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Le but, c’est l’amour venant d’un cœur pur,
d’une une bonne conscience, et d’une foi sincère

(1 Timothée 1:1-5)

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24 octobre 2021
au temple de Cologny
prédication du pasteur Marc Pernot

En ce 31 octobre, nous avons une petite pensée pour le 31 octobre 1517 où Martin Luther aurait affiché 95 thèses. Cet anniversaire n’est pas pour célébrer Luther, Calvin, ou Castellion, qui étaient ni plus ni moins saints que nous le sommes, mais c’est comme un rendez-vous marqué dans notre agenda avec cette mention « penser à me réformer un petit peu ». Pour cette année, je vous propose de réfléchir sur un épisode majeur de la vie de Luther. En 1521, il y a donc 500 ans, cela fait 4 ans que Martin Luther fait grand bruit pour travailler à une réforme de l’Église chrétienne. C’est peu dire que cela chagrine les autorités. Il est excommunié par le pape et il est convoqué par l’empereur Charles Quint pour qu’il se rétracte. Luther répond avec ces paroles célèbres : « À moins qu'on ne me convainque de mon erreur par des attestations de la Bible ou par des raisons évidentes, je suis lié par les textes de la Bible que j'ai cités, et ma conscience est liée par la Parole de Dieu ; je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car il n'est ni sûr, ni honnête d'agir contre sa propre conscience. » Les autorités demandent alors à Luther : « Abandonne ta conscience, frère Martin, la seule attitude sans danger consiste à te soumettre à l’autorité ». Luther persiste : « Je ne puis faire autrement, en ce jour je suis ainsi, que Dieu me soit en aide. Amen. »

Je vous propose de nous intéresser à cette place de la conscience personnelle dont parle Martin Luther, notion devenue très contemporaine pour nous au XXIe siècle, notion qui était essentielle pour l'apôtre Paul comme nous pouvons le voir par exemple dans le début de sa 1 ère lettre au jeune Timothée.

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« Je ne veux ni ne peux me rétracter en rien, car il n'est ni sûr, ni honnête d'agir contre sa propre conscience. » Cette phrase de Martin Luther est souvent citée pour revendiquer le droit à n’en faire qu’à sa tête, sans autre autorité que son sentiment, son humeur, son désir de l’instant, ses appétits, ses hormones. Ce n’est pas ainsi que Luther entendait la liberté de conscience. Il parle de sa conscience comme captive de la Bible et de la Parole de Dieu. C’est ce qu’il appelle une conscience libre, étrangement. Ce n’est pas pour jouer du paradoxe. C’est qu’il a étudié librement la Bible, librement qu’il a prié, réfléchi et conclu. Ensuite, quand on a expérimenté par soi-même quelque chose — par exemple quand on a vu que le drapeau suisse est rouge et blanc — notre propre opinion est en quelque sorte liée par cela à moins que quelqu’un arrive à nous prouver que le drapeau suisse serait bleu et jaune. C’est ce que dit Luther, il se dit prêt à évoluer dans sa conscience et il met au défit ses opposants de le convaincre par des passages de la Bible et par des raisonnements solides. Il aurait été facile à l’empereur et aux théologiens du pape d’envoyer à la figure de Luther le fameux et terrible verset de l’apôtre Paul «Que toute personne soit soumise aux autorités » (Romains 13). Luther connaît par cœur ce verset, et s’il ne le craint pas à cet instant c’est que Luther n’est pas attaché à la Bible au sens fondamentaliste, comme si la réponse de Dieu lui-même se trouvait dans la lettre d’un verset. Sa conscience se nourrit d’observations plus amples, multiples, y compris dans la Bible, interprétée dans l’écoute de ce que Dieu nous souffle et par de solides raisonnements, en débats contradictoires.

La conscience « suneidesis »

D’ailleurs le terme même de « conscience » suppose une multiplicité de points de vue mis en tension. En effet, la « conscience » c’est dans le grec du Nouveau Testament « suneidesis » (συνείδησις), mot composé de « sun » (σύν) « avec » et de « eido » (εἰδῶ) «connaître ». Cela se retrouve aussi dans le mot français « con‑science ». La conscience embrasse, met ensemble les divers aspects du sujet en question. Par essence même, la conscience est une vision large, multiple, pluraliste. La conscience est d’abord un courageux effort de lucidité, faisant un peu le tour de la question, c’est ensuite comme un forum interne rassemblant les multiples aspects relevés.

Celui qui se laisse dicter aveuglement son opinion par une autorité (légitime ou non), comme celui qui va fixer son opinion sur la lettre de quelques versets choisis pour aller dans un même sens, ou celui qui décide sur ce qui lui passe par la tête : ces personnes ne font pas preuve d’une véritable conscience.

C’est pourquoi l’apôtre Paul recommande à son ami Timothée de travailler à avoir « une bonne conscience ». Dans plusieurs de ses lettres, Paul relève que notre conscience peut être frappée de diverses sortes de maladies graves :

-Il peut nous arriver une « asthénie de conscience », c’est une maladie qui laisse la conscience faible, rétrécie, crispée, figée. Contre cela, il est possible d’entraîner sa conscience comme un muscle, de la travailler, de l’élargir, de l’assouplir, de demander à Dieu de la ressusciter.

-Paul dit qu’il peut aussi nous arriver d’avoir une « conscience polluée » par des personnes qui enseignent n’importe quoi, c’est ce qu’il signale à Timothée. Comme quoi les fake news courantes aujourd’hui, les idéologies, les discours sectaires et autres complotismes ne datent pas d’hier. L’antidote consiste à se poser des questions et à rechercher les multiples aspects du sujet.

C’est pourquoi au culte et au catéchisme, nous cherchons à travailler notre conscience personnelle : à prendre goût à cet effort d’une intelligence de la vie comme étant riche de multiples facteurs temporels et spirituels. Cela demande un courage certain. C’est tellement plus facile, plus confortable, plus rassurant de penser qu’un rite ou une croyance suffiraient et de se sentir quitte, sans avoir à se donner la peine de se forger une conscience personnelle.

La « foi sincère » et la « bonne conscience »

C’est là qu’intervient « la foi sincère » dont parle Paul ici et dont Luther fait un fondement de la démarche chrétienne. La foi n’est pas une doctrine à croire, au contraire. La foi est par définition une relation vivante, une confiance dans la « grâce, la miséricorde et la paix » données par Dieu sans condition en Christ, comme le dit Paul dans les premiers mots de cette lettre.

Dans son commentaire de l’épître aux Galates, Luther écrit en 1519 : « Chaque fois que la parole de Dieu est prêchée, elle rend les consciences joyeuses, ouvertes, sûres face à Dieu, car c’est la parole de grâce, de pardon, qui est bonne et qui fait du bien. » La foi est source d’une liberté joyeuse, car cette confiance autorise à se tromper. C’est ce que le philosophe protestant Pierre Bayle appelle « le droit à la conscience errante », le droit de chercher et de se tromper, le droit de nous faire une opinion alors même que nous sommes incertain et que la situation est complexe. Cette confiance en Dieu nous permet d’être sincère et en même temps d’être humble, prêt à réviser notre position comme Martin Luther le montre ici dans sa réponse courageuse et dans son invocation à Dieu « C’est comme cela que je suis aujourd’hui, que Dieu me soit en aide, amen. »

La foi sincère devrait nous vacciner contre ce risque de faire de notre seule intuition un absolu : nous ne sommes pas Dieu pour pouvoir embrasser l’ensemble des dimensions d’une question. Selon Luther, le péché n’est pas l’erreur, le péché c’est d’être « incurvé sur soi-même », ce qui est effectivement diamétralement opposé à l’amour, et de Dieu, et de quiconque. « La bonne conscience » et son invitation à la lucidité par de multiples points de vue en débats nous décentre de nous-même, nous permet de nous regarder nous-même, et peut-être de voir ce que nous ne pouvions voir ou ne voulions pas voir : nos failles, nos aveuglements, nos masques, nos étroitesses. Elle nous permet d’avoir la possibilité d’en répondre et de travailler dessus avec l’aide de Dieu. Ce courage aussi nous vient de cette « foi sincère » dont parle Paul, et qui nous dit que nous sommes acceptés quand bien même nous penserions être inacceptable (cf. Paul Tillich dans « le courage d’être »).

« Le cœur pur »

Ayant un début de bonne conscience, il reste à nous décider car si la réalité est complexe il nous faut souvent quand même choisir un chemin, quitte à le réviser ensuite. C’est ce qu’évoque « le cœur pur » dont parle Paul à Timothée. Dans la culture de l’époque de la Bible, le cœur désigne notre façon de prendre des décisions.

Paul nous invite à avoir un « cœur pur ». À mon avis, Paul n’entend pas ici « pur » au sens religieux de la Loi de Moïse (qui décrétait que des crevettes sont impures comme aliment alors qu’elles sont bonnes pour la santé et assez délicieuses). Cette notion de « pur » n’est pas non plus une question de bonnes valeurs.

Cette recommandation à avoir « un cœur pur » me semble nous appeler à unifier notre être, à le rassembler afin de lui permettre de prendre des décisions face à la situation complexe. Comment faire ? Il est normal que notre être soit tiraillé entre les multiples impératifs détectés par notre conscience : entre notre idéal, nos besoins et ceux des autres, besoin d’air, d’eau et de nourriture, de soin de notre corps si fragile, besoin de relations et d’estime de nous-même, et bien d’autres contraintes. L’Évangile ne nous appelle pas à la réduction de ces multiples contraintes, mais à leur organisation, leur hiérarchisation autour d’un axe, leur harmonisation au souffle de l’Esprit de Dieu.

Cette pureté du cœur se travaille aussi : par l’observation de notre propre façon de fonctionner quand nous prenons des décisions conscientes ou non. Par la réflexion solide et par l’écoute de Dieu avec confiance.

C’est ce que met en avant le philosophe et théologien Emmanuel Kant dans cette devise : « Ose savoir. Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! » :

-Ose savoir (Sapere aude) : c’est un appel à ouvrir et élargir sa conscience à la richesse des réalités terrestres et spirituelles.

-Le courage de se servir de son propre entendement : c’est ce que favorise cette confiance qu’est la foi sincère. Le courage de la conscience errante, qui sait qu’elle peut se tromper, décide néanmoins et cherche encore.

Tout cela peut sembler très très individuel : le cœur, la conscience et la foi. Sauf que selon Paul, le but et le critère que ces trois organes de notre être sont en forme : c’est que leurs fruits en seront effectivement l’amour-agapè : cette attention à ceux qui nous entourent, cette veille pour discerner si nous pourrions faire quelque chose pour les aider à être plus en forme eux-mêmes.

Que Dieu nous soit en aide.

Amen.

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot

Textes Bibliques

1 Timothée 1:1-5

1 Paul, apôtre du Christ Jésus, selon un appel de Dieu notre Sauveur et du Christ Jésus notre espérance, 2à Timothée, mon véritable enfant dans la foi : grâce, miséricorde, paix de la part de Dieu le Père et du Christ Jésus notre Seigneur.

3 Selon ce que je t’ai recommandé à mon départ pour la Macédoine : demeure à Ephèse pour recommander à certains de ne pas enseigner n’importe quoi, 4et de ne pas s’attacher à des légendes et à des généalogies sans fin ; cela favorise les disputes plutôt que le dessein de Dieu dans la foi.

5 Le but de cette recommandation : c’est l’amour (agapè) venant d’un cœur pur et d’une bonne conscience et d’une foi sincère.

(Cf. TOB)