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Restauration, 31 décembre 2023
Culte à la chapelle de Vésenaz
prédication du pasteur Marc Pernot
Libérer les personnes et les peuples est un thème essentiel de la Bible, c’est ainsi le premier point du Décalogue : « Je suis l’Éternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude. » (Exode 20:2), c’est la première des « Dix Paroles» (Ex 34:28; De 10:4) appelées parfois à tort « les dix commandements ». Précisément, la première parole n’est donc pas un commandement. C’est d’abord une théologie : Dieu est fondamentalement source de libération. C’est son projet. Cela dit, il faut bien que le bénéficiaire participe un peu à l’opération car il est impossible de forcer qui que ce soit à être libre, même Dieu ne peut pas le faire. Il y a quelque chose en nous qui résiste à notre émancipation. Même si l’idée d’être libre nous séduit, si elle nous fait danser en chantant youpi tralala je vais faire ce que je veux... en pratique c’est plus compliqué d’être libre que d’être esclave : pour le jeune adulte y a un temps de vertige quand on quitte la maison de papa et maman, il y a un temps de vertige quand une personne ose se poser les questions sur les dogmes éternels professés par son église... C’est ce que raconte l’histoire de la libération des hébreux : ils étaient content de sortir d’Égypte, mais ils seront ensuite nostalgiques du pot de viande qu’ils avaient comme esclave en Égypte, ils trouvent alors bien dur de marcher dans le désert de leur libération. Faire mémoire de cette libération et de nos libérations passées est l’objet de cette fête principale de Pâques, afin de nous aider à espérer un pas de plus dans notre libération, à la méditer, à la prier encore.
Car c’est bien de nous-même dont il est question dans ces « dix paroles » puisque la libération est exprimée ici à la 2 e personne du singulier : c’est le lecteur de ce texte qui est appelé à redresser la tête, à être fier, en se disant ‘je suis digne d’être libre et non pas esclave’. « L’Éternel» n’est pas seulement le Dieu qui a fait des prodiges pour libérer nos ancêtres, le Décalogue nous dit que c’est « l’Éternel TON Dieu » : nous sommes donc, personnellement, au singulier, l’esclave que Dieu espère faire sortir de sa « maison de servitude », quelle qu’elle soit, pour l’aider à être plus libre.
Toute la question est donc là, maintenant, pour chacun : de quoi ais-je besoin d’être libéré ? Quelle sorte de pharaon m’empêche, aujourd’hui, d’avancer ? Ce n’est peut-être pas la première question que je me pose le matin, ni le grand sujet de ma prière. Et pourtant, cela serait une bonne idée. Avoir soif d’être libéré, c’est à la fois essentiel et pas évident. Pour personne, car notre prison est intérieure. C’est pour cela que ce projet de Dieu de nous libérer est le premier point, fondamental, des Dix Paroles.
Après cette première parole, viennent ensuite trois ou quatre commandements qui visent à soigner notre relation à Dieu, avant d’arriver aux commandements qui concernent la vie avec les autres.
Cette libération attendue est ainsi d’abord intérieure et spirituelle. Elle est à travailler en nous-même dans la lucidité et le bon sens, dans la sincérité de notre prière. Dans un second temps cette libération intérieure portera des fruits de justice dans notre vie, à notre façon, et nous travaillerons alors à notre façon les questions morales, politiques, économiques, sociales, environnementales, comme on veut. Nous aimerions souvent porter tout de suite des fruits dans ces questions de justice, il nous faut pourtant soigner l’arbre avant de penser récolter les fruits. Et soigner l’arbre c’est d’abord travailler avec l’aide de Dieu à la libération intérieure de chacun, pas une libération pour faire n’importe quoi, mais une libération de ce qui rend chacun capable d’être créateur de vie, à sa façon.
Cette tension se retrouve dans l’épisode de l’Évangile que nous avons entendu, entre l’action purement spirituelle de la femme, et le projet de solidarité des disciples. Compte tenu de nos ressources limitées, comment choisir à un moment donné ? Qui a raison ? La question de fond est celle de la liberté personnelle.
La femme est courageusement libre, et cette liberté semble ne pas du tout plaire aux disciples. Ils trouvent scandaleux de dépenser une fortune en Chanel N°5 sur la tête ou sur les pieds de Jésus. Ils font remarquer que cela aurait permis de nourrir une foule de pauvres (c’est vrai, 300 deniers de parfum cela fait en gros le prix de 20'000 pains). Jésus approuve bien sûr leur projet d’aider les pauvres, pourtant : il va prendre la défense de la femme et ses explications nous aident à avancer sur le chemin de notre libération, et nous aide à être un peu moins source nous-même d’oppression comme le sont les disciples avec ces bonnes valeurs dont ils font une loi.
Jésus leur dit premièrement : « Laissez-la !», le verbe employé est aphiémi (ἀφίημι en grec) : « libérez-la», c’est plus actif que de simplement la laisser. Il est de leur devoir premier d’aider les autres à être plus libre.
Les disciples, fiers d’être proches de Jésus, croient savoir quelle est la volonté de Dieu. Pas l’ombre d’une hésitation dans leur tête : ils ont raison. Nous sommes parfois prisonniers de nos bonnes idées quand nous en faisons un absolu. De notre théologie nous sculptons alors une idole, de nos belles valeurs nous faisons un moralisme. C’est ce que font les disciples, cela leur donne à eux-mêmes des œillères et cela fait qu’ils deviennent des personnes oppressant leur prochain au lieu de participer à ce qu’il se sente libre et responsable.
C’est pourquoi, tout de suite après avoir mis en avant Dieu comme agent de libération, les Dix Paroles nous mettent en garde contre nos images taillées et autres représentations que nous nous donnons, car nous nous mettons alors si facilement à les adorer. La question de ces commandements n’est pas celle du tableau dans notre salle à manger, mais plutôt ce que nous voyons faire par ici par les disciples. Même une idée excellente (aider les pauvres), quand elle est sacralisée, absolutisée, devient un facteur d’oppression, et devient ainsi contraire au projet fondamental de Dieu qui est de libérer la personne humaine, de sorte qu’elle puisse être une personne responsable, directement inspirée par l’Esprit. Jésus leur rappelle cette mission essentielle : « libérez-là » plutôt que de l’enfermer dans une loi.
La question que cela nous pose est notre rapport à nos représentations de Dieu, notre rapport à nos idées, nos schémas, nos opinions. Les avons-nous sacralisées ? La question n’est pas nécessairement de changer nos opinions mais de travailler sur le rapport que nous avons avec nos opinions, et d’être libéré grâce à ce travail personnel avec Dieu.
Jésus leur dit ensuite « Pourquoi lui faites-vous de la peine ?» Jésus les invite à s’interroger sur eux-mêmes : qu’est-ce qui les a conduit à agir ainsi ? Quelle est ma motivation profonde, qu’est-ce que je cherche en réalité sous couvert de ce combat que je mène ? Les disciples voient une situation avec des ressources à gérer, ils voient des principes de justice. C’est bien mais ils n’avaient apparemment pas pensé une seconde au fait que la femme était une personne. Or, les Dix Paroles font attention à la personne au singulier, et Jésus encore plus. Dans la culture judaïque de Jésus, la multiplicité des interprétations est indispensable pour rendre honneur à la transcendance de Dieu. Il faudrait que chaque personne donne à chaque moment de sa vie sa propre interprétation.
La question que Jésus nous propose « Pourquoi faites-vous ce que vous faites ? » est un grand facteur de libération pour nous, à vivre dans notre prière. Nous pourrons alors envisager que notre prochain pourrait avoir de bonnes raisons de penser et d’agir comme il le fait ? Pas nécessairement, mais peut-être.
Jésus tente alors d’expliquer aux disciples que l’action de la femme est bonne, même si les disciples ont raison eux aussi, en soulignant l’importance de la solidarité. Pour cela, Jésus introduit subtilement la question du temps. En grec, il y a trois mots pour dire le temps : il y a l’occasion (kairos, καιρός), la durée (chronos, χρονος), et l’éternité (aïon, αἰών). C’est vrai que dans le temps long il est bon d’aider les pauvres, par exemple. Mais il existe parfois dans notre vie un moment où se présente une occasion unique de faire quelque chose de particulier. C’est le propre de l’Esprit Saint de nous faire sentir cela. C’est pourquoi Jésus nous dit ailleurs (Jean 3:8)que l’on ne peut jamais tout a fait prévoir ce que fera une personne animée par le souffle de Dieu. .
Être disponible, à l’affut de l’opportunité, sentir si tel geste pourrait faire partie, ou non, de notre vocation pour cet instant. C’est un facteur de libération que d’être ouvert ainsi au kairos, au souffle de l’Esprit. L’éternité est tissée de ces rendez-vous divins. L’avancée du monde aussi. C’est pourquoi Jésus insiste pour dire que ce qu’a fait cette femme est essentiel à l’Évangile.
Or, que fait cette femme ? Elle donne une onction à la tête ou aux pieds du Christ. Elle honore son corps de chair, qui est pourtant tout proche de mourir. Par son geste elle dit que dans la personne et dans la démarche du Christ, il y a quelque chose qui déborde de cette vie présente. Son geste est une méditation sur la vie et sur la mort, sur notre temps en ce monde qui est limité, sur cette dimension spirituelle bien plus vaste de notre être, avec ces instants qui touchent à l’éternité. Ouvrir les yeux sur la complexité de notre être a un fameux pouvoir de mise en perspective et donc de libération pour nous.
Jésus conclut avec cette parole « Elle a fait ce qu’elle a pu !» Franchement, cette parole est pour moi une des plus essentielles, des plus belles et des plus libérantes de l’Évangile. Nous essayons d’inventer notre vie, avec nos limites, avec nos talents, avec notre personnalité. Nous ne ferons pas tout juste, certes, mais si nous cherchons déjà à faire ce que nous pouvons, avec sincérité, avec le courage d’oser être nous-même, et comptant sur l’aide de Dieu : ce sera déjà génial.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot
1. Je suis l'Éternel, ton Dieu qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de servitude.
2. Tu n'auras pas d'autres dieux devant ma face. Tu ne te feras pas de représentations pour te prosterner devant...
3. Tu ne prendras pas le nom de l'Éternel, ton Dieu, en vain...
4. Souviens-toi du jour du sabbat, pour le sanctifier...
5. Honore ton père et ta mère...
6. Tu ne tueras pas.
7. Tu ne tromperas pas.
8. Tu ne voleras pas.
9. Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain.
10.Tu ne convoiteras rien de ce qui appartient à ton prochain.
Jésus était à Béthanie dans la maison de Simon le lépreux, une femme entra, pendant qu’il se trouvait à table. Elle tenait un vase d’albâtre, qui renfermait un parfum de nard pur de grand prix ; et, ayant brisé le vase, elle répandit le parfum sur la tête de Jésus (Jean se souvient, lui, que c’était sur ses pieds).
4Quelques-uns exprimèrent entre eux leur indignation : À quoi bon perdre ce parfum ? 5 On aurait pu le vendre plus de trois cents deniers, et les donner aux pauvres. Et ils s’irritaient contre cette femme. 6Mais Jésus dit : Laissez-la. Pourquoi lui faites-vous de la peine ? Elle a fait une bonne action à mon égard ; 7 car vous avez toujours les pauvres avec vous et vous pouvez leur faire du bien quand vous voulez, mais vous ne m’avez pas toujours. 8 Elle a fait ce qu’elle a pu, elle a d’avance embaumé mon corps pour la sépulture. 9 Je vous le dis en vérité, partout où la bonne nouvelle sera prêchée, dans le monde entier, on fera mémoire de ce que cette femme a fait.