( Psaume 23 ; Luc 10:25-29 )
(écouter l'enregistrement) (voir la vidéo ci-dessous)
Culte du dimanche 30 mai 2010
prédication du pasteur Marc Pernot
Voici un des textes les plus connus de la Bible, un des plus nourrissants, un des plus « utilisables », dans les bons comme dans les mauvais jours :
En lui-même, ce Psaume 23 illustre bien le bénéfice que nous apporte la prière dans notre vie. Mais comme souvent dans la Bible, le texte dit bien plus que ce que nous percevons en première lecture, et ce n’est pas parce que la première lecture de ce Psaume 23 est si nourrissante qu’il échappe à cette règle. Au contraire.
Penchons nous donc, avec gourmandise sur les mots de ce Psaume.
« L’Éternel est mon berger »
Ce n’est pas seulement une jolie petite image poétique, mais il y a une théologie, une philosophie et une éthique, tout cela en deux mots hébreux !
Cette théologie, c’est une conception de Dieu dont la nature même est de tout faire quotidiennement pour donner la vie à chacun, individuellement. Dieu est « mon » berger, dit le Psaume, et dans ce côté très intime, très personnel, il y a l’assurance que nous pouvons compter absolument sur Dieu. Il n’est pas seulement le berger de l’humanité, mais il est mon berger à moi, avec un lien fort, personnel, intime, de personne à personne, je suis sa priorité. Et en même temps, dans cette image du berger, il y a l’idée que Dieu est un être particulier. Le berger n’est pas une brebis qui serait un peu plus avancée que les autres. Cette image du berger insiste sur la transcendance de Dieu plus que ne le fait l’image du père, de la mère ou de l’époux que nous trouvons ailleurs dans la Bible. Peut-être qu’après avoir trop longtemps considéré Dieu comme étant seulement un peu plus grand et plus parfait que nous, peut-être faut-il nous rappeler que Dieu est unique, d’abord, mais qu’il est également unique en son genre.
Il y a aussi une philosophie dans le fait d’appeler Dieu le berger, une philosophie extrêmement utile qui répond à cette question qu’un scribe pose à Jésus : « qui est mon prochain ? », qui dois-je aimer, nourrir, accueillir, visiter ? Qui m’est confié en particulier pour que je l’aide ? Le Psaume 23 nous donne un élément essentiel de réponse à cette question. Mon prochain, ce n’est pas celui qui m’est proche, comme le mot français pourrait le laisser penser, ce n’est pas non plus celui qui s’approche de moi, ou celui dont je m’approche, non. Mon prochain, en hébreu, c’est celui qui a le même berger que moi, puisque c’est le verbe her (raa) « être berger » qui donne le mot « prochain » (réa). Considérer que Dieu est mon berger change tout pour répondre à cette question : « qui est mon prochain ? », car alors, tout humain est mon prochain, puisqu’il y a un seul Dieu pour l’humanité entière, il est nécessairement le Dieu, le berger de chacun en particulier, et tout homme, toute femme de l’humanité entière est par définition mon prochain. Cela fait voler en éclat bien des étroitesses d’esprit. Mon prochain ce n’est pas seulement mon concitoyen, ni ceux qui partagent les mêmes avantages catégoriels ou le même immeuble.
Dieu est le berger de chacun, et donc chacun est mon prochain. Cela peut sembler déraisonnable. Ça l’est certainement, car nous ne pouvons prendre sur nos épaules toute la misère du monde, ni même ressentir de la compassion pour toutes ces misères. Mais à cela aussi, le Psaume 23 apporte une réponse, celle de la vocation personnelle. Dieu est mon berger pour s’occuper de moi, il est aussi celui qui « oint d’huile ma tête », cette onction d’huile est signe à la fois de la bénédiction de Dieu et le signe d’une vocation personnelle que Dieu me donne, que Dieu donne à chacun, individuellement. C’est chacun que Dieu bénit et envoie en mission, c’est à chacun, que Dieu donne un cœur de chair pour qu’il se sente responsable de son prochain, ou plutôt d’un ou de quelques-uns de ses prochains, selon ses moyens, selon sa sensibilité, selon l’occasion. Je ne peux m’occuper de tous mes prochains, de toute personne de l’humanité, mais Dieu veut la bénédiction de chacune de ces personnes, et il faut donc, qu’en définitive, pas une seule de ces personnes ne soit oubliée. Alors, quelle part puis-je donc prendre ?
Le Psaume nous dit que Dieu a déjà oint d’huile notre tête, nous sommes donc littéralement christ, même si ce n’est qu’avec une minuscule, un christ et non le Christ avec une majuscule, nous sommes christ, nous avons reçu l’onction, nous dit le Psaume 23, nous appelant à prendre conscience de tout ce que nous avons reçu comme bénédictions, de tout notre potentiel de foi, d’espérance et d’amour, de la richesse de notre cœur, de notre âme, de notre force et de notre intelligence, et à prendre conscience, enfin, de notre vocation personnelle pour le service des autres.
Le Psaume s’ouvre ainsi sur une théologie, une figure de Dieu comme étant, par nature, attentionné pour chaque personne. C’est sa nature, et c’est la nôtre d’être à son image, attentionné. C’est une vocation, ce n’est même pas un devoir, ce n’est pas non plus pour remercier Dieu de ses dons, c’est juste parce que vivre c’est ça, parce qu’en prime il y a là le bonheur et la grâce, nous dit le Psaume, le bonheur d’être aimé par Dieu, le bonheur de recevoir de lui une vie vivante et belle, le bonheur de vivre ainsi de la grâce et d’être source nous-même d’un peu de bonheur et de grâce, personnellement, même un tout petit peu seulement, comme nous le pouvons.
Être à l’image de Dieu, être berger de quelques-uns, même si ce n’est qu’être berger l’espace d’un instant, à l’occasion d’un geste qui est source de bonheur et de grâce pour un seul de nos milliards de prochains.
Dans un sens c’est une vocation, c’est à dire un appel de Dieu, mais en même temps, Dieu fait appel à notre créativité. Il est créateur, être à son image, c’est donc être berger à notre façon, c’est porter notre propre fruit en notre propre saison, à notre propre rythme, comme le spécifie le Psaume 1er. Il ne faut donc en général pas attendre de Dieu qu’il nous désigne autoritairement telle mission, mais c’est à nous de lever les yeux et de nous sentir concerné par tel lieu d’engagement, telle personne, selon nos moyens, et savoir aussi faire le deuil de ne pas pouvoir aider tout le monde.
« Tu as oint d’huile ma tête », cette phrase est au passé, pas au futur. Contrairement à ce que l’on peut penser parfois aujourd’hui, ce psaume ne parle pas de la vie future, dans l’au-delà, mais de la vie présente. Quand on regarde bien, en effet, ce psaume termine sa description en disant qu’il durera ainsi « jusqu’à la fin de ses jours ». L’usage du futur est donc trompeur, il vaudrait mieux traduire au présent ces verbes : « l’Éternel est mon berger, je ne manque de rien, dès maintenant », et c’est maintenant que « le bonheur et la grâce m’accompagnent », que « le bonheur et la grâce me courent après », c’est maintenant que « je demeure dans la maison de l’Éternel »
« Tu as oint d’huile ma tête », il s’agit d’un verbe au passé, d’une action déjà accomplie par Dieu pour nous : ne le sentez-vous pas ? Déjà nous sommes incroyablement béni, éclairé par la foi, nourri, fortifié, déjà nous avons une force, une sagesse, une capacité à aimer, une envie de servir, d’arriver à faire de belles choses, l’envie d’être fidèle et bon… tellement que notre coupe déborde, nous avons tellement reçu que cette bénédiction déborde sur notre prochain.
Oui, le bonheur et la grâce m’accompagnent
Tous les jours de ma vie,
Et j’habite / je reviens
dans la maison de l’Éternel
pour la durée des jours.
Ce n’est pas une promesse abstraite, il s’agit d’un témoignage, d’une expérience de David. Et c’est ce qui fait la force de ce texte. Cette description n’est pas celle d’une vie idéalisée, mais de la vie d’un homme normal dans sa vie quotidienne. La preuve c’est que dans tout le Psaume, deux idées sont toujours associées, celle d’être en communion avec Dieu et celle de revenir vers Dieu, de se convertir, de progresser. Nous en sommes tous là. Et si le Psaume nous dit que le bonheur et la grâce nous accompagnent chaque jour, il parle aussi de la vallée de l’ombre de la mort, nous sommes ainsi en partie à l’image de Dieu, et en partie à l’image de l’obscurité et de la mort, nous sommes source de vie mais aussi source d’obscurité et de mort.
Mais il ne nous manque rien, dès maintenant, pour commencer à vivre et à vivre heureux. Il ne nous manque rien pour commencer à jouir de ce que Dieu nous a déjà donné, pour aimer avec ce cœur que nous avons déjà, pour aider ce prochain qui a déjà besoin de nous, et pour nous laisser aider par tel autre prochain.
Le début du Psaume évoque explicitement le paradis avec son herbe verte, et c’est pour maintenant. Le repos, l’abondance, la plénitude qu’apporte les tendres soins du berger évoquent la communion avec Dieu, et pourtant il est encore question de conversion : « l’Éternel restaure mon âme » dit la traduction, le texte littéral est plus cru : « Il convertit mon être ». Oui, nous sommes déjà dans le bonheur, oui, nous sommes déjà à l’image de Dieu, capable d’être berger, mais nous avons encore sacrément besoin de nous convertir, de changer. Et les temps d’abondance sont les meilleurs moments pour cela, nous dit le Psaume. C’est comme pour une entreprise, quand elle est dans une période faste, elle peut se réjouir et verser des dividendes à ses actionnaires, mais c’est une bonne idée d’investir une bonne part dans la recherche et le développement. Pour nous, quand tout va bien, quand nous sommes bénis (et nous le sommes vraiment), c’est une bonne idée de compter sur Dieu, de prendre du temps avec lui pour nous convertir, de prendre le temps d’aller trouver cette source d’eau vive, et de cheminer un petit peu dans ce qui est de l’ordre de la justice.
Dans les heures terribles du doute et d’obscurité, dans les temps de détresse et de péché, Dieu est là pour sauver les meubles, nous dit ensuite le Psaume. Dieu nous défend contre ce qui peut nous tuer (c’est le rôle du bâton, avec lequel le berger ne frappe pas ses brebis, même perdues, mais chasse les loups dévorants, Dieu nourrit aussi notre être pour le renforcer face à ces loups). Et Dieu nous guide pour nous aider à nous en sortir (comme un berger guide sa brebis avec sa houlette).
Dans les bons comme dans les mauvais moments, Dieu nous donne donc à la fois une stabilité et une mobilité. Une stabilité pour prendre conscience et garder le meilleur, le mettre à profit. Et une mobilité pour avancer, pour cheminer, progresser. Dieu nous fait reposer et il nous fait avancer. Il nous garde et il nous conduit.
Dans un superbe jeu de mot que seul l’hébreu permet, le psaume arrive à mettre dans le même verbe ces deux dimensions de l’aide de Dieu, ces deux dimensions de la vie humaine. En effet, le mot hébreu ytbv shaveti veut dire deux choses en même temps, à la fois « je demeurerai » et « je reviendrai » dans la maison de l’Éternel. Oui, les deux en même temps, et c’est la réalité. Car Dieu est cheminement, sa nature même est de transformer le mal en un bien supérieur ; de transformer le bien matériel en amour, en bonheur et en grâce ; de transformer le temps qui passe en opportunité de faire avancer les choses… Donc la stabilité de la communion avec Dieu est une mobilité, une dynamique de conversion. Tellement que notre coupe de bénédiction déborde.
Amen.
Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot.
Cantique de David.
L’Eternel est mon berger:
je ne manque de rien.
2 Il me fait reposer dans de verts pâturages, Il me dirige près des eaux paisibles.
3 Il restaure mon âme,
Il me conduit dans les sentiers de la justice, à cause de son nom.
4 Quand je marche
dans la vallée de l’ombre de la mort,
Je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi:
Ta houlette et ton bâton me rassurent.
5 Tu dresses devant moi une table,
En face de mes adversaires
Tu oins d’huile ma tête,
Et ma coupe déborde.
6 Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront
Tous les jours de ma vie,
Et j’habite / je reviends
dans la maison de l’Eternel
Jusqu’à la fin de mes jours.
Un spécialiste de la Bible se leva,
et dit à Jésus, pour l’éprouver:
Maître, que dois-je faire
pour hériter la vie éternelle?
26 Jésus lui dit:
Qu’est-il écrit dans la loi?
Qu’y lis-tu?
27 Il répondit:
Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu,
de tout ton coeur, de toute ton âme,
de toute ta force, et de toute ta pensée;
et ton prochain comme toi-même.
28 Tu as bien répondu, lui dit Jésus; fais cela, et tu vivras.
29 Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus:
Et qui est mon prochain?