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Judas livre Jésus : trois lectures d’Évangile

(Marc 14)

(écouter, écouter le culte, imprimer la feuille)

Vendredi Saint 2024 au temple de Vandœuvres
prédication du pasteur Marc Pernot

Jésus abandonné et livré par ses disciples. C’est ce dont témoignent nos quatre évangiles unanimes. C’est ce que confirme les Pharisiens qui s’opposent à Jésus à l’époque, ils ont écrit dans le Talmud : « Jeshu fut pendu la veille de Pâque. Quarante jours avant, on avait annoncé dans la ville sa condamnation : " Il s’en va à la lapidation parce qu’il a pratiqué la sorcellerie et qu’il a égaré Israël, le conduisant à rejeter Dieu. Si quelqu’un à quelque chose à dire en sa faveur, qu’il vienne et le dise. " Mais comme personne ne présenta quoi que ce soit en sa faveur, il fut pendu à la veille de Pâque. »(Sanhédrin, 43a).

Pendu à une croix par les Romains, présenté comme coupable et abandonné par ses disciples. En pensée avec chaque personne qui est abandonnée ou maltraitée par ses proches, avec en plus son bourreau qui cherche à la faire se sentir coupable, comme toujours. Cette histoire de l’exécution de Jésus rejoint chaque personne en lui disant : tu es le Christ. Chaque personne est aussi précieuse que Jésus lui-même. Vous aussi avez droit aux meilleurs soins, aux plus fraternelles attentions, vraiment : vous êtes digne d’être honoré comme Jésus aux Rameaux et non pas maltraité et injurié comme à la Passion.

Mais voilà, on ne refait pas l’histoire et Jésus a été abandonné par les apôtres et même livré par l’un d’entre eux. Ça s’est passé comme ça, et les évangiles en portent le récit. Ensuite, comme toujours, ils font en sorte que cette histoire nous apporte un sujet de réflexion porteur de vie pour nous. Ils le font de différentes façons.

Regardons comment les évangiles présentent Judas :

1) Judas : la figure du méchant

C’est l’interprétation la plus classique. C’est cette interprétation que l’on trouve en particulier dans l’Évangile selon Jean, qui ajoute que Judas volait dans la caisse que Jésus avait pour aider les pauvres (Jean 12:4) et que Jésus savait très bien qu'il était méchant : « Jésus dit aux apôtres : N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les douze ? Et l’un de vous est un diable ! Il parlait de Judas Iscariot, fils de Simon ; car c’était lui qui devait le livrer, lui, l’un des douze . » (Jean 6:70-71)

C’est manifestement exagéré de qualifier une personne de « diable ». Aucune personne humaine n’est parfaite (même Jésus refuse qu’on dise qu’il est « bon » car Dieu seul est bon, dit-il Marc 10:18). Et aucune personne n’est le mal incarné à 100% (parfois à 99% certes). C’est pourquoi chaque fois que la Bible dit qu’une personne est parfaite ou qu’une personne est le diable, qu’est ce que cela veut dire ? La Bible parle alors de notre côté gentil et de notre côté méchant.

C’est ainsi que Judas est, dans l’Évangile selon Jean, la figure du méchant, et que cela concerne toute personne au monde, pas seulement le monsieur Judas historique. C’est loin de nous culpabiliser, car Jean dit aussi que Jésus a choisi Judas comme apôtre en connaissance de cause. Cette lecture nous dit que même ce qui est diable en nous est accueilli, appelé, choisi, aimé par Dieu et accueilli à sa table. En effet : c’est comme cela que l’on aime. Cela ne veut pas dire que l’on aime tel mauvais côté de telle personne ou de l’humanité. Mais aimer c’est aimer la personne telle qu’elle est. La personne réelle, telle qu’elle est, pas la personne que l’on rêve.

Cette façon d’aimer est celle de Dieu. C’est ce que nous dit déjà l’histoire du déluge dans la Genèse : Dieu choisit d’aimer l’humain tel qu’il est, sachant bien que nous sommes habités d’une part de violence, que nous avons un léger petit côté diabolique, parfois. C’est vrai, mais Dieu a choisit de nous aimer et de nous appeler quand même.

C’est ainsi que Judas fait partie « des Douze » : ce nombre 12 évoque dans la Bible l’humanité bénie par Dieu. Ce n’est pas que ça fasse plaisir de voir Judas parmi les Douze : on rêve d’une humanité parfaite et c’est bien ce qu’il faut faire, mais en continuant à aimer l’humanité telle qu’elle est aujourd’hui, en prendre soin et continuer à l’appeler. Aimer c’est ça. C’est ainsi que nous pouvons apprendre à nous aimer nous-même tel que nous sommes, et c’est à partir de là que nous pouvons avancer vers le mieux, avec l’aide de Dieu (heureusement car ce n’est pas facile).

C’est pourquoi Christ appelle aussi Judas, le nourrit à sa table et lui confie des responsabilités. Cette histoire nous dit que nous ne serons jamais si nul que Dieu cesse de nous aimer, de nous choisir, de nous envoyer pour faire du bien.

Il existe d’autres prédications intéressantes données par les évangiles à partir de la personne historique de Judas :

2) Judas où la liberté de choisir

Luc dit à deux reprises que Judas était au début un apôtre comme les autres et qu’à un certain moment il a changé : il « devint traître»(6:16), que « Satan entra dans Judas Iscariot, qui faisait partie des douze.» (22:3).

Judas, comme les autres apôtres et quelques femmes qui les accompagnaient avait choisi de suivre Jésus dans son travail de messie. C’était loin d’être évident, cela demande du courage de changer de vie ainsi. Pour suivre Jésus, avec ce projet de faire la différence dans le cours du monde. Trois années de chemins inattendus. Avant que Judas ne change en sens inverse.

Luc insiste souvent sur la liberté que Dieu nous donne. Dieu compte sur chacun, il appelle, suggère, souffle son Esprit mais il ne peut obliger personne. De multiples chemins sont ouverts devant nous, de multiples pensées et même la possibilité de ne pas penser. Nous avons sans cesse un certain choix. Même ne pas choisir est encore un choix : celui de laisser d’autres choisir à notre place, le hasard, ce qui nous passe par la tête, notre égo ou nos hormones, nos peurs.

Mais ici, ce qui est vraisemblable c’est que des idéologies se soient emparées de Judas. Il est dit qu’il était « Iscariot », on pense qu’il faisait partie de ces activistes potentiellement violents appelés « sicaires » qui voulaient chasser les romains. Aux Rameaux encore, Judas a dû acclamer Jésus comme roi, espérant qu’il prendrait le pouvoir, et voilà que Jésus ne se dirige pas vers le palais du gouverneur : il se dirige droit vers le Temple de Jérusalem afin d’appeler chacun à prier directement. C’est comme cela que Jésus travaille à changer le monde : en cherchant à élever le niveau de conscience de chacun, le libérer et le reconnecter à Dieu.

Avec cette façon de présenter Judas, nous sommes, je pense, appelés à nous libérer des idéologies et à avoir plutôt de l’idéal, nous forger notre propre capacité d’agir, grâce à Dieu.

Ensuite, je vois une troisième possibilité explorée par les évangiles pour saisir ce personnage de Judas :

3) Judas apporte la source, pas seulement un verre d’eau

L’Évangile selon Marc ne dit pas que Judas serait méchant, ou qu’il tournerait mal. Marc dit simplement que Judas a « livré » Jésus, il le dit même 7 fois dans ce seul passage. Or ce verbe « livrer » est ambigu (en français comme en grec, παραδίδωμι). « Livrer » c’est dénoncer une personne poursuivie, et « livrer» c’est aussi apporter un colis, comme quand Jésus dit que « toutes choses m’ont été livrées par le Père»(Luc 10:22).

Le choix de ce verbe ambigu laisse supposer que Judas a « livré » Jésus dans les deux sens du terme. C’est possible : il a mis en contact Jésus et les autorités qui le recherchaient, dans l’idée qu’une fois les présentations faites, Dieu saurait bien les aider à saisir que Jésus porte le salut du monde.

C’est ce que Jésus explique dans une parabole que Dieu l’a envoyé, lui, Jésus, vers l’humanité en se disant « ils respecteront mon fils» (Marc 12:6). Judas a pu penser aussi que ça marcherait.

Dieu a-t-il échoué dans ce projet ? Nous sommes rassemblés aujourd’hui spécialement en mémoire d’un échec à court terme de ce projet, oui, mais aussi du fait que Dieu continue à espérer, à agir et à nous appeler afin que son projet « ils respecteront mon fils» se réalise chaque jour un petit peu plus, pour le salut de tous.

Selon cette façon de comprendre : Judas aurait été le plus avancé des apôtres de Jésus. C’est ce que dit un texte connu depuis Irénée au II e siècle et que l’on a retrouvé seulement il y a une 20 aine d’années : « l’Évangile selon Pilate» (qui a été exposé à la fondation Bodmer). Ce fameux baiser de Judas dont parle l’évangile est à l’époque un geste solennel entre maître et disciple, comme une transmission directe de la parole dans la bouche du disciple.

Judas aurait cherché ainsi à livrer Jésus : à l’apporter au monde. La façon dont Judas le fait nous dit quelque chose d’essentiel, à mon avis : « livrer Jésus » ce n’est pas comme enseigner une idéologie, c’est mettre en contact avec Jésus lui-même. Il s’agit de livrer la source et non seulement le message, de livrer un principe actif, un levain qui fera livrer la pâte entière. Tel est le Christ. Le message n’est qu’une préparation. Ce qui nous fait vivre c’est une foi, c’est une relation avec cette personne.

L’objectif de Judas de livrer Jésus serait excellent. C’est ce que dit aussi l’Évangile selon Matthieu, Jésus appelle Judas « mon ami » et il lui dit : « Mon ami, ce que tu es venu faire, fais-le ». (Matthieu 26:50)

Et pourtant, Jésus a cette parole terrible où il dit qu’il faut bien que cela soit fait « mais que malheur à cet homme par qui le Fils de l'homme est livré ! Mieux vaudrait pour cet homme ne pas être né. » (Marc 14:21). Cela semble une malédiction, ce n’en est absolument pas une. Ce « malheur » est le mot grec « οὐαί », c’est un sanglot de compassion de Jésus en faveur de Judas qui doit livrer Jésus pensant que « ils respecteront le Christ », et qui verra dès le lendemain qu’en réalité il a envoyé à la mort son ami et maître. Par avance, Jésus entrevoit la culpabilité insoutenable de Judas.

Cela nous dit qu’il y a du tragique dans la Passion du Christ : Jésus aime la vie, il veut la vie, la sienne et embellir la vie de chaque personne vivant au monde : et il sera exécuté pour cela. Judas aurait pris sa part dans ce tragique, en endossant le rôle du traître par la foi.

Que l’Évangile reconnaisse qu’il y a du tragique dans la vie en ce monde est une bonne nouvelle, paradoxale.

Cela nous dit que Dieu a compassion de nous quand notre vie est compliquée, que nous avons à prendre une décision alors que toutes les solutions comportent une part de mort : Dieu sait, il comprend, il a compassion de nous, et il nous pardonne.

Alors qui était le Judas historique ? le méchant, le faible ? ou le héros tragique ? Par tous ces côtés, il est notre frère. Et Dieu nous vient en aide.

Amen

pasteur Marc Pernot

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Texte Biblique

Évangile selon Marc 14

10Judas Iscarioth, l'un des Douze, alla trouver les grands prêtres afin de le leur livrer. 11Quand ils l'entendirent, ils se réjouirent et promirent de lui donner de l'argent. Il cherchait une occasion pour le livrer

...

17Le soir venu, Jésus arrive avec les Douze.18Pendant qu'ils étaient à table et qu'ils mangeaient, Jésus dit : Amen, je vous le dis, l'un de vous, qui mange avec moi, me livrera.19Attristés, ils se mirent à lui dire l'un après l'autre : Est-ce moi ? 20Il leur répondit : C'est l'un des Douze, celui qui met avec moi la main dans le plat. 21Le Fils de l'homme s'en va, selon ce qui est écrit de lui. Mais quel malheur pour cet homme par qui le Fils de l'homme est livré ! Mieux vaudrait pour cet homme ne pas être né.

...

42 Jésus leur dit : Levez-vous, allons ; celui qui me livre s'est approché. 43Aussitôt, comme il parle encore, survient Judas, l'un des Douze, et avec lui une foule armée d'épées et de bâtons, envoyée par les grands prêtres, les scribes et les anciens. 44Celui qui le livrait leur avait donné un signal : Celui que j'embrasserai, c'est lui ; arrêtez-le et emmenez-le sous bonne garde. 45Aussitôt arrivé, il s'approche de lui et lui dit : Rabbi ! Et il l'embrassa. 46Alors ils mirent la main sur lui et l'arrêtèrent.