Veillée de Taizé, à Saint-Eustache - 23 mars 2018
prédication du pasteur Marc Pernot
Le verset choisi pour cette veillée de prière et de réconciliation est cette expérience du Christ ressuscité :
Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine,
alors que, par crainte des autorités juives, les portes de la maison où
se trouvaient les disciples étaient verrouillées,
Jésus vint, il se tint au milieu d’eux et il leur dit :
« La paix soit avec vous. »
Dans ce seul verset de l’Evangile selon Jean : nous avons un résumé de tout l’Évangile, ou un sommet, ou la pointe : le moment vers quoi tout converge et où tout bascule. Donc bravo d’avoir choisi ce verset pour nous ce soir, pour chacun de nous.
Je vous propose de le relire tranquillement, mot à mot, ce verset où le Christ vivant ressuscite les disciples : car dans le détail de ce verset tant de choses sont dites pour nous...
« Étant donc le soir » Qu’importe l’heure du jour ou de la nuit ? Ça n’a d’importance qu’au sens spirituel.
Et pourquoi ce « donc » comme si cette nuit était la conséquence d’une chose terrible qui a tué la lumière ?
- Historiquement, c’était le cas avec ces disciples qui viennent de perdre leur maître, et une espérance très forte.
- Mais grâce à ce côté imagé : de ténèbres qui nous tombent dessus, nous pouvons facilement nous sentir rejoint par ce texte quand il nous arrive quelque chose de terrible... et que nous ressentons dans notre cœur, dans nos pensées, dans notre âme : avec tout ce qui m’arrive, je n’y vois plus rien.
« Étant donc le soir , ce jour-là » ajoute le texte.
Ce jour-là : c’est le jour précis où nous sommes, bien sûr. Ce jour-là, c’est aujourd’hui, notre aujourd’hui à nous, auditeurs de cette parole écrite pour nous aussi puisque c’est tous les jours que le Christ est avec nous jusqu’à la fin du monde (Matthieu 28:20).
Mais pour l’instant : la nuit, les ténèbres à la surface de l’abîme, d’un abîme dans notre temps, dans notre monde. Le monde est loin de n’être que ténèbres, mais parfois nous ne voyons plus qu’elles, et nous ne voyons plus rien. Et pourtant, le texte continue en qualifiant ce jour-là de « premier de la semaine » : il y a déjà comme une page qui se tourne : une nouvelle aube, un temps nouveau alors même que les disciples ne voient encore que la fin de tout et les ténèbres.
Comment y croire alors qu’aucun indice n’est visible ?
La nuit comme le commencement d’une nouvelle journée à venir, d’une nouvelle semaine, d’un nouveau Shabbat, d’une nouvelle temporalité qui transcende celle qui passe.
La culture juive a cette sagesse : le début d’un jour est compté à partir de la tombée de la nuit.
Promesse de résurrection :d’une vie plus forte que la mort, un amour plus fort que tous les pardons espérés.
Mais pour l’instant : la nuit « Et les portes ayant été fermées ». Et même bien fermées : en grec, ce verbe est au parfait : les portes sont fermées à double tour, étanches et blindées.
Historiquement, il est bien compréhensible que les disciples de Jésus se soient barricadés après l’exécution de leur maître comme agitateur politique. Ils se protègent en se barricadant mais ils s’enferment aussi, ils se coupent de la vie.
« Les portes ayant été fermées » : ce participe passif est important. Il semble dire que ce ne sont peut-être pas les disciples qui ont fermé la porte. C’est un peu curieux car le récit laisse supposer le contraire. Mais là encore, c’est intéressant spirituellement. Ce participe passif est important pour nous. Il correspond à notre réalité de vie : bien souvent nous nous retrouvons comme enfermé sans que nous l’ayons choisi, parfois même sans que nous en ayons vraiment pris conscience, et nous vivons, nous subissons cet enfermement à double tour : situation triste et dangereuse d’un enfermement contrariant notre cheminement de vie et l’épanouissement de notre être, bloquant nos élans vers les autres et notre créativité.
« Les portes ayant été fermées là où étaient les disciples à cause de la peur des juifs » C’est vrai qu’il y a un danger réel pour ces disciples, puisque Jésus a été exécuté par ce qui les enferme aujourd’hui. Mais quand-même : stigmatiser ainsi « les juifs », ça ne se fait pas ! Il ne s’agit évidemment pas de ça dans ce texte puisque Jésus était juif, Marie était juive, que les disciples dont parle ce texte, hommes comme femmes sont juifs. Et Jean, l’auteur de cet évangile est juif aussi comme l’indique son nom : Yo Rannane : la tendresse de Yahwé. Que veut donc nous dire ce texte dans cette curieuse description de ce juif enfermé dans sa peur des juifs ? C’est nous qui sommes prisonniers de nous-mêmes, c’est nous qui sommes prisonniers de notre culture, de notre religion, de nos certitudes ; nous qui sommes prisonniers de notre peur de sortir de ce que l’on imagine que l’on doit absolument penser. Peur de mourir crucifié si nous sortons du cadre, comme Jésus. Peur de couper le cordon, peur de sortir de la barque et de marcher sur l’eau profonde comme Pierre arrive pourtant à commencer à la faire à l’appel du Christ.
Nuit, peur, enfermement à double tour. Alors :
« Jésus vint et se tint au milieu ».
Le début du chapitre de cet Évangile selon Jean nous montre Marie-Madeleine qui, malgré les ténèbres encore présentes, avait pu dépasser sa peur par la force de son amour du Christ et de la mémoire de l’homme qu’il avait été. Par contre, les disciples dont nous parle ce verset sont eux, enfermés, pétrifiés. C’est le Christ qui doit alors faire alors tout le boulot. L’amour vrai et le pardon ne reculent devant aucun sacrifice. Les disciples sont dans le noir, l’enfermement total, la peur. Pour Dieu ce n’est pas un prétexte pour les exclure mais au contraire le signe qu’ils ont grand besoin d’aide et de salut. Et cela, Dieu veut toujours le faire. Ce salut qui n’est pas simplement de la résilience, comme on dit. Marie-Madeleine, oui, a fait preuve de résilience et la grâce a fait le reste. Mais il y a des fois où nous n’avons plus de force et où le salut doit venir d’abord de l’extérieur, venir de l’au-delà de ce monde, de plus que ce monde, de plus que nous, plus même que la plus belle des solidarités humaines.
« Jésus vint, il se tint au milieu »
Au milieu de quoi ? Au cœur du cœur de ce qui nous enferme, au cœur du cœur de notre mort, de nos ténèbres, de nos peurs normales et de nos phobies imbéciles. Jésus vint et se tint au milieu de nous : au cœur de nous-même individuellement, et au cœur de ce corps social que nous sommes collectivement.
Christ vient et se tient là : au milieu. Au cœur. Il vient, selon sa promesse de faire sa demeure en nous par l’Esprit, en la personne du paraklet qui nous crée et nous sauve (Jean 14:23-15:6), l’Esprit qui fait de nous un prêtre, un prophète et un roi comme il est rappelé lors de notre baptême. Ou, le cas échéant : une prêtresse, une prophétesse et une reine, ce qui n’est pas moins beau, évidemment.
Christ est là comme une voix qui nous dit : « La paix soit avec vous. » comme cela : au cœur de nos ténèbres et de nos peurs.
Mais en grec, il n’est pas vraiment marqué « la paix soit avec vous » comme un vœux ou comme une incantation. Mais il est écrit « Paix à vous ». La Paix du Christ est donc à nous : comme une richesse qui nous est donnée, comme une mission, comme un enfant qui nous est confié pour qu’on en prenne vraiment soin, qu’on l’aide à grandir et à s’épanouir.
« La Paix est à vous », et donc à nous. Historiquement, les disciples ont alors effectivement été animés d’un enthousiasme extraordinaire qui nous porte encore.
Ils ont été ressuscités cette nuit-là. Ce matin là.
Pour eux, Christ a fait toute l’œuvre de leur résurrection ?
Dans un sens oui.
Comme il est aussi notre résurrection.
Mais ce texte ne nous invite pas seulement à suivre les pas de ces apôtres. Nous sommes aussi à suivre le Christ, à notre mesure, à notre façon, selon notre personnalité et les circonstances. Suivre le Christ avec notre propre croix : c’est-à-dire notre propre vocation pour laquelle Dieu nous envoie comme Christ a été envoyé pour le job qu’il avait à accomplir, lui, mission unique en son genre, pour lui comme pour nous.
C’est ainsi que nous sommes appelés à être présents partout où les ténèbres sont encore là pour faire se lever l’aube d’une époque nouvelle. Partout où la vie est étouffée par de sordides enfermements.
Et que personne, pas une seule personne ne soit oubliée.
Se rendre réellement présent à un autre : c’est toujours un miracle.
Un homme normal ne peut pas passer à travers des murs. Et pourtant c’est ce que le Christ fait ici. Et pourtant : nous avons et la vocation et le pouvoir de faire ce miracle :
Amen.
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Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine,
alors que, par crainte des autorités juives, les portes de la maison où
se trouvaient les disciples étaient verrouillées,
Jésus vint, il se tint au milieu d’eux et il leur dit :
« La paix soit avec vous. »
(Cf. Traduction TOB)