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Genève - Dimanche 1er juillet 2018
prédication du pasteur Marc Pernot
Nous avons ici une escapade de Jésus sur l’autre rive de la mer. Une dangereuse traversée pour un séjour d’à peine quelques heures sur ce rivage étranger, le temps de sauver un homme infesté par une légion de mauvais esprits. Jésus semble avoir fait cette traversée de la mer pour cela, rien que pour cela. C’est lui qui a pris l’initiative de cette traversée : « Le soir de ce jour, Jésus leur dit : Passons sur l'autre rive. » (Marc 4:35) Survint alors une tempête terrible sur cette mer, tempête que Jésus va calmer. Tout est en place dans ce récit pour évoquer le chaos primordial du premier paragraphe de la Bible, dans la Genèse :
Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.
La terre était informe et vide ; il y avait des ténèbres à la surface
de l’abîme mais l'Esprit de Dieu planait au-dessus des eaux. Dieu dit :
Que la lumière soit !
Et la lumière fut... (Genèse 1:1-3)
Dans la Bible, la mer et ses vagues évoquent le chaos. Pourtant l’eau d’une douce pluie, d’une rosée, ou d’une source évoque, elle, la bénédiction de Dieu. Le geste de création met l’eau à sa place, il la domestique et transforme le chaos de mort en bénédiction.
Certains gestes de création sont à notre portée. Parfois nous avons besoin d’un miracle de Dieu pour nous en sortir. C’est ce qu’évoque Jésus à la fin du récit quand il évoque les choses que Dieu fait pour nous par sa compassion, sa tendresse maternelle.
Jésus traverse le chaos pour nous aider à mettre en ordre notre propre chaos. Le récit place cette libération de cet homme dans ce contexte, sur ce rivage, sur ce bord de notre chaos que Jésus visite au risque de sa vie pour nous aider. C’est une cosmogonie, un miracle de création : une mise ou une remise en place d’éléments chaotiques afin qu’ils soient sources de vie et non de tourments pour cet homme de Gadara, et donc de nous, bien sûr.
Jésus se tient sur la rive de notre chaos. Quels courants d’eau met-il en place afin qu’ils soient pour nous une bénédiction et non un tourment ? Pour les trouver, il faut scruter les éléments ambivalents de ce récit, les bons éléments devenus mauvais ou inversement.
Je trouve dans ce texte quatre éléments qui peuvent être soit une brigade d’esprits néfastes soit un puissant lieu de bénédiction, ce qui est évidemment préférable.
Ce texte a été écrit à une époque où l’église commence à se mettre en place. Pourtant, chose curieuse dans ce contexte, les disciples sont présents avant et après ce récit, mais ils disparaissent totalement sur le rivage de Gadara. Leur rôle a été uniquement d’obéir à cette demande de Jésus de le transporter à la porte du monde de cet homme que Jésus va libérer. Il faut alors que les disciples disparaissent. Et quand l’homme est enfin en pleine forme, Jésus refuse de le voir intégrer la bande des disciples amassés autour de lui. La place de l’homme en forme n’est pas dans l’église mais dans le monde, dans la vraie vie avec les siens pour aider chacun à avancer, grâce à Dieu. L’église a donc pour seul rôle de faciliter le contact direct de chacun avec son Dieu, elle ne doit pas être le lieu du contact de la personne avec son Dieu. Et Jésus explique à l’homme comment il peut participer à cette mise en contact : en présentant Dieu comme nous faisant du bien, pas par le menace comme si souvent dans les sectes.
L’église est alors à sa place comme une barque amenant le Christ à chacun, et s’effaçant alors.
Mais tout groupe peut arriver à avoir une emprise nocive sur les individus, toute institution peut être infectée par quelques potentats, ou faire pression sur l’individu par des menaces. Le groupe peut ainsi de venir « un esprit mauvais » pour l’homme alors qu’il est à la juste place le groupe est une bénédiction. Passer de l’un à l’autre n’est simple qu’en théorie, même pour le plus sage des hommes, car il y là quelques centuries d’esprit mauvais assez redoutables.
Jésus n’est pas contre le groupe, bien sûr. Par exemple dans sa vie personnelle : il très libre et personnel, mais il s’appuie pour cela sur la communauté de ses disciples, en particulier ses amis les plus proches : Pierre, Jacques et Jean, ainsi que sur Marthe, Marie et Lazare. Mais il ne se laisse pas aliéner par d’autres, c’est ainsi qu’il sait refuser quand Pierre le pousse à renoncer, il sait se mettre à l’écart pour réfléchir seul et prier Dieu face à face.
Ce récit remet l’église et le groupe à sa place. Il y a un juste dosage à trouver pour chacun entre une pratique individuelle de la religion et une pratique collective, entre la liberté et l’unité. Le critère c’est que tout favorise la relation directe, intime, libre et personnelle avec notre Dieu. Que le groupe des disciples qui ont pour seule mission de faire passer Jésus sur le rivage de l’homme ayant besoin de Dieu.
Il y quelque chose d’ironique à voir que la légion d’esprits impurs a ici une théologie des plus parfaites : ils parlent au nom du Dieu vivant, ils confessent que Jésus est fils du Dieu très haut. Après avoir remis l’église à sa juste place comme un simple moyen, ce texte de l’Évangile remet à sa place la théologie : il ne suffit pas d’avoir la juste connaissance, car elle peut devenir une arme, ou une arrogance : elle est alors une redoutable brigade d’esprits morbides.
Jésus n’est pas contre la théologie, au contraire. Il est même un maître dans cet art qu’est la controverse théologique et biblique, non seulement face aux chefs religieux qui oppriment leurs fidèles mais aussi face à ses propres tentations à justifier ses faiblesses. Car comme ici, les anges et les démons qui nous habitent sont également maître en théologie et en sciences bibliques. Nous voyons Jésus user de la théologie et à la fois la relativiser comme un simple moyen, là encore, au service de la vie ouverte à l’action de Dieu. Que notre théologie soit comme une méditation sur ce qu’il a déjà fait de bon pour nous par sa tendresse. C’est la seule confession de foi que Jésus donne à l’homme sauvé comme viatique pour aller vers les siens. C’est la clef de notre interprétation de la Bible, le fil d’Ariane de notre recherche théologique, et la possibilité de prier en toute confiance et donc sincérité.
Oui à l’église, à l’intégration du chrétien dans des groupes les plus divers. Oui à notre recherche théologique. Oui à ces multiples barques et confessions de foi. Mais avec discernement, avec l’aide de la bénédiction de Dieu pour que ces puissants courants d’eaux soient source de vie et nous une vaque qui nous emporte.
Même le Christ s’efface après son geste de libération. C’est Jésus qui a traversé la mer pour aller vers lui et le libérer. il explique ensuite à l’homme que c’est « le Seigneur », c’est à dire le Dieu de tendresse maternelle qui a fait de grandes choses pour lui, que le lieu du salut est là, partout où il ira en ligne directe et qu’il peut donc tracer son propre chemin parmi les siens comme Jésus accomplit sa propre mission. C’est très libérant. Jésus vit cette exhortation à une relation au groupe et à la théologie vivifiantes et non aliénantes.
Mais poursuivons notre recherche des renversements que Jésus opère pour nous libérer.
Quand la rencontre se fait entre Jésus et l’homme mal portant, la victoire n’est ni facile ni immédiate. Le Christ doit négocier avec la légion d’esprits impurs, puis avec la foule qui le remet à l’eau. La victoire est progressive, elle commence par une découverte de l’ennemi, puis un combat pied à pied pour le pousser de côté, lui faire perdre le contrôle sur notre vie.
Ce service commence dans un appel que le récit ne rapporte que plus tard, comme si c’était intérieurement que l’homme l’avait entendu : « Esprit impur, sort de l’homme » : sort de l’humain : ce n’est pas ta place. La suite de l’histoire montre que la place de ces mauvaises dynamiques qui nous infestent est dans un troupeau de cochon, puis dans la mer elle-même. La place de ce qui est source de chaos en nous est dans le chaos primordial, en attente d’être transformé par Dieu en de belles et bonnes choses. Recyclé en bénédiction.
C’est un vrai travail que d’identifier en nous-même ces esprits impurs tant ils parlent à notre place et se prennent pour nous. Tant nous y sommes aussi attaché, comme les habitants de Gadara le sont à leurs cochons, plus qu’à leur propre vie.
L’appel de Jésus a secoué les esprits impurs, il a aussi remué l’homme, qui sort des tombeaux et des montagnes qui étaient son refuge. Cela est expliqué dans une description étrangement longue pour cet évangile si condensé.
Qu’est-ce que cela veut nous dire ?
Nous avons donc ici deux nouvelles surprises : la mémoire et la louange sont des bénédictions, mais elles peuvent aussi devenir comme des esprits qui pensent à notre place, qui répondent à notre place, qui nous aliènent à nous même. Jésus veut tout pour nous : la bénédiction de ces belles facultés et nous libérer de leurs dangers.
Jésus n’est pas contre la mémoire du passé, au contraire. La preuve en est dans ce récit lui-même : quand l’homme est libéré de sa légion d’esprits mauvais, Jésus l’appelle à faire mémoire des miracles de Dieu pour lui, pour avancer là dessus et aider d’autres à avancer. Mais la mémoire peut aussi nous enfermer dans le passé, et parfois dans un passé qui nous tourmente violemment.
Jésus n’est pas contre la mémoire du passé pour inspirer d’une belle façon notre présent. Lui aussi s’inspire d’Abraham, de David et d’Esaïe, lui aussi fait mémoire de la Pâque et lors de son dernier repas avec ses disciples il les invite solennellement à faire mémoire de lui. Mais déjà il leur avait parlé de la mémoire comme une des forces qui nous sont données pour avancer : une fois ses disciples ne comprennent rien, Jésus les invite à se ressaisir en leur disant qu’ils ont tout pour s’en sortir comme des grands « Êtes-vous encore sans intelligence, et ne comprenez-vous pas? Avez-vous le cœur endurci, ayant des yeux comment ne voyez-vous pas ? Ayant des oreilles comment n’entendez-vous pas? Et n’avez-vous pas de mémoire ? » (Marc 8:17-18). La mémoire du passé est dont une bénédiction, un beau moyen d’être plus libre et responsable. Mais elle peut aussi être comme un esprit qui nous infeste, un tombeau qui nous enterre vivant.
Là encore c’est un acte de création qui permet de passer de la mémoire qui est une infection, à la mémoire qui est une bénédiction, une mémoire qui ne soit plus une rumination perpétuelle de traditions, de remords ou de rancœurs, mais un point d’appui permettant de se lever et d’avancer.
Bizarrement, même la prière de louange peut être une aliénation dont le Christ veut ici nous libérer.
C’est ce qu’évoque la démarche de l’homme quand Jésus vient sur son rivage : son appel fait descendre l’homme de la montagne où il était enfermé comme dans son tombeau. La montagne est pourtant connotée très positivement dans la Bible et dans les Évangiles, bien sûr, puisque cela évoque l’adoration de Dieu.
À de multiples reprises, Jésus se retire dans la montagne pour prier. Un jour, il prend même « Pierre, Jacques et Jean, et il les conduit seuls à l’écart sur une haute montagne » pour un temps profondément mystique (Marc 9:2). Donc oui au culte, à la prière, à la méditation sur ce que Dieu est, oui à la louange de ce qu’il a fait pour nous par pure bonté. Oui à tous les exercices spirituels que nous choisirons de nous donner, mais comme pour toute bonne chose, il y a le risque de prendre le signe pour la réalité, le moyen pour le but. L’exercice spirituel est utile et bon quand il est une occasion que nous nous donnons de nous ouvrir à la bonté de Dieu et à quelque chose de spécial et d’inattendu, d’immérité venant de lui.
Puis de redescendre de la montagne. Même si nous aurions envie de rester dans cet émerveillement. Jésus ne veut pas nous extraire de ce monde, mais à le vivre avec Dieu.
Dès que l’homme est libéré de sa légion de mauvais esprits, c’est vers les siens, vers sa communauté que Jésus l’envoie, équipé d’une réflexion théologique et d’une mémoire de ce qu’il vient de vivre comme bénédiction de Dieu, et donc aussi dans la louange. Il est maître alors dans l’usage de ces 4 bénédictions puissantes et donc aussi potentiellement dangereuses.
Certes, il lui reste des progrès à faire car il n’a saisi que la moitié, et un peu de travers (5 :20), ce que Jésus lui a dit (5 :19), mais il est maintenant dans une bonne dynamique, avec de bons outils, et il lui reste tant de grandes choses encore à recevoir de Dieu. Entre bord de mer et montagne.
Amen
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
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1 Et ils allèrent de l’autre côté de la mer , vers le pays des Géraséniens . 2 Et dès que Jésus descend de la barque, aussitôt, un humain en esprit (souffle) impur vient à sa rencontre, sortant des tombeaux ; 3 il habitait dans les tombeaux, et même pas une chaîne, plus personne ne pouvait le lier. 4 Car souvent il avait été lié par des entraves et des chaînes, mais les chaînes avaient été mises en pièces, par lui, et les entraves avaient été brisées, et personne n'avait la force de le soumettre. 5 Et continuellement, nuit et jour, dans les tombeaux et sur les montagnes, il criait, et se frappait lui-même avec des pierres.
6 Lorsqu’il vit Jésus, de loin, il courut, se prosterna devant lui, 7 il cria d'une voix forte, et il dit : « qu'y a-t-il entre moi et toi, Jésus, Fils du Dieu, du Très-Haut? Je t'en conjure au nom de Dieu, ne me tourmente pas ! »
8 Car Jésus lui disait: « esprit impur, sors de l'humain ! », 9 et il lui demandait : « quel est ton nom? »
Il lui répondit : « légion est un nom pour moi, car nous sommes nombreux », 10 et il le suppliait avec insistance de ne pas les envoyer hors du pays.
11 Il y avait là, près de la montagne, un grand troupeau de cochons en train de paître. 12 Et ils le supplièrent, en disant « envoie-nous dans ces cochons, afin que nous entrions en eux.» 13 Et il le leur permit. Les esprits qui étaient impurs sortirent et entrèrent dans les cochons, et le troupeau se précipita dans la mer du haut de la falaise : il y en avait environ deux mille, ils se noyèrent dans la mer.
14 Ceux qui les faisaient paître s'enfuirent, et répandirent la nouvelle dans la ville et dans les champs. Les gens vinrent voir ce qui était advenu. 15 Et ils viennent auprès de Jésus, et ils regardèrent le possédé assis, vêtu, et sain d’esprit ; et ils eurent peur. 16 Et ceux qui avaient vu ce qui s'était passé leur racontèrent ce qui était arrivé à celui qui était possédé, et aux cochons. 17 Alors ils se mirent à supplier Jésus de s’éloigner leur territoire.
18 Comme il était en train de monter dans la barque, celui qui avait été possédé le suppliait, pour qu’il soit avec lui. 19Jésus ne le lui permit pas, et il lui dit : « va dans ta maison, auprès des tiens, et annonce-leur tout ce que le Seigneur t'a fait, et comment il a eu compassion de toi. 20 Et il s'éloigna, et se mit à proclamer dans la Décapole tout ce que Jésus avait fait pour lui. Et tous étaient étonnés.
21 Et quand Jésus dans la barque traversa de nouveau, sur l'autre rive une nombreuse foule s'assembla près de lui. Et il était au bord de la mer.