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Jésus et son manteau magique

(Marc 5:24-34 ; Matthieu 14:34-36 ; Nombres 15:37-41)

(écouter, culte en entier, imprimer)

Dimanche 8 mars 2020
À Genève - Champel
prédication du pasteur Marc Pernot

En cette période d’inquiétude mondiale quant à la maladie, j’ai choisi d’ouvrir l’Évangile pour lire un récit de guérison miraculeuse par Jésus.

Il me semble que la question de Dieu en rapport avec la maladie est source des deux plus grandes raisons de perdre la foi. La première est de penser que Dieu serait parfois source de maladie ou de mal, ce qui torpille la confiance que nous pourrions avoir dans un tel personnage pervers. La seconde est de penser que Dieu pourrait guérir magiquement ceux qu’il veut privilégier, parce que cela aussi est faux, injuste et cruel.

L’une et l’autre de ces deux notions théologiques si courantes sont nocives pour la foi et elles peuvent donner de drôles d’idées sur ce qu’il serait acceptable de faire à notre prochain.

Dieu est source de vie. Il est la source ultime et toujours actuelle de la vie. Cependant, il n’a pas de rayon laser pour éliminer le perfide virus qui fond nous. Même les chrétiens d’une église fondamentaliste ont bien dû se résoudre au fait que le Saint-Esprit n’avait pas repoussé le virus. Pour cela il est plus utile de prendre, nous, les mesures utiles et d’apporter les meilleurs soins possibles.

Que penser de tous ces récits de guérisons miraculeuses des évangiles ? D’un côté, Dieu est bien réellement source de vie au delà de tout ce que nous pouvons dire et espérer, et il me semble plausible que des personnes se soient senties guéries par Jésus, en tout cas, transformées.

Prenons ce qui semble être la plus magique des guérisons dans les évangiles : à plusieurs reprises, il nous est dit qu'une personne est guérie en touchant le bord du vêtement de Jésus. Sans même que Jésus ait l’intention de guérir cette personne, par simple contact avec son manteau, comme si ce manteau était magique.

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Aujourd’hui encore, il y a plus de témoignages de guérisons miraculeuses dans les sectes et auprès des marabouts, prophètes et guérisseurs que dans les églises chrétiennes, dans les synagogues et dans les universités. C’était déjà le cas à l’époque de Jésus. En particulier dans les nombreux temples d’Esculape, qui, selon les poètes, avait reçu des pouvoirs de guérison de Chiron (le centaure mi-dieu et mi-cheval, pas la Bugatti).

Est-ce que ce récit de l’Évangile parle de guérison par un manteau magique ? Ce serait une erreur de lire ce texte comme s’il était une aventure d’Harry Potter. Cela parle d’autre chose.

Quand on regarde de près le récit de l’Évangile, ce n’est pas le verbe « guérir » (θεραπεύω) qui est employé c’est le verbe « sauver » (σῴζω), qui suggère bien plus une action spirituelle et existentielle. Ensuite, il est dit que la femme sent que son hémorragie est immédiatement asséchée au contact du manteau, pourtant c’est plus loin dans le récit, après le face à face avec Jésus qu’il lui dit qu’elle va être délivrée de ses souffrances. Cela montre que ce texte n’est pas si simple qu’il parait.

Quel était le problème de cette femme ? Elle est frappée d’hémorragie. Certains y voient un problème de règles et de fécondité, on a le droit de lire la Bible comme on veut mais rien de cela n’est marqué dans le texte. Il est seulement dit qu’elle perd du sang et qu’elle en souffre. Dans la Bible, c’est une affaire grave, car le sang est tabou. C’est expliqué ainsi dans le Lévitique (17:14) : « la vie de toute chair, c’est son sang qui est en elle ». C’est pourquoi, les hébreux ne pouvaient manger de la viande sans qu’elle soit préalablement vidée de son sang, c’est pourquoi toute perte de sang, que ce soit d’un homme ou d’une femme, était considéré comme choquant, et rendait la personne impure. Le sang, c’est la vie et la vie ne nous appartient pas, elle appartient à Dieu. Ce tabou, cette dramatisation sur le fait de verser du sang est compréhensible, le sang est la vie.

Or, cette femme constate qu’elle perd du sang en continu. Dans un sens, c’est notre lot à tous, jeune comme âgé, notre vie s’écoule, notre corps est comme poreux, laissant couler goute à goute la vie hors de nous.

Il était interdit de toucher une personne perdant du sang, en Christ cet interdit est levé, comme nous le voyons ici quand il parle si gentiment à cette femme sanguinolente qui l’a touché. Ce tabou du sang existant depuis les époques préhistoriques est il donc terminé ? Oui au sens religieux, et c’est heureux, en particulier en ce qui concerne les femmes, bien sûr, les règles étant plus signe de vie que de blessure.

Mais il reste la phobie en ce qui concerne la fragilité de la vie humaine qu’évoquait le sang dans ces anciens tabous. Nous restons impressionnés par la maladie, par la mort, par la pauvreté, par le malheur. Quand une personne en est frappée, nous avons comme un réflex de recul, un petit peu comme si c’était contagieux, ou comme si cela nous forçait à nous souvenir de notre propre fragilité, que de la vie, sans cesse depuis notre naissance, fuit de notre corps.

Les personnes frappées par la maladie, la pauvreté, le deuil ressentent ce recul, hélas. En plus d’être frappées dans leur chair, elles sont frappées par cette autre perte, humaine et sociale d’être comme d’être devenu un petit peu plus invisible, d’être parfois évité, oublié. De cela aussi : de cet abandon comme de cette propension à s’écarter du malheureux, Christ peut nous aider, nous guérir, nous sauver.

Cette femme perdant du sang est une figure de chaque personne s’interrogeant lucidement sur sa propre finitude. Cette interrogation existe dans toute les cultures depuis que nous ne sommes plus seulement une sorte de singe, l’humain constate qu’il n’a pas toujours été là et qu’il disparaîtra, il s’interroge sur l’origine de cette vie : quelle pourrait en être la source ? S’épuise-t-elle pour que nous vieillissions ? Que devenons-nous, ou non, à la mort ? La religion, depuis 100.000 ans manifeste cette recherche, ce choix de la vie. Un choix prométhéen.

C’est ce que choisit cette femme anonyme. Elle lutte. Elle cherche du côté des médecins c’est à dire du côté d’Esculape, elle va se dépenser elle même entièrement à cela sans profiter de rien. Cela révèle que le salut dont il est question ici n’est pas de cet ordre là.

Ayant entendu parler de Jésus, elle forme un autre projet. Vu son problème d’hémorragie, elle est considérée comme impure, elle n’est donc pas certaine d’arriver à atteindre son but, elle le fait dans la crainte, étant en infraction avec des tabous très profonds, elle fait en se cachant, par derrière. De toute façon, comme malheureuse et sans le sou, n’était-elle pas comme transparente aux yeux de la foule ? Pour le reste elle est certaine que si elle y arrivait elle serait sauvée. Son grand projet est de toucher de la main les franges qui sont sur le bord du manteau de Jésus. Le récit insiste sur l’importance de ce geste de toucher son manteau, c’est même répété trois fois ici, plus une autre fois plus loin dans l’évangile (6:56).

Quel sens ce grand projet a-t-il ? Quel remède, quel salut quant à notre finitude, quant à la vie qui s’échappe goutte à goutte de notre corps ?

Le terme utilisé dans plusieurs évangiles pour parler de ce fameux « bord » du vêtement de Jésus est un terme technique (κράσπεδον) qui désigne la frange rituelle portée de façon visible par le juif pratiquant, ces petites touffes de fils rappelant les actions justes qui nous sont proposées par la Loi de Moïse pour que nous les fassions. Avec en particulier aux 4 coins du vêtement ce que l’on appelle en hébreu un « tsitsit » (צִיצִת) un cordon bleu évoquant le trône de Dieu dans le ciel, aux fils blancs évoquant les désirs de nos cœurs et de nos yeux.

Cela peut être compris comme un avertissement à vivre et à gouverner sa propre existence en n’oubliant pas de penser à Dieu et à sa façon d’être, afin que cela nous inspire de ne pas vivre n’importe comment. Calvin a bien mis en avant cet appel à vivre « Coram Deo » en se plaçant ainsi délibérément face à face à Dieu pour envisager notre façon de vivre les petites et les grandes choses. C’est d’autant plus précieux que dans la foi chrétienne nous ne sommes plus soumis à une loi, nous sommes dans la liberté qu’ouvre l’amour de Dieu. Nous le voyons bien ici, puisque la femme transgresse le tabou du sang, et Jésus l’accompagne délibérément et joyeusement dans ce chemin, lui disant qu’elle n’a rien à craindre.

Ce n’est donc pas une soumission à Dieu qu’évoquent ces tsitsit tressés de bleu et de blanc que Jésus porte aux quatre ailes de son manteau. Le bleu n’encadre plus, n’enserre plus le blanc, le bleu est tressé avec le blanc, dans une alliance où la crainte n’a plus de place, où Dieu est avec nous, où il est pour nous, et même en nous par son Esprit. C’est ce que cette femme a appris de Jésus, il est à la fois fils de l’humain et fils de Dieu. La nature même de Jésus est d’être Tsitsit, tressé de ce bleu-là et de ce blanc.

Touchant du doigt cette réalité de l’humain en Jésus, la femme voit aussitôt sa propre vie et son être autrement. Nous sommes un corps et plus qu’un corps, nous sommes un corps comme ce fil blanc tout tressé de bleu, de divin, et cela aux quatre coins de notre être. Cela, Jean nous le dit dans son langage poétique en disant que Jésus est « la Parole de Dieu faite chair », et que cette Parole « nous donne le pouvoir de devenir enfant de Dieu, non seulement né de la chair, ou de la volonté humaine, mais de Dieu » (Jean 1:12-14).

En ce 8 mars qui nous invite à repenser tout particulièrement la place de la femme dans la société humaine, c’est une femme qui découvre cette double nature du Christ et d’elle-même. En effet, c’est bien cela qu’elle découvre, qu’elle est sœur du Christ, en non pas sa fille spirituelle, elle est sa sœur par cette dimension divine qui constitue la trame de son être, et sœur par la dimension terrestre, par le sang, par la souffrance, par le cœur, par un point de vue personnel.

Ce récit, par les expressions employées, montre à de multiples reprises que la femme et Jésus se ressemblent extraordinairement :

C’est ainsi que découvrant Jésus elle se sent tissée de la même trame et de la même chaine. Comme il est fils de Dieu et fils de l’humain, elle se découvre fille : fille et de Dieu et de l’humain.

Quand elle cherchait à tout prix à aller vers Jésus c’est qu’elle avait entendu qu’il y avait dans cet homme quelque chose de puissant pour aider à vivre. Le savoir est une chose. C’en est une autre de s’en saisir comme elle saisit le bord du vêtement de Jésus, de prendre cette réalité en main, c’est à dire dans l’action, dans le faire, pas seulement dans le savoir. Elle attendait une petite recharge comme quand on pose notre téléphone sur sa base. C’est un coup de défibrillateur qu’elle reçoit.

Avec ces tabous du sang, avec notre phobie de la détresse de nos frères et sœurs, nous étions dans la crainte que l’impureté contamine ce qui est pur, nous infecte et nous fasse mourir. Jésus incarne l’inverse : sa façon d’être à la fois si divine et si humaine est contagieuse, sa vie porte une abondance de vie. Sa confiance (sa foi) en Dieu donne de se savoir gardé par Dieu, tenu et non contraint par ce fil bleu s’azur.

Alors certes, si notre fil blanc s’use, le bleu, lui est de saphir et porte une dimension d’éternité, par ce Dieu qui tient à nous.

Comme la femme nous pouvons sentir que la vie ne s’écoule plus de notre être, que notre vie est là et bien là même quand nous mourrons, comme le dit Jésus à son amie Marthe (Jean 11:25). Ou comme le dit l’apôtre Paul : « Nous ne perdons pas courage : même si notre être extérieur se détruit, notre être intérieur se renouvelle de jour en jour. » (2 Corinthiens 4:16). Telle est notre nature, tressée de bleu et de blanc. C’est pourquoi Jésus ne s’attribue pas le miracle qui sauve la femme, ce n’est pas lui qui a inventé de tresser la chair et l’Esprit en l’humain, il l’a juste vécu et cela a touché la femme, et elle l’a découvert par la foi, et cela annonce pour elle un cheminement en paix, et progressivement libérée de son angoisse comme Jésus le lui promet (5:34).

Par ce tressage des fils bleus et blancs en notre être, comme nous le voyons ici en Jésus, notre simple présence au milieu de la foule peut déborder d’une puissance de vie qui nous dépasse totalement. Jésus est étonné lui-même de cette puissance de vie sortant de lui. Jésus annoncera plus tard que nous sommes comme cela par nature, non par nos mérites : « En vérité, en vérité, nous dit Jésus, celui qui a foi en moi fera aussi les œuvres que je fais, et il en fera même de plus grandes » (Jean 14:12).

Comme le centaure Chiron est mi-dieu, mi cheval, nous avons conscience d’être tressé, nous, de Dieu et d’humain, de chair et d’Esprit, de sang et de souffle, et capable de miracles de guérison, de soulagement, de vie et de paix pour bien d’autres personnes autour de nous, d’une façon contagieuse.

Amen

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

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Lecture Biblique :

Évangile selon Marc 5:24-34

24 Une grande foule suivait Jésus et le pressait. 25Or, il y avait une femme atteinte d'une perte de sang depuis douze ans. 26Elle avait beaucoup souffert entre les mains de plusieurs médecins ; elle avait dépensé tout ce qu'elle possédait sans en tirer aucun avantage ; au contraire son état avait plutôt empiré. 27Ayant entendu parler de Jésus, elle vint dans la foule par derrière et toucha son vêtement. 28Car elle disait : Si je puis seulement toucher ses vêtements, je serai sauvée. 29Aussitôt, la perte de sang s'arrêta, et elle sentit dans son corps qu'elle était guérie de la souffrance. 30 Jésus ressentit en lui-même qu'une force était sortie de lui, aussitôt, il se retourna au milieu de la foule et dit : Qui a touché mes vêtements ? 31Ses disciples lui dirent : Tu vois la foule qui te presse, et tu dis : Qui m'a touché ? 32Et il regardait autour de lui pour voir celle qui avait fait cela. 33La femme effrayée et tremblante, sachant ce qui s'était passé en elle, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité. 34Mais Jésus lui dit : Ma fille, ta foi t'a sauvée ; va en paix et sois guérie de ta souffrance.

Évangile selon Matthieu 14:34-36

34 (Jésus et les disciples) achevèrent la traversée et arrivèrent à Gennésareth. 35Les gens de l'endroit le reconnurent et le firent annoncer dans toute la région, et on lui amena tous les malades. 36On le suppliait de leur laisser toucher ne serait-ce que la frange de son vêtement. Et tous ceux qui le touchèrent furent sauvés.

Nombres 15:37-41

37 L'Éternel dit à Moïse : 38Parle aux Israélites, et tu leur diras qu'à (chaque) génération ils se fassent une frange au bord de leurs vêtements, et qu'ils mettent un cordon azur sur cette frange du bord (de leurs vêtements). 39Vous aurez cette frange, vous la regarderez et vous vous souviendrez de tous les commandements de l'Éternel pour les mettre en pratique, et vous ne suivrez pas les désirs de vos cœurs et de vos yeux qui vous conduiraient à être infidèle. 40Vous vous souviendrez ainsi de tous mes commandements, vous les mettrez en pratique et vous serez saints pour votre Dieu. 41Je suis l'Éternel, votre Dieu, qui vous ai fait sortir du pays d'Égypte, pour être votre Dieu. Je suis l'Éternel, votre Dieu.

Zacharie 8:23

Ainsi parle l’Éternel, Dieu de l’univers : En ces jours-là, dix personnes de toutes les langues que parlent les nations s’accrocheront à un Juif par le pan de son vêtement en déclarant : « Nous voulons aller avec vous, car nous l’avons appris : Dieu est avec vous. »