Genève - Dimanche 14 octobre 2018
prédication du pasteur Marc Pernot
Est-ce que Luc, qui rédige ce livre des Actes, pense que Dieu a puni Hérode-Agrippa de cette mort horrible, rongé tout vivant par de la vermine ? En tout cas il assume de présenter ici sa conception d’un dieu auquel il arriverait d’être source de mort. C’est de plus un dieu qui semble penser plus à sa propre gloire qu’à la justice, parce que tant qu’à faire d’exécuter Hérode, Dieu aurait pu le faire avant qu’il ne tue Jacques, un des trois amis les plus proches de Jésus, et avant qu’Hérode n’exécute de pauvres gardiens de prisons innocents.
Un Dieu qui tue ? Ce n’est absolument pas la théologie que Jésus nous a proposée. Il faut dire que Luc n’a pas entendu Jésus de ses propres oreilles, il ne l’a pas vu aller à la rencontre des gens. Luc s’est converti des années plus tard grâce à Paul et si Luc s’est bien documenté sur Jésus, sa connaissance est de seconde main. Paul non plus n’a apparemment pas vu Jésus vivre et enseigner. Pour autant, je ne pense pas que Paul concevait Dieu comme adepte de punitions et sévices. C’est plutôt une interprétation de Luc, très classique. Ne nous laissons pas impressionner outre mesure par ce qui est écrit dans notre Bible, mais plutôt, comme le dit Calvin, par l’inspiration du Saint-Esprit. Ou, pour reprendre la figure majeure de ce texte, soyons sensibles à la façon dont l’ange du Seigneur nous touchera à l’occasion de notre lecture.
Cet épisode de la fête à Césarée suivie de la mort brutale du roi Hérode-Agrippa est un événement historique que nous connaissons également grâce à l’historien romain d’origine juive Flavius Josèphe. Il était adolescent en Judée le 5 mars 44 quand cet événement touchant le roi a certainement fait la une de l’actualité puisque cela a bouleversé la situation de tout le secteur pendant des années. Josèphe le rapporte dans ses Antiquités judaïques343 presque de la même façon que Luc mais un peu plus en détails, par exemple sur ce que Luc appelle « le vêtement royal » d’Hérode-Agrippa, Josèphe décrit « une robe toute faite d'argent et admirablement tissée, Agrippa entra au théâtre au lever du jour. Là, aux premiers feux des rayons du soleil, l'argent reluisait et resplendissait merveilleusement, étincelant d'une manière terrible et même effrayante pour les gens qui y fixaient leurs regards . » Flavius Josèphe et Luc partagent également l’idée que la violente maladie mortelle du roi est une punition divine pour son arrogance de s’être laissé qualifier de dieu par la foule. Sauf que là où Flavius Josèphe ne voit qu’un terrible mal au ventre, Luc parle de vers qui le dévorent vivant. Si tel était le cas, il me semble que Flavius Josèphe en aurait parlé, lui qui était bien informé et peu avare en détails fleuris. Il est plausible que Luc se soit inspiré ici d’un épisode de la Bible grecque, dans le 2e livre des Macchabées, qui raconte cette horrible punition de Dieu pour le roi Antiochos-Épiphane.
Pourquoi est-ce que Luc prend la peine d’ajouter ce terrible détail de la vermine rongeant Hérode ? Peut-être parce qu’en se laissant prendre pour un dieu immortel, il a semblé juste à Luc qu’Hérode soit puni d’être mangé par les vers comme un corps mort ? C’est traditionnel pour ceux qui pensent que Dieu punirait les coupables de concevoir cette punition à l’image de leur faute. Luc montre ainsi que la faute principale d’Hérode selon lui est de prendre la place de Dieu.
Une dernière particularité significative de la version de Luc est que son Hérode ne manifeste aucun remords alors que l’Hérode de Flavius Josèphe et l’Antiochos-Épiphane du livre des Macchabées avaient tous les deux manifesté des remords, ce qui n’avait d’ailleurs pas empêché Dieu de les exécuter dans des souffrances atroces. Cela a pu gêner Luc car c’est traditionnel de penser qu’une vraie repentance mérite l’indulgence des dieux ou de Dieu.
Ces variations dans les détails me semblent montrer que Luc a une réelle intention théologique et religieuse derrière cette histoire. Intention que l’on peut lire et discuter, bien sûr.
D’abord cette théologie d’un Dieu tout-puissant exécutant un coupable. Ce n’est absolument pas celle de Jésus : il annonce l’action douce et aimante de Dieu qui accompagne chacun, particulièrement le pécheur. Un Dieu qui pardonne avec joie à ceux qui reconnaissent leur faute (par exemple le fils prodigue de Luc 15) et qui pardonne également une personne qui n’exprime pas de remord comme la femme adultère relevée par Jésus (Jean 10), ou le malade porté par ses amis (Luc 5:20), ou la plus perdue des brebis perdues de la parabole de Jésus (Luc 15 aussi). Selon Jésus, Dieu ne tue pas : quand quelques-uns de ses apôtres disent qui serait normal d’envoyer la foudre de Dieu sur des personnes qui leur sont hostiles, Jésus s’indigne et leur dit qu’ils n’ont rien compris (Luc 9:54).
Menacer de la punition de Dieu est un moyen efficace pour motiver la population. Ce qui est donc étonnant et spécifique de la Bible c’est qu’elle intègre tout un courant théologique refusant cela, un courant que Jésus développe encore, avec une théologie d’un Dieu dont la bonté ne se lasse jamais. Comme le psalmiste quand il se réjouit en l’Éternel « qui pardonne toutes nos iniquités, qui guérit toutes nos maladies, qui délivre notre vie de la fosse, qui nous couronne de bonté et de miséricorde » (Psaumes 103:3-4). C’est ce Dieu qu’évoque Paul avec son «rien ne nous séparera de l’amour de Dieu manifesté en Christ » (Romains 8) « l’amour croit tout, excuse tout, supporte tout, l’amour ne meurt jamais » (1 Corinthiens 13). C’est ce Dieu là dont parle Jean quand il dit que cet amour parfait qu’est Dieu « élimine à jamais toute crainte » (1 Jean 4:18) Ce Dieu là ne peut faire souffrir ou tuer, pas même abandonner la plus perdue des brebis perdues, ce ne serait pas logique comme le fait remarquer très justement Jésus : « tout royaume divisé contre lui-même va à sa ruine », si Dieu était parfois une source de souffrance et de mort son Royaume irait à sa perte, car Dieu est la source ultime de la vie, de la paix, de la réconciliation. Le Royaume de Dieu serait divisé contre lui-même si l’ange du Seigneur pouvait à la fois, comme dans cette histoire, être celui qui frappe d’une mort atroce Hérode et qui frappe si gentiment Pierre pour le sortir de son sommeil, le libérer de ses chaînes, de ses gardes, des murailles, des menaces et des ténèbres qui le tenaient en dehors de la vie.
Certains théologiens désirant à tout prix soutenir que Dieu peut être source de mort affirment lever ce paradoxe en disant que la cohérence de l’action de Dieu existe car Pierre est un homme bon et qu’Hérode est un homme méchant. Cela ne marche pas si l’on considère les hommes réels historiquement que sont Pierre et Hérode, car ils étaient comme nous tous à la fois en partie bons et en partie méchants, à la fois justes et pécheurs, à la fois malades et bien portants. Par conséquent en tuant horriblement Hérode, l’action de Dieu resterait divisée contre elle-même, car Hérode n’est pas seulement un homme de mauvaise vie, il est aussi une personne humaine en qui Dieu espère, et espèrera toujours.
Cela nous conduit à la porte d’une façon très classique et souvent juste de lire ce genre de textes choquants. Il faut oublier un instant que Pierre et Hérode sont des personnages historiques pour voir en eux des figures de ce que nous sommes tous. À ce moment là, d’accord avec ce texte de Luc, la puissance de Dieu est toujours tournée vers la vie, aussi bien quand elle grignote ce qui est Hérode en nous que quand elle amène à la vie ce qui est Pierre en nous, réveillant, libérant ainsi le meilleur en nous, l’homme ou la femme plein de foi, l’apôtre.
C’est afin de faciliter cette lecture que Luc élimine la repentance d’Hérode, le transformant ainsi en un personnage purement méchant, comme mort et source de mort. Personne n’est 100% comme cela, et nous n’avons donc rien à craindre, Dieu ne veut pas nous éliminer quand nous n’allons pas bien, au contraire c’est alors qu’il redouble d’effort pour nous rejoindre dans les obscures geôles de notre détresse.
Pourquoi alors est-ce que Luc dit que le véritable problème qu’incarne Hérode est de « n’avoir pas donné gloire à Dieu », comme si ses meurtres d’un apôtre de Jésus et des pauvres gardiens innocents n’était rien ? Ce n’est évidemment pas le cas.
Afin de comprendre cela il est bon de se rappeler que « la gloire de Dieu », dans la culture Biblique, n’est ni de la gloriole ni une question religieuse. La « gloire de Dieu » c’est comme cela que la Bible appelle la présence féminine de Dieu qui libère les hébreux de l’esclavage en Égypte, les guidant dans le désert, les nourrissant et leur donnant de l’eau afin de les mettre en chemin vers la vie en abondance. La « gloire de Dieu », c’est ce que l’on appelle tour à tour « l’ange de l’Éternel » ou « l’Esprit Saint » : « le Souffle de Dieu », ou sa « Parole ».
« Rendre gloire à Dieu » c’est être sensible à cette source de vie, comme Pierre, étape par étape, pas à pas jusqu’à une certaine autonomie espérée par Dieu pour nous. Et c’est pourquoi la prière du « Notre Père » trouve une belle conclusion en rendant gloire à Dieu.
C’est pourquoi Luc insiste sur le refus d’Hérode de rendre gloire à Dieu plus que sur le fait qu’il ait assassiné des innocents pour asseoir son propre pouvoir. Parce que la solution pour progresser dans nos propres difficultés est de travailler à la source du mal. Pour reprendre l’image de Jésus, si un arbre est coupé de sa racine, même les meilleurs soins, même la meilleure des éducations, même en tirant sur les pommes pensant les faire ainsi mûrir plus vite... rien ne pourra marcher. Il faut d’abord et avant tout ce bon enracinement, laisser monter la sève, les bons fruits viendront après, naturellement. Parce que nous avons été plantés du meilleur des plants dans un bon terrain (Ésaïe 5:2).
Dieu n’a pas de forces de police pour retenir la main d’un Hérode. Le pouvoir de Dieu est métaphysique plus que physique. C’est en amont du comportement qu’il cherche à travailler en soignant le meilleur de nous-même et en cherchant à réduire ce qui serait hérodien.
C’est pourquoi « refuser de rendre gloire à Dieu » n’est pas une question religieuse ou morale, ce n’est pas une maladie de nos fruits mais une brisure au pied de notre arbre. La sève ne monte plus. Ce n’est pas Dieu qui punit de mort l’arbre coupé, c’est parce qu’il est coupé que l’arbre meurt. Et cela désole Dieu, et il travaille à ce niveau-là, pour tisser et retisser ce lien, l’enrichir. Et c’est à ce niveau-là que nous pouvons chercher à aider nos proches. Faire la morale ne sert pas à grand chose ; regarder mûrir encore quelques fruits sur l’arbre coupé n’est pas assez. La solution est en amont de cela. Dans la place laissée à l’ange, ou à la gloire de Dieu, ou à son souffle, à son Esprit, sa Parole...
C’est ce que nous dit également Jésus quand il dit que « tout péché, tout blasphème sera pardonné aux humains, mais le blasphème contre l'Esprit ne sera pas pardonné, ni dans ce monde-ci, ni dans le monde à venir » Cette phrase a suscité énormément de craintes, malheureusement, une peur qui n’a pas lieu d’être, cette phrase est au contraire une promesse que Pierre sera libéré d’Hérode.
Qui réveillera ces petits Pierre qui sommeillent, prisonniers ? Nul humain ne peut pénétrer dans cette geôle. Un ange, un souffle divin le peut parce qu’il est d’un autre ordre. L’ange est le petit reste de liberté de Dieu agissant en l’humain. Il est le petit reste de foi, le petit frémissement qui aimerait avoir la foi en qui pense ne pas en avoir. Il éveille peut-être l’idée de pouvoir aimer en paix alors que seule la colère bouillonne. Il donne la force du pas suivant, du jour suivant, de franchir la porte suivante, comme Pierre, jusqu’à la première rue, et la liberté.
Si l’ange est la seule solution pour réveiller cela, et si cet ange est sans cesse repoussé, nous sommes alors mal barrés, nous dit Jésus. Et nous dit Luc en écho. Il a seulement tort, à mon avis, d’accepter de reprendre cette histoire de punition de Dieu pour soutenir sa prédication. Hérode est mort d’occlusion intestinale ou d’empoisonnement. Dieu ne tue pas son enfant. Il est comme un ange qui passe et repasse jusqu’à ce que nous puissions enfin le sentir nous toucher, bien réel, puissant, nous ressuscitant dans notre nuit, comme en témoigne Victor Hugo :
L’ombre était nuptiale, auguste et solennelle ;
Les anges y volaient sans doute obscurément,
Car on voyait passer dans la nuit, par moment,
Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.
(La légende des siècles, Boaz endormi)
Amen
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot
1 En ce temps-là, le roi Hérode mit la main sur quelques membres de l'église pour les maltraiter ; 2il supprima par l'épée Jacques, frère de Jean. 3Voyant que cela plaisait aux Juifs, il décida encore d’arrêter Pierre. 4Après l'avoir pris et jeté en prison, il le fit garder par quatre escouades de quatre soldats chacune, décidé à le faire comparaître devant le peuple après la Pâque. 5Pierre était donc gardé dans la prison, l'église priait intensément Dieu pour lui.
6 La nuit où Hérode devait le faire comparaître, Pierre, lié de deux chaînes, dormait entre deux soldats, deux autres gardaient la porte de la cellule. 7Soudain l'ange du Seigneur survint et une lumière brilla dans la cellule. L'ange frappa Pierre au côté pour le réveiller et lui dit : Lève-toi vite ! Les chaînes tombèrent de ses mains. 8L'ange lui dit : Mets ta ceinture et tes sandales. Il le fit. L'ange lui dit : Mets ton manteau et suis-moi. 9Il sortit et le suivit ; il ne savait pas que ce qui se passait grâce à l’ange était réel : il pensait avoir une vision. 10Lorsqu'ils eurent passé le premier poste de garde, puis le second, ils arrivèrent à la porte de fer qui donne sur la ville, elle s'ouvrit pour eux, ils sortirent et s'avancèrent dans une première rue, et aussitôt l'ange s'éloigna de lui...
18 Quand il fit jour, grande agitation parmi les soldats : qu'était donc devenu Pierre ? 19Hérode le fit rechercher, mais il ne le trouva pas ; il fit interroger les gardes et donna l'ordre de les exécuter. Ensuite il descendit de la Judée à Césarée pour y séjourner...
21 Au jour fixé, Hérode, ayant revêtu l’habit royal, s'était assis sur le trône, faisait un discours, 22tandis que le peuple criait : Ce n'est pas la voix d'un être humain, mais celle d'un dieu ! 23 Immédiatement, un ange du Seigneur le frappa, parce qu’il n’avait pas donné gloire à Dieu, et descendu de la tribune, il fut rongé de vers alors qu’il était encore vivant, c’est ainsi qu’il expira.
24 Cependant la parole de Dieu augmentait et se multipliait.
22 On amena à Jésus un démoniaque aveugle et muet, et il le guérit, de sorte que le muet parlait et voyait. 23Toutes les foules, stupéfaites, disaient : N'est-ce pas là le Fils de David ? 24L'ayant appris, les pharisiens dirent : Il ne chasse les démons que par Béelzéboul, le prince des démons !
25 Connaissant leurs pensées, il leur dit : Tout royaume divisé contre lui-même va à sa ruine, et toute ville ou maison divisée contre elle-même ne peut tenir. 26Si le Satan chasse le Satan, il est divisé contre lui-même : comment donc son royaume tiendra-t-il ? 27Et si, moi, je chasse les démons par Béelzéboul, vos fils, par qui les chassent-ils ? C'est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges. 28 Mais si c'est par l'Esprit de Dieu que, moi, je chasse les démons, c'est donc que le règne de Dieu est parvenu jusqu'à vous. 29Comment quelqu'un pourrait-il entrer dans la maison d'un homme fort et s'emparer de ses biens sans avoir d'abord lié cet homme fort ? Alors seulement il pillera sa maison. 30Celui qui n'est pas avec moi est contre moi, et celui qui ne rassemble pas avec moi disperse.
31 C'est pourquoi, je vous le dis, tout péché, tout blasphème sera pardonné aux humains, mais le blasphème contre l'Esprit ne sera pas pardonné. 32Quiconque parlera contre le Fils de l'homme, il lui sera pardonné, mais quiconque parlera contre l'Esprit saint, il ne lui sera pardonné ni dans ce monde-ci, ni dans le monde à venir.
33 Ou bien faites que l'arbre soit bon et que son fruit soit beau, ou bien faites que l'arbre soit malade et que son fruit soit pourri ; car on connaît l'arbre à son fruit...