(écouter, culte entier, imprimer)
15 Novembre 2020
À Genève - Champel
prédication du pasteur Marc Pernot
C'est vrai que certaines choses ne tournent pas trop rond dans notre monde en ce moment, jusque dans notre vie quotidienne. Bien des commentateurs en rajoutent avec leur petite chanson catastrophiste. Ces discours se présentent comme rationnels et éclairés, comme venant d’esprits supérieurs. Leurs développements ont des accents très religieux, comme une prédication annonçant la fin du monde : un écroulement non seulement de notre civilisation mais de toute civilisation, de l’économie, de la planète, de l’humanité, de l’avenir, de l’espérance... On se croirait dans les aventures de Tintin avec le prophète Philippulus qui le poursuit en annonçant « C’est le châtiment, faites pénitence, la fin de monde est arrivée ! »
Hergé, © éditions Moulinsart
Cette désespérance n’apporte rien, à mon avis, si ce n’est pour son auteur d’amener par la crainte des personnes à adopter son orientation politique ou religieuse extrémiste.
Bien sûr que nous vivons la fin d’un monde : nous vivons sans cesse à la fin du monde d’hier et pourtant ce n’est pas pour autant que ce serait la fin du monde, la fin de tout. À l’adolescence, nous pouvons ressentir cette impression de basculement, comme si la fin du monde connu jusqu’à présent, celui de l’enfance, était la fin de tout. C’est un moment objectivement difficile dont nous nous sortons en général très bien. La théologie et la foi peuvent nous aider à vivre ainsi les moments de crise pour le meilleur, car Dieu est le spécialiste de la conversion, du cheminement, de la résurrection.
Dans la Bible, il est une histoire où tout se passe mal et qui se termine bien, c’est la grande saga de Joseph, fils de Jacob. Cette histoire est écrite pour que nous nous identifions à Joseph et sortir du malheur par le haut. Tout au long de cette histoire, à chaque moment clef, il est étrangement question de vêtements. Un vêtement donné, arraché, déchiré, changé. Le vêtement sert à dire ce que vit le personnage à ce moment de l’histoire. Dans cette longue saga, je ne vous lirai que ces épisodes mis en valeur par une question de vêtements.
Premier épisode : Jacob fabrique une tunique spéciale pour Joseph. Il n’a rien fait pour mériter cette reconnaissance, Jacob le distingue pour des raisons qui lui sont personnelles. C’est comme cela que Dieu nous aime personnellement nous dit l’Évangile du Christ.
Puisque cette saga de Joseph parle de la traversée du malheur pour entrer dans la vie bonne, il est intéressant de noter que la première question exposée soit celle de la reconnaissance de la dignité de la personne. Le philosophe Hegel avance que le désir humain le plus impérieux est le désir de reconnaissance par les autres. L’histoire de Joseph commence sur cette question là, symbolisée par ce vêtement de prince et de prêtre qui est fabriqué par le patriarche et qui lui est remis en propre, à lui, Joseph, et à lui seul. Les autres frères fulminent, cela nous semble naturel et c’est bien là le problème.
Tous les frères ont bénéficié d’une certaine reconnaissance de leur père puisque chacun a reçu un nom particulier. Mais avec cette tunique, Joseph est reconnu comme au-dessus des autres. Cela monte que le premier des grands malheurs que nous avons à traverser en ce monde est que nous ne cherchons pas seulement à être reconnu pour ce que nous sommes, mais à être reconnu comme ayant une valeur supérieure à celle des autres. Il suffirait de saisir simplement notre propre valeur en elle-même. Cela nous permettrait d’arriver à nous aimer nous-même à notre juste mesure. C’est vrai que pour y arriver, nous avons besoin de recevoir une certaine reconnaissance extérieure. Nous avons au moins celle de Dieu, certaine et inamovible. Avec un peu de chance, nous avons aussi la reconnaissance d’une ou deux personnes qui nous aiment ou nous apprécient, comme dans cette histoire Jacob aime et bénit chacun de ces enfants d’une façon particulière.
Mais souvent cela ne nous suffit pas et nous exigeons d’avoir comme reconnaissance celle d’être au-dessus des autres. Nous le voyons dans cette histoire où cela rend les frères fous de rage que Joseph soit d’une certaine façon au dessus d’eux. Il faut dire que Joseph manifeste avec naïveté sa supériorité sur ses frères.
C’est bien mal parti.
Le philosophe genevois Rousseau dit que quand nous vivons ainsi à travers le jugement des autres : c’est une corruption de l’amour de soi en amour propre mal placé : Nous cherchons à être reconnu dans l’opinion des autres, nous cherchons la domination sur d’autres. Du coup, notre désir de reconnaissance, profondément humain, a tendance à tourner en la catastrophe nucléaire.
Les frères arrachent à Joseph sa robe multicolore, ils la souillent, la trempent dans du sang de bouc, et avec cela font passer le message à Jacob que son fils préféré est réduit à néant. Ils espèrent être eux-mêmes mieux reconnus pour autant. Mais il n’en est rien car Jacob est inconsolable, il déchire son propre vêtement en signe de ce qu’il devient lui-même à cause de cela. Ce stratagème qui consiste à écraser les autres en pensant augmenter notre valeur est un échec.
Comment vaincre ce premier grand malheur qu’est la maladie de notre désir d’être reconnu au dessus des autres ?
Joseph n’a pas un mot pour écraser en retour ses frères qui l’ont dépouillé, enfermé, descendu sous terre sans rien, sans eau, comme privé de toute bénédiction. Joseph sait que c’est inutile et que malgré tout ce que les autres peuvent faire et dire, sa propre valeur n’est pas atteinte, car la robe multicolore n’en était que le signe, sa propre valeur est intérieure, la bénédiction de Dieu demeure, et il a intégré la reconnaissance paternelle. Alors oui, c’est bien embêtant de subir les jalousies, méchancetés, injures et trahisons. Mais sans plus.
C’est intérieurement que nous garderons notre estime de nous-même. Cela se travaille, avec la lucidité, avec la connaissance de soi, et surtout par la foi, recevant spirituellement la conscience de notre infinie valeur, et de celle des autres. Que certains soient plus riches, aient plus de pouvoir, plus d’intelligence, plus de dons artistiques que moi n’enlève rien à ma propre valeur, cela donne seulement des responsabilités particulières à chacun, comme le montrera la suite de l’histoire de Joseph.
Ses frères resteront jaloux, méfiants et menteurs. C’est leur problème. Joseph, lui, à la fin de l’histoire, les habillera d’habits de fête. Il y a là une piste aussi, pour désamorcer ce piège de la reconnaissance avide, c’est de commencer moi-même à reconnaître celui là qui voudrait m’écraser par un désir mal placé de reconnaissance.
En ce qui concerne sa propre estime, Joseph reconnaît qu’au delà de son habileté, son propre succès le dépasse, vient de plus loin et vient d’au-dessus : qu’il vient de Dieu. Il n’investit que peu dans la reconnaissance objective de ses propres succès, il les sait éphémères et sujets aux aléas de la vie, il investit plutôt son désir de reconnaissance dans la joie d’exister avec et pour les autres. C’est une issue au premier et grand malheur.
Joseph est maintenant en Égypte, au service de la maison Potiphar, et il porte le vêtement de sa fonction. Dans ce cadre, Joseph est pris dans un conflit de loyautés. Il se trouve être appelé par sa patronne à trahir son patron. La scène biblique est digne d’une pièce de théâtre de Molière pour poser cette question essentielle. Tout au long de notre existence nous sommes face à des situations de conflit intérieur où nous avons comme Joseph d’excellentes raisons de choisir la facilité.
C’est dans la ligne de cette notion de reconnaissance interne de soi que nous avons vu précédemment. Quand Joseph dit que ce ne serait pas fidèle à Dieu de trahir Potiphar, ce n’est pas que cela fâcherait Dieu (il est grâce et pardon), c’est qu’agir contre sa propre conscience provoque une torsion profonde dans notre être, à sa racine, à sa source, dans sa structure même. C’est pire que de partir tout nu comme Joseph ici, c’est à dire dénué de l’estime des autres.
Voilà comment Joseph avance à travers les malheurs, les revers, les trahisons : en étant fidèle à Dieu vivant en lui-même. En étant fidèle à lui-même mis debout par Dieu. Advienne que pourra. Comme le dit Jésus « que servirait-il à un homme de gagner tout le monde, s’il perdait son âme ? Que donnerait un homme en échange de son âme ? »(Matthieu 16:26).
Un autre philosophe, Emerson, cite cet épisode où Joseph abandonne son vêtement, c’est dans un essai appelé « la confiance en soi » où Emerson dit qu’il est bon de lâcher notre conformisme et notre cohérence : conformisme aux opinions des autres, et cohérence avec ce que nous étions hier. Savoir lâcher cela aux mains de la prostituée qui nous attire dans ses plaisirs éphémères. Peut-être que cela fâchera certaines personnes que nous pensions librement, ou que notre façon de voir évolue ? C’est possible mais là encore nous touchons à l’essentiel qui est dans cette relation intime entre notre personnalité profonde et l’esprit divin.
À ce propos, Emerson signale que le moment qu’il préfère dans le culte, plus que la prédication, c’est le moment où il est seul dans l’église silencieuse avant le début du service. Avec cette attente calme et pure, la prière simple où l’on existe devant Dieu et par le fait qu’il nous reconnait comme son enfant. Cela nous aide à devenir libre d’être nous-même.
Pour cela, à la base, cela demande d’avoir saisi par l’Esprit que nous sommes digne d’être nous-même et d’être en évolution et appelé à innover.
Cette conscience nous aidera à avancer face aux problèmes de notre monde, mais aussi dans cette soupe de catastrophismes ambiant. Prendre confiance en nous y compris dans notre capacité à progresser. Le monde a besoin de nous pour vaincre le malheur du monde, pas d’une marionnette manipulée. Que nous prenions notre place dans ce corps qu’est l’humanité, avec les autres, chacune et chacun pour sa part.
Dans la Bible, l’Égypte évoque l’industrie humaine, Joseph se montre clairvoyant et excellent gestionnaire au sein de l’Égypte et reçoit du pharaon un habit en conséquence. C’est la troisième clef, je pense, pour sortir du malheur par le haut, par le meilleur.
Une catastrophe naturelle s’annonce, Joseph l’anticipe, prépare, gère, unit les uns et les autres dans une avancée commune dont l’ensemble profitera.
L’importance du spirituel, l’importance de l’Esprit de Dieu nous donnant notre génie propre, la reconnaissance pleine que Dieu nous donne par son amour... cela ne dispense pas d’agir dans notre monde. Au contraire. À nous de discerner notre vocation. Joseph est en prison, encore un confinement après celui de la citerne vide : il existe des temps où nous ne pouvons pas agir, c’est pour Joseph un temps de vigilance et de foi, un temps pour se tenir prêt : au premier appel Joseph s’adapte, change lui-même de vêtements (41:14), il trouve comment vaincre la catastrophe naturelle, réunissant les uns et les autres en paix malgré tout.
Dans ce texte, le retournement du malheur ne vient pas par magie d’une imaginaire toute-puissance de Dieu. La vie en abondance va passer par l’action de tous coordonnée par Joseph, Joseph étant rendu capable par l’Esprit de Dieu. Esprit qui souffle en nous, un souffle de lucidité sur le monde et sur son avenir, lucidité sur notre capacité : « Esprit de sagesse et d’intelligence (comme le dit le prophète), Esprit de conseil et de force, Esprit de connaissance et de respect de l’Éternel. » (Ésaïe 11:2).
Et c’est de nous, de chacune et de chacun de nous dont il est question, du Joseph que nous sommes.
Amen.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
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3 Israël (Jacob) aimait Joseph plus que tous ses autres fils, parce que c'était un fils de sa vieillesse. Il lui avait fait une tunique multicolore. 4Ses frères virent que leur père l'aimait plus qu'eux tous, et ils se mirent à le détester. Ils ne pouvaient lui parler pacifiquement...
23 Lorsque Joseph fut arrivé auprès de ses frères, ils le dépouillèrent de sa tunique, la tunique multicolore qu'il avait sur lui. 24Ils le prirent et le jetèrent dans la citerne, cette citerne était vide, il n'y avait pas d'eau dedans... (Finalement), 28ils vendirent Joseph aux Ismaélites pour vingt pièces d'argent, et ceux-ci emmenèrent Joseph en Egypte... 31Ils prirent alors la tunique de Joseph, égorgèrent un bouc et plongèrent la tunique dans le sang. 32Puis ils envoyèrent la tunique multicolore à leur père, en lui faisant dire : Voici ce que nous avons trouvé. Regarde, je te prie, pour voir si c'est la tunique de ton fils. 33Il regarda et dit : C'est la tunique de mon fils ! Un animal féroce l'a dévoré ! Joseph a été déchiqueté ! 34Jacob déchira ses vêtements, mit un sac sur ses reins et porta le deuil de son fils pendant bien des jours. 35Tous ses fils et toutes ses filles s'efforcèrent de le consoler, mais il refusa toute consolation.
2 L'Éternel fut avec Joseph ; celui-ci réussissait (à tous égards), il était dans la maison de Potiphar son maître égyptien... 7La femme de son maître leva les yeux vers Joseph, en disant : Couche avec moi ! 8Il refusa et dit à la femme de son maître :... mon maître m'a confié tout ce qui lui appartient... Comment pourrais-je faire un aussi grand mal, et pécher ainsi contre Dieu ?... 11Puis, un beau jour, Joseph entra dans la maison pour faire son travail. De tout le personnel, personne n'était dans la maison ; 12alors elle le saisit par son vêtement en disant : Couche avec moi ! Il abandonna son vêtement dans sa main et s'enfuit dehors... 16Elle posa le vêtement de Joseph auprès d'elle, jusqu'à ce que son maître rentre à la maison. 17Alors elle lui dit : L'esclave hébreu que tu nous as amené est venu vers moi pour s'amuser de moi. 18Comme je me mettais à crier, il a abandonné son vêtement auprès de moi et il s'est enfui dehors... 20Le maître de Joseph le fit arrêter et mettre en prison, là où étaient enfermés les prisonniers du roi, et il resta là, en prison.
Joseph se montre clairvoyant et excellent gestionnaire. 38 le pharaon dit aux gens de sa cour : Pourrions-nous trouver un autre homme comme celui-ci, qui a en lui le souffle de Dieu ? 39Le pharaon dit à Joseph : Puisque Dieu t'a fait connaître tout cela, il n'y a personne qui soit aussi intelligent et aussi sage que toi. 40C'est toi qui seras intendant de ma maison, et tout mon peuple dépendra de tes ordres. C'est seulement par le trône que je serai plus grand que toi. 41Le pharaon dit à Joseph : Regarde, je te nomme intendant de toute l'Égypte. 42Le pharaon retira de son doigt la bague à cachet et la mit au doigt de Joseph ; il le fit revêtir d'habits de lin fin et lui mit un collier d'or au cou.
45:22 Joseph donna à ses frères des habits de fête... 50:19Joseph leur dit : Soyez sans crainte ; en effet, suis-je à la place de Dieu ? 20Vous aviez formé le projet de me faire du mal, Dieu l'a transformé en bien, pour accomplir ce qui arrive aujourd'hui et pour sauver la vie d'un peuple nombreux.
(Cf traduction NBS)