(écouter, culte entier, imprimer la feuille)
Dimanche 20 novembre 2022
Culte au temple de Cologny
prédication du pasteur Marc Pernot
Les disciples de Jésus se rendent compte tout d’un coup qu’ils n’ont pas pris assez de pain pour leur promenade en bateau sur le lac. Voilà le drame qui se noue dans ce récit de l’Évangile.
Qu’il soit une bonne idée de ne pas oublier le pique-nique quand on part en balade, nous n’avons pas besoin de l’Évangile pour attirer notre attention sur ce point. Bien entendu, la question n’est pas celle de ce pain là. C’est possible que ce soit à l’occasion d’une anecdote comme celle là que Jésus a invité ses disciples à ne pas oublier de nourrir notre cheminement. Il est question d’une traversée comme vers une autre rive, nous dit le texte, une autre rive, une autre façon d’être où la vie dépasse l’écorce de la vie, où nous prenons en compte la profondeur, la hauteur et l’extension de notre existence.
Comment faire ? La physique nous apprend que toute mise en mouvement demande un apport d’énergie, notre traversée vers une vie augmentée demande naturellement aussi d’être alimentée. Il nous faut donc prendre du pain, c’est le sujet de ce récit. Comment ? Apparemment c’est une question de mémoire : ne pas oublier les pains, et pour cela, Jésus nous propose de faire un travail de mémoire sur notre vie passée.
Il est question de trois pains différents, et de deux levains.
Il y a d’abord le pain, le seul pain que les disciples ont avec eux dans la barque, nous dit le texte, pain que pourtant ils oublient comme ils ont oublié les autres pains sur lesquels Jésus va les aider ensuite à apprendre à compter.
Même le pain qu’ils ont avec eux dans le présent, ils ne le comptent pas. L’essentiel, l’indispensable pour vivre est sous nos yeux, et nous l’oublions vite, nous ne le voyons plus. Jésus s’étonne : « Pourquoi discutez-vous à propos des pains que vous n’avez pas ? ». Ils ne parlent plus que de cela, pas un mot sur ce fameux pain qu’ils ont pourtant avec eux dans la barque.
La première sagesse pour avancer est de ne pas oublier le pain que nous avons effectivement, même s’il ne suffit pas. Si nous attendons que notre vie soit parfaite pour être vivant et un petit peu heureux, on peut toujours attendre... Ce pain d’aujourd’hui que nous avons déjà : c’est le fait d’être vivant en ce monde. C’est déjà une merveille, certes imparfaite, marquée d’inquiétudes et de peines. Cela ne doit pas nous faire oublier le pain que nous avons déjà et qui suffit à nous rendre vivant aujourd’hui et à nous réjouir, et à en goûter la saveur, et à y puiser une force. Partir de là, déjà, pour ensuite aller plus loin, prendre notre vie telle qu’elle est, notre monde tel qu’il est aujourd’hui et l’emmener alors pour une « traversée vers l’autre rive » comme Jésus nous y invite ici. Plus précisément, il ne dit pas « passons de l’autre côté de ce lac », il dit littéralement « passons au-delà » tout court. Cela nous ouvre à bien des interprétations spirituelles.
Nous nous ne pouvons alors manquer de saisir l’ambiguïté de cette curieuse phrase « Ils avaient oublié de prendre des pains, ils n'avaient qu'un seul pain avec eux dans la barque. » Quel est ce pain unique que les disciples ont dans le bateau et que pourtant ils n’ont pas emporté eux-mêmes ? Dans ce contexte on comprend que ce pain c’est le Christ, c’est l’Emmanuel, la présence très concrète de Dieu qui est « avec eux », selon la promesse faite à Abraham, Isaac et Jacob.
À plusieurs reprises dans les évangiles, le Christ est comparé à un pain de vie qui nous est donné pour que nous l’assimilions (Jn 6:35,48, Mt 26:26, Lu 2:7), son Évangile est pour nous le premier des bons pains, un pain unique en son genre, délicieux et nourrissant pour notre cheminement.
Nous voilà donc avec les disciples de Jésus qui peinent à discerner le pain dont ils disposent aujourd’hui pour traverser vers une vie plus profonde. Que va faire, que peut faire Jésus ? Il est ambitieux pour ces hommes et femmes. Il ne va pas les nourrir à la béquée toute leur vie. Il veut les rendre autonomes, qu’ils puissent voir juste de leurs propres yeux, saisir le sens des événements, qu’ils comprennent et soient capables de bien avancer par eux mêmes.
Nous en sommes capables, dit Jésus. Des yeux ? nous en avons, ainsi que des oreilles, du cœur, du discernement, de l’intelligence. Alors ? Jésus cherche à les éveiller. Comment ? Il va faire appel à leurs souvenirs. Notre mémoire est un véritable organe, précieux, que Jésus stimule pour qu’ils s’éveillent enfin dans toutes leurs facultés. Qu’ils s’éveillent à la vie.
Sans la mémoire nous n’aurions même pas le langage, pas de technique, pas de pain, pas d’avancée possible. Les hébreux sont un peuple pour qui faire mémoire est essentiel pour vivre dans le présent : faire mémoire de ce Dieu qui a fait des hébreux un peuple d’hommes et de femmes traversant tous les obstacles (esclavages, mers et déserts) pour aller vers la vie que Dieu promet. Faire mémoire de ces traversées comme une promesse qu’à notre tour : nous serons rendus vivants.
Jésus leur dit : « Ne vous rappelez-vous pas ? ». Il les amène ainsi à se rappeler quand ils ont été nourris d’une nourriture qui dépasse la simple abondance.
Cela nous amène à deux autres sortes de pains :
Dans la Bible, des nombres aussi connus que ceux que Jésus évoque ici ne désignent pas une quantité mais une qualité, une signification.
Ce chiffre 5 c’est le nombre de doigts d’une main, c’est le nombre de livres dans la Loi de Moïse : le 5 évoque l’action juste, l’action bonne et féconde, l’action créatrice. Il est bon de se souvenir d’actions justes dont nous avons été témoin, acteur ou bénéficiaire. C’est une fidélité au meilleur de la vie et au meilleur de ceux que nous aimons. Ces faits appartiennent au passé, par la mémoire ils peuvent encore aujourd’hui nous nourrir d’une façon extraordinaire. Et même plus : comme lors de la multiplication des pains que Jésus rappelle ici, nous pouvons distribuer autour de nous la mémoire de ces actes justes, au fur et à mesure que nous en parlons cette bonne nourriture se multiplie et nourrit plus de monde. Au point qu’il en reste toujours plus.
C’est vrai par exemple quand nous nous souvenons de qualités et d’actes d’une personne que nous aimons, qu’elle soit encore en ce monde ou partie. C’est vrai aussi quand nous nous souvenons du temps où nous avons été élevé enfant, ou du temps de construction de notre couple. Faire mémoire d’un geste qui nous a nourri dans le passé, un geste qui nous avait alors réjoui et rendu un peu meilleur : c’est comme un bon pain de vie pour nous aujourd’hui, c’est une énergie pour traverser vers une autre rive de nous-même. C’est vrai pour toute bonne mémoire ancienne, et c’est vrai pour la mémoire de la journée que nous venons de vivre quand dans notre prière nous cherchons à nous rappeler ce qui a été de l’ordre de ces 5 pains, ce qui a été de l’ordre de l’action juste et fidèle dans la journée juste passée.
Jésus relève le nombre de pain, 5, et le nombre de personnes, 5'000, puis Jésus insiste surtout sur le nombre de corbeilles pleines qu’ils ont pu emporter après, elles sont au nombre de 12 corbeilles pleines de pain. Dans la Bible, 12 est le nombre des tribus d’Israël, le nombre des apôtres de Jésus : c’est une humanité réconciliée, c’est une diversité de personnes unies par l’Esprit de Dieu. La mémoire de ce qui a été de l’ordre du 5 dans notre histoire : cela nourrit la paix, de meilleures relations avec les autres. « Justice et Paix s’ambrassent », comme le dit le Psaume 85.
La seconde mémoire rappelle la multiplication d’une autre sorte de pains très nourrissants :
Le 7 est dans la Bible le chiffre de la bénédiction de Dieu sur nous, sur notre vie et sur notre temps en ce monde.
Se rappeler des moments de bénédiction dans notre vie, des instants où nous nous sommes senti être avec Dieu, inspiré ou porté par lui, des occasions où nous avons été créateur. Cela aussi est particulièrement nourrissant pour notre cheminement présent. Par exemple la mémoire de notre mariage, la mémoire de notre baptême comme des porches d’entrée dans la vie avec la confiance que Dieu nous accompagne dans notre barque, fut-elle secouée par la tempête et quand elle est comme le vert alpage ou chantent les ruisseaux du Psaume 23.
Les pains de l’ordre du 5 produisaient du 12. Les pains de l’ordre de la bénédiction produisent encore du 7 nous indique Jésus. Faire mémoire des étincelles de bénédiction dans notre histoire personnelle produit une abondance de bénédictions nourrissantes dans notre présent. D’où l’intérêt de faire mémoire, délibérément, volontairement pour avancer.
Ce travail de mémoire est propre à nous ouvrir nos yeux et nos oreilles d’aujourd’hui, il éveille notre intelligence pour reconnaître dans notre présent des trésors de vie. Et peut-être aussi des bouches qui autour de nous ont tant besoin de ces pains.
Nous voilà donc avec trois sortes de pains pour notre traversée. Du pain que le Christ nous a appris à savoir aller chercher. Il nous met en garde seulement contre deux dangereuses boulangeries, ou plutôt contre deux levains qui au lieu de faire du bon pain pourrissent toute la pâte :
Jésus était très lié au milieu pharisien, donc quand il nous met en garde contre le levain des pharisiens c’est un peu comme si Guillaume Tel nous disait de nous méfier des Suisses trop suisses. Le pharisaïsme dénoncé par Jésus c’est faire plus attention à la forme qu’au fond, aux dogmes et aux rites qu’à l’esprit et à l’amour. Le levain d’Hérode c’est celui de tout ramener à soi-même.
Le bon levain, c’est d’aimer, c’est de mettre du cœur, de la gratitude dans notre mémoire, de se souvenir des moments importants par le souffle de l’Esprit de Dieu. C’est ce qui fait lever toute la pâte, promesse de bon pain quotidien pour nous et autour de nous.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
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Les pharisiens sortirent et commencèrent à débattre avec Jésus, l’éprouvant à chercher de lui un signe venant du ciel. 12 Il soupira profondément en son esprit et dit : Pourquoi cette génération demande-t-elle un signe ? Amen, je vous le dis, sera-t-il donné à cette génération un signe ? 13 Puis il les quitta et reprit le bateau pour regagner l'autre rive.
14 Ils avaient oublié de prendre des pains, ils n'avaient qu'un seul pain avec eux dans le bateau.
15 Jésus leur fit cette recommandation : Voyez et gardez-vous du levain des pharisiens et du levain d'Hérode.
16 Ils discutèrent alors entre eux à propos des pains qu’ils n’avaient pas. 17 Jésus le sachant leur dit : Pourquoi discutez-vous à propos des pains que vous n’avez pas ? Vous ne comprenez pas encore ? Vous ne saisissez pas ? Votre être a-t-il été fermé ? 18 Vous avez des yeux et vous ne voyez pas ? Vous avez des oreilles et vous n'entendez pas ?
Ne vous rappelez-vous pas ? 19 lorsque j'ai rompu les cinq pains pour les cinq mille, combien de paniers pleins de morceaux vous avez emportés ? — Douze, lui répondent-ils. 20 Et quand j'ai rompu les sept pains pour les quatre mille, combien de corbeilles pleines de morceaux avez-vous emportées ? — Sept, lui répondent-ils.
21 Et il leur dit alors : Vous comprenez maintenant ? [Apparemment, oui, ils ont alors compris.]