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Jeudi Saint - 1er avril 2021
À Genève - Champel
prédication du pasteur Marc Pernot
Tranquillement, parlant de lui à la 3ème personne, Jésus semble dire qu’il est bien temps pour lui d’avoir la gloire qu’il mérite. Ce n’est bien évidemment pas son style, et ce n’est pas le genre de valeurs qu’il incarne. C’est d’ailleurs parce que nous avons profondément intégré ces valeurs que cela nous choquerait que Jésus cherche sa glorification. Alors ? Cette phrase est pleine de faux amis : d’expressions qui veulent dire tout autre chose dans la Bible qu’en français courant.
Dans la Bible, « la gloire de Dieu » est le nom qui est donné à l’action de Dieu pour libérer son peuple, le nourrir et l’aider à cheminer dans le désert. Cette « gloire » ne concerne pas le passé, c’est une efficacité dans le présent qui prépare l’avenir. Que veut donc dire cette prière de Jésus d’être glorifié ? Il demande qu’enfin son action porte des fruits, pour accomplir la mission dont Dieu l’a chargé. C’est donc tout le contraire d’une gloriole de la part de Jésus, c’est un aveu d’impuissance. Il a fait tout ce qu’il a pu de toutes ses forces, de toute son âme, de toutes ses tripes, de toute son intelligence. Et prie Dieu de l’aider pour que cela marche.
Dans la Bible « l’heure » n’est pas indiquée sur une horloge. « L’heure », avec l’article défini, c’est celle de l’accomplissement de l’histoire, c’est l’heure du Royaume de Dieu, c’est une autre temporalité, c’est l’éternité maintenant dans ce temps qui est le nôtre en ce monde. Jésus en parle avec une femme samaritaine en disant que « l’heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » (Jean 4:23). L’heure est déjà là et encore venant : elle est ainsi une heure flottante, celle d’un processus en cours, comme du blé qui lève, ou comme un levain qui transforme la farine en bon pain. Ce qu’espère Jésus, et qu’il demande ici à Dieu et fait part à ses disciples, c’est de voir des signes que ce processus est bien lancé.
Dans la Bible, sauf de rares exceptions (dans le livre de Daniel), « le fils de l’homme » c’est « le fils d’Adam », c’est à dire l’humain fait de poussière du sol, comme vous et moi. Par exemple le Psaume 8 s’étonne devant Dieu en disant « Qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui ? Et le fils de l’homme, pour que tu prennes garde à lui, que tu le visites ? »
C’est vrai que Jésus parle souvent de lui-même en s’appelant « le fils de l’homme » et quand il parle de fils ou d’enfant de Dieu c’est plutôt pour parler de nous, pour nous inviter à recevoir le souffle de Dieu, de sorte que nous qui sommes enfants de l’humain enfant de la terre, nous devenions enfant de Dieu. C’est la mission que Jésus a à accomplir. Il y a donc une ambiguïté quand Jésus demande à Dieu qu’il glorifie le fils de l’homme. Est-ce qu’il parle de la glorification du Christ, de lui-même, ou est-ce qu’il parle de la glorification de chacune et de chacun de nous, les humains ? Les deux, bien sûr, puisque sa glorification comme Christ c’est qu’il soit efficace et que nous devenions enfant de Dieu. La glorification du Christ c’est que nous soyons glorifiés.
Comment est-ce que Jésus compte donc s’y prendre pour parachever avec Dieu sa mission, et que les premiers signes de notre « glorification » apparaissent ? Jésus se retrousse les manches, met un tablier, et va laver les pieds de ses disciples. On voit bien de quelle « glorification » il est question : c’est de devenir un serviteur un petit peu efficace quant aux fondamentaux.
Jésus montre que la gloire est dans le service de l’autre afin de faire avancer la situation. L’apôtre Pierre s’oppose car il a une vision plus mondaine de la gloire : la gloire du maître est d’être servi par ses esclaves. Son opposition est incohérente car il prétend honorer son maître en lui apprenant ce qu’un maître. Jésus l’accompagne dans cette contradiction même, il la retourne : Jésus donne l’ordre à Pierre (en maître selon ce que Pierre entendait) de se laisser servir (selon la conception qu’a Jésus de ce qu’est être un maître). Et Jésus parvient ainsi à convaincre Pierre de se laisser laver les pieds. Pierre n’abandonne pas tout à fait, il dit qu’il aurait préféré que Jésus lui lave la tête et les mains, c’est à dire que Jésus se rende maître de ses pensées et de ses actes. Pierre est un homme d’autorité, de dogmes et de morale. Jésus lui, voit plus l’humain comme une personnalité en cheminement et c’est pourquoi il cherche à nous laver les pieds. Pieds qui évoquent donc notre capacité à avancer en ce monde en s’appuyant sur la poussière du sol, en s’élevant au dessus. Quelle que soit notre élévation de pensée et de comportement, ce à quoi nous sommes appelés c’est d’être capable de cheminer d’une belle façon par nous-même, d’avancer. Car c’est ça être vivant.
Ce n’est pas si facile à accepter car nous avons une idée statique de la vérité, figée comme un cristal. Alors que pour Jésus la Vérité est un cheminement vrai, sincère et fidèle : fidèle à Dieu, fidèle à ce que nous sommes en particulier dans l’instant présent. Une vérité de bienveillance et de service pour les personnes que nous avons à cœur d’aider. C’est ce que suggère Jésus quand il place comme geste ultime celui de laver les pieds de l’autre. C’est une bénédiction donnée à l’autre comme étant une personne vivante et digne d’évoluer. C’est plus que de la bienveillance car la bienveillance voit le bien qui est dans l’autre au moment présent, alors que le lavage des pieds c’est voir tout ce dont l’autre pourrait être capable et de l’encourager, l’aider à avancer. C’est une confiance dans l’autre, une espérance pour l’autre. Cette façon de voir l’humain est aussi une façon d’espérer pour soi-même qui est très vivifiante. C’est ce le témoignage que j’ai reçu la semaine dernière d’une fidèle par internet (dans un commentaire anonyme sur jecherchedieu.ch) : « Depuis que je suis sortie du pire…. et après la reconstruction, je me suis retrouvée progressivement enfin à l’aise avec Dieu et j’adore les petits pas à sa rencontre ! Mieux vaut tard que jamais. »
C’est très exactement cela. Il est souvent donné comme définition de la foi en Dieu la traduction littérale « faire confiance en Dieu ». Ce dont témoigne cette dame être « à l’aise avec Dieu » me semble encore mieux dit, car cela sous-entend comme habiter avec lui, une amitié confiante et sincère dans la vie de tous les jours. Et cette joie des petits pas à sa rencontre. C’est précisément cela, je pense, que nous propose le Christ en nous lavant les pieds.
Dieu vous bénit et vous accompagne. Chacun de vos petits pas est pour Dieu un exaucement de sa prière vers vous, et chaque petit pas que vous faites à sa rencontre et une joie pour lui.
Amen.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
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Jésus : « L'heure est venue où le fils de l’humain doit être glorifié »
1 Avant la fête de la Pâque, sachant que l'heure était venue pour lui de passer de ce monde au Père, Jésus, qui avait aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'au bout.
2 Pendant le dîner, alors que le diable a déjà mis au cœur de Judas, fils de Simon Iscariote, de le livrer, 3Jésus, qui sait que le Père a tout remis entre ses mains, qu'il est sorti de Dieu et qu'il s'en va à Dieu, 4se lève de table, se défait de ses vêtements et prend un linge qu'il attache comme un tablier. 5Puis il verse de l'eau dans une cuvette et se met à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qui lui servait de tablier. 6Il vient donc à Simon Pierre, qui lui dit : Toi, Seigneur, tu me laves les pieds ! 7 Jésus lui répondit : Ce que, moi, je suis en train de faire, toi, tu ne le sais pas maintenant ; tu le sauras après. 8Pierre lui dit : Non, jamais tu ne me laveras les pieds. Jésus lui répondit : Si je ne te lave pas, tu n'as pas de part avec moi. 9Simon Pierre lui dit : Alors, Seigneur, pas seulement mes pieds, mais aussi mes mains et ma tête ! 10Jésus lui dit : Celui qui s'est baigné n'a besoin de se laver que les pieds : il est entièrement pur ; or vous, vous êtes purs, mais non pas tous. 11Il savait en effet qui allait le livrer ; c'est pourquoi il dit : Vous n'êtes pas tous purs.
12 Après leur avoir lavé les pieds et avoir repris ses vêtements, il se remit à table et leur dit : Savez-vous ce que j'ai fait pour vous ? 13 Vous, vous m'appelez Maître et Seigneur, et vous avez raison, car je le suis. 14Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres ; 15car je vous ai donné l'exemple, afin que, vous aussi, vous fassiez comme moi j'ai fait pour vous. 16Amen, amen, je vous le dis, l'esclave n'est pas plus grand que son maître, ni l'apôtre plus grand que celui qui l'a envoyé. 17Si vous savez cela, heureux êtes-vous, pourvu que vous le fassiez !
(cf. traduction NBS)