(Jean 10:23-39 ; Psaume 82)
(écouter l'enregistrement) (voir la vidéo ci-dessous)
Culte du dimanche 3 juin 2012
prédication du pasteur Marc Pernot
Les théologiens traditionalistes accusent Jésus :
« Toi, qui es un homme, tu te fais Dieu »
Jésus répond qu’il ne s’est jamais dit « Dieu » mais « fils de Dieu », ce qui n’est pas du tout la même chose. Mais Jésus dit aussi quelque chose d’important, il dit qu’il aurait très bien pu se présenter comme « dieu » sans blasphémer puisque la Bible elle-même nous dit que nous sommes des dieux, chacun de nous sans distinction ni condition, et donc lui aussi.
Jésus tenait donc là un argument imparable pour se présenter comme Dieu s’il l’avait voulu. Mais il ne le fait pas. Il ne le fait même pas du tout, il insiste une demi-douzaine de fois dans ce texte pour rendre à Dieu ce qui est à Dieu et bien faire la distinction avec lui, Jésus. Cela commence par le nom qu’il utilise ici pour parler de Dieu, il l’appelle systématiquement « mon Père » et non « Dieu » comme le font ses contradicteurs. Jésus montre ainsi clairement que oui, Dieu n’est pas sans rapport avec ce qu’il est, un fils et son père ont tant en commun mais que Dieu est la source, et que lui, Jésus, est un fruit de cette source. Jésus insiste : c’est le Père qui lui donne la vie, c’est lui qui le sanctifie c’est-à-dire qu’il lui donne une place, une dignité et un rôle en ce monde. C’est Dieu, nous dit Jésus, qui lui donne la force de parler et d’agir… et ce qu’il y a de meilleur dans ses actes ne vient pas de lui-même, cela ne vient pas de l’homme mais de son Père.
Alors, est-ce que Jésus serait Dieu quand même ?
Parmi les théologiens chrétiens un courant majoritaire (qui n’a pas nécessairement plus raison qu’un courant minoritaire, mais bon…), un courant majoritaire affirme depuis les IVe-Ve siècles que Jésus est Dieu et homme, uni en une seule personne.
Dans un certain sens, c’est vrai, nous le voyons dans ce texte de l’Évangile et dans le Psaume que cite Jésus :
Ce n’est donc pas faux de dire que Jésus est à la fois Dieu et homme, dans un certain sens, et que nous sommes tous à la fois dieux et hommes. Enfin, tout dépend comment on comprend et ce que l’on fait de ce concept. Il est à manier avec grande précaution, à mon avis.
Cette question n’est pas que de la théologie abstraite. Elle est en réalité assez importante pour notre foi et notre cheminement.
À la base, il y a une expérience, celle de la présence de Dieu.
De fait, nous n’avons aucune chance de rencontrer Dieu dans la rue, car il n’existe pas comme un corps matériel existe. Dans le monde nous voyons de belles choses que nous pouvons raisonnablement considérer comme des traces de l’action de Dieu, comme on imagine le geste de l’ébéniste en voyant une sculpture sur ces boiseries, mais ce n’est pas Dieu que nous voyons dans la nature, mais peut-être le résultat de son action, comme un mouvement, une nouveauté.
Dieu, quand il nous arrive de sentir sa présence, se manifeste comme une expérience intérieure qui nous mène plus loin que notre horizon. Cela peut être également dans la relation que nous avons avec une personne que nous sentons quelque chose de cet ordre, peut-être grâce à quelque trait de personnalité ou d’action d’une personne que nous côtoyons, si on l’aime assez pour savoir discerner Dieu en elle ou discerner quelque chose de plus grand que l’homme dans ce qui se passe entre quelques personnes réunies.
C’est donc bien à l’intérieur de l’humain que nous expérimentons Dieu, en réalité. Cela ne veut pas dire que Dieu n’existe pas autrement ou ailleurs, mais en ce qui nous concerne, c’est toujours au creux de la personne humaine et des relations humaines que nous pouvons avoir une relation à Dieu.
Et donc, ce n’est pas faux, et c’est même important de dire qu’il y a du Dieu dans l’homme, car c’est bien là que nous pouvons le chercher, l’attendre, et l’explorer. C’est évidemment fondamental pour nous, chrétiens, de reconnaître Dieu en Jésus.
Je ne suis pas certain que Dieu soit plus présent en Jésus qu’en nous, dans le passage que nous lisons ce matin, il ne le prétend pas, bien au contraire, il cite ce verset de la Bible qui nous appelle tous « des dieux » et Jésus explique que cela est un don de Dieu, indépendamment de nos qualités et de nos mérites personnels. En donc pas plus pour lui que pour n’importe qui d’autre. Mais ce que dit Jésus c’est qu’il s’est senti personnellement choisi (sanctifié) par Dieu pour une mission spéciale : être l’Envoyé dans le monde, l’Apôtre, celui qui manifeste Dieu.
Et c’est vrai que Dieu est présent en Jésus, comme il le dit ici, c’est vrai qu’il y a une unité profonde entre Dieu et lui. Dans la personnalité de Jésus, il existe des signes de ce qu’est Dieu et de ses œuvres. Mais n’exagérons pas quand même, ce sont, comme le dit ici Jésus, quelques-unes de « ses œuvres bonnes » qui manifestent Dieu. Une autre partie de ce que fait Jésus ne manifeste que sa seule humanité, voire notre animalité commune, comme quand il se gratte le sourcil, par exemple, ce qui a bien dû lui arriver (ce n’est pas un robot), ou quand il mange, digère et va ensuite, comme Jésus le dit lui-même, « dans un lieu secret » (Mt 15:17).Il y a du Dieu en lui, et il est homme.
Jésus se présente comme « Fils de Dieu », il refuse de se dire « Dieu » avec une majuscule, il refuse même de se dire « dieu » avec une minuscule comme le fait le Psaume de la Bible, pourtant, c’est ce qu’affirmeront hardiment certains conciles quelques siècles plus tard. Dire que « Jésus est Dieu » ce n’est pas totalement faux, le problème c’est que ce n’est pas dénué de risque sur les plans spirituel et existentiel.
En considérant que Jésus est « Dieu », d’une certaine façon, nous divinisons Jésus, ce faisant nous divinisons quand même un peu l’homme Jésus, celui qui se gratte le sourcil, qui mange et qui digère. Et comme Jésus est un modèle pour nous, en divinisant Jésus c’est aussi nous-mêmes que nous risquons de trop diviniser. Sans le vouloir et plus ou moins inconsciemment mais la pente est si glissante, comme le dit très justement ce génial conte théologique d’Adam et Ève au pays du serpent qui parle et de l’arbre qui se mange. Or ce récit est écrit pour nous dire que ce n’est pas génial de se prendre pour Dieu, cela trouble notre relation à Dieu, cela nous rend l’existence des autres insupportable, nous faisant nous exclamer : comment ? Les autres ne sont pas tous à mes pieds, à moi qui suis Dieu, mais enfin, quel manque de savoir vivre !
Donc, à mon avis (vous pouvez évidemment être d’un autre avis) cela vaut mieux de s’en tenir à ce que dit Jésus sur lui-même, et le considérer comme « fils de Dieu », ou comme « l’envoyé » de Dieu dans le monde. C’est déjà très bien.
C’est souvent ce qui finit par arriver quand on met l’accent sur la divinité de Jésus. À mon avis, le danger est encore plus grand.
En même temps, je comprends que l’on prie Jésus, car Dieu est particulièrement visible en lui, et Jésus est plus concret, plus compréhensible que Dieu. À vrai dire, ce n’est pas facile de prier Dieu authentiquement. On ne le voit pas, on ne sait pas bien qui il est, il est même difficile d’imaginer ce que peut bien être Dieu, source de toute vie, au-delà de tout. On ne sait même pas s’il existe, ou plutôt nous ne savons pas bien comment il existe… Il est donc naturel d’avoir envie de prier de prier du plus concret, et Jésus est effectivement un meilleur candidat, quand même, que le premier veau d’or venu.
Je comprends donc que l’on prie Jésus, c’est certainement mieux que ne de pas prier et cela peut apporter des effets positifs bien réels. En priant Jésus, c’est Dieu que l’on prie alors en Jésus, ce Dieu qui se manifeste en lui, que l’on sent grâce à lui être source de pardon, source de guérison et de vie, ce Dieu qui nous rejoint, nous accompagne et nous relève, nous engueule un peu aussi, mais pour nous stimuler… Tout cela, oui, c’est Dieu. Dieu qui est en Jésus, comme il vient en nous, nous dit Jésus. Effectivement, nous sommes façonnés par l’idéal que nous contemplons et prier Jésus c’est se placer face à une bien belle conception de Dieu, de la foi et de la justice, celles de l’Évangile. Et c’est excellent.
Je comprends donc que l’on prie Jésus, mais en même temps il y a un risque, c’est justement d’avoir une prière trop horizontale, une prière trop facile, trop confortable. Une prière et une conception de Dieu qui manquent précisément de cette altérité qui nous aide à sortir de nous-mêmes, sortir comme un grain de blé jeté en terre, qui, si les conditions sont assez bonnes, devient vivant et s’élève hors de terre.
D’accord, c’est bien au cœur de l’homme que Dieu s’incarne, comme il le fait en Jésus-Christ. Mais justement, ce qui nous tire vers le haut c’est cet appel, cet ensemencement venu directement de Dieu vers chacun de nous, c’est cette force d’évolution qu’est Dieu. La réussite de l’incarnation de la Parole de Dieu en Jésus nous encourage à vivre à notre tour cette ouverture à l’appel singulier que Dieu a pour chacun de nous. le Christ est comme un doigt qui montre la lune, il faut suivre de notre regard ce doigt qu’est le Christ, le suivre de notre espérance et de notre prière.
Il ne s’agit donc pas pour nous d’adorer le Christ, ni même Dieu en Christ. Mais reconnaissant Dieu en Christ, nous pouvons saisir que Dieu nous a déjà sanctifié comme il a appelé Jésus, mais pour autre chose car nous ne sommes pas Jésus, nous sommes un autre individu dans d’autres circonstances, avec notre propre sensibilité.
Nous pouvons donc méditer sur le Christ, oh que oui, mais je pense que c’est Dieu et Dieu seul que nous devons prier. Comme Jésus d’ailleurs nous le dit dans 100% des cas.
La lecture que Jésus fait ici du Psaume 82 est intéressante, dans ce sens. Jésus dit :
« Il est écrit dans votre Bible :’ Vous êtes des dieux’.
La Bible a ainsi appelé dieux
ceux à qui la parole de Dieu a été adressée... » (Jean 10:34).
Selon Jésus, ceux qui peuvent ainsi être appelés « des dieux » sont ceux à qui la Parole de Dieu a été adressée ! Or, à qui est adressée la Parole de Dieu ? À toute personne humaine, aux justes et aux pécheurs, aux religieux et aux athées, aux riches et aux pauvres. C’est ce qu’affirme le Psaume cité, d’ailleurs, en disant que « toutes les populations appartiennent à Dieu, de la terre entière ».
C'est le principe même de la mission du Christ que d'adresser la Parole de Dieu à toute personne, sans condition, et c’est ce qu’il fait. C’est d’ailleurs la base même de l’alliance passée par Dieu avec Noé que James nous a commenté dimanche dernier.
Pour Jésus, les personnes qui sont appelées « des dieux » dans le Psaume 82 ce sont « ceux à qui la parole de Dieu a été adressée ». Jésus ne dit pas que ce seraient ceux qui « écoutent la Parole de Dieu et qui la gardent » qui seraient des dieux, mais ceux vers qui la Parole de Dieu est adressée, qu'ils la reçoivent ou non. Cette interprétation que Jésus donne de ce Psaume fait évidemment bondir les intégristes de l'époque qui saisissent déjà des pierres pour lapider Jésus.
Pourtant, Jésus a raison. Dans un sens, nous sommes des dieux, avec un d minuscule, comme dans le psaume, par l’appel que Dieu nous a déjà adressé.
Mais quand même, il y a par nature en tout être humain, une part divine, une étincelle de vie qui vient de Dieu et qui nous donne de prendre part à l'éternité.
Nous sommes des petits dieux. Cela ne nous a pas totalement échappé, à vrai dire. C’est peut-être pourquoi nous adorons n’en faire qu’à notre tête.
Dans un sens, cela tombe bien. Le projet de Dieu est que nous puissions en faire à notre tête, mais après nous avoir fait lever la tête, après nous avoir donné des yeux pour voir et une intelligence pour comprendre, et une force qui nous permettre d’être effectivement aux commandes de notre vie et non seulement notre argent, notre ventre ou notre sexe, notre humeur ou le hasard. Sinon, c’est la catastrophe, comme toujours, pour les malheureux et les pauvres autour de nous…
C’est pourquoi le Psaume se termine par cet appel
Lève-toi, ô Dieu, gouverne la terre !
Ce verset peut être lu comme un appel pour que notre part divine se lève, ressuscite et gouverne enfin notre dimension terrestre.
Mais c’est bel et bien, surtout à l'Éternel que nous adressons cette prière essentielle, pour qu'il continue son œuvre de création dans le monde et en nous, pour « que son règne vienne sur la terre comme au ciel ».
Et pourquoi pas aussi qu’il règne sur nous, qu’il préside, comme le dit la Psaume, l’assemblée des dieux que nous sommes par sa grâce ? Alors, non seulement Dieu et Christ seront en nous, mais nous aussi serons en Dieu. Et Dieu ne préside pas en ordonnant mais en nous éclairant, en nous bonifiant. Nous serons alors un petit peu une bénédiction pour quelques uns, d’une certaine façon.
Pour notre joie et pour la leur.
Amen
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Jésus se promenait dans le temple, sous le portique de Salomon.
24 Les Juifs l’entourèrent, et lui dirent: Jusqu’à quand tiendras-tu notre esprit en suspens? Si tu es le Christ, dis-le nous franchement.
25 Jésus leur répondit: Je vous l’ai dit, et vous ne croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi. 26 Mais vous ne croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes brebis. 27 Mes brebis entendent ma voix; je les connais, et elles me suivent. 28 Je leur donne la vie éternelle; et elles ne mourront jamais, et personne ne les ravira de ma main. 29 Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous; et personne ne peut les ravir de la main de mon Père. 30 Moi et le Père nous sommes un.
31 Alors les Juifs prirent de nouveau des pierres pour le lapider.
32 Jésus leur dit: Je vous ai fait voir plusieurs bonnes œuvres venant de mon Père : pour laquelle me lapidez-vous?
33 Les Juifs lui répondirent: Ce n’est pas pour une bonne œuvre que nous te lapidons, mais pour un blasphème, et parce que toi, qui es un homme, tu te fais Dieu.
34 Jésus leur répondit: N’est-il pas écrit dans votre loi : J’ai dit : « Vous êtes des dieux » ? 35 Si elle a appelé « dieux » ceux à qui la Parole de Dieu a été adressée, et si l’Écriture ne peut être anéantie, 36 celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde, vous lui dites: Tu blasphèmes! Et cela parce que j’ai dit: Je suis le Fils de Dieu. 37 Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas. 38 Mais si je les fais, même si vous ne me croyez pas, croyez à ces œuvres afin que vous sachiez et reconnaissiez que le Père est en moi et que je suis dans le Père.
39 Là-dessus, ils cherchèrent encore à le saisir, mais il s’échappa de leurs mains.
Psaume d’Asaph.
Dieu se tient dans l’assemblée de Dieu,
Il gouverne au milieu des dieux.
2 Jusqu’à quand gouvernerez-vous avec iniquité,
Et aurez-vous égard à la personne des méchants ? Pause.
3 Rendez justice au faible et à l’orphelin,
Faites droit au malheureux et au pauvre,
4 Sauvez le misérable et l’indigent,
Délivrez-les de la main des méchants.
5 Ils n’ont ni savoir ni intelligence,
Ils marchent dans les ténèbres,
Tous les fondements de la terre sont ébranlés.
6 J’ai dit : Vous êtes des dieux,
Vous êtes tous des enfants du Très-Haut.
7 Cependant vous mourrez comme des hommes,
Vous tomberez comme un prince ordinaire.
8 Lève-toi, ô Dieu, gouverne la terre !
Car toutes les nations t’appartiennent.