(écouter l'enregistrement - voir la vidéo ci-dessous)
Culte du dimanche 10 novembre 2013
prédication du pasteur Marc Pernot
En 1966, les principales églises catholiques, protestantes et orthodoxes s’étaient unies pour offrir à leurs fidèles une traduction commune du Notre Père. Ce geste œcuménique est beau et fort. Les meilleurs spécialistes du grec et de l’hébreu de la Bible s’étaient appliqués et avaient rendu leur copie, comprenant cette phrase :
« Ne nous soumets pas à la tentation,
mais délivre-nous du Mal »
Comme si Dieu pouvait s’amuser à nous « soumettre à la tentation » en soufflant des idées méchantes dans le creux de notre cœur ! Depuis 50 ans, cette traduction est critiquée par à peu près tout le monde.
Bonne nouvelle : les choses bougent. L’église catholique a travaillé sur une version de la Bible qui sortira dans une dizaine de jours, avec en particulier une nouvelle traduction de cette phrase du « Notre Père ». On peut penser que cela aurait été plus sympa de réviser ce texte en collaborant avec les autres églises plutôt que de le faire tout seul dans son coin, mais finalement, c’est une bonne idée. Parce que c’est à chacun, en réalité, de trouver la traduction et la compréhension qui lui conviendront le mieux, c’est une question si personnelle que cette prière qui nourrit toutes les prières. Le but de l’œcuménisme n’est pas que tout le monde prie avec exactement les mêmes mots, mais l’objectif est que nous nous encouragions tous mutuellement à travailler notre propre théologie et à purifier notre prière de ce qui la pollue.
Donc merci à nos frères (et sœurs ? ) du Vatican pour cet élan et mettons nous au travail.
« Ne nous soumets pas à la tentation mais délivre-nous du mal », si cette phrase du « Notre Père » est tellement discutée, c’est que dans cette seule phrase se concentre la question de l’existence du mal dans le monde et de son rapport avec Dieu, mais encore l’existence de notre liberté. Les conséquences sont importantes aussi bien pour notre relation à Dieu, que pour notre façon d’encaisser les coups de la vie. C’est donc compréhensible que cette phrase soit sujette à mille interprétations et traductions différentes, depuis Tertullien au IIe siècle jusqu’à nos jours.
Cette traduction est à peut près la pire des traductions possibles, à mon avis :
D’abord parce que la tentation est toujours quelque chose de terriblement négatif dans la Bible.
Certains passages bibliques croient qu’il existe peut-être une sorte puissance personnifiée du mal, qu’il soit appelé le diable (Mt 4:1), satan (1Ch 21:1), dans les textes qui croient en l’existence de cette sorte de dieu méchant, c’est lui et lui seul qui est source de tentation, et un de ses noms est même « le tentateur » (Mt 4:3; 1Th 3:5).
D’autres passages bibliques ne croient pas dans l’existence de cette force du mal personnifiée et voient alors la source de la tentation en nous-même, comme le dit la première lettre de Jacques : quand quelqu’un est tenté, c’est qu’il est « attiré et séduit par sa propre convoitise » (Jac 1:14).
Mais en tout cas, absolument aucun passage de la Bible n’attribue à Dieu la source de la tentation, évidemment, nous dit Jacques : « Que personne, lorsqu’il est tenté, ne dise: C’est Dieu qui me tente. Car Dieu ne peut être tenté par le mal, et il ne tente lui-même personne. » (Jac 1:13).
Donc, la traduction« Notre Père… ne nous soumets pas à la tentation » est la pire des traductions possibles, car elle laisse supposer que Dieu pourrait être tout à fait pervers, en soufflant des mauvaises idées pour nous les reprocher ensuite… Cela ne me donne pas tellement envie de prier Dieu, et encore moins de lui ouvrir mon cœur en confiance.
est une autre traduction possible car le mot traduit ici par « tentation » est ambigu en grec, peirasmov désigne aussi bien la tentation que l’épreuve. Tous les textes de la Bible sont donc d’accord pour dire que Dieu n’est jamais source de « tentation », mais certains textes, assez nombreux, pensent que Dieu pourrait de temps en temps nous mettre à l’épreuve, comme un examinateur donne une épreuve pour voir ce que vaut un candidat, et le recevoir ou le recaler.
À mon avis, cette lecture est moins horrible que la précédente, mais elle n’est quand même pas acceptable. D’abord parce que Dieu nous connaît mieux que nous-mêmes et qu’il nous aime. Il n’a donc pas besoin d’examens pour nous évaluer, il n’a pas besoin de nous évaluer pour nous aimer, et il a d’autres moyens pédagogiques que le mal pour nous conduire vers la vie.
Le plus grave, dans cette idée d’un dieu qui mettrait à l’épreuve ses enfants, c’est que cela induit une mauvaise crainte de ce que Dieu pourrait bien nous offrir, est-ce que ce sera un poisson ou un serpent ?(Matthieu 7:10). Cette idée d’un Dieu qui nous mettrait à l’épreuve induit un soupçon sur l’amour de Dieu pour nous. Son amour serait limité à un certain niveau, il faudrait donc que Dieu nous évalue afin de savoir s’il peut continuer à nous garder ou non. Sympa ! Si nous faisions la même chose avec nos enfants, notre conjoint ou nos amis, il y aurait une ambiance vraiment épouvantable. Mais Dieu n’est pas comme ça. Il nous connaît mieux que nous-mêmes, et si notre propre cœur nous condamnait, nous dit Jean, Dieu est plus grand, plus sage et plus aimant que notre cœur (1 Jn 3:20).
Dieu n’est source que de belles et bonnes choses, et il pas du genre à nous mettre des difficultés sur notre route. La vie s’en charge.
Pour comprendre cette phrase du « Notre Père » il faut à mon avis garder le sens le plus étendu possible au mot peirasmov. C’est plus large que la tentation ou l’épreuve, ce sont tous les coups durs de la vie, toutes ces choses négatives, ces événements, ces catastrophes, ces faiblesses et ces travers qui pourraient bien nous entraîner dans une spirale négative.
Il y a des difficultés que nous supportons mieux, celles que nous rencontrons dans l’avancement d’un projet que nous avons choisi, par exemple la dureté des pierres qu’il faut tailler et leur lourdeur quand il faut les porter pour monter un mur, et la difficulté à apprendre les techniques de maçonnerie, la transpiration et la courbature des muscles… mais ces difficultés ne sont pas des peirasmoi, et même si nous comptons sur Dieu de nous soutenir dans notre effort pour avancer contre l’inertie du monde, ce n’est pas tant ces difficultés-là qui nous posent un problème terrible, mais plutôt les négativités qui nous tombent dessus comme une tuile sur la tête un jour de grand vent (pauvre Cyrano). Qu’espérer dans la prière face au peirasmov ?
Les traductions « Notre Père… ne nous soumets pas aux difficultés » cherchaient à convertir Dieu afin qu’il arrête de nous faire du mal volontairement, pour quelque raison que ce soit !
Il me semble que cette phrase du « Notre Père » nous invite plutôt à convertir notre propre conception de Dieu, qu’il ne soit vraiment pas pour nous le Dieu qui nous apporte des difficultés sur notre route, mais au contraire celui qui nous délivre des sources du mal.
Le texte du « Notre Père » ne serait pas le premier dans la Bible à nous inviter à convertir notre théologie en mettant en scène un Dieu qui se convertit et qui change d’avis. D’abord avec l’histoire de Noé (Genèse 5-9) au début la théologie est celle d’un Dieu qui élimine les méchants, puis ce Dieu comprend (Ge 8:21) et adopte une autre façon d’agir, en bénissant et en faisant alliance avec l’homme (Ge 9:11). Ce récit nous invite à convertir notre conception de Dieu, à convertir notre prière et notre idée de la justice. L’histoire d’Abraham (Ge 12-22) nous invite également à une conversion de notre théologie, au début nous avons l’idée d’un Dieu qui demande de sacrifier son fils pour mettre l’homme à l’épreuve. À la fin de l’histoire, nous voyons non seulement que Dieu ne veut pas que nous nous sacrifions pour lui et encore moins que nous sacrifions quelqu’un d’autre pour lui plaire. Et pour nous montrer que cette épreuve était inutile, le seul prix de ce courage fou d’Abraham est alors de se voir simplement confirmer tout ce que Dieu lui avait déjà donné dès le départ, avant qu’il n’ait encore rien fait !
Alors oui, prions pour bien intégrer le fait que ce n’est jamais Dieu qui nous fait entrer dans de noires difficultés, mais qu’il nous délivre de leur pouvoir de nuisance pour nous.
Quand nous serons persuadés que Dieu n’est source que de bonnes dynamiques positives, cela nous délivre déjà un peu du mal. Car alors nous pouvons combattre le mal sans arrière-pensée. La pauvreté n’est pas un don de Dieu, la maladie n’est pas une punition voulue par Dieu, ni une épreuve pour nous évaluer ou nous éduquer, les cyclones qui tuent des milliers de pauvres gens ne sont pas dans la volonté de Dieu pour cette terre. Bien sûr.
Jésus nous dit au début du « Notre Père » dans quel temps nous sommes. Le Royaume de Dieu est déjà visible, on le touche du doigt avec la merveille que nous sommes et avec ce monde qui comprend tant de merveilles… mais Jésus nous dit qu’en même temps, la volonté de Dieu n’est pas encore complètement faite, qu’il ne règne pas encore sur tout en ce monde… alors quand une tuile nous tombe sur la tête, c’est peut-être de la faute de quelqu’un, c’est peut-être dû à la part de chaos qui existe dans le monde, mais en tout cas ce n’est pas la volonté de Dieu.
Et Jésus nous invite à le prier, à méditer sur ce que Dieu espère, et ainsi, à notre mesure, faire place à son action, et s’associer à cet élan comme nous le pourrons. Nous lui demandons :
Qu’est-ce que ça veut dire ? Prier Dieu ne porte pas chance dans la vie, comme si Dieu réservait les bons n° du loto à ses chouchous. Mais c’est du Mal avec un grand M que Dieu cherche à nous délivrer, c’est-à-dire des sources de négativités. Dans la vie, et il arrive que certaines difficultés soient au-dessus de nos forces. Et il n’y a pas que les catastrophes qui peuvent nous couler, il y a aussi les chances et les succès, l’intelligence et la force… les bonnes choses comme les mauvaises qui nous arrivent peuvent être une pente sur laquelle nous glissons, notre chair est si faible, comme le dit Jésus. Mais Dieu est source de résurrection et de vie. Il n’y a ainsi aucune situation désespérée. Même d’une mauvaise chose qui est arrivée, ce que Dieu ne voulait certainement pas, il veut nous aider à tirer quand même un bien, ne serait-ce qu’un nouveau regard sur ceux qui souffrent et plus de compassion. À l’occasion même de nos chances et de nos succès, Dieu veut nous aider à devenir meilleur, et être à notre mesure une source de bien.
Au moins, Dieu n’est alors pas rendu responsable du mal et il est de notre côté contre le mal, c’est déjà l’essentiel, mais cette traduction me gêne, car cette prière demande à Dieu de nous tenir en laisse, prêt à tirer un grand coup pour ramener son chienchien quand il y a un danger. Demander cela à Dieu c’est lui demander d’aller contre sa propre nature qui est celle d’être libérateur, d’être émancipateur comme nous le rappelle la première des « dix paroles » de la Loi de Moïse. Dieu nous libère de l’esclavage du péché mais pas au prix de nous enfermer dans une cage.
Ce que nous demandons à Dieu, c’est de faire que nous ne soyons pas enfermés dans les difficultés, qu’il ouvre de nouvelles issues possibles pour celui qui est en difficulté et nous aide à sentir, à travers ces brèches, comme un léger souffle d’air qui nous permette déjà de savoir qu’il y a une issue.
Si souvent, je rencontre une personne qui n’est pas loin de baisser les bras, par exemple désespérée d’être malade, ou d’être sans travail, d’être trop seule, ou d’être dépressive… tant de difficultés où nous avons besoin d’un coup de main d’un ami, mais aussi d’une force de vie pour que nous ne soyons pas pris dans une spirale descendante. Tant qu’à faire d’avoir des difficultés, que nous en soyons pas enfermés dedans. Mais que la pente, au lieu d’être glissante, devienne comme un escalier où l’on peut déjà s’asseoir pour souffler un peu sans que cela s’empire, et savoir qu’il y a un plus haut. Et l’espérer, et compter dessus.
Jésus parle en connaissance de cause, lui aussi a connu la tentation de ne penser plus qu’à lui-même (Mat 4:3), et la tentation de se laisser tomber (4:5), et la tentation d’abandonner l’espérance en Dieu (4:8). Mais l’Esprit l’a soutenu pour dire « non » à ses négativités. Et Jésus témoigne de cette conviction : c’est normal d’être faible, nous le sommes tous, mais nous ne sommes pas que cette faiblesse, l’Esprit, c’est à dire, la bonne dynamique de vie qu’est Dieu est en nous, et il est une bonne disposition, il est prêt pour nous donner la victoire. Veillons et prions.
Veillons, car notre chair est si faible que parfois nous ne voyons même pas où est le problème et donc encore moins la solution. Par exemple, il beaucoup question de racisme en ce moment, ce n’est pas tellement la ministre noire qui se fait injurier qui m’inquiète, on pense à elle mais elle en a vu d’autre. Ce qui est inquiétant c’est que notre société, qui devrait être comme un corps, est comme malade de peurs et de haines internes, et que personne ne voit trop comment inverser ce glissement qui divise les personnes d’origines différentes, d’aspects, d’âges, d’orientations sexuelles, de partis différents, ou même de religions un peu différentes alors qu’il n’y a qu’un seul Dieu… Dieu ne peut pas nous forcer à être plus sage, plus aimant, ni plus ouverts. Mais si nous sommes dans la prière, si nous avons confiance qu’il ne nous tend aucun piège, alors, nous pouvons commencer à veiller et prier pour de bon.
Amen.
Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot.
Jésus dit :
Voici donc comment vous devez prier:
Notre Père, celui qui est au, ciel !
Que ton nom soit sanctifié;
10 que ton règne vienne;
que ta volonté soit faite sur la terre et aussi au ciel.
11 Donne-nous aujourd’hui notre pain, celui qui est essentiel,
12 remets nous nos dettes, et que nous aussi les remettions aux autres,
13 faits que nous ne soyons pas enfermés dans les difficultés, mais délivre-nous de ce qui est source du mal.
36 Jésus alla avec ses disciples dans un lieu appelé Gethsémané, et il leur dit : Asseyez-vous ici, pendant que je m’éloignerai pour prier. 37 Il prit avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, et il commença à éprouver de la tristesse et des angoisses. 38 Il leur dit alors: Mon âme est triste jusqu’à la mort; restez ici, et veillez avec moi.
39 Puis, ayant fait quelques pas en avant, il se jeta sur sa face, et pria ainsi: Mon Père, s’il est possible, que cette coupe s’éloigne de moi! Toutefois, (qu’il soit fait) non pas ce que je veux, mais ce que tu veux.
40 Et il vint vers les disciples, qu’il trouva endormis, et il dit à Pierre: Vous n’avez donc pu veiller une heure avec moi ! 41 Veillez et priez, afin que vous ne soyez pas enfermés dans les difficultés; l’Esprit est bien disposé, mais la chair est faible.
Jésus fut emmené par l’Esprit dans le désert, pour être tenté par le diable.
2 Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. 3 Le tentateur, s’étant approché, lui dit: Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. 4 Jésus répondit: Il est écrit: L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.
5 Le diable le transporta dans la ville sainte, le plaça sur le haut du temple, 6 et lui dit: Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas; car il est écrit: Il donnera des ordres à ses anges à ton sujet; Et ils te porteront sur les mains, De peur que ton pied ne heurte contre une pierre. 7 Jésus lui dit: Il est aussi écrit: Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu.
8 Le diable le transporta encore sur une montagne très élevée, lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire, 9 et lui dit: Je te donnerai toutes ces choses, si tu te prosternes et m’adores. 10 Jésus lui dit: Retire-toi, Satan! Car il est écrit: Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul.
11 Alors le diable le laissa. Et voici, des anges vinrent auprès de Jésus, et le servirent.