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Culte du dimanche 8 mai 2016
et souvenir des morts de la 2nde guerre mondiale
prédication du pasteur Marc Pernot
David est manifestement dans une profonde détresse et sa prière, depuis quelques trois mil ans, nous aide à prier dans nos peines physiques, psychiques, sociales, dans nos combats.
David essaye tout pour essayer de convaincre Dieu de lui venir en aide :
Les plus grands spécialistes de la prière diront peut-être que ça ne se fait pas, qu’on ne prie pas ainsi. Pas de menace, pas de flatterie, pas de chantage, pas de misérabilisme, pas de fausse modestie... ni avec Dieu ni avec personne d’autre. Et pourtant, ce Psaume 6 est bien dans la Bible et il montre que David est exaucé à la fin de cette prière (v.9b-10).
N’hésitons donc pas à prier, et même si notre prière était toute de travers, il conviendrait d’autant plus de prier car prier est comme ouvrir la porte au médecin de notre âme. David en a bien conscience quand il dit « Fais-moi grâce, guéris-moi, Éternel ! » (v.3). Son souffle est étranglé, il n’arrive même pas à finir cette plainte « Et toi, Éternel ! Jusques à quand ?... », qui se termine en sanglots. Il constatera bientôt que Dieu a entendu la voix de ses larmes. Claudel traduit ainsi le témoignage de David à la fin de ce Psaume : « Le Seigneur a entendu la voix tout bas de mes pleurs ! Ô miséricorde divine à la rencontre de mon désespoir ! Il a pris dans ses mains ma prière pour la respirer... »
Son souffle, sa prière était mourante. Sa théologie vacille aussi diront peut-être les théologiens quand ils entendent dire à David que les morts sont dans le néant. La théologie chrétienne traditionnelle affirme qu’au contraire les morts chantent plus que jamais les louanges de Dieu, accompagnés même par un chœur d’anges. Qui a raison, David ou la courant majoritaire du christianisme ? Personnellement, je pense que la vie personnelle continue après la mort, mais en vérité, personne n’en sait rien, personne ne peut même imaginer comment nous pourrions vivre au-delà de la mort de notre corps. Nous verrons bien quand nous y serons.
David a en tout cas raison sur ce point : nous, ici, nous n’entendons plus la voix de ceux qui sont morts. À moins que des vivants en ce monde fassent entendre leur voix. Et c’est essentiel. Car si une personne, un peuple qui ne prie plus a comme perdu son souffle. Une personne, un peuple sans mémoire des morts a comme perdu son ossature, et son être est tout tremblant, comme le dit David, perdant son ossature, il est comme un peu d’eau versée sur du sable.
Éprouvé, David ressent tout d’un coup ce qu’est la mort. Il ressent une vraie peur de mourir. Ce qui le bouleverse n’est pas tant de quitter ce monde, car de toute façon il semble déjà avec perdu toute raison d’être joyeux. Mais ce qu’il ressent c’est l’incroyable gâchis de la mort, faisant perdre à ce monde la louange de ceux qui ne sont plus.
Frémissement, détresse devant cette inimaginable perte de ces voix éteintes, de ces louanges à la beauté de la vie, de ces louanges à Dieu, gâchis de voir se perdre la mémoire d’engagements, d’amours, de gestes et de paroles qui ont rendu la vie plus belle, qui ont soulagé des peines, qui ont libéré des opprimés, qui ont donné du souffle à celui qui en manquait.
David, apparemment, repasse dans sa mémoire des êtres chers dont la voix s’est éteinte. Alors que, parfois, la mémoire d’un tout petit geste qui nous a frappé alors que nous étions enfant suffit à nous rendre meilleur, suffit à nous guérir. Il peut y avoir ainsi, dans la mémoire, une incroyable beauté, une prodigieuse fécondité.
Car, qu’est-ce que la louange ? Littéralement, en hébreu, c’est « prendre en main » un événement du passé. Prendre en main ce qui a été pour nous un germe d’évolution, de guérison, de réconciliation, de construction. Prendre en main ce qui a été de l’ordre de l’action divine créatrice.
C’est vrai qu’une personne morte ne parle plus et n’agit plus en ce monde. Mais par la mémoire il est encore possible de prendre en main quelque chose de cette personne qui peut encore être source de vie en ce monde. Et alors, par notre mémoire, oui, les morts peuvent encore faire louange à Dieu, peuvent encore élever la vie.
Bien sûr il y a un travail à effectuer pour que cette mémoire soit effectivement source de vie. La Bible parle de ce travail de façon imagée. Elle en parle souvent à travers l’image de moissons ou de vendanges, suivies du vannage du blé pour ne garder que le bon grain et éliminer la paille, ou le pressage des grappes pour ne garder que le bon jus, vient ensuite l’image de la fermentation pour donner ce qui est alors source de « nourrissement » et de « mise en joie » de notre être. Il y a ainsi deux étapes essentielles dans ce travail de mémoire pour que les morts soient encore source de vie.
La première est une étape de large récolte suivie d’un tri. Ce travail demande de la lucidité et de l’amour. C’est à l’image du jugement de Dieu, ce que David appelle ici la grâce de Dieu et sa tendresse, pour garder le meilleur sans se laisser contaminer par le moins bon. Pour cette étape nous avons comme outils la théologie, la philosophie, du bon sens et le cœur. Nous avons aussi le débat entre nous et la prière pour laisser Dieu élever notre regard et peut-être se sentir moins mis en danger dans cette plongée dans la mémoire.
La seconde étape est plus mystérieuse, elle est de l’ordre de la fermentation. Reprenant le meilleur sélectionné dans la première étape et le transformant en nourriture délicieuse, bienfaisante et réjouissante. C’est un travail proprement divin. Un travail qui se fait dans la prière pour que Dieu lui-même insuffle cet esprit qui fera lever la pâte, et transforme un grain de mémoire en pain de vie.
Alors notre être, même tout tremblant et ayant perdu son souffle, peut prendre des forces. Nous en avons bien besoin, évidemment et la détresse de David évoque pour nous bien des détresses présentes sans que nous ayons à nous forcer, notre détresse mais aussi celle de nos proches, détresses de notre pays, et celles de notre humanité, celle de notre église et des religions...
Comme le reconnaît David, notre détresse présente est parfois ou en partie conséquence de notre faute, individuellement ou collectivement, par nos actions ou par notre manque d’engagement. David voit dans ses ennuis une possible punition de Dieu. Certainement pas, car Dieu n’est par définition même que source de vie et de bonté. Mais la vie fait souvent payer cash nos erreurs. Alors comment les éviter ? Nous ne sommes que des enfants, et notre vie est si courte que nous ne pouvons pas prendre le temps de faire toutes les erreurs et toutes les bonnes choses afin de nous faire nous même une pleine expérience de la vie. Pour avancer, pour grandir, pour apprendre, nous avons besoin de l’expérience des autres, des autres peuples, des autres personnes, mais surtout du trésor immense des générations et des civilisations passées, car la distance elle-même nous aide à avoir le recul nécessaire. Que ce regard sur les vivants et cette mémoire de nos morts soient ainsi transformés en louange, nous permettant de prendre en main les germes de vie divine qu’ils recèlent, et que cela nous libère pour vivre.
C’est donc un travail de mémoire bienveillante ET spirituelle que nous pouvons faire. Cela décuple, cela fait caisse de résonnance pour ce qui est source de vie et « écarte ce qui est source d’injustice », comme le propose David.
Alors oui, à travers nous, à travers un monde qui se portera mieux, les vivants et les morts célèbreront encore la source de vie, l’Éternel.
Mais pour que cela soit vrai, l’entête de ce psaume, sur lequel on a tendance à passer trop vite, nous donne de précieuses indications, comme un mode d’emploi.
Ce Psaume nous permet d’être vainqueur, dit cet entête, il a pour but de nous amener à l’accomplissement (« Εἰς τὸ τέλος » comme le traduit la Bible des Septante), avec l’aide de Dieu. Mais pour cela il faut jouer la musique de ce Psaume « sur les huit cordes ». Précieuse indication, bien plus mystérieuse pour nous aujourd’hui que pour les lecteurs de l’époque, habitués à cette symbolique. Par exemple tous savaient pourquoi les garçons devait être circoncis « le 8e jour » exactement et que ce jour était si important qu’il primait même sur le caractère sacré du Sabbat le 7e jour.
Car le 6 évoque le monde matériel, et donc notre corps. Le 7 évoque la bénédiction de ce monde matériel par Dieu, et donc l’effort de mettre nos moyens et nos forces au service du spirituel pour qu’ils deviennent une bénédiction en ce monde. Le 8 évoque la sortie de ce monde matériel, l’accès à la transcendance, à la mystique, à la contemplation de Dieu, aux idéaux purs.
Pour avancer vers le but, la tentation est forte de n’agir que sur le plan matériel, ce serait ne jouer que sur les 6 premières cordes. L’action en ce monde se fait alors par la seule solidarité humaine, par de beaux projets de construction et par la lutte contre les méchants, les catastrophes, l’injustice... C’est très bien, mais cela ne suffit pas, cela ne permet pas d’être vainqueur, même si c’est pétri de bonnes intentions.
C’est ainsi que bien des victoires matérielles, militaires, sociales, éducatives... se sont transformées en terribles catastrophes, comme tous ces traités de Versailles, ces bombardements de Dresde ou d’Hiroshima, ces « victoires » sur la barbarie de Sadam Hussein ou de Kadhafi, combien de plans banlieues, de réforme de l’enseignement, d’investissement réussis qui se révèlent terriblement destructeurs.
Pour avancer vers le but, il faut jouer aussi sur la 7e corde, ajouter du spirituel, de la bénédiction, de la prière, du levain dans la pâte de ce monde. Et c’est d’autant plus indispensable que l’on croit devoir agir activement en ce monde. Faire place à une dimension spirituelle dans nos projets. Faire de notre travail de mémoire une œuvre bienveillante, intelligente mais aussi spirituelle, dans la méditation et dans la prière. C’est la mission particulière de chaque croyant pour la société, et un service qu’il rend à sa famille, à son peuple et à l’humanité.
Mais jouer sur 7 cordes est encore travailler dans le monde, avoir le monde pour visée, même au travers du spirituel. Il faut jouer sur les 8 cordes, nous dit ce Psaume de David. Jouer de la 8e corde est chanter la louange de Dieu, le contempler... pas seulement pour trouver l’action juste, mais le prier pour le seul bonheur de l’aimer et d’être avec lui ou de l’espérer, ou pour la joie de se souvenir de ce qu’il nous a déjà donné comme accomplissement.
C’est si profond et vrai, qu’il y a toujours eu la tentation de se retirer du monde et de ne plus jouer que l’intégrale des sonates pour 8e corde seule. C’est sympa, mais cela ne mène pas à l’accomplissement, cela ne rend pas vainqueur de l’asthénie du souffle, ni de l’ébranlement de notre ossature. Pour cela, il faut jouer sur les 8 cordes, sans en négliger aucune. Ni l’action en ce monde ni la pure contemplation, ni le dialogue entre les deux.
Jouant sur les 8 cordes, notre existence peut alors reprendre souffle, inspirant et expirant un souffle de vie. Nous dit ce Psaume de David. Il peut alors surgir de notre mémoire le chant des louanges de tout ce qu’il y a de créateur dans nos héros présents et passés, anonymes ou célèbres. Alors l’Éternel peut faire quelque chose de nos vraies larmes, qui ne sont plus des larmes de crocodiles. Et ces ennemis que nous désespérions de voir écrabouillés, nous les voyons subitement prendre conscience de ce qu’ils font, en être remués, et se réformer tout à fait. Alors même nos maladies, nos catastrophes, nos échecs et notre peur peuvent se convertir en élan de bonté et de joie de vivre, élan de service et de louange.
Alors là, oui, nous serons vainqueurs. Et nous pourrons chanter la louange de celui qui, toujours fait des miracles.
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Au chef de chœur.
Avec instruments à cordes.
Sur les huit cordes.
Psaume de David.
2 Éternel ! ne me punis pas dans ta colère, Et ne me corrige pas dans ta fureur.
3 Fais-moi grâce, Éternel, car je dépéris,
Guéris-moi, Éternel !
Car mes os sont tremblants. 4 Mon être est toute tremblant,
Et toi, Éternel ! Jusques à quand ? ... 5 Reviens, Éternel ! Délivre mon âme, Sauve-moi, à cause de ta tendresse.
6 Car dans la mort, on ne se souvient pas de toi, Qui te célèbre dans le séjour des morts ?
7 Je m'épuise à force de gémir, Chaque nuit je trempe mes draps, J'arrose mon lit de mes larmes.
8 Mon œil est rongé par l’irritation, Il est vieilli par tous mes oppresseurs.
9 Écartez-vous de moi, vous tous qui commettez l'injustice !
Car l'Éternel a entendu la voix de mes larmes, 10 L'Éternel a entendu mes supplications, L'Éternel accueille ma prière.
11 Tous mes ennemis, saisis de honte, sont remués, Ils reviennent, soudain couverts de honte.
Qui nous séparera de l'amour de Christ ?
La tribulation, ou l'angoisse,
ou la persécution, ou la faim, ou le dénuement, ou le péril, ou l'épée ?
36 Selon qu'il est écrit : A cause de toi, l'on nous met à mort tout le jour. On nous considère comme des brebis qu'on égorge.
37 Mais dans toutes ces choses, nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés.
38 Car je suis persuadé que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les dominations, ni le présent, ni l'avenir, 39 ni les puissances, ni les êtres d'en-haut, ni ceux d'en-bas, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Christ-Jésus notre Seigneur.
(Cf. Colombe)