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21
janvier
2024
Culte à l'église catholique de Cologny
prédication du pasteur Marc Pernot
Selon nos traductions de la Bible, Jésus commence son enseignement par cette annonce : « Les temps sont accomplis». Ce sont ses tout tout premiers mots dans cet évangile : il y a donc certainement là comme le programme de son projet de salut pour chacun. Nous retrouvons une annonce assez proche de l’apôtre Paul dans sa lettre aux Corinthiens disant « le temps est limité». Ces annonces semblent dire que nous sommes au bout du rouleau, que notre crédit de temps est épuisé, que le fond de la bouteille est atteint, que la fête est finie. C’est vrai que notre temps de vie en ce monde est limité, et qu’un jour cette planète où nous sommes n’existera plus. Mais ce n’est pas cela dont parlent Jésus et Paul. Ils ne parlent pas non plus de la fin des temps comme si nous étions à la fin de l’histoire, malgré les discours de prophètes de malheur annonçant la fin des temps pour tout de suite… sinon Jésus et Paul se seraient complètement trompé en annonçant cela puisque depuis 2000 ans sont passés.
Mais ce n’est pas de cela dont parle ici Jésus et Paul. Il n’y a nullement ici l’idée d’un temps limité mais de l’extraordinaire valeur de l’instant présent que nous vivons. En effet, dans ces deux textes le mot utilisé dans le grec de la version originale n’est pas « chronos» (χρονος) qui signifie en grec la quantité de temps, mais c’est le mot « kairos » (καιρός) qui signifie l’instant, le moment précis, l’occasion favorable.
L’annonce de Jésus n’est donc pas que nous n’aurions plus de temps, la question n’est précisément pas là, ce que dit Jésus c’est que le juste moment est arrivé. Il ne dit pas que ce rendez-vous serait pour bientôt comme chez le médecin on nous propose de passer quelques instants dans la salle d’attente. Jésus nous dit que nous sommes maintenant exactement pile à l’heure où Dieu nous reçoit dans sa vie : c’est le moment de notre résurrection. Ce n’est pas pour demain, ce n’est pas après notre mort. C’est maintenant. Jésus nous dit que c’est une bonne nouvelle pour nous, que nous pouvons avoir confiance, aucune peur.
Nous sommes à cet instant spécial, à l’heure au rendez-vous. C’est cela que nous dit le Christ « Le juste moment est exactement arrivé» : je pense que l’on peut dire que c’est cette bonne nouvelle est exprimée ainsi pour réjouir les Genevois : nous sommes là, arrivés à l’heure pile de notre rendez-vous divin, au kairos.
Le temps-durée, chronos, lui, continue son petit bonhomme de chemin. La question que pose Jésus c’est pas celle de la quantité de temps, mais celle de la qualité de l’instant présent que nous vivons, de le vivre avec une intensité particulière. Comment ? C’est ce que Jésus explique ici en quelques mots, qui sont comme un programme de son Évangile, de son salut pour nous.
Son annonce comprend deux fois deux expressions, les deux premières sont des choses que Dieu a déjà accomplies pour nous : « Le moment a été accompli ; et le royaume de Dieu s’est approché. », les deux suivantes sont à l’impératif, elles nous sont suggérées par Jésus : « Convertissez-vous ; et ayez confiance en la bonne nouvelle. »
Nous avons peut-être prié « que ton règne vienne»(Mt 6:10)… et bien nous y voilà, dit Jésus : c’est notre tour, Dieu prend soin de nous maintenant.
Ensuite nous avons donc les deux impératifs, c’est notre part dans le processus : « Convertissez-vous, et ayez confiance en la bonne nouvelle . »
Ni l’un (accéder à un nouveau niveau de conscience), ni l’autre (vivre l’instant présent non avec lassitude mais avec gourmandise et joie) ne sont faciles, c’est donc avec soulagement, pas de refus, que Dieu soit à ce rendez-vous maintenant pour nous aider.
Jésus n’est pas un grand amateur de théologie spéculative, même quand il utilise des images ou offre un geste, un signe : c’est pour nous parler de notre vie concrète. C’est le cas ici : l’instant présent, le rendez vous avec Dieu, sa puissance qui peut tout changer pour nous, un nouveau niveau de conscience, une confiance, et une joie qui surviennent. Tout cela est à vivre maintenant. Au moins comme un commencement. Chacun de ces points peut être médité et prié. Ce n’est alors pas une prière comme une liste de demandes adressées à Dieu, c’est plutôt se concentrer sur ces bons soins que Dieu veut nous apporter, sur ce niveau supérieur de conscience dont parle ici Jésus, sur cette confiance en la vie grâce à Dieu, et sur le fait qu’il veut pour nous la joie. Cette disposition d’esprit s’entraîne, c’est l’affaire d’un instant, le matin si vous êtes du matin, le soir si vous êtes du soir, dans la nature si elle vous inspire, en mangeant si vous êtes gourmand, dans le lit si votre couette est douillette, à l’hôpital si vous êtes soigné…
Quelle conscience supérieure pouvons nous attendre ? C’est ce que l’apôtre Paul explique ici aux Corinthiens.
Alors que Jésus invite à la confiance en Dieu et à la prière, Paul parle ici en philosophe de ce niveau supérieur de conscience dont parle Jésus. Ce n’est pas que Paul soit seulement un intellectuel, il est aussi un mystique sans que l’on puise dire ce qui est premier chez lui. Par exemple dans sa « conversion » sur le chemin de Damas, il y a une recherche qui le pousse et il y a cet instant où Dieu intervient dans sa vie, c’est l’un et l’autre qui font de lui l’apôtre Paul. Et c’est comme cela que Paul avancera ensuite, avec son travail théologique et l’œuvre de l’Esprit en lui, le tout portant de bons fruits dont nous profitons encore.
C’est donc intéressant que Paul parle ici en termes philosophiques de ce moment de conversion, de ce « changement de mentalité » évoqué par Jésus. Cela nous aide à comprendre, et cela montre que pour lui comme pour d’autres il est possible d’avancer aussi par un travail de philosophie pratique, un travail sur soi-même, un effort de lucidité, de sincérité, d’intelligence, d’approfondissement.
Paul nous dit : « Le moment est venu, désormais, que ceux étant mariés soient comme non mariés, ceux qui pleurent comme ne pleurant pas, ceux qui se réjouissent comme ne se réjouissant … car la figure de ce monde présent nous conduit à côté. » (1 Corinthiens 7:29-31)
Cette dernière phrase nous éclaire sur ce que Paul veut dire, je pense : « la figure de ce monde présent nous conduit à côté ». Là aussi, il semble que la traduction habituelle nous trompe en mettant « la figure de ce monde passe », cette traduction, là encore, nous mène sur la fausse piste de la question du temps qui passe et de notre quantité de temps limitée, alors que la question est celle de vivre pleinement l’instant présent. en effet, ce qui est écrit c’est que « le moment (le kairos) est venu, désormais, que… » nous ayons un nouveau niveau de conscience.
Nous sommes tirés de côté, décentrés. La question n’est pas d’abord de changer de vie ou de comportement, cela peut venir par la suite, mais maintenant, ce qui importe c’est d’abord d’être dans un autre niveau de conscience plus profond, alors que nous nous sommes tirés à l’écorce de notre être, sur sa partie visible.
Paul nous donne quelques exemples pour nous faire comprendre : « que ceux qui sont mariés soient comme non-mariés », il pourrait dire « que ceux qui sont célibataires soient comme non célibataires », parce que notre situation matrimoniale est une partie de notre façon d’être dans le monde mais nous sommes d’abord et avant tout une personne, à l’intérieur. De même, nous disons « je suis malade » alors que je suis une personne qui a une maladie, je suis une personne que je sois malade ou non, avec sa personnalité, et sa dignité pleine et entière. On parle d’une mère de famille, alors que ce n’est qu’une de ses caractéristiques, elle est une personne qui a eu un enfant, elle est d’abord une personne, elle était une personne avant d’avoir un enfant et ne serait pas moins une personne si elle n’en avait pas eu…
Paul parle de ce déplacement au cœur de notre être, à notre personne intérieure et non pas à l’image que nous avons en ce monde. Notre être est à l’intérieur, il n’est pas notre image. Reprendre souffle. Aujourd’hui, maintenant, nous sommes nous, et tels quels, nous sommes aimés de Dieu et il nous invite à un rendez-vous amoureux. Son amour nous permet de voir les choses autrement, de plus haut, par dessus notre incarnation, au delà du temps qui passe : être nous-même, vivant. Être dans l’instant juste, le présent et non dans un passé ressassé, pas dans des projection future pour l’instant. Être nous-même dans le présent et se savoir gardé, apprécié, et aimé, promis à un avenir.
Alors, nous pouvons retourner différemment faire quelque chose de ce temps que nous avons, vivre en couple, être joyeux ou triste, malade ou en bonne santé… et que ce soit notre personnalité qui se projette dans ce monde et non pas notre image supposée qui nous envahisse, ou qui nous déprimerait dès que quelque chose ne va pas comme nous l’espérerions.
Dieu vous bénit et vous accompagne
Amen
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Jésus vint en Galilée. Il proclamait l’Evangile de Dieu et disait :
15« Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché :
convertissez-vous et croyez à l’Evangile. »
Jésus alla dans la Galilée ; il prêchait la bonne nouvelle de Dieu 15 et disait : Le moment a été accompli et le royaume de Dieu s’est approché. Convertissez-vous, et ayez confiance en la bonne nouvelle.
Voici ce que je dis, frères : le temps est écourté. Désormais, que ceux
qui ont une femme soient comme s’ils n’en avaient pas,
30ceux qui pleurent comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui se
réjouissent comme s’ils ne se réjouissaient pas, ceux qui achètent comme
s’ils ne possédaient pas,
31ceux qui tirent profit de ce monde comme s’ils n’en profitaient pas
vraiment. Car la figure de ce monde passe.
Ce que je vous dit, frères (et sœurs), c’est que le moment est venu, désormais, que :
car la figure de ce monde présent nous conduit à côté.