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21 février 2021
À Genève - Malagnou
prédication du pasteur Marc Pernot
Dans son sermon d'adieu, tout à fait poignant, Jésus nous donne des indications afin que notre « joie soit complète ». C’est son testament spirituel. S’il se permet de parler de sa joie à un moment pareil, c’est qu’il devrait être possible de vivre cette joie en toute circonstance. Aussi, au lieu de prendre une « face de carême » en cette période, je vous propose de relire ce passage de l’Évangile selon Jean 15, et de chercher cette foi joyeuse qui est celle de Jésus lui-même.
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Jésus parle ici de la joie, de sa joie, pour nous proposer d’en vivre. Il en parle au subjonctif, ce qui montre que ce n’est pas gagné d’avance, et il parle d’une « joie complète » ce qui suppose qu’il existe une joie partielle, en demi-teinte. Ce qu’il propose est ainsi une joie sous de multiples aspects, une joie en croissance, qui éclot dans notre être comme ces premières fleurs qui apparaissent en perçant la neige. C’est une joie comme une façon d’être, comme une façon d’aimer et de se sentir aimé.
En grec, le mot même de joie (χαρά) est de la même racine que la grâce (χάρις), l’amour inconditionnel de Dieu. Cela suggère que la joie est un don gratuit, et c’est vrai qu’il est difficile de se forcer à être joyeux, et la joie d’une foule en liesse peut être entraînante, mais comme drogue peut l’être, ce n’est pas vraiment notre joie, ce n’est pas de cette joie là que le Christ nous invite à vivre, à être ici.
Sa joie ne dépend pas de l’ambiance ni de circonstances comme la santé, la réussite, le temps qu’il fait puisqu’à ce moment de la vie de Jésus, tout cela (qui a pourtant de l’importance) ne profite pas à Jésus et qu’à ce moment où il est loin de rigoler, sa joie, la joie dont il nous parle, est complète.
Comment se fait-il que nous ayons parfois un petit peu de mal à ressentir de la vraie joie, et encore plus à la garder vivante, robuste ? C’est peut-être qu’elle est là, et que nous ne regardons pas au bon endroit, que son parfum remplit l’air et que nous n’inspirons pas ?
Ce n’est pas une question de ne pas le vouloir, tout le monde souhaite avoir de la joie. Et ce texte nous dit que nous y avons droit. Ce n’est pas du tout une évidence dans le contexte de l’époque. Le célébrissime Homère, au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, raconte que les dieux se réservent les délices de l’ambroisie, et malheur à celui qui, comme le demi-dieu Tantale, est pris à dérober de ce met divin pour l’offrir aux humains. La Bible affirme au contraire que Dieu veut donner à l’humain le meilleur, il crée pour lui l’Éden, le « jardin des délices », et Dieu descend régulièrement pour nous accompagner, voir où nous en sommes, nous offrant ainsi une large dose de liberté mais sans indifférence.
Nous sommes dans le jardin des délices nous dit Jésus, Dieu nous offre sa joie, la mettant à portée de nos mains, de notre bouche, pour en vivre.
Où se situe le problème, alors ? Peut-être que nous ne regardons pas au bon niveau de la réalité. Nous sommes très concentrés sur les objets, ils nous semblent être la réalité solide et vraie. Cette parabole de la vraie vigne de l’Évangile selon Jean nous invite à porter notre attention plutôt sur la vie et la qualité d’être comme étant le lieu d’un réel plus solide, plus véritable, et que c’est dans ce registre-là que nous vivons la joie de Dieu.
Il me semble qu’il y a 3 réalités importantes soulignées dans cette parabole de la vraie vigne. trois réalités que je vous propose de repérer grâce à l’approche de Whitehead (Mode de pensée 202-210), très important mathématicien, philosophe et théologien du début du XXe siècle, fils de pasteur aussi, et qui est à l’origine des théologies du processus (process theology).
Selon cette parabole de Jésus, nous sommes l’extrémité verdoyante d’une jeune pousse. Ce que nous sommes à cet instant est le fruit d’une histoire qui remonte jusqu’aux tout début de l’univers. Cette histoire a connu de beaux moments et des événements terribles, des choses plus ou moins belles. Tout cela est notre histoire, cela nous a constitué, a assemblé de l’eau, du carbone, de l’azote, du sel et divers métaux et autres atomes improbables. Nous sommes aussi faits de cultures, de traces de rencontres et de vie en ce monde, de mémoires et de choix. Et nous voilà, sarment d’une vigne qui remonte à bien longtemps et qui s’étend plus largement ailleurs. Le premier geste que nous propose cette histoire de vigne est de prendre conscience de cela, de contempler cela, de se saisir de tout cela comme faisant partie de ce que nous sommes, et donc de ce qu’est notre monde. Il n’y en a pas d’autres. Et tel quel, il est une merveille. Comme Dieu se retournant sur ce qui a été fait, au point où nous en sommes, et « Dieu vit que cela était bon. ».
Les conséquences en terme de perspective sont profondes, me semble-t-il. Nous sommes un être bien plus important et précieux que ce qu’il nous semble.
Les philosophes Leibniz et Whitehead nous invitent à contempler notre genèse, nous l’appropriant, et commençant à se réjouir d’être soi-même en ce monde. Sentir que nous sommes personnellement légitime tel que nous sommes, se sentir faire part de la vigne de ce monde présent, le sentir, le ressentir, comprendre ce monde comme une réalité organique dont nous sommes une part. Nous sommes un sarment de la vigne, relié par elle à tout, au passé et au présent tel qu’il est. La feuille que j’aperçois sur un autre sarment est distincte de moi et elle est de la même vigne, plantée dans la même terre. Contempler cela en le pensant et en le ressentant. S’en saisir, et commencer à s’en réjouir.
Cette joie n’est pas naïve, il y a eu bien des choses dans notre longue genèse. Il va aussi nous arriver des choses agréables et d’autres moins bonnes (espérons pas trop), les unes comme les autres participeront de toute façon à ce que nous serons demain. Si nous nous en saisissons, nous pourrons nous les approprier à notre façon. Nous évoluerons ainsi tout au long de notre vie, et, étrangement, nous restons nous-même en tant que personne. Nous changeons tout en pouvant dire : c’est moi. C’est tout à fait extraordinaire : c’est la vie.
La 1ère réjouissance s’inspirait de ce regard de Dieu sur l’état présent, au point où nous en sommes : « Dieu vit que cela était bon ». Si c’était déjà bon, on pourrait en rester là ? Non : le récit de la Genèse continue, vers une nouvelle étape et c’est là une 2ème réjouissance qui complète la 1ère.
Le sarment est vivant et il n’est pas seul pour évoluer : il reçoit de la sève de la vigne, c’est le flux qui nous apporte la vie, ce sont des événements, des rencontres, des émotions. Et parmi tout cela qui est un petit peu comme un chaos, il y a un flux de sève qui vient de Dieu, nous appelons cela l’Esprit, le souffle de vie. C’est un dynamisme qui nous pousse, nous fait évoluer dans le sens de la vie émergeant du chaos.
L’Évangile selon Jean dit que le Christ est la vraie vigne, c’est qu’il y a d’autres vignes qui sont trompeuses, qui peuvent nous sembler réjouissantes mais pourtant mortes et sans promesse de fruits.
Sous la plume de Jean, il me semble impossible de voir dans ce « hors du Christ vous ne pouvez rien faire » l’annonce que toute personne qui ne serait pas chrétienne ne pourrait rien faire de bon. Impossible de penser cela, Jean dit ailleurs que « quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu car Dieu est amour » (1 Jean 4:7), par conséquent il convient de comprendre que « la vraie vigne » est ce qu’incarne de Christ : la Parole de Dieu, son flux de vie, son souffle, son amour qui assemble d’une belle façon, à l’inverse du chaos.
C’est ce qui nous aide à pousser et à pouvoir produire des fruits. C’est ce qui ouvre l’avenir et c’est une deuxième joie, grande elle-aussi. Joie qu’a la vigne de pousser, de fleurir et de donner du fruit. Joie décuplée par le fait d’en être conscient, comme nous pouvons l’être. Cette joie de porter du fruit, ce n’est pas toujours de sauver le monde. Dans la première partie de sa vie, Jésus fabriquait des outils agricoles en bois avec en particulier de bonnes araires, assez réputés, d’après un témoignage ancien. C’est un bon fruit. Jean, lui, était pêcheur de poissons.
Reste une 3ème dimension de joie.
Il est bon et joyeux d’honorer notre genèse passée, individuelle et collective. Il est bon et joyeux de porter du fruit quand l’occasion se présente, et de passer ainsi au futur. Seulement, c’est infiniment meilleur quand cette créativité s’inscrit dans un projet constructif qui opère un tri, à l’image du Dieu vigneron que nous présente Jésus, avec cet amour qui s’occupe de nous avec les tendres soins et la patience comme d’un vigneron pour sa vigne. C’est comme un jugement salutaire à recevoir de Dieu dans ce temps présent. Afin de privilégier en nous ce qui va dans le sens du meilleur, c’est à dire l’amour (ἀγάπη), l’amour au sens du service de la vie et de l’épanouissement de l’autre.
Cet amour-là fait partie de notre expérience, il est discerné par la première joie, reconnaissant dans notre histoire et dans l’histoire du monde combien cette façon de faire le bien d’un autre est source de vie. Chaque geste de cette qualité d’amour soigne un petit sarment, et en même temps renforce la vigne entière par l’attachement des différents sarments.
Cet amour nous vient ainsi comme de la sève, venant de la vraie vigne, celle du Christ. Elle nous vient de l’action de l’amour de Dieu en nous, soignant le meilleur de nous-même.
La troisième joie, celle qui complète notre joie, c’est cette visée que nous propose ici Jésus : celle d’aimer comme nous le pourrons et de nous laisser aimer avec simplicité quand cela nous est donné.
Ce n’est pas si naturel pour nous, car nous sommes à la fois, indissociablement corps et esprit. En ce qui concerne cette expérience de ce qui nous fait du bien, il y a le plaisir du corps, c’est exact. Cela fait certainement partie de la 1ère joie, celle d’être un vivant parmi les vivants. Sauf que quand on prend le plaisir comme but, comme visée à ultime, c’est une catastrophe. C’est ce que j’essayais d’expliquer la semaine dernière à un adolescent me demandant ce que je pensais de sa philosophie de vie : « En fait, je veux juste être heureux dans ma vie, et pour cela je veux agir en profitant à fond, en faisant tout ce que j’ai envie de faire. » Il s’angoissait de ce que pouvait penser Dieu de cette philosophie de vie, si cela ne compromettait pas son avenir et son bonheur dans la vie éternelle. J’ai essayé de lui expliquer d’abord que Dieu ne veut que notre bonheur et notre joie, et que Dieu n’a rien contre le fait que nous prenions du plaisir dans la vie, que cela fait partie des bénédictions que Dieu nous donne par grâce. J‘ai essayé ensuite d’expliquer à ce jeune homme que néanmoins, le bonheur en cette vie n’est certainement pas de prendre le plaisir comme but de sa vie. La recherche du plaisir devient alors pour nous comme un tyran sanguinaire, alors que le plaisir est une bénédiction quand il est reçu par surprise.
Pour reprendre la parabole de Jésus : la recherche du plaisir est une fausse vigne. Pour être heureux et pour connaître la joie profonde, il est bon de prendre comme idéal l’amour que Christ a manifesté, le service mutuel. C’est ce que Jésus place au cœur de son testament spirituel. C’est ce que reprend Whitehead. C’est ce que dit aussi une ancienne sagesse paysanne : « pour récolter du bonheur dans ton champ, sème du bonheur dans le champ du voisin. » Cela fait que, même pour notre propre intérêt, il est bon de prendre pour idéal cet amour que le Christ nous révèle par ses paroles et par ses actes. Et de s’ouvrir à sa joie complète.
Amen.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
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1 Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron. 2Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l'enlève ; tout sarment qui porte du fruit, il le purifie afin qu'il porte plus de fruit. 3 Déjà vous êtes purs à cause de la parole que je vous ai dite. 4 Demeurez en moi et moi en vous. De même que le sarment ne peut porter du fruit de lui-même s'il ne demeure dans la vigne, de même vous non plus si vous ne demeurez en moi.
5 Je suis la vigne, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit, car sans moi vous ne pouvez rien faire. 6Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment et il se dessèche, et on les ramasse, on les jette au feu et ils brûlent. 7Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voulez et cela vous arrivera. 8Mon Père est glorifié en ceci : que vous portiez beaucoup de fruit et que vous deveniez mes disciples.
9 Comme le Père m'a aimé, moi aussi, je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. 10Si vous gardez mes enseignements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi j'ai gardé les enseignements de mon Père et je demeure dans son amour.
11 Je vous ai parlé ainsi pour que la joie, la mienne, soit en vous et que votre joie soit complète.
12 Voici mon enseignements : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés.
9 Dieu dit : Que les eaux qui sont au-dessous du ciel s'amassent en un seul lieu, et que la terre ferme apparaisse ! Il en fut ainsi. 10Dieu appela la terre ferme « terre », et il appela la masse des eaux « mer ».
Dieu vit que cela était bon.
11 Dieu dit : Que la terre donne de la verdure, de l'herbe porteuse de semence, des arbres fruitiers qui portent sur la terre du fruit selon leurs espèces et qui ont en eux leur semence ! Il en fut ainsi. 12La terre produisit de la verdure, de l'herbe porteuse de semence selon ses espèces et des arbres qui portent du fruit et qui ont en eux leur semence selon leurs espèces.
Dieu vit que cela était bon.
(cf. traduction NBS)