(écouter, culte entier, imprimer)
21 juin 2020
À Genève
prédication du pasteur Marc Pernot
Le texte de l’Évangile qui nous est proposé pour ce jour est une partie de la formation que Jésus donne à ses disciples avant de les envoyer dans le monde. C’est comme une 2e étape dans le ministère de Jésus qui s’ouvre alors, il se prépare à nous passer la main.
Ce texte est étrange, avec cinq très courts enseignements qui semblent décousus. Ils forment pourtant une unité par le fait même que nous avons là cinq petites perles de paradoxes. Ses disciples se plaignent parfois de cette façon qu’avait Jésus de les troubler, c’est volontaire de sa part afin de nous aider à faire évoluer notre façon de comprendre la vie.
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L'Évangile du Christ est comme du pur cristal : Dieu est amour à mil pourcent et nous sommes appelés à être à son image : source de vie, de paix, de bénédiction, de consolation. C’est idéal. Seulement, il n’a échappé à personne que la vie en ce monde est complexe. Notre vie est en elle-même un paradoxe entre un idéal infini et des contraintes très pratiques. C’est prévu : l’Évangile est que ce projet divin s’incarne, comme le dit Jean dans les premières lignes de son livre : la Parole divine prend chair en Jésus, pour qu’à sa suite, cette Parole s’incarne dans notre propre être de chair et dans notre existence très concrète, entre le café du matin et la prière du soir. C’est à la fois extraordinaire et complexe, cela nous fait parfois des nœuds au ventre, au cœur, à la tête, à notre agenda et à notre porte monnaie. C’est ce dont il est question dans ce texte où Jésus forme ses disciples pour passer de l’écoute de l’Évangile aux travaux pratiques.
Jésus dit : Quand on vous persécutera dans cette ville-ci, fuyez dans une
autre. Amen, je vous le dis, en effet,
vous n'aurez pas accompli les villes d'Israël
avant que vienne le Fils de l'homme.(23)
Qu’est-ce que Jésus nous conseille ici ? Comment incarner le pur cristal de l’Évangile dans la réalité de notre monde ? Il nous parle de souplesse, de progressivité, d’agilité et de confiance.
Lançons nous, faisons ce que nous pouvons, si nous le pouvons et comme nous le pouvons. S’il y a un obstacle, ne soyons pas à l’image de la mouche qui s’opiniâtre à vouloir sortir à travers la vitre : son objectif est parfait, mais quand ça ne passe pas, mieux vaut chercher à contourner. Ce n’est pas trahir le but et si nous y laissons notre peau, personne ne sera avancé. Il y a mil autres bons gestes à essayer. Dieu lui-même fait comme cela, par l’agilité plus que par la force.
De toute façon, nous dit Jésus : « Vous n’aurez pas achevé toutes les villes d’Israël avant que vienne le Fils de l’Homme ». De quoi parle-t-il ? C’est une énigme. Puisque Jésus est le Christ, celui que le prophète Daniel appelle « le Fils de l’Homme » est déjà venu, ce n’est donc pas cela que nous attendons. Ce n’est pas non plus l’hypothèse très discutable d’une seconde venue du Christ, en effet, quand Matthieu écrit son évangile quelques dizaines d’années après, l’Évangile s’est déjà largement diffusé dans les villes d’Israël et est en train de se répandre aux 4 coins de l’Empire Romain. Si Matthieu se permet d’écrire comme cela, c’est donc qu’à son époque il pense que ce qu’annonçait Jésus ici s’est déjà produit. Matthieu a sans doute vu les premiers signes de cette « venue » à la Pentecôte et dans la réception de l’Évangile par des juifs et des païens réunis. Cette venue du Fils de l’homme c’est une humanité enfin humaine et spirituelle que Dieu suscite, il y travaille à sa façon par son Esprit, par sa Parole, en nous aimant. Cette évolution est en route.
C’est un appel à nous laisser toucher par ce mouvement de Dieu, c’est un appel à travailler aussi en ce sens comme nous le pouvons pour une société plus humaine et spirituelle, avec souplesse, agilité, intelligence, progressivité, à notre rythme... Dieu fera le reste.
Dans la suite, Jésus développe cette genèse du Fils ou de la Fille de l’humain en nous :
Jésus dit : Le disciple n'est pas au-dessus du maître,
ni l'esclave au-dessus de son seigneur.
Il suffit au disciple de devenir comme son maître,
et au serviteur de devenir comme son seigneur.(24-25)
C’est impossible de devenir « parfait comme notre père céleste est parfait » selon ce que propose Jésus dans l’Évangile (Mt 5:48), c’est vrai. Mais ici, Jésus passe au concret et ce qu’il nous dit c’est « Il suffit au disciple de devenir comme son maître ». Il ne s’agit pas d’être parfait, l’essentiel est de commencer à le devenir. C’est inspirant et libérant... Notre part dans ce travail est simplement de ne pas se sentir nous-même au dessus de Dieu. C’est évident, allez-vous me dire ? En pratique : pas tant que cela, nous nous prenons pour Dieu quand nous oublions Dieu, nous nous croyons au dessus de Dieu quand dans notre prière nous pensons lui révéler ce qu’il devrait faire, lui, Dieu, pour être un bon Dieu...
Comme dans la première perle, Jésus nous invite à entrer dans une logique de progressivité, de patience.
Ce programme est également libérant par le fait qu’il nous appelle à une autonomie croissante : Jésus nous dit que nous sommes comme un serviteur qui devient entrepreneur, à l’image de Dieu, là encore. Nous sommes comme un enfant devenant adulte. Il me semble que l’humanité vit cette crise d’adolescence dont elle sortira, comme bien des jeunes, par le haut. Déjà, nous prenons conscience collectivement que nous sommes responsables de ce monde, et que quand Dieu ne cherche pas à nous ennuyer, mais à nous aider.
Avec cette perle, nous comprenons mieux pourquoi il était question dans la perle précédente, littéralement, « d’accomplir les villes d’Israël », il s’agit de travailler à notre mesure à un accomplissement de l’humanisation de notre société, en l’ouvrant à l’espérance de Dieu.
Jésus dit : S'ils appellent le maître de maison Béelzéboul, à combien plus forte raison appelleront-ils ainsi les gens de sa maison ! Ne les craignez donc pas, car il n'y a rien de voilé qui ne sera pas dévoilé, rien de caché qui ne sera pas connu. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le dans la lumière, ce qui vous entendez à l'oreille, proclamez-le sur les toits. (25-29)
Jésus compare alors l’humanité à une maison dans laquelle habite une famille. Il nous introduit ici au moteur même de l’incarnation progressive de la Parole dans l’humanité. Il nous appelle à écouter ce que Dieu nous dit dans le secret de notre conscience, première étape, puis d’oser dire ce que cela aura inspiré à notre conscience, ce que nous pensons, ce que nous espérons et projetons. N’ayons donc pas peur de parler, même si nous ne sommes pas sûr de nous. Quand nous voyons le portrait que l’Évangile fait des apôtres de Jésus, cela devrait nous encourager. Pierre, par exemple, donne une magnifique confession de foi sur Jésus comme Christ et Fils de Dieu (Mt 16:16) , seulement, tout de suite après il se croit supérieur à son maître (16:22). Aïe ! Mais au moins, il s’exprime, et cela laisse à Jésus une chance d’en discuter. Le projet de Dieu est de faire de nous un être qui a son mot à dire, tant pis si c’est imparfait, et que l’humanité soit une communauté de paroles. C’est la seule façon de constituer un corps avec une égale dignité des membres. C’est pourquoi, Jésus nous autorise ici, et même nous appelle à être sincère, il nous appelle à nous parler, à ne pas être d’accord, à nous expliquer, à travailler ensemble.
Le silence et la défiance sont comme un tombeau pour notre humanité. C’est vrai que l’écoute et la sincérité nous exposent, ce n’est pas cela qu’il faut craindre le plus, nous dit Jésus avant de poursuivre :
Jésus dit : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire disparaître et l’âme et le corps dans la géhenne. Ne vend-on pas deux moineaux pour un sou ? Cependant pas un seul ne tombera à terre sans votre Père. Et de vous aussi, les cheveux de votre tête ont tous été comptés. N'ayez donc pas peur : vous pouvez porter beaucoup de moineaux. (28-31)
L’âme, dans la Bible, désigne notre vitalité, notre ressort interne, notre personnalité profonde. Prenons garde à ne pas laisser les méchancetés et les accidents de la vie tuer cela en nous. Jésus ne l’envisage même pas, cette dimension venant de Dieu, lui seul pourrait la tuer, et il ne le fera certainement pas, nous dit-il. Au contraire : nous sommes si précieux à ses yeux, jusqu’au moindre de nos cheveux. C’est pourquoi notre crainte devient un immense respect pour lui, elle devient espérance, elle devient confiance en « celui » qui, seul fait a fait naître notre âme, la fait vivre et peut même l’augmenter, comme nous le verrons.
Avec cette 4e perle, Jésus nous invite à prendre soin de nous, de notre corps et de notre élan vital si précieux l’un comme l’autre. De le faire avec Dieu.
Jésus donne alors deux exemples étranges, celui des cheveux de notre tête et celui des oiseaux du ciel. Il est parfois dit que « pas un ne tombe sans la volonté de Dieu », ce n’est pas ce qui est marqué dans le texte, mais au contraire que Dieu se rend alors présent, et comme toujours c’est pour faire vivre. Les cheveux représentent notre corps, notre jeunesse, qui tombe avec l’âge et les accidents. Dieu est à nos côtés afin de protéger notre élan vital, notre cœur, notre moi, notre mouvement, notre âme (Psaume 121). C’est ce qu’évoquent les oiseaux du 2nd exemple : cette dimension de Parole divine qui s’incarne en nous. Cela semble ne valoir que deux sous, au contraire, c’est l’âme de notre corps, de notre vie et du monde. Jésus promet : « N'ayez donc pas peur : vous pouvez porter beaucoup de moineaux » (c’est ce qui est littéralement marqué). Il n’est pas question ici de comparer la valeur d’une personne à celle d’un oiseau mais à nous encourager à accueillir dans les branches de notre être encore et encore plus de ces oiseaux du ciel (Mat. 13:32) comme un supplément d’être qui vient de Dieu, une nouvelle facette à notre bonté, à notre enthousiasme de vivre ? C’est cet accueil de l’Esprit dans l’humain qui doit être notre préoccupation. Pas la peur des autres, qui vient trop souvent tout troubler.
Vient enfin la dernière perle, la plus étrange :
Jésus dit : Quiconque donc se reconnaîtra en moi devant les humains, je me reconnaîtrai moi aussi en lui devant mon Père qui est dans les cieux ; mais si quelqu'un me renie devant les humains, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est dans les cieux.(32-33)
Qu’est ce qui peut empêcher le Christ de se déclarer pour nous devant Dieu ? Ce ne peut pas être de la mauvaise volonté de sa part, comme si tout d’un coup il ne nous voulait plus de bien, car Jésus ne renie même pas ceux qui le cloue sur la croix, ni la plus perdue des brebis perdues. Donc, si le Christ ne se déclare pas pour nous, c’est qu’il en est empêché. C’est ce qui peut arriver en nous-mêmes. Si ce Christ en nous est comme oublié, si on ne l’écoute pas quand il parle en nous, si notre élan vital est écrasé sous mil dimensions de notre être, bonnes certes, mais devenant envahissantes.
Ne pas laisser nos oiseaux tomber à terre, en accueillir d’autres, prêter l’oreille à ce souffle léger qui vient de Dieu, écouter cette voix qui est celle du Christ en nous, s’exprimer. Reconnaître Christ en nous.
Le reste, tout le reste viendra tout seul. Cela viendra comme ça viendra, peu à peu. Et nous marcherons, en boitant, peut-être, ou en errant, alors Dieu nous recherchera, il veille, si nous tombons à terre il nous portera.
En nous, le fils ou la fille de l’Humain vient.
Amen.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot
I
Jésus dit : 23Quand on vous persécutera dans cette ville-ci, fuyez dans une autre. Amen, je vous le dis, en effet, vous n'aurez pas accompli les villes d'Israël avant que vienne le Fils de l'homme.
II
24 Le disciple n'est pas au-dessus du maître, ni l'esclave au-dessus de son seigneur. 25Il suffit au disciple de devenir comme son maître, et au serviteur de devenir comme son seigneur.
III
S'ils appellent le maître de maison Béelzéboul, à combien plus forte raison appelleront-ils ainsi les gens de sa maison ! 26Ne les craignez donc pas, car il n'y a rien de voilé qui ne sera pas dévoilé, rien de caché qui ne sera pas connu. 27Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le dans la lumière, ce qui vous entendez à l'oreille, proclamez-le sur les toits.
IV
28 Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’élan vital ; craignez plutôt celui qui peut faire disparaître et l’élan vital et le corps dans la géhenne. 29Ne vend-on pas deux moineaux pour un sou ? Cependant pas un seul ne tombera à terre sans votre Père. 30Et de vous aussi, les cheveux de votre tête ont tous été comptés. 31N'ayez donc pas peur : vous pouvez porter beaucoup de moineaux.
V
32 Quiconque donc se reconnaîtra en moi devant les humains, je me reconnaîtrai moi aussi en lui devant mon Père qui est dans les cieux ; 33mais si quelqu'un me renie devant les humains, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est dans les cieux.
(Cf. NBS)
Au commencement était la Parole,
Et la Parole était avec Dieu
Et Dieu était la Parole...
La Parole a pris chair,
en nous elle a planté sa tente
et nous avons contemplé son éclat,
éclat du fils unique du Père,
pleine de tendresse et de fidélité.
(Cf. Bayard)
Je lève mes yeux vers les montagnes...
d'où le secours me viendra-t-il ?
Le secours me vient de l'Éternel,
qui fait les cieux et la terre.
Il empêche ton pied de glisser,
il ne dort pas, ton gardien.
Non, il ne dort pas, il ne somnole pas,
celui qui veille sur son peuple.
L'Éternel est ton gardien,
l'Éternel est ton ombrage,
il se tient près de toi.
Le soleil, pendant le jour,
ne pourra te frapper,
ni la lune durant la nuit.
L'Éternel te garde de tout mal,
il garde ton âme,
L'Éternel te garde,
au départ et à l'arrivée,
Dès maintenant et pour toujours.