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La foi chrétienne est aussi une philosophie,
pas seulement de l'émotion spirituelle

(Lettres de Jacques 1 et 3)

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26 septembre 2021
au temple de Vandœuvres
prédication du pasteur Marc Pernot

Cette belle église dans laquelle nous sommes portait à l’origine le nom de Saint Jacques, qui continue à se trouver dans l’emblème de la commune. Ce Jacques est un des 12 apôtres, frère de Jean, fils de Zébédée.

Mais le succès de Saint-Jacques et du chemin vers Compostelle doit beaucoup à un autre Jacques, le frère de Jésus, et à sa lettre exprimant une pensée en faveur d’une sagesse pratique, faisant du bien.

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Dimanche dernier, nous avons lu dans l’Évangile de Marc une forte invitation de Jésus à mettre au cœur de notre foi la pure relation à Dieu. Comment ? Certaines personnes sont très mystiques, c’est bien. D’autres personnes le sont moins, cela n’empêche pas de vivre par la foi d’une bien belle façon.

Le bénéfice de la prière peut être du sentiment religieux, celui d’être enveloppé par un amour qui nous dépasse totalement. Je dirais que 50% des fidèles que j’ai rencontrés ont été touchés par quelques chose de cet ordre. Une autre moitié des chrétiens vivent plutôt la prière comme l’exprime Jacques dans cette lettre : le bénéfice de la prière est de recevoir de la sagesse, de bénéficier d’une meilleure connaissance de soi-même, de se laisser libérer, instruire, créer dans cet exercice.

Il n’y a donc aucune honte à ne pas être un champion de l’émotion mystique.

Avoir bénéficié d’émotion dans la prière est appréciable, cela donne une intensité à l’engagement de la personne dans la foi. Cela peut aussi présenter un risque de se laisser entraîner vers n’importe quoi. Si cette émotion est vécue en groupe, le risque de manipulation est même assez élevé, et c’est pourquoi, délibérément, le culte protestant est plutôt dépouillé. Mais il y a un risque même quand c’est dans la prière personnelle, intérieure, car tant de voix s’expriment au fond de notre être. Donc même pour ceux qui ont la chance de vivre cette intensité de sentiments lors de la prière, la prière de sagesse dont parle Jacques est fondamentale. Elle permet de faire quelque chose d’effectivement bien de cette émotion mystique.

Et pour ceux qui ne vivraient pas cette émotion, ou de façon très diffuse ? Et bien, c’est leur façon d’être, voilà tout. La richesse de l’humanité est sa diversité, avec absolument une égale dignité de chaque membre. Ensuite, cela peut arriver à tout âge de vivre cette émotion mystique, à des personnes tout à fait équilibrées, des chefs d’entreprises, des médecins, des vignerons, professeurs d’université, ou écoliers.

Ne pas connaître cela n’est pas un manque non plus, il y a aussi une émotion et un enthousiasme possibles dans la sagesse et en devenant acteur, producteur de paroles et d’œuvres dignes de ce nom. Il y a un bonheur à cela, nous dit ici Jacques.

Cette lettre dite « de Jacques » est une énigme. Elle appartient à un courant important du christianisme du premier siècle, un courant disparu ensuite, et c’est pourquoi la place même de cette lettre dans la Bible a été très discutée. Son intitulé présente son auteur comme étant « Jacques, serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ ». Le nom de Jacques fait référence au fameux patriarche Jacob, c’était un nom courant. Le fait que l’auteur de cette lettre soit appelé « serviteur de Dieu » semble banal et même humble à nos oreilles. Dans ce contexte c’est l’inverse, car dans la Bible, ce titre n’est donné qu’à Moïse, Josué et David. Par conséquent, seule une personne très éminente pouvait être présentée ainsi sans que tout le monde rigole. Il nous faut donc chercher un Jacques très éminent dans la première communauté chrétienne. Deux des douze apôtres de Jésus s’appelaient Jacques mais n’ont pas vraiment marqué par le service qu’ils ont apporté. Par contre un des quatre frères de Jésus a eu une place immense. Même l’historien romain d’origine judéenne Flavius Josèphe parle de Jacques et de son exécution en 62 à Jérusalem. Flavius Josèphe a pu y assister puisqu’il a quitté Jérusalem pour Rome en 63.

Jacques serait donc un frère de Jésus, ils ont été élevés ensemble à Nazareth (Matthieu 13:55). Ce que l’on sait ensuite c’est que Jacques est devenu le chef de l’église de Jérusalem, respecté par les apôtres Pierre et Paul (Actes 15) qui se soumettent de bon cœur à sa médiation. Jacques fait preuve de douceur et de sagesse en reconnaissant que chacun a sa vocation et sa sensibilité, et que la voie de Paul se détachant de la pratique de la Loi juive était tout à fait possible, alors que le courant principal du christianisme de l’époque était de pratiquer le judaïsme.

De nombreux éléments de cette lettre sont très proches de paroles de Jésus trouvées dans nos évangiles mais sans les citer mot à mot. Cette lettre de Jacques semble donc très ancienne, antérieure à la rédaction des quatre évangiles. Cela expliquerait pourquoi cette lettre ne parle ni de la croix ni de la résurrection de Jésus. Jacques se place sous l’autorité de Jésus, mais il ne le divinise pas comme cela commence à être le cas dans la littérature chrétienne de la fin du Ier siècle et de plus en plus ensuite. Pour Jacques, ce qui compte, c’est la façon d’être de Jésus, la sagesse pratique qui s’en dégage, comment il en est arrivé là. Cela peut se comprendre : un frère a une expérience différente de celle que peuvent avoir des disciples du Christ quelques générations plus tard.

Dans la sagesse pratique qu’il brosse ici, Jacques semble parler de son frère qu’il a vu vivre avec douceur, bienveillance , gentillesse, esprit de service. Ce frère qui a travaillé la Bible, sans doute aussi les sagesses grecques, qui a muri tout cela dans la prière confiante à son père.

Nous aurions là un témoignage très ancien, presque archaïque sur la foi chrétienne. La prise de Jérusalem en 70 par les Romains, puis le divorce entre le judaïsme et le christianisme feront disparaître ce courant pourtant dominant dans le christianisme du vivant de Jacques. On ne refait pas l’histoire, mais il est possible de retrouver quelque chose de ce souffle, cette dimension de la foi chrétienne comme école de sagesse, comme une recherche d’une vie belle et bonne, sage et bienfaisante, forte et heureuse... Une école de sagesse dont Jésus serait le fondateur.

Ensuite, comme le dit Jacques encore dans l’intitulé, il s’adresse « aux douze tribus dans la diaspora » : à des personnes pratiquant la Loi juive mais fortement hellénisées. Comme Jacques a travaillé à la paix entre les très différentes sensibilités dans le christianisme naissant, Jacques, dans les pas de son frère, va mettre ce souffle de paix pour rassembler le judaïsme de ses lecteurs et leurs pensées nourries par les philosophes grecs, en une façon d’être transformée :

Quand Jacques parle de « logos (parole) de vérité » qui ne varie ni ne change (1:17-18), on croit entendre Socrate. Quand il parle d’être engendré par le « logos »(1:18) on pourrait entendre les stoïciens. Quand on l’entend appeler à ce que la parole transforme concrètement notre vie et nos actes en œuvres bonnes (1:25), on pourrait entendre Protagoras. Et quand Jaques parle de se pencher vers la « Loi parfaite » (1:25) on pense l’entendre parle de la Torah juive.

Toutes ces richesses, Jacques les transforme et les unit en venant planter une autre sorte de parole, vivante. Une Parole que son frère a incarnée, annoncée et vécue. Toutes ces voies et religions en sont transformées. « Recevez la douceur de cette parole qui a été plantée en vous et qui peut sauver vos âmes » (1:22) : sauver pas uniquement notre dimension spirituelle mais notre être entier et vivant, notre façon d’être et d’agir en ce monde, notre sagesse pratique.

Le point décisif plus que tout autre que Jacques exprime ici, un point et que Jean va reprendre dans l’introduction de sa 1ère lettre, c’est que Dieu est lumière et qu’en lui il n’y a pas la moindre ombre, pas de phases comme la lune, ni d’éclipse ou de saisons comme le soleil. Dieu est pure bienveillance, simplicité, gentillesse. Cela permet de s’ouvrir par la prière à lui sans craindre de recevoir un reproche en pleine figure. Et de lui quand nous manquons précisément de sagesse pour lui en demander. De s’ouvrir à sa Parole donnant vie.

Dans ce contexte de judaïsme hellénisé, la notion de « parole » dont il est question ici est riche de bien des reflets et couleurs, comme de la moire :

Ø elle évoque la parole créatrice de Dieu qui crée la vie hors du chaos primordial, dans la Genèse et encore dans nos vies.

Ø elle évoque la parole de la loi, parole qui, comme le dit Moïse (Deutéronome 4:6) est faite pour nous tenir lieu de sagesse et d’intelligence, ce qui est précieux quand nous en manquons...

Ø avec les philosophes, la parole, le logos, évoque l’enseignement, la pensée rationnelle, la logique. Pour les Stoïcien elle devient même la raison divine venant donner ordre et vie à la matière.

Tout cela est accueilli et transcendé par la « parole » qui est plantée en nous selon Jacques, c’est une Parole de douceur, de lumière et de liberté.

Jacques va donner ici une définition de cette Parole qui sera également reprise plus tard par Jean dans les premiers mots de son évangile. Ils présentent la Parole de Dieu comme étant la lumière qui nous est donnée. C’est libérant, car la lumière permet à chacun de voir clair par lui-même avec sagesse et intelligence. Dans la mesure ou nous voyons clairement, on n’a pas besoin de nous dire de ne pas tuer, calomnier, voler, tromper ceux qui nous aiment, ou adorer de faux dieu (Exode 20). Ce genre de choses devient impossible quand on voit clairement les enjeux.

Jacques dit que nous pouvons être non seulement des auditeurs de la parole de vérité, mais que nous sommes appelés à devenir même des «producteurs de parole »(1:22) et ensuite des « producteurs d’œuvre » (1:25). Ce n’est plus seulement entendre et obéir, c’est discerner, inventer, créer, s’exprimer.

Cela nous a été donné, nous dit Jacques, le Père des lumières nous a déjà engendrés ainsi par sa parole (1:18). Et cela pourrait manifestement être encore reçu encore un peu plus encore. Il suffit de nous rendre compte que nous manquons de sagesse et d’en demander à Dieu. Nous ne risquons pas de recevoir dans la figure un reproche de sa part, nous dit Jacques. C’est la prière. Et c’est plonger notre regard dans la parole comme dans un miroir nous permettant de nous découvrir nous-même tel que l’on est. Nous retrouvons la parole de Socrate « connais-toi toi-même » (Γνῶθι σεαυτόν), facilitée par la Parole de bienveillance et de douceur qui nous est donnée d’en haut. Il s’agit ensuite de pas oublier notre vrai visage, et de pratiquer, alors, dans des actes justes et dans la prière.

Sans un reproche, Dieu nous donnera un peu plus de sagesse, une sagesse pratique, une sagesse de paix.

C’est un très très précieux bénéfice de la prière.

Amen.

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

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Textes Bibliques

Lettre de Jacques 1 et 3

1:1 Jacques, serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ, aux douze tribus dans la diaspora, salut. Mes frères (et sœurs)...

1:5 Si quelqu'un d'entre vous manque de sagesse, qu'il la demande à celui qui donne : Dieu, donnant à tous avec simplicité et sans faire de reproche, et de la sagesse lui sera donnée. 6Qu'il demande avec confiance, sans hésiter, car celui qui hésite est semblable aux vagues de la mer, agitée par le vent et ballottée. 7Que cette personne ne pense pas qu’elle recevra quelque chose du Seigneur : 8c'est une personne écartelée et instable dans tous ses chemins...

1:16 Ne vous y trompez pas, mes frères (et sœurs) bien-aimés : 17tout don excellent et tout cadeau parfait viennent d'en-haut, du Père des lumières, chez lequel il n'y a ni saisons ni phase d’éclipse. 18 Selon sa volonté, il nous a engendré par la parole de vérité, afin que nous soyons parmi les prémices de ses créatures.

19 Sachez-le, mes frères (et sœurs) bien-aimés. Ainsi, que tout humain soit prompt à écouter, lent à parler, lent à la colère : 20car la colère de l'humain ne travaille pas selon la justice de Dieu. 21 C'est pourquoi, rejetant toute souillure et tout excès de méchanceté, recevez avec douceur la parole qui a été plantée en vous et qui peut sauver vos âmes.

22 Devenez des producteurs de parole et non seulement des auditeurs, vous trompant vous même par de faux raisonnements. 23Car si quelqu'un est auditeur de la parole sans être producteur, il est semblable à un homme qui regarde dans un miroir son visage naturel 24et qui, aussitôt parti a oublié comment il était. 25Celui-ci se penchant vers une loi parfaite, celle de la liberté, et qui persévère, non pas en en étant un auditeur amnésique, mais en étant producteur d’œuvre, celui-là sera heureux dans la production de son œuvre.

26 Si quelqu'un pense être religieux, sans tenir sa langue en bride, mais en trompant le cœur de son être, la religion de cet homme est vaine. 27La religion pure et sans tache, devant Dieu le Père, consiste à visiter les orphelins et les veuves dans leurs afflictions, et à se garder soi-même sans se laisser souiller par le monde...

3:13 Lequel d'entre vous est sage et intelligent ? Qu'il montre, par la bonne conduite de ses œuvres dans une douceur pleine de sagesse. 14 Mais si vous avez une jalousie amère et de la rivalité dans votre cœur, ne vous glorifiez pas et ne mentez pas contre la vérité. 15Cette sagesse n'est pas celle qui descend d'en haut, mais elle est terrestre, charnelle, démoniaque. 16Car là où il y a jalousie et rivalité, il y a du désordre et toute mauvaises pratiques. 17Par contre, la sagesse d'en-haut est d'abord vraiment pure, ensuite pacifique, gentille, conciliante, pleine de miséricorde et de bons fruits, impartiale, sans hypocrisie. 18Le fruit de la justice est semé dans la paix par les artisans de paix.

(Cf traduction NBS)