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13 octobre 2024 au temple de Vandœuvres
prédication du pasteur Marc Pernot
L’humain a pu établir un pouvoir presque illimité sur les choses grâce à des prodiges d’ingéniosité et d’immenses efforts. L’humain cherche aussi à établir son pouvoir sur les autres. Mais il y a un domaine où notre pouvoir est très très réduit : c’est le pouvoir sur notre propre personne, notre propre vie. Qui est en réalité le chef dans notre vie ?
L’Ecclésiaste regarde, ce qui est une excellente démarche. Il fait le point en profondeur. Comme ancien roi de Jérusalem, il est un expert sur la question du pouvoir et de la sagesse. Son premier constat : « Voici ce que j'ai vu sous le soleil : à la place du droit, là est la méchanceté ; à la place de la justice, là est la méchanceté. »(3:16)Aïe. C’est bien entendu exagéré, mais n’est-ce pas un peu vrai quand même ? C’est une question posée à notre introspection, d’abord, et aussi à notre observation du monde. Qu’est-ce qui joue dans nos prises de décision ? Comment évaluons-nous ce qui est bien et mal ? Est-ce par égoïsme ou altruisme ? C’est naturel de nous poser cette question, car ces deux intentions existent dans tout corps vivant. Il ne pourrait subsister sans la recherche de nourriture et sans l’instinct de survie de chacune de ses cellules. En même temps, nul être vivant ne peut subsister seul, et donc partout il existe de la symbiose. Jusque chez les végétaux : la recherche scientifique a prouvé que dans ce corps qu’est une forêt, des arbres peuvent faire preuve de solidarité en partageant de leurs précieuses ressources avec des parties de la forêt qui en manquent via leurs racines et le mycélium.
Cette question de l’égoïsme et de l’altruisme est une question de juste mesure, c’est une question de choix puisque nous sommes un animal pensant, c’est une question d’inspiration puisque nous sommes un animal spirituel. C’est cela qui devrait être au siège de notre discernement.
La méchanceté que déplore l’Ecclésiaste est à un autre niveau : c’est chercher à nuire à l’autre, consciemment ou inconsciemment, et cela aussi est naturel, en tout cas dans une harde de sangliers en concurrence entre eux. C’est pourquoi la méchanceté surgit si facilement en l’humain : comme une régression, un retour à l’état primal. Comment faire ?
L’Ecclésiaste nous propose premièrement de chercher à examiner nos motivations profondes, « voir », voir par soi-même ce lieu du discernement en nous : qui se trouve là, aux commandes de notre organe interne d’évaluation et de choix ? Reconnaître quand de la méchanceté existe. Ce n’est pas une accusation, c’est simplement nous examiner comme un médecin fait une analyse de notre sang : c’est afin de ne pas passer à côté d’une infection sans la diagnostiquer. L’Ecclésiaste nous propose de faire une analyse de notre discernement en vue de bons soins.
L’Ecclésiaste poursuit son analyse : «Je suis revenu, moi, et j'ai vu toutes les oppressions qui se commettent sous le soleil. Et voici : les larmes des opprimés – et personne pour les consoler. » (4:1)
« Je suis revenu », cette expression n’est pas un détail, le verbe hébreu « shouv », revenir, est celui de la conversion. « Je me convertis » : il s’agit d’un changement de perspective, d’un changement dans ce que nous cherchons par-dessus tout dans notre existence. L’Ecclésiaste témoigne de cela : grâce à ce début de connaissance de lui-même, son regard peut enfin se tourner vers l’extérieur de soi, ce qui est déjà aimer un petit peu. Son attention est attitrée, choquée par les oppressions, fruit de la méchanceté. C’est l’autre face de la méchanceté : ses conséquences sur l’humain et le monde. Il voit « toutes les oppressions ». Pas seulement les plus spectaculaires : toute oppression est comme un germe pathogène pour la Création entière.
Ce qui bouleverse l’Ecclésiaste, c’est de voir « Les larmes des opprimés et personne pour les consoler. Zéro. » Cela le prend aux tripes, le déprime totalement. Il est exceptionnel dans la Bible qu’une personne dise que la mort vaut mieux que la vie. L’Ecclésiaste va même plus loin : il dit qu’il préférerait n’avoir même jamais existé que de voir la détresse d’un opprimé qui n’a personne pour lui venir en aide. L’Ecclésiaste le dit comme on dit : il vaut mieux entendre ça que d’être sourd , car cette détresse est contraire à la vie, à toute vie.
Dans la langue biblique, cette observation des opprimés est introduite par un « et voici ! » tout à fait étonnant, car dans la Bible, cette expression « et voici » (vehinnéh) est en général la marque d’une nouveauté inattendue suite à un acte du Créateur de l’univers. Mais ici, il s’agit d’une surprise de l’ordre d’une monstruosité qui n’aurait jamais dû exister. Cette nouveauté bouleversante, elle est contre le bien, contre la justice, contre l’harmonie dans l’univers, contre toute paix : « Et voici : les larmes des opprimés – et personne pour les consoler ! »
Il manque un consolateur. L’Ecclésiaste ne dit pas qu’il manque un justicier, un moraliste, un théologien ou un vengeur. Il ne dit pas que la personne devrait se ressaisir avec ses propres forces mais, précisément, qu’elle a besoin d’aide : il manque un principe actif qui puisse être source d’une nouvelle création, d’un « Et voici !» salutaire pour consoler l’opprimé, chaque opprimé.
« Consoler », dans la Bible, ce n’est pas seulement remonter le moral : c’est plus global que cela, c’est faire que la personne soit en forme dans toutes ses dimensions. Cela a quelque chose à voir avec une conversion de la personne morale et spirituelle. Une conversion dont l’Ecclésiaste nous montre un chemin passant de l’introspection, à la compassion et bientôt au spirituel.
Que l’opprimé ait besoin d’être « consolé », soigné afin qu’il puisse se reconstruire, c’est évident. L’Ecclésiaste ajoute que «la force est dans la main de leurs oppresseurs – et personne pour les consoler !» La tournure de cette phrase peut laisser entendre que les oppresseurs aussi ont besoin d’un « consolateur » qui prenne soin d’eux afin qu’ils se portent mieux. Car ils sont porteurs d’un mal qui est le germe pathogène de la méchanceté qui trouble leur discernement. C’est ce que remarque Jésus face à ceux qui sont en train de le crucifier joyeusement : il prie pour eux : « Père, pardonne-leur, carils nesaventcequ’ils font . »(Luc 23:34). Il faut un principe actif qui soigne les opprimés de leur peine, d’un côté, et qui soigne les oppresseurs de leur méchanceté. Chacun de nous a besoin des deux, en réalité.
C’est ainsi que nous pourrons espérer une conversion de l’histoire, un retroussement de la situation comme on retrousse une chaussette qui est à l’envers.
L’Ecclésiaste poursuit son analyse, il « revient » encore, il se convertit plus profondément, cherchant ce qu’en réalité l’être humain poursuit comme but. Pourquoi la méchanceté ? Pourquoi opprimer et abandonner l’opprimé ? Pourquoi travailler au-delà du raisonnable ? L’Ecclésiaste a cette vision : tout cela est « futilité et poursuite du vent » (traduit parfois par « tout est vanité des vanités et poursuite du vent »). Cette expression est célèbre, l’Ecclésiaste la répète de nombreuses fois dans son livre. Elle est parfois lue comme une condamnation, comme si l’Ecclésiaste disait « tout cela est nul ». C’est à mon avis l’inverse.
Le mot hébreu traduit par « futilité » ou « vanité » est connu : c’est le nom d’Abel, fils d’Adam et Ève, tué par son frère : Caïn représente la force brute de l’humain, et Abel représente la partie spirituelle de l’humain avec ce nom, Abel, qui signifie la légère buée qui est devant notre bouche quand nous parlons et respirons l’hiver. « Abel », c’est donc tout l’inverse de la futilité, c’est l’expression de notre propre souffle intérieur, souffle de vie qui nous a été donné par Dieu.
On peut donc penser que l’expression suivante « la poursuite du vent » serait mieux traduite, littéralement, par « la recherche de l’Esprit de Dieu », soif de la « rouar » de Dieu, de cette puissance qui insuffle de la vie nouvelle.
L’humain a naturellement cette soif d’Esprit de Dieu, comme nos poumons ont soif d’oxygène. C’est une soif très profonde, viscérale. Soif de Dieu, ou pour le dire dans un langage non religieux : soif de ce qui augmente notre capacité à aimer authentiquement, c’est ainsi que Paul décrit cette soif de Dieu dans son hymne à l’amour (1 Corinthiens 13) et Jean dans sa 1 ère lettre (1 Jean 4:7-21) . Mais gardons ce terme de Dieu pour parler de cette soif essentielle, de cette « poursuite de l’Esprit de Dieu » dont parle l’Ecclésiaste ici comme étant le nœud de la question : car tout est dans ce souffle afin qu’il nous anime, comme Abel le juste, un Abel sauvé de Caïn, du sanglier que nous sommes aussi.
Que devient cette soif quand elle n’est plus orientée vers Dieu ? Cette soif peut devenir la recherche de faire de l’humain un dieu, avec ses techniques, sa prodigieuse intelligence, sa capacité à collaborer, et sa propre folie. Cette soif mal placée est derrière la méchanceté, derrière toute oppression, derrière toute frénésie de travail...
L’Ecclésiaste propose alors le modèle de la corde à trois brins. La solidarité humaine permet de se tenir chaud, de se soutenir, c’est essentiel, mais à cette corde à deux brins, l’Ecclésiaste ajoute un troisième brin, celui de l’éternité, celui de l’Esprit de Dieu. Pour la société : c’est un modèle à la fois solidaire et ouvert à l’élévation spirituelle. Une urgence pour notre monde aujourd’hui.
Chaque personne humaine a aussi cette structure de corde à trois brins : Le premier brin est notre corps, et c’est une 1 ère bénédiction. Nous avons une vie psychique, une sagesse, c’est une 2 e bénédiction. Nous avons enfin une âme, ce souffle, notre rouar, qui vient de Dieu, c’est la 3 e bénédiction : ces trois bénédictions sont sources de joie et de salut pour le monde.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
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3:16Voici ce que j'ai vu sous le soleil : À la place du droit, là est la méchanceté, à la place de la justice, là est la méchanceté…
4:1Je suis revenu, moi, et j'ai vu toutes les oppressions qui se commettent sous le soleil. Et voici : les larmes des opprimés – et personne pour les consoler ! Et la force dans la main de leurs oppresseurs – et personne pour les consoler !
2Moi, je déclare les morts qui sont déjà morts plus tranquilles que les vivants qui sont encore en vie, 3et plus heureux que ces deux-là celui qui n'a pas encore été et qui n'a pas vu l'œuvre mauvaise qui a été faite sous le soleil.
4J'ai vu, moi, que tout le labeur et tout succès d'une œuvre ne sont que jalousie de l'homme à l'égard de son prochain - cela aussi est futilité et poursuite du vent. 5L’insensé se tourne les pouces et mange sa propre chair : 6mieux vaut une pleine poignée de repos que deux poignées de labeur et de poursuite du vent. 7Je suis revenu, moi, et j’ai vu une futilité sous le soleil : 8voilà un homme seul, sans personne d'autre ; il n'a ni fils ni frère, et pourtant son labeur n'a pas de fin : son regard ne se rassasie pas de richesses. « Pour qui donc est-ce que je peine et prive mon être de bonheur ? » Ce n'est encore là qu'une futilité et une occupation mauvaise.
9Deux sont meilleurs qu'un seul, parce qu'ils ont une bonne récompense pour leur labeur. 10Car, si l'un des deux tombe, l'autre relève son compagnon ; mais quel malheur pour celui qui est seul et qui tombe, sans avoir un autre pour le relever ! 11De même, si deux se couchent ensemble, ils se tiennent chaud ; mais celui qui est seul, comment se réchauffera-t-il ? 12Et si quelqu'un maîtrise un homme seul, deux peuvent lui résister, et la corde à trois brins ne se rompt pas rapidement.