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Le sel peut-il devenir fou et la lumière obscure ?

(Matthieu 5:13-16)

(écouter, culte en entier, imprimer)

Dimanche 9 février 2020
À Genève - Saint Pierre
prédication du pasteur Marc Pernot

D ans cette courte prédication sous forme d’allégories, Jésus nous nous dit trois choses extrêmement positives sur la personne humaine et ses super-pouvoirs.

Cela fait deux super-pouvoirs. Et la 3ème qualité ? Elle pourrait passer inaperçue dans le texte, pourtant, quand la prédication de Jésus commence par un « vous êtes » inutile selon la grammaire, et qu’il le répète à deux reprises, cela nous fait sentir que nous avons là quelque chose d’important sur la personne humaine. Alors nous revient en mémoire que dans la Bible hébraïque le nom de Dieu est simplement « Je suis ».

Nous sommes de la race de « Je Suis » אֶֽהְיֶ֖ה

« Vous êtes » nous dit Jésus. Sans condition de performance, sans faire le tri dans les personnes de la foule des curieux qui l’écoutent commencer sa carrière de prédicateur. Et, disant cela, Jésus affirme que nous sommes tous enfants de ce « Je suis » qui est à l’origine de l’univers, que nous sommes de cette race-là, capable de faire émerger de l’être, d’inventer du neuf. Jésus nous dit ainsi que nous sommes des créatures capables de Dieu. C’est sachant cela que nous pouvons prendre courage pour entendre à quelle mission nous sommes appelés. Nous avons si vite peur : du néant nous environne, nous agresse, c’est vrai. Seulement, nous, nous sommes du côté de l’être.

Nous l’ignorons trop, comme dans ce texte où cette affirmation essentielle est souvent oubliée bien qu’elle soit placée par Jésus en premier et répétée.

Notre attention est vite distraite par ce qui est visible, la terre dont parle Jésus, et le cosmos immense et étoilé, nous sommes pressés d’en venir à ces pouvoirs que nous aurions, et nos devoirs peut-être, et à ce que Dieu fait pour nous aider. Ça c’est important. C’est vrai. Sauf que. Sauf que tout cela n’a de sens que sur cette base de théologie essentielle : la personne humaine participe à cette nature de Dieu qui lui permet de dire : « je suis ».

Jésus nous dit en préambule que nous avons reçu le don de dire « je suis ». Nous pouvons le dire tranquillement et nous pouvons le dire modestement puisque cela ne vient pas de nous, c’est un don de Dieu.

Trop souvent, hélas, nous perdons de vue cela. Parfois c’est parce que nous sommes accablés par le néant qui nous semble prendre le dessus sur notre être et sur le sens de notre existence. Nous pouvons nous rappeler alors ce « vous êtes » de Jésus, qui est à la fois à prendre personnellement comme je viens de le dire, et est à entendre aussi collectivement, ce « vous êtes » au pluriel me rappelle que je ne suis pas seul, que d’autres sont des « je suis », et qu’ensemble nous formons un corps.

Nous avons tant besoin les uns des autres et de Dieu pour nous rappeler que nous sommes ainsi.

C’est sur ce fond que Jésus parle de nous, de nos pouvoirs et de la bonne façon d’en user. C’est important de savoir avant cela que rien ne changera le fait que Dieu nous considère comme digne de dire « je suis ».

Cela nous apprend que nous n’avons pas besoin de dominer les autres pour cela. C’est une grande leçon. Pas besoin non plus de bâtir des pyramides pour le mériter, c’est une autre grande leçon.

Pour quelles raisons exercerions-nous alors ces deux super-pouvoirs dont Jésus parle ensuite ? Parce que cela fait partie de la beauté de la vie. Parce que c’est notre nature d’agir ainsi, nous dit Jésus. Comme l’eau n’a pas à ce forcer pour être mouillée, ni le feu pour être chaud. Jésus ne nous dit pas d’être salé, ni d’être lumineux, ni même de refléter la lumière du Christ. Jésus nous dit que notre nature est d’être personnellement : sel de la terre et lumière du monde.

Vous avez le droit de l’ajouter sur votre carte de visite ou sur votre profil, en dessous de vos prénom et nom : « sel de la terre, lumière du monde ». Car c’est vrai, nous dit Jésus. Et cela ne vient pas de nous, c’est un don de Dieu.

Nous sommes le sel de la terre

Jésus présente ici un premier pouvoir essentiel que nous avons. Et il ajoute tout de suite ce qui peut empêcher ce pouvoir d’être efficace. Les traductions parlent de l’éventualité que le sel devienne sans saveur, fade ou sans goût. Je pense que cela nous met sur une fausse piste. Quand Jésus désire parler de quelque chose qui a du goût, il parle de graines de moutarde. Par contre le sel n’a pas de goût, il est un exhausteur de goût. Quand on ajoute du sel, une soupe au choux ne prend pas le gout de sel, elle prend le goût de soupe au choux et une truite prend le goût de truite. Le sel disparaît à l’intérieur du plat pour en révéler le goût particulier.

Le sel a un autre pouvoir, c’est de conserver l’aliment et de tuer les germes. Essayez de poser une tranche de cabillaud sur le bord d’une assiette, au bout de trois jours seulement, ce sera une horreur, mais avec du sel, le cabillaud devient de la morue qui se conserve éternellement, pourrait-on dire.

De quoi le sel est donc ici l’image ? Qu’est-ce qui, comme le sel, s’efface pour mettre en valeur la qualité de l’autre, travaille à garder en vie le meilleur de l’autre, et élimine ce qui peut gâcher la vie de l’autre ? Cela s’appelle l’amour de son prochain, cette qualité d’amour que la Bible appelle l’ ἀγάπη.

Jésus dit que nous sommes le sel de la terre, que nous sommes nés avec cette capacité à aimer les autres. Comme le dit Jésus, cet amour est une force, une puissance.

Le sel n’a pas de saveur, il ne peut donc pas la perdre. Jésus le sait aussi bien que nous, la traduction « si le sel perd sa saveur » est maladroite. En réalité, il est marqué littéralement « si le sel devient fou ». Qu’est-ce que fait un sel devenu fou ? Quelque chose comme le méchant dont parle le Psaume 1er que Jésus cite quelques lignes plus haut dans les béatitudes : « Heureux l’humain qui ne marche pas selon le conseil des méchants, qui ne s’arrête pas sur la voie des pécheurs, qui ne s’assied pas en compagnie des moqueurs. » Le bon sel met en valeur ce qui est bon dans l’autre, et il élimine ce qui pourrait le pourrir, le sel devenu fou va chercher à mettre en valeur la mauvaise part de l’autre, afin de le ridiculiser, de l’abaisser, de lui pourrir la vie. C’est triste. La même capacité de discernement est mise soit au service de la vie soit au service du néant.

Si le sel devient fou, par quoi sera-t-il salé ? Impossible, la seule solution est de le jeter dehors et de le fouler aux pieds nous dit Jésus. Cela peut faire peur ? Pas du tout, au contraire. Les auditeurs savent ce que Jésus entend parla, le foulage au pied du raisin permet d’aller chercher le bon jus et d’éliminer ce qui n’est pas comestible dans les grappes. C’est donc encore une image de l’amour : ce que Jésus propose est encore et toujours de travailler dans le sens du bien, en allant chercher la moindre goutte de bien au cœur de cette personne dont le sel serait devenu fou.

Nous sommes la lumière du monde

C’est plus profond encore que le travail du sel, car la mise en lumière permet le discernement juste, avant de faire ensuite notre bon travail de sel de la terre.

Cette mise en lumière est la première étape de la création du monde nous dit la Genèse, pour Dieu, d’abord et pour nous également. Et pour d’autres autour de nous, qui rendront alors gloire à Dieu en s’associant à lui.

La bonne nouvelle est que nous avons déjà personnellement cette capacité de mise en lumière du monde autour de nous. Jésus ne nous dit d’aller au préalable chercher la lumière du Christ pour la refléter, c’est une autre question. Il ne nous dit pas d’être au préalable assez érudit, ce n’est pas non plus ici la question. Vous êtes déjà la lumière du monde nous dit Jésus, il parle donc a priori d’un pouvoir que nous avons naturellement, celui d’avoir un point de vue particulier qui met en lumière la beauté de la création de Dieu. Cette capacité est nichée dans notre personnalité et dans son histoire, quelle qu’elle soit. Ce côté personnel de notre lumière est bien précisé dans le récit de Pentecôte (Actes 2:3) avec la flamme de l’Esprit de Dieu qui se sépare pour être donnée par Dieu individuellement à chaque personne, faisant d’elle, selon la promesse, un prophète ou une prophétesse.

Ce super-pouvoir peut effectivement être activé, valorisé, et il peut au contraire être enfoui. Il existerait encore mais il n’éclairerait plus.

Comme Jésus évoquait une maladie possible de notre salinité, il parle d’une maladie possible de notre luminosité. Une seule chose, nous dit Jésus obscurcit la lumière d’une personne c’est quand on la met sous le boisseau. Jésus aurait pu choisir mil autres images, il aurait pu dire qu’on la met dans le placard, sous un pot, au fond d’un puits ou qu’on souffle sur la flamme de la lampe. Non, la seule maladie qui peut occulter la lumière d’une personne c’est un boisseau, cet objet qui sert à mesurer un volume de grain pour en déterminer la valeur sur le marché. Que veut dire Jésus par là ? Que dès lors que nous nous penchons vers la lumière d’une personne ou sur notre propre lumière, pour la jauger, nous n’avons rien compris à cette lumière et nous ne pouvons plus la voir. Personne ne pourra regarder ce monde comme vous le regardez, ce regard est aussi indispensable que tout autre regard.

Néanmoins, même sous le boisseau, même incomprise, la lampe n’est pas soufflée, la lumière est seulement enfouie, occultée pour nous qui avons tellement tendance à nous jauger, nous juger, nous comparer au lieu de simplement aimer un petit peu.

Au contraire, Jésus nous apprend ce qui valorise la lumière personnelle d’une personne, il cite deux choses :

1) Notre lumière peut-être comme une ville sur la montagne. Dans la Bible, la montagne évoque le culte et la prière qui nous relient à Dieu, sa louange. Chaque personne, par les multiples dimensions de sa vie est comme une ville aux multiples fenêtres et lumières. L’humanité entière forme comme une ville. Quand ces lumières sont en hauteur, nous ne valons pas plus, mais ces lumières rayonnent alors mieux et plus loin, croisant d’autres éclairages.

2) Notre lumière gagne à être posée « sur le chandelier », nous dit Jésus. Il ne parle pas d’un support ou d’un chandelier quelconque mais il dit bien LE chandelier avec un article défini : cela désigne sans ambiguïté la ménorah (מְנוֹרָה) « le chandelier » du temple de Jérusalem qui symbolisait la présence de l’Éternel au cœur de l’humanité. Cette 2 nde image complète celle de la montagne, cette fois-ci, c’est non plus l’élévation de l’homme vers Dieu par la prière, c’est le choix de faire confiance à Dieu pour nous porter, et qu’il en fasse ce qu’il voudra.

C’est un encouragement puissant à laisser briller nos quelques petits photons sur le monde qui nous entoure, sachant qu’avec l’aide de Dieu, ce sera utile et bon. Le sel fera le reste.

La religion : relire, se relier à Dieu, le ré-élire

En quelques images, Jésus dit notre extraordinaire dignité, nos super-pouvoirs et quelques mots sur leur mode d’emploi. Cela donne l’occasion à Jésus, comme en passant, de dégager trois fonctions utiles de la religion :

La religion nous permet de relire avec Dieu ce monde et nous même, c’est ce qu’évoque la mise en lumière et l’action du sel : une lecture approfondie pour valoriser le meilleur. C’est ce que soulignait Cicéron en disant que le mot « religion » a pour étymologie le verbe relegere.

La religion nous relie à Dieu, c’est ce qu’évoque la montagne (désignant le culte et la prière). C’est aussi ce que soulignaient Lactance et Tertullien en disant que « religion » a pour étymologie le verbe religare.

Enfin, la religion consiste à choisir de nous poser sur Dieu, c’est ce qu’évoque le fait de mettre notre lampe sur LE chandelier. C’est ce que Saint Augustin ajoute encore aux deux premières étymologies du mot religion avec le verbe re-eligere.

Bénédiction

Que notre lumière brille, que notre sel soit puissant et bon, de sorte que les humains qui nous entourent aient le bonheur d’en rendre gloire à Dieu.

Amen.

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot

 

 

 

Lecture Biblique :

Évangile selon Matthieu 5:13-16

C'est vous qui êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, avec quoi le salera-t-on ? Il n'est plus bon à qu'à être jeté dehors et foulé aux pieds par les humains.

14 C'est vous qui êtes la lumière du monde. Une ville située en haut d’une montagne ne peut être cachée. 15Et on n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. 16Que votre lumière brille ainsi devant les humains, afin qu'ils voient vos belles œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux.