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Ma volonté propre et celle de Dieu
Luther relit le Notre Père : « Que ta volonté soit faite »

(Matthieu 6:9-13 ; Matthieu 26:36-44 ; Jean 9:1-5)

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Genève - 24 mars 2019
culte au temple Saint-Pierre - Genève
prédication du pasteur Marc Pernot

IL y a un passage qui m’amuse bien dans l’Apocalypse de Jean, c’est quand l’ange dit à l’église de Laodicée « Je sais que tu n’es ni froid ni bouillant. Puisses-tu être froid ou bouillant ! Mais parce que tu es tiède, et que tu n’es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche. » (Apoc. 3:15-16) Sympa ! Il y a en tout cas une qualité que l’on peut reconnaître à Martin Luther : c’est de ne pas être tiède ! Il est chaud bouillant et grâce à cela : il est arrivé à bousculer l’église chrétienne, l’amenant à se réformer. Génial. Luther est également chaud dans des positions inacceptables, même compte tenu de l’époque, en particulier contre les juifs.

On retrouve ce côté bouillant de Luther dans son commentaire de cette troisième demande de la célèbre prière de Jésus : « Notre Père... Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». La lecture de Luther est simple, il la martèle à plusieurs reprise : cette demande a pour but de nous humilier et de nous mortifier dans la crainte de Dieu, afin d’absolument briser notre propre vouloir car il n’est jamais, jamais bon.

La volonté de Dieu, selon Luther, « s’accomplit dans le brisement de notre vouloir », quel qu’il soit. « Avant toute chose (dit-il) un bon vouloir existe là où il n’y a pas de vouloir, car là où il n’y a pas de vouloir, là règne seule la volonté de Dieu, la meilleure de toute. »(Œ. v. 1, p. 173). Certes, dit-il, Dieu nous «a donné un libre vouloir » mais « le propre vouloir vient du diable », le libre vouloir n’est bon que quand il « ne veut rien en propre et regarde uniquement à la volonté de Dieu ».

Dans cette demande du Notre Père, écrit Luther, Dieu nous ordonne d’implorer contre nous-même : Ô Père « brise mon vouloir, mets obstacle à mon vouloir », car le propre vouloir est en nous le mal le plus profond et le plus grand. Or, rien ne nous est plus cher que notre propre vouloir. C’est pourquoi, continue Luther , dans cette prière (du Notre Père), rien d’autre n’est recherché si ce n’est la croix, le martyr, l’adversité et les souffrances de toutes sortes qui servent à détruire notre vouloir. De sorte que, si les gens volontaires saisissaient bien qu’ils implorent ici contre tout vouloir qui leur est propre, ils deviendraient ennemis de cette prière ou, du moins, seraient pris d’effroi devant elle. »

Chaud bouillant notre ami Luther. personnellement, c’est plutôt devant son interprétation radicale de la prière de Jésus que je suis pris d’effroi. Avant de me rappeler que c’est l’écrit d’un homme à qui il a fallu une colossale énergie spirituelle et morale pour se lever, seul, et libérer le peuple chrétien et lui permettre de vivre sa foi en ligne directe avec Dieu. Luther écrit ce commentaire en 1518, c’est le tout début de son combat, il ne sera jeté hors de l’église par le pape que 3 ans plus tard. Son combat contre ce qu’il appelle « le propre vouloir » afin de s’en remettre entièrement à la volonté de Dieu, ce combat est à placer dans un contexte où Luther veut mettre en valeur la pure grâce de Dieu dans le salut de l’humain, en opposition à l’idée courante à cette époque qu’en payant pour faire dire une messe on pouvait arranger son salut ou celui d’un défunt... Comme si trois pièces d’argent pouvaient changer la volonté de Dieu et le rendre plus bienveillant à l’égard de celui qui a la chance d’en avoir les moyens. Le combat de Luther était utile et juste. Je ne suis pas convaincu que cette question soit la priorité pour libérer aujourd’hui la personne de ce qui la préoccupe, de ce qui l’aliène, ce qui la trouble et l’oppresse, ce qui la coupe de Dieu. Or, c’est cela qu’il est bon de chercher. De Luther c’est plus le geste réformateur de qui nous intéresse afin de le transposer dans notre contexte, et de nous réformer.

En ce qui concerne la volonté, ce que j’entends souvent de nos contemporains c’est la difficulté de choisir, particulièrement dans cette vie si fluide, rapide, complexe qu’est la vie contemporaine. Peur de mal décider, peur de décider, peur d’être déçu, petit tiraillement de conscience ou situation tragique, et cette idée lancinante que rien ne devrait faire obstacle à MA liberté. Pour reprendre ce que dit Luther : comment vivre le fait d’avoir reçu le libre vouloir, comment faire pour élaborer un propre vouloir qui ne devienne pas diabolique mais source de bien ?

Cette troisième demande du « Notre Père » est essentielle car elle fait charnière entre les premières demandes qui concernent Dieu et les demandes suivantes qui concernent notre vie et ses difficultés d’aujourd’hui. Cette prière : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » articule les deux. Elle espère une projection de ce qu’est Dieu dans notre sphère : que cette bonté et cette grandeur, ce jaillissement de joie et de vie infusent dans notre existence, ressuscite notre vie, réjouisse notre monde.

L’affirmation théologique que pose ici Luther est essentielle : La volonté de Dieu est à mil pourcents bonne pour ce qu’elle touche. Nous pouvons être dans la confiance en cette bonté radicale, transcendante. Nous pouvons facilement tomber d’accord avec Luther sur ce point. C’est ce que dit également Jean dans l’introduction à sa première lettre : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, concernant la parole de vie... et que nous vous annonçons, c’est que Dieu est lumière, et qu’il n’y a point en lui de ténèbres. » (1 Jn 1:1-5).

Ensuite, notre chaud bouillant Luther fonce, vitupère : la volonté de Dieu est la meilleure de toute (d’accord) et notre prière consiste à implorer la destruction de notre propre vouloir, car le seul bon vouloir pour nous c’est quand il n’y a pas de vouloir pour laisser toute place à la parfaite volonté de Dieu. Là : je pense que Luther va trop loin, même si je comprends sa démarche : comme quand on veut redresser la page cornée d’un livre, il faut exagérer en pliant dans l’autre sens afin que finalement le coin de la page puisse tenir à sa juste place.

Pourtant, à l’appui de ce que dit Luther, Jésus lui-même n’a-t-il pas terminé sa prière dans l’angoisse et les larmes et disant à Dieu « que ta volonté soit faite et non la mienne » ? Cette prière de Jésus à Gethsémanée est effectivement à lire en parallèle du « Notre Père » comme une illustration par la pratique de Jésus lui-même. Mais sa prière est plus complexe qu’un appel à saborder notre volonté propre dans la soumission à Dieu. Jésus commence par :

C’est normal, selon la Bible, que l’humain, comme le Christ, puisse avoir sa propre volonté, qu’il ait même pour vocation d’avoir sa propre volonté puisque l’humain est créé à l’image de Dieu. Luther sait cela, bien entendu, seulement : Luther est bien connu pour considérer que la volonté de l’humain, sa sagesse, sa capacité à faire le bien ont été totalement ruinées par le « péché originel ». Cette théorie adoptée par Luther est difficilement pensable, à mon avis, et en ce qui concerne Luther elle est sans doute à nuancer car nous le voyons ici convenir qu’il peut y avoir du bien dans la volonté de l’humain puisqu’il dit que même dans ce cas il est bon de prier cette demande du « Notre Père » afin de laisser Dieu améliorer notre volonté par la sienne qui est infiniment meilleure. Cela tempère l’idée que l’on se fait de la vision de Luther sur l’âme humaine qui serait radicalement pourrie. Il s’agit plus d’une pédagogie de Luther, dans son style. La question est de briser ce péché ou plutôt cette faiblesse ordinaire qui consiste à idolâtrer sa propre volonté et à avoir du mal à la voir être contrecarrée, ou même à faire l’objet d’amendements ou de compromis. En ce sens, cette demande du Notre Père me semble excellente, utile et juste. Elle nous permet de faire des projets personnels d’une belle façon en marchant avec Dieu comme la Bible le dit de Noé, d’Abraham, et encore de Jacob. La façon qu’a Jacob de marcher avec Dieu est emblématique : Dieu le libère en lui disant d’avancer en confiance sur le chemin qu’il choisira parce que Dieu l’accompagnera pour l’aider si besoin est. C’est ainsi que le « Notre Père » nous aide. Dans une confiance en Dieu qui rend à la fois hardi, inventif et humble. Une prière qui libère pour se poser les vraies questions, recevoir parfois de Dieu des pistes nouvelles, avoir le courage de choisir, d’améliorer, de se réformer. Forger ainsi avec Dieu notre volonté propre et voir comment l’articuler avec la volonté des autres qui sont nommés dans le « Notre » du « Notre Père ».

Il y a autre chose de déterminant dans la prière de Jésus à Gethsémanée pour éclairer le « Que ta volonté soit faite » du «Notre Père » c’est le « Mon Père, si c’est possible... Mon Père si ce n’est pas possible » tragique de Jésus. Il sait, bien sûr que sa propre volonté de vivre est bonne, Jésus pense que Dieu a également pour volonté que ceux vers qui il est envoyé le respecteront (Matthieu 21:37). Et pourtant, cela ne sera pas possible. Il arrive que la volonté de Dieu ne soit pas faite. Ici, c’est la volonté mauvaise de l’humanité qui la met en échec pour un temps, avant que Dieu rebondisse, si je puis dire. Mais parfois sa volonté est en train de se faire et elle n’est simplement pas encore achevée. C’est ce que dit cet autre récit où Jésus rencontre un homme aveugle de naissance. Jésus nie que ce handicap soit dû au péché humain, il y voit par contre un lieu où la volonté de Dieu doit encore se manifester. C’est bien que sa volonté n’est pas encore faite, de sorte que cet homme puisse voir. Jésus pose le fait que la création est inachevée, et il ajoute ensuite « Tant qu'il fait jour, il faut que nous accomplissions les œuvres de celui qui m'a envoyé ». Qui est ce « nous » dont parle Jésus ? Ce nous c’est toute personne mobilisée par l’appel lumineux du Christ. Ce nous, c’est l’humanité travaillant en équipe avec Dieu dans la poursuite de la création du monde. Ce n’est pas une « réparation du monde », c’est une poursuite de la genèse du monde, tournée vers l’avenir. Cette idée de création continuée est présente dans de multiples passages de la Bible, des Psaumes(121), des paroles de Jésus comme ici ou quand il affirme que «mon Père n’a pas cessé d’agir jusqu’à maintenant » (Jean 5:17) Cette conception est également exprimée par des penseurs juifs comme Philon d’Alexandrie, elle est aussi celle de chrétiens comme Clément d’Alexandrie disant que « si Dieu venait à cesser de créer le bien, il cesserait au même instant d'être Dieu. »(6e Stromates, XVI), par Augustin, bien sûr (dans son commentaire littéral de la Genèse IV.12 :23 où il parle de « création continue » par Dieu), jusqu’aux théologiens comme Bergson, Theillard de Chardin et Jürgen Moltmann (Dieu dans la création VIII)...

Il y a là un point essentiel de compréhension du mal dans le monde. Nous ne prions pas Dieu malgré le mal qui existe dans le monde mais au contraire nous le prions parce que le mal nous horrifie et qu'il est la solution à ce scandale. Il est la volonté puissante qui s'oppose au mal et à la souffrance partout dans l'univers, transformant patiemment et en profondeur toute chose.

La prière « que ta volonté soit faite » est à mon avis triple : (1) y puiser une confiance dans la poursuite de Dieu dans son œuvre de création, (2) une confiance pour qu’il nous aide afin que par notre folie nous ne gâchions pas tout. Il y a encore plus. Dieu poursuivant sa création, a choisi à un certain moment de considérablement complexifier et embellir ce processus de création avec des partenaires créateurs : l’humain à son image. Comme le dit Jésus dans son « il faut que nous accomplissions les œuvres de celui qui m’a envoyé », comme le dit l’apôtre Paul «par Dieu, nous sommes ouvriers ensemble avec Dieu » (1 Corinthiens 3:9).

Être créateur est plus qu’une permission, c’est une mission, à l’image de Dieu, comme fils et fille de « Notre Père ». (3) Prier «que ta volonté soit faite » est prendre personnellement le « il faut que nous accomplissions les œuvres de celui qui m’a envoyé ». Ce « nous » est alors moi aussi, en équipe. Il est un appel à projet et à se coordonner. Car c’est cela qu’apporte à la création le fait que la volonté de Dieu ait été de se donner des partenaires créateurs. Même Dieu ne pourrait pas écrire une cantate de Bach (même Google ne sait qu’en produire de pâle copies dans le style). Il a fallu attendre Jean-Sébastien Bach pour avoir de la musique de Bach. C’est comme cela que nous, notre volonté et nos projets sont indispensables pour que la volonté de Dieu soit faite en foisonnant sur notre petit bout de terre. Cela dit notre infinie valeur et cela nous replace dans un projet plus vaste dont nous sommes des équipiers. Avec une chance supplémentaire d’être plutôt bon dans ce que nous ferons en priant en vérité « Notre Père qui est aux cieux, que ta volonté soit faites sur la terre comme au ciel ».

Amen.

 

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot

 

Lecture de la Bible

Matthieu 6:9-13

9 Voici donc vous priez :

Notre Père qui est dans les cieux !
Que ton nom soit sanctifié,
10 Que ton règne vienne,
Que ta volonté advienne, sur la terre comme au ciel.

11 Donne-nous, aujourd'hui, notre pain pour ce jour,
12 Remets-nous nos dettes,
comme nous aussi nous l'avons fait pour nos débiteurs,
13 Ne nous fais pas entrer dans l'épreuve
mais délivre-nous du Mal.

Car c'est à toi qu'appartiennent, dans tous les siècles,
Le règne, la puissance et la gloire.
Amen !

Matthieu 26:36-44

36 Jésus arrive avec eux au lieu dit Gethsémani et il dit aux disciples : Asseyez-vous ici, pendant que je m'éloignerai pour prier. 37 Il prit avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée. Il commença alors à éprouver la tristesse et l'angoisse, 38 et il leur dit : Je suis triste à mourir ; demeurez ici et veillez avec moi. 39 Puis il s'avança un peu, tomba face contre terre et pria ainsi : Mon Père, si c'est possible, que cette coupe s'éloigne de moi ! Toutefois, non pas comme moi, je veux, mais comme toi, tu veux. 40 Il vient vers les disciples, qu'il trouve endormis ; il dit alors à Pierre : Vous n'avez donc pas été capables de veiller une heure avec moi ! 41 Veillez et priez, afin de ne pas entrer dans l'épreuve ; l'esprit est ardent, mais la chair est faible. 42 Il s'éloigna une deuxième fois et pria ainsi : Mon Père, s'il n'est pas possible que cette coupe s'éloigne sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! 43 Il revint et les trouva encore endormis ; car ils avaient les yeux lourds. 44 Il les quitta, s'éloigna de nouveau et pria pour la troisième fois en répétant les mêmes paroles.

Jean 9:1-5

1 En passant, il vit un homme aveugle de naissance. 2 Ses disciples lui demandèrent : Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle ? 3 Jésus répondit : Ce n'est pas que lui ou ses parents aient péché ; c'est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui. 4 Tant qu'il fait jour, il faut que nous accomplissions les œuvres de celui qui m'a envoyé ; la nuit vient où personne ne peut faire aucune œuvre. 5 Pendant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.

(Traduction : voir NBS)