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L'heureuse personne

(Psaume 1er ; Jérémie 17:5-8 ; Matthieu 5:3)

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Genève - Dimanche 27 mai 2018
prédication du pasteur Marc Pernot

Dans les premiers mots d’un livre de la Bible se condense parfois le programme de l’ensemble, la clef d’interprétation. C’est le cas avec le 1 er des 150 psaumes. C’est vrai qu’à la première écoute le Psaume 1er peut faire peur, mais nous verrons que c’est au contraire un chant d’amour de Dieu pour nous.

Jésus commence son enseignement en citant ce Psaume, et là aussi, dans ces quelques mots, il annonce son programme.

Ce Psaume 1er peut faire peur avec cette annonce de la ruine du méchant. Mais en réalité c’est tout le contraire, ce Psaume 1er se place en opposition à la très classique pédagogie de la peur qui est utilisée par bien des idéologues depuis toujours. Avec succès, d’ailleurs : la carotte et le bâton pour faire avancer les ânes ; des promesses d’abondance et des menaces de catastrophes pour l’humain, afin de le rendre docile à la doctrine et à la pratique officielles. Le Psaume 1er est en opposition avec cette pédagogie.

Pour dire cette opposition, il reprend une parabole du prophète Jérémie où là, oui, nous avons dans toute sa splendeur la pédagogie de la bénédiction et de la malédiction de Dieu, dans la lignée du livre du Deutéronome avec par exemple ce fameux verset : « J’en prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre : j’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta descendance » (Deutéronome 30:19, 11:26, 28).

Le Psaume 1er transforme la parabole de Jérémie : le méchant n’est plus comme l’arbre maudit et desséché dans le désert, mais selon le Psaume, le méchant est « comme la paille que le vent dissipe ». Cela change tout, car la paille est une composante normale de tout épi de blé. L’agriculteur n’a rien contre : il patiente et irrigue tant qu’il n’y a qu’une tige, et quand le grain est venu il enlève simplement la paille avant de moudre le grain et de faire son pain, bien sûr. Le Psaume 1 er propose donc une interprétation différente des textes comme celui de Jérémie ou du Deutéronome, mais aussi de tous les passages bibliques où Dieu massacre ou appelle à massacrer des gens. Ce n’est pas le méchant que Dieu massacre alors mais il cherche à éliminer notre méchanceté.

Avec Jérémie et le Psaume 1er, nous avons deux types d’interprétations de la Bible, mais c’est plus largement deux compréhensions de Dieu, deux façons de voir la vie humaine, deux regards sur notre propre vie, sur notre monde et sur ceux qui nous entourent.

Si l’on adopte le Psaume 1er comme façon de penser, cela veut dire que pour nous, il n’y a pas d’un côté les justes qui ont le salut éternel, et de l’autre les méchants : les mécréants, les mauvais, les non-baptisés. Selon ce Psaume et le Christ à sa suite : tous & toutes sont des personnes que Dieu est en train de soigner.

Alors, qui a raison ? L’interprétation littérale des menaces du Deutéronome et de Jérémie ? ou l’interprétation bienveillante du Psaume 1er ? Dieu est-il un terrible juge ou est-il un agriculteur plein d’attentions pour chaque jeune pousse ? Ce n’est pas seulement une question de théologie spéculative, c’est très concret. Nous avons une certaine tendance à être soit euphorique et orgueilleux, soit dépressif en nous sous-estimant nous-même. Nous avons tendance à être soit un irréductible optimiste soit angoissé devant la conjoncture difficile. Nous avons tendance à apprécier certaines personnes et à avoir du mal avec d’autres. Le Psaume 1 er nous propose une façon d’être nouvelle. Ce n’est pas celle d’une voie moyenne entre les deux, mais plutôt de conjuguer les deux façons d’être dans un discernement bienveillant, aimant, actif et créateur. À l’image de Dieu qui cherche toujours à développer ce qui est prometteur en chacun et à le libérer de ce qui gêne.

C’est une façon bien plus belle et féconde de nous voir nous-même, de voir ceux qui nous entourent, de voir la vie et ce monde, de voir le passé, le présent et l’avenir. Cela aide à mon avis à être non seulement un petit peu plus heureux, mais à être plus bienfaisant aussi. Vous allez me dire qu’on ne se refait pas et que quand on a un habitus comme celui de Jérémie ce n’est pas facile de changer son caractère. C’est pourtant à cette conversion que nous invite le Psaume 1er et Jésus à sa suite.

C’est pourquoi ce Psaume est libérant : première bonne nouvelle : il est normal que ce soit difficile par notre seule sagesse de progresser en ce sens : ce serait un prodige. Deuxième bonne nouvelle : nous avons l’aide de Dieu pour évoluer, et il s’y connaît en miracles.

Ce Psaume évoque cette action avec les images de l’eau et du vent. Cela pourrait sembler être seulement trivial car c’est vrai que l’eau est nécessaire pour qu’un arbre pousse, et que le vent était utilisé pour séparer le grain de la paille en vannant le blé sur des aires de battages souvent situées dans un endroit venteux. Mais le mot vent est ici très chargé de sens puisque c’est le mot hébreu rouar, traduit ailleurs par l’Esprit de Dieu, le saint Esprit, cette image servant à parler de l’action créatrice de Dieu qui, comme dans la première page de la Bible, intervient à la surface du chaos pour insuffler la vie. La rouar de Dieu souffle sur notre paille et elle est éliminée. Le Psaume n’aurait-il pas pu alors dire plus simplement que par son Esprit, Dieu nous libère de notre méchanceté ? Ce ne serait pas la même chose. En parlant « du méchant », le Psaume ne parle pas seulement de nos actes où de notre façon d’être. C’est plus profond que cela. « Le méchant », c’est ce qui est source de méchanceté. Dieu travaille ainsi à la racine. C’est ce que l’on voit pour le côté positif : il nourrit notre croissance, notre verdoiement et notre fructification. De même vis à vis de ce qui ne va pas dans notre vie : Dieu travaille à la racine, sur ce qui est en amont de nos difficultés. C’est au-delà même du pardon. C’est un amour actif, une attention continue comme celle d’une mère ou d’un père, celle d’un médecin, ou d’un pépiniériste.

Le bonheur est là, nous dit le Psaume 1er. Le bonheur est encore dans cette action de Dieu qui est comparée à des courants d’eau vive. L’eau vive, c’est dans la Bible une image archi-connue de la bénédiction de Dieu, c’est-à-dire littéralement d’une juste articulation entre l’homme et son Dieu. Le Psaume parle ici de multiples courants d’eau tant il y a de façons différentes d’être en relation avec Dieu, selon la sensibilité de chacun mais aussi par les multiples dimensions de notre être : en aimant Dieu, comme le dit Jésus : par notre cœur, par notre âme, notre intelligence, et par nos forces, nos moyens. Personne n’est ainsi complètement athée.

Selon Aristote, le bonheur est dans l’accomplissement de soi-même. Ici, le bonheur est plutôt dans la source de cet accomplissement. Le salut vient ainsi à la fois de l’extérieur et de l’intérieur: de Dieu comme source extérieure à ce monde matériel, et de Dieu comme souffle de vie à l’intérieur de nous. Le bonheur est de bénéficier aujourd’hui de cette action bienfaisante. Ce n’st pas un rêve inaccessible.

Mais le mot hébreu utilisé ici pour parler du bonheur est bien plus riche que ce que la traduction en français peut transmettre, car ce seul petit mot « Heureux », Ashereï en hébreu est un condensé de sens :

Notons d’abord que Ashreï est un pluriel, celui de Asher, mot qui n’a pas moins de trois significations :

- Asher signifie le bonheur, c’est la traduction retenue habituellement. C’est donc non pas un bonheur mais plein de bonheurs multiples qu’il y a dans le fait d’exister et donc de bénéficier de l’action de Dieu.

- Asher est aussi le pas (comme dans le Ps 40:2) : ce contact dynamique avec le sol qui nous porte. Notre promesse n’est donc pas seulement d’être sur la bonne voie mais de vivre de multiples belles avancées en ce monde.

- Asher est enfin un des mots les plus courants en hébreu, utilisé pas moins de 4800 fois dans la Bible : c’est le pronom relatif. Notre promesse de bonheur s’inscrit donc au pluriel dans la multiplicité de belles relations.

Jésus reprend ce Psaume 1er, et il l’enrichit encore, de sorte que dans les 5 premiers mots de son enseignement, 5 mots seulement « heureux les pauvres en Esprit », il présente un condensé de sa théologie et de son anthropologie, de ce que nous pouvons attendre de Dieu et de ce qu’il espère de nous.

Le mot « heureux », donc, avec sa grande richesse de sens. Mais Jésus ne parle plus du bonheur de l’homme au singulier : il passe au pluriel quand il dit « heureux les pauvres ». Il insiste ainsi sur le fait que l’on ne peut être heureux tout seul, que nous sommes un corps et que c’est ensemble que nous pourrons vivre heureux en ce sens. Déjà à l’époque de Jésus, cette conception tranche avec des conceptions bien plus individualistes du salut de l’homme.

Cette dimension collective était déjà présente dans le Psaume 1er, discrètement mais d’une intéressante façon. Il parle de «l’assemblée des justes ». Le mot hébreu utilisé pour parler d’assemblée aurait pu avoir le sens de rassemblement, ou de peuple, ou de communion, de communauté... mais le mot utilisé ici, Èdah, a pour racine le mot « témoignage », Èd. L’assemblée des justes est donc une assemblée de témoins. On peut comprendre cette expression, là encore, de deux façons opposées. Soit au sens d’une communauté réunie par une confession de foi unique. Mais nous serions encore dans la façon de penser inspirée par une lecture littérale du Deutéronome ou de Jérémie : avec une communauté limitée par la frontière de ce qu’il est permis et obligatoire de penser et de croire, avec des justes qui ont la bonne confession de foi considérée comme divine, et les autres qui sont perdus. Cette façon de voir n’est pas compatible avec ce Psaume, où seule la Parole de Dieu est transcendante, nourrissant la profondeur de notre être mais d’une façon souterraine, indescriptible. Le témoignage d’une confession de foi est alors le fruit, particulier à chacun, dans ce qu’il a de juste au sens de sincère. Chacun son propre fruit en son temps particulier. Par conséquent cette « assemblée des justes » est l’ensemble des personnes produisant chacune son propre témoignage, irremplaçable dans le concert de l’ensemble.

Il y a là deux conceptions différentes de l’église.

- Soit une église qui est témoin d’une vérité et qui propose à tous et de s’y soumettre et la ressassant jour et nuit. Leurs branches sont ainsi élaguées pour entrer dans l’alignement.

- Soit une église qui se réjouit d’avance ce que qu’apportera au monde chacune et chacun de particulier comme fruit, église qui se présente comme une salle d’entrainement où nous nous exerçons ensemble, le but étant que chacun puisse s’enraciner plus profondément en Dieu dans son existence quotidienne.

Jésus insiste donc sur ce pluriel avec son « heureux les pauvres en Esprit ». Il apporte aussi une bonne nouvelle extraordinaire, à mon avis en mettant non pas heureux les humains mais « heureux les pauvres en Esprit ». Qu’est-ce que cela change ? Cela ne veut évidemment pas dire que le bonheur et le salut serait réservé à ceux qui n’ont pas de sous, car ce n’est pas libérant de manquer de ressources ; et Jésus s’est toujours adressé aussi bien à des personnes aisées comme Marthe ou Zachée, que d’un pauvre mendiant handicapé comme Bartimée, qu’il aide effectivement à s’en sortir. Cet « heureux les pauvres en Esprit » ne veut pas non plus dire que le secret de la vie serait d’avoir une mentalité non matérialiste, c’est un sage petit conseil, mais assez évident et quand on en fait la clef ultime de l’existence humaine on tombe dans un moralisme qui n’est pas du tout le genre de Jésus. Qu’apporte donc cette 2nde inflexion introduite ici par Jésus ? Le Psaume nous invite à nous réjouir de l’action de Dieu sur nous par son Esprit. Jésus nous invite à nous considérer maintenant comme « pauvre en Esprit ». Un pauvre n’est pas quelqu’un qui est totalement démuni mais quelqu’un qui a peu. Se savoir « pauvre en Esprit », c’est à la fois prendre conscience que l’on a déjà un peu l’Esprit de Dieu en nous, s’en réjouir et espérer en avoir plus. Il y a là un double vrai bonheur : une dimension divine est déjà à l’œuvre en nous, source de vrais progrès positif (premier bonheur) et cette dimension divine nous donne d’être capable de merveilleux prodiges en ce monde (ce qui est aussi un grand bonheur). Oui, nous sommes ainsi aujourd’hui dans le Royaume de Dieu.

Que l’Éternel soit béni.

Amen

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot.

 

Lecture de la Bible

Psaume 1er

Heureux l’homme, qui ne marche pas selon le conseil des méchants,

Qui ne s’arrête pas sur le chemin des pécheurs, Et qui ne s’assied pas en compagnie des moqueurs,

Mais qui trouve son plaisir dans la Parole de l’Éternel, Et qui la murmure jour et nuit ! Il est comme un arbre planté près de courants d’eau, qui donne son fruit en son temps, et dont le feuillage ne se flétrit pas : tout ce qu’il fait lui réussit.

Il n’en est pas ainsi des méchants : ils sont comme la paille que le vent dissipe. C’est pourquoi les méchants ne résistent pas au jour du jugement, ni les pécheurs dans l’assemblée des justes; Car l’Éternel connaît le chemin des justes, et la voie des méchants mène au néant.

Jérémie 17:5-8

Ainsi parle l’Eternel : Maudit soit l’homme qui se confie dans l’homme, Qui prend la chair pour appui, Et qui détourne son cœur de l’Eternel ! Il est comme un misérable dans le désert, Et il ne voit point arriver le bonheur; Il habite les lieux brûlés du désert, Une terre salée et sans habitants.

Béni soit l’homme qui se confie dans l’Eternel, Et dont l’Eternel est l’espérance ! Il est comme un arbre planté près des eaux, Et qui étend ses racines vers le courant; Il ne subit pas la chaleur quand elle vient, Et son feuillage reste vert; Dans l’année de la sécheresse, il n’a rien à craindre, Et il ne cesse de porter du fruit.

Évangile de Jésus-Christ selon Matthieu 5:1-3 :

Voyant les foules, Jésus monta sur la montagne, il s'assit, et ses disciples vinrent à lui. Alors il prit la parole et se mit à les instruire : « Heureux les pauvres en Esprit, car le royaume des cieux est à eux ! »

(Cf. Traduction Colombe)