( Évangile selon Luc 10:38-41 )
(écouter l'enregistrement) (voir la vidéo ci-dessous)
Culte du dimanche 15 août 2010
prédication du pasteur Marc Pernot
Après avoir suivi dans la Bible plusieurs couples de frères ces derniers dimanches (ici & là), je vous propose de suivre maintenant l’histoire des deux sœurs Marthe et Marie (ce n’est pas la même Marie que la mère de Jésus).
Ce récit se trouve à un endroit clé dans l’Évangile, il sert à illustrer ce principe fondamental de vie que nous propose Jésus-Christ : d’aimer Dieu de tout notre être et d’aimer notre prochain comme nous mêmes. C’est bien utile de nous donner à réfléchir là-dessus, car comment faire pour aimer à la fois Dieu à 100%, aimer notre prochain à 100% et s’aimer en plus soi-même à 100% ? Même si ces 300% se combinent en partie, il nous faut sans cesse naviguer à vue en fonction des circonstances. C’est clairement ce que Jésus pense puisqu’en citant le fameux commandement de Moïse d’écouter Dieu et de l’aimer à 100%, Jésus ajoute qu’il faut l’aimer avec « toute son intelligence ».
L’intelligence, cela se travaille, cela se muscle. C’est ce que nous propose ici l’Évangile avec ce récit de Jésus chez Marthe et Marie, cette histoire s’ajoute à la parabole du bon samaritain qui, elle aussi, interroge cette question du dosage à trouver à chaque instant pour que les 300% d’amour entrent le mieux possible dans les 100% de notre existence et de nos forces.
Suivons donc ce cheminement de Marthe, de Marie, de Jésus et de ses disciples qui suivent Jésus.
Marie est au pied de Jésus et écoute sa parole, c'est très bien, elle évoque ainsi une des façons d’aimer Dieu dans l’écoute et la contemplation. C’est une des façons d’aimer Dieu, Marthe en a une autre, les disciples qui sont sur la route avec Jésus en ont encore une autre, mais Marie nous donne une première façon utile d’aimer Dieu. Elle nous montre que c'est une bonne idée de prendre un peu de temps pour réfléchir sur les paroles du Christ et pour prier Dieu, elle nous montre que la prière c'est d'abord se placer devant Dieu, se placer même à ses pieds et se taire, comme Marie ici, se reconnaître comme inférieur à Dieu et l’écouter. Il y a également un temps pour se tenir debout en avançant et en agissant, un temps pour parler et même débattre avec Dieu, comme Marthe.
Cela ne veut pas dire qu’il faille des personnes qui se dévouent pour être des Marthe et d’autre pour être des Marie, mais Marthe et Marie sont bien entendu complémentaires et toutes deux essentielles pour chaque personne individuelle. Car si toutes les deux aiment Dieu, Marthe s’épuise dans son service, elle s’aigrit même un petit peu, il serait peut-être temps pour elle d’aimer maintenant comme Marie. Et quand Marie sera un peu plus en forme, elle trouvera les mots pour s’exprimer, se défendre et pourra aussi se mettre un petit peu au service à sa façon.
En aimant Dieu ainsi, Marie ne se sacrifie pas du tout, au contraire. Prier ainsi appartient à un amour de soi-même, un amour intelligent et utile car Dieu est le créateur de la vie, il est une formidable source d'évolution.
Mais cette prière n’est pas une fin en soi. Jésus dit souvent que c’est essentiel d’être dans l’écoute de la Parole de Dieu, mais il ajoute toujours que cela n’est rien si l’on ne la met pas ensuite en pratique en allant vers l’autre et acceptant de se mettre au service des autres et en acceptant aussi d’être parfois aidé par d’autres.
Si l’on entend cet appel de Jésus, on peut donc dire que Marthe est à un stade de développement plus avancé que Marie (il n’y a là aucun jugement de valeur, bien sûr), mais apparemment, la Parole écoutée a déjà germé en elle et produit maintenant de bons fruits dans le service de l’autre.
Quand on lit un peu rapidement ce texte, on a l'impression que Marthe se fait critiquer par Jésus, mais ce n'est pas si clair que ça. En réalité, elle est formidable, enfin, il y a des choses formidables dans sa façon d'être, même s'il y a aussi des choses moins bien, comme en chacun de nous. Reprenons le texte :
Jésus était en chemin avec ses disciples,
il entra dans un village
et Marthe le reçut dans sa maison.
C’est bien elle, Marthe, qui reçoit Jésus et ses disciples. Marthe est vraiment présentée ici comme le type même du chrétien. Elle nous invite à accueillir le Christ chez nous, et même, nous dit le texte, à l’accueillir dans son cheminement, à accueillir sa dynamique. Ce n’est donc pas seulement le regarder et l’adorer mais c’est entrer dans une démarche christique.
Mais évidemment, recevoir Dieu dans sa vie demande d’y consacrer un certain temps, une certaine énergie, très concrètement, comme Marthe qui se décarcasse. Chacun son rythme ou sa façon de pratiquer sa recherche de Dieu, ici dans ce temple ou chez soi, mais cela demande toujours un certain investissement de notre part pour accueillir concrètement Dieu dans notre vie. L'existence même de l'Église est due à des Marthe pour construire, éclairer, donner de l’argent et du temps, jouer de l’orgue, filmer, accueillir… Heureusement qu'il y a des personnes comme Marthe. C’est ainsi que nous avons pu, comme Marie, laisser Dieu nous parler un peu.
Marie est donc aux pieds de Jésus et l'écoute.
Marthe, occupée à divers services dans la maison, survient et dit à Jésus :
« Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur me laisse seule pour servir ?
Dis-lui donc de m'aider. »
Là, il y a du bien et du moins bien dans l'attitude de Marthe. Ce qui est formidable, c'est qu'elle est vraiment au service des autres, elle n'a pas honte de se retrousser les manches et de servir au lieu de faire la princesse dans sa maison. Marthe est donc, elle, passée de l'écoute de la Parole de Dieu au service des autres. C'est ce que Jésus nous invite à faire par ses propres actes mais aussi avec cette célèbre parabole du bon samaritain qui se trouve dans l'évangile juste avant notre texte.
Peut-être que si Marthe parle comme ça de sa sœur à Jésus, c'est qu'elle se préoccupe du salut de Marie, on connaît un autre épisode ou Marthe aide aussi sa sœur à avancer dans la foi (Jean 11:28). Marthe trouve peut-être que maintenant que sa sœur a bien écouté Jésus, elle pourrait passer à l'application pratique en regardant autour d’elle et donnant un coup de main. Je dirais la même chose à quelqu'un qui serait tout le temps en train de prier et de lire la Bible, je lui dirais que c’est trop, que c'est comme de construire un superbe bateau dans son garage et de ne jamais aller faire un tour avec...
C'est vrai que Marie, elle, écoute Jésus, et qu'elle n'a apparemment aucune pensée pour sa sœur qui fait tout le service, elle aurait pu soit lui donner un coup de main, soit aller la voir pour lui conseiller de s'arrêter un peu pour prendre le temps d'écouter Jésus à son tour.
L'attitude de Marthe n'est donc peut-être pas si mauvaise, mais ce qui est plus discutable c'est qu'elle donne un ordre à Jésus : « Dis à ma sœur de m'aider. » À mon avis, c'est une mauvaise idée de dire à Dieu ce qu'il devrait faire. On a tout à fait le droit de dire à Dieu que l’on est pas d’accord, il y a de nombreux exemples dans la Bible où l’on voit ça. Mais ce qui n’est pas bon c’est d’oublier que Dieu est Dieu en se pensant être son supérieur ou même son égal. Marthe a vraiment écouté Dieu, cela l’a élevée, lui donnant une générosité et une force admirable, mais ce ne devrait pas être une raison pour s’autoriser à dire au Christ ce qu’il devrait faire ! Marthe semble être ici à un stade plus avancé de la foi que Marie. Mais cela ne devrait pas être une raison pour ne pas parler à sa sœur. Si vraiment elle s’intéresse à sa progression : elle pourrait lui dire ce qu’elle a sur le cœur.
Le Seigneur lui répondit : Marthe, Marthe,
tu t'inquiètes et tu t'agites pour beaucoup de choses.
Une seule chose est nécessaire.
La façon dont Jésus appelle Marthe montre tout le respect que Jésus a pour elle, en effet, dans la Bible, cet appel avec le nom répété deux fois n’est donné que pour de grands grands serviteurs de Dieu, ayant à la fois les deux faces de l'amour que sont l'écoute de Dieu et le service de l'autre. Bravo à Marthe, mais Jésus lui fait remarquer qu'elle « se préoccupe et s'agite pour beaucoup de choses ». À force d'être dans l'action, sa vie se disperse, s'éparpille, devient un chaos, non seulement nos actes s’éparpillent, mais même nos pensées, nous dit Jésus, on confond Dieu et son chien, on croit que l’action peut tenir lieu de prière, on considère comme vitales des choses qui pourraient être infiniment simplifiées…
Une seule chose est nécessaire, dit Jésus, ce qui est nécessaire c’est d’unifier son être et sa vie. Que le service de l’autre nous vienne comme un prolongement de notre prière ; et que la rencontre de l’autre nous élève le cœur vers Dieu. À force d’être dans l’agitation, nous nous dispersons… Jésus lui-même n’y échappe pas, apparemment, puisque bien souvent, après un temps d’intense rencontres et débats avec des foules de personnes, Jésus renvoie tout le monde, assez brusquement d’ailleurs, pour se retirer seul et prier. Pour se recentrer autour de l’unique, cet unique absolu qu’est Dieu, et que dans cette rencontre, Dieu rassemble les brins dispersés de notre être, élague les branches mortes ou folles.
Toute la question est donc de savoir où nous en sommes à un moment donné. Est-ce le moment de s'arrêter pour écouter Dieu, ou est-ce le moment de sortir vers les autres pour les aider ?
Marie a choisi, et bien choisi. Le mieux, à ce moment-là, c'est pour elle de s'asseoir aux pieds de Jésus pour écouter la Parole. Marthe aussi a choisi, peut-être qu'elle a bien choisi au début, grâce à sa foi, pour que le Christ puisse être entendu par ses proches. Elle a bien choisi de s’arrêter une seconde pour aller voir Jésus, quand elle a senti que ça n’allait plus.
Quant à Marthe, c’est vrai qu’elle parle sans doute maladroitement contre Jésus et contre sa sœur. Mais au moins c’est vers lui qu’elle va, et ça c’est bien mieux que de garder en elle-même sa rancune dans le silence. Pour peu qu’elle écoute ce que lui dit Jésus, elle va maintenant pouvoir s'arrêter un peu et recevoir du Christ une paix qu'elle n'a plus, une nouvelle capacité à aimer alors que son amour faiblissant l’amenait à voir le mal en sa sœur et même à voir le mal en Dieu...
Il y a place dans notre vie pour l'écoute de Dieu avec Marie, une place pour le service avec Marthe, une place pour le silence et une place pour le débat. Ces deux axes sont faits pour aller ensemble dans chacune de nos vies individuelles, dans notre journée, notre semaine, notre année.
Mais il y a dans cette histoire une troisième figure importante qu’il ne faut pas oublier : ce sont les disciples de Jésus. Si le texte prend la peine de nous les présenter au début ce n’est certainement pas pour rien. Ils sont, eux aussi, une figure de ce qu’il est bon d’être puisqu’ils sont en chemin avec le Christ, nous dit le texte, et ce chemin c’est la vérité et la vie. Ils entrent avec le Christ chez Marthe, mais ensuite on ne les voit ni au pieds de Jésus pour l’écouter,ni au service de leur prochain à la cuisine avec Marthe. Quelle autre 3e activité est essentielle à l’homme qui ne soit ni dans le service de Dieu, ni dans le service de l’autre ? C’est le repos. C’est « sanctifier le temps du repos ». Les disciples de Jésus font peut-être la sieste, ils bavardent entre eux de tout et de rien, ils prennent l’apéro en attendant que le repas se fasse tout seul… qu’importe. Il y a dans ce temps de jachère un temps pour nous rappeler que la grâce de Dieu suffit à justifier nos vies, et qu’une existence humaine, même improductive, a une valeur infinie. Un temps pour nous rappeler que nous ne sommes pas à l’usine, que la religion est un moyen et non pas une fin en soi, que le service est lui aussi une grâce avant d’être un devoir.
Il y a trois amours essentielles nous dit Jésus : aimer Dieu, son prochain et soi-même.
Tout est une question de dosage entre ces éléments, à chaque instant, une question de choix avec un peu d’intelligence et beaucoup d’amour. Amen.
Amen.
Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot.
Comme Jésus était en chemin avec ses disciples,
il entra dans un village, et une femme, nommée Marthe, le reçut dans sa maison.
39 Elle avait une sœur, nommée Marie, qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.
40 Marthe, occupée à divers soins domestiques, survint et dit:
Seigneur, cela ne te fait-il rien que ma sœur me laisse seule pour servir? Dis-lui donc de m’aider.
41 Le Seigneur lui répondit: Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses.
42 Une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera point ôtée.