour laisser la place à Jésus.
Alors, que veut nous dire Luc en mélangeant ainsi la venue au monde de Jean-Baptiste et celle de Jésus, en faisant une tresse avec leurs deux histoires ? Luc nous dit que la construction de notre foi et de notre salut est un peu comme la grue et le gratte-ciel qui s’élèvent mutuellement. Ici, la religion prépare la relation à Dieu, qui sert de base à la religion, qui permet à la foi de s’élever encore...
Jean-Baptiste incarne la religion et Jésus incarne l’Emmanuel « Dieu en nous, parmi nous » : le salut de Dieu. La religion est juste un outil, comme la grue pour construire la tour. Ce n’est pas très joli, une grue, elle doit disparaître à la fin mais en attendant c’est assez utile. La religion ne doit pas être plus que cela, mais pas moins que cela non plus : un outil qui nous aide à construire une relation vivante avec Dieu. Luc nous montre ici qu’il doit y avoir comme un va et vient entre la religion et la foi, avec des avancées progressives de l’une et de l’autre, par pallier successifs.
Luc commence par l’histoire de Zacharie et Élisabeth, les parents de Jean-Baptiste. Ils sont l’archétype de la religion bien religieuse, avec le formidable temple de Jérusalem et cette cérémonie solennelle d’offrande à Dieu, avec le peuple autour qui chante et qui crie son espérance de Dieu. Zacharie est prêtre, Élisabeth est même descendante du premier des grands prêtres de tous les temps, Aaron, le frère de Moïse.
Zacharie et Élisabeth incarnent la religion en tant qu’effort de l’homme vers Dieu. C’est une ouverture à sa bénédiction, à ses miracles dans notre vie. Cette recherche a une certaine fécondité puisque Zacharie et Élisabeth auront finalement un enfant. Une vie va naitre en réponse à leurs efforts de théologie, de lecture de la Bible et de prière, de culte et d’offrande à Dieu. Même si ce n’est « que » Jean-Baptiste, cette fécondité est déjà immense. Jean prépare la venue du salut, il ouvre ainsi ce chantier d’élévation de notre existence vers Dieu.
Mais attention, même si Luc commence son Évangile en mettant en scène en premier la religion, cela ne veut pas dire que la religion serait le point de départ de tout, comme si c’était l’homme qui réveillait Dieu par ses rites et lui arrachait sa bénédiction à coup de prières. En effet, les noms mêmes de Zacharie et d’Élisabeth, ainsi que le nom de leur fils Jean, ces trois noms affirment que c’est Dieu qui a aimé le premier et que l’effort de l’homme vers Dieu n’est qu’une réponse à la grâce première de Dieu. En effet :
À la base, il y a donc ce Dieu qui est amoureux de nous, ce Dieu qui ne nous oubliera jamais et qui est pour nous seulement : promesse, miséricorde, effort pour nous élever, pour faire de nous quelqu’un de bien et de bienfaisant pour ceux qui nous entourent, comme lui.
La religion est déjà une réponse. La religion est déjà un acte de foi vers une promesse qui nous a été faite. La religion est comme la réaction du bébé qui, sentant que sa mère l’a pris dans ses bras, cherche son sein pour recevoir son lait. Mais la religion n’est ni la mère, ni le lait, ni la vie. La religion est un simple geste.
Elle est utile comme ouverture à la vie qu’est Dieu, mais la religion est stérilisante si elle se prend pour l’essentiel. Cela aussi, Luc nous le montre dans ce récit. Zacharie et Elisabeth se sont épuisés en prière, en sacrifices et en parfum brûlé dans le temple pendant des années sans la moindre fécondité. C’est que, peut-être, ils pensaient que la religion est une formule magique, comme un télécommande pour obtenir les bienfaits de Dieu ? Et bien non. Ce serait de la superstition. La religion est alors stérilisante. Elle n’est source de vie que quand elle est une ouverture à la présence de l’ange, qui symbolise ici le contact avec Dieu lui-même.
Sans cette attente de contact avec Dieu la religion n’est qu’une sorte de danse de la pluie où l’homme se célèbre lui-même, la beauté de sa liturgie célèbre alors ses arts et sa culture, ses pirouettes théologiques célèbre alors sa propre intelligence. Au contraire, tout cela est très bien quand tout cela, quand le meilleur de nous-mêmes est mobilisé dans une ouverture vers la transcendance. Alors se mêlent l’élévation et l’humilité.
Et nous ? Nous qui avons fait place à un temps de culte en cette nuit de Noël, quelle sorte de religion pratiquons nous ? À qui rendons-nous un culte, en vérité ? À Dieu si nous l’espérons, s’il est le but de notre aspiration, si dans notre prière nous demandons enfin l’essentiel : si nous demandons Dieu. Rien de moins. Ce « quelque chose » de plus grand que l’univers, « quelque chose » qui est la source ultime. Sans cela, notre religion rend un culte à l’homme seulement et nous resterons indéfiniment à danser en rond autour de notre nombril.
Mais en réalité, nous sommes plus « croyants » que nous ne le craignons. Est-ce vraiment Dieu que je cherche quand je prie ? Est-ce vraiment Dieu que j’attends, que j’écoute et que je rencontre au plus profond de moi-même dans ma méditation ? Oui, nous dit cette bénéfique pensée de Pascal. Ce génial philosophe et physicien s’inquiétait aussi de cette question et il s’entend répondre par Dieu (dans son cœur) : « Console‑toi. Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé ».
Si nous avons envie d’avoir la foi c’est que nous l’avons déjà. C’est que nous avons déjà eu comme une première expérience de Dieu, plus ou moins confuse mais qui est source d’une première inspiration. Ensuite, un peu de religion permet de se préparer à accueillir ce Dieu que nous avons déjà effleuré. Un peu de culte comme Zacharie, un peu de prière comme Élisabeth, un peu d’ascèse comme leur fils Jean. Un peu de religion, la juste dose, ni prise trop au sérieux ni pas assez, à la façon et au rythme qui nous correspondent, un peu de religion mais pas comme un but, juste comme une ouverture à cette réalité essentielle que nous savons ne pas encore connaître, ou si peu.
Zacharie sort muet de cette rencontre avec Dieu. Comme Jacob en sort frappé à la hanche, et Paul en sort aveugle. Merci du cadeau ! Mais ces troubles ne sont qu’une petite crise de croissance. La religion mobilise nos facultés au service d’une ouverture vers ce qui est d’une autre dimension que nous. Elle est comme un grue toute habituée à élever de la matière à sa hauteur et qui tout d’un coup est elle-même élevée à un autre niveau. Il y a un vertige dans ce saut. C’est normal. Pour parler de ce qu’il a vécu, il faudrait que Zacharie invente des mots nouveaux, sa théologie ancienne y perd son latin, ou plutôt son hébreu. Il prenait sa théologie, sa religion, son interprétation des Écritures pour des sommets, et ils l’étaient à l’époque, mais maintenant ce ne sont qu’un petit escabeau. Bien utile mais modeste.
La religion est utile mais même pas indispensable nous dit ici Luc à travers l’histoire de Marie. Contrairement à la famille de Jean, Marie reçoit la visite de Dieu par surprise, en dehors de tout contexte religieux. Au contraire, Luc nous dit que l’ange vient faire irruption chez elle, à domicile, comme une grâce. Tant mieux. C’est vrai que l’être humain est naturellement spirituel. La religion travaille seulement cette disposition.
Le nom même de « Marie » évoque le contraire de la religion ce nom signifie « la rebelle », et c’est bien ce qu’incarne Myriam, la sœur de Moïse et d’Aaron : elle n’est pas très sage, elle est directement inspirée par Dieu et elle n’est donc pas vraiment dans la ligne du parti. C’est une vraie prophète, comme Marie la mère de Jésus, et comme nous, à sa suite.
La religion est utile mais elle a donc ses limites. L’expérience de la rencontre avec Dieu a ses limites aussi, bien qu’elle soit un contact avec l’ultime. Les anges repartent et laissent Zacharie ou Élisabeth à leurs vies changées, habitées d’une vie nouvelle. La religion prend alors le relais, avant et après cette expérience. Avant pour s’ouvrir à une étape supplémentaire. Et après pour relire et intégrer ce que nous avons reçu avec Dieu, puis le partager, le vivre, et porter les fruits de notre vie fécondée par la source de vie.
C’est ainsi que Marie, qui n’a apparemment pas eu besoin de la religion avant cette expérience de Dieu, a besoin de la religion après. Comme Zacharie, Marie ne peut rester seule avec cette vie nouvelle dans le cœur. Marie va alors rendre visite à sa cousine Élisabeth, la bien religieuse, la descendante d’Aaron. Et elle va aider Marie à mieux comprendre et à mettre des mots sur cette grâce qui lui a été faite par Dieu. Marie va pouvoir relire son expérience infiniment particulière en lien avec les récits de la Bible, les antiques promesses.
C’est ainsi que se tisse la religion, malgré ses limites humaines, avec la relation secrète entre le croyant et son Dieu. Entre chacun de nous et notre Dieu à tous.
Amen
Vous pouvez réagir par mail...
faites profiter les autres de vos propres réflexions…