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Dimanche 18 septembre 2022
Culte au temple de Vandœuvres
prédication du pasteur Marc Pernot
Il est bon, juste et utile de distinguer ce qui est essentiel de ce qui est accessoire dans la vie. C’est ce qui conduit le protestantisme à un certain dépouillement. Cette recherche de retour à l’essentiel est plus ancienne que la réformation, elle se trouve par exemple aussi dans l’architecture cistercienne qui est d’un grand dépouillement tout en recherchant la beauté. Considérant que la beauté n’est pas à mépriser comme une chose futile, au contraire, elle est une réalité spirituelle particulièrement importante.
C’est ce que nous voyons en particulier dans l’extraordinaire première page de la Bible que je voudrais vous lire. Déjà parce que la beauté et la profondeur de cette page en font une œuvre d’art. Ce poème est rythmé par le regard de Dieu sur son œuvre « Dieu vit que cela était bon », selon nos traductions en français. Selon la traduction des Septantes, datant de -300 avant Jésus-Christ, il serait plus exact de traduire « Dieu vit que cela était beau » (καλός « beau » et non ἀγαθός « bon »). « Beau » au lieu de « bon » est une traduction possible car le mot hébreu original טוֹב peut signifier : bon, beau, agréable, joyeux, heureux... Seulement « Dieu vit que cela était bon » n’est pas très logique, on ne peut pas voir qu’une chose est bonne, pour cela il faudrait la goûter, alors que « Dieu vit que... » prépare à apprécier la beauté de la chose regardée.
Quand ce poème a été choisi comme première page de la Bible, c’est donc la beauté qui est mise à l’honneur avec ce leitmotiv « Et Dieu vit que cela était BEAU », voire « très beau ».
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Tout au long de ce poème sur Dieu en train de créer, ce refrain revient à chaque étape « Dieu vit que cela était beau ». La beauté est donc la caractéristique fondamentale de l’action de Dieu.
S’il y avait marqué : Dieu goûta et sentit que cela était bon, cela inviterait à dévorer la création, comme Adam et Ève le font de l’arbre qui est au centre du jardin. Ce n’est pas cela, heureusement.
S’il y avait marqué : Dieu jugea que c’était bien, cela aurait une connotation morale et nous inviterait à la soumission. Ce n’est pas cela, heureusement.
Il y a marqué : « Dieu vit que cela était beau » et cela nous invite à ouvrir nous même les yeux sur le monde, cela nous invite à la contemplation, à l’émerveillement, et à exprimer notre louange. C’est un geste essentiel.
C’est ainsi que la beauté est la principale caractéristique de ce que Dieu crée.
Pourtant, Dieu ne dit pas, avant de créer : Tiens, faisons quelque chose de beau. Dans ce poème, Dieu sait exprimer son objectif par exemple quand il dit « faisons l’humain ». Mais ici, non : il crée un élément parce qu’il a le désir de le créer, et ensuite seulement il voit que c’est beau. Comme une surprise. Par conséquent, la beauté n’est pas le but du projet de Dieu. La beauté est seulement la qualité, la caractéristique fondamentale de l’action créatrice de Dieu.
La création est belle, Dieu ne crée pas POUR cela, mais il crée COMME cela : le résultat est beau. Cette distinction est importante, car si la création de Dieu était faite pour la beauté, ce qui est créé ne serait qu’un moyen au service d’un plus noble but qui serait la beauté. Ce n’est pas le cas. Chaque élément de la création a ici sa propre valeur en lui-même, chaque élément a sa propre finalité et est aimé par Dieu pour ce qu’il est, pas seulement comme pouvant être utile ou beau.
Nous-même, en tant qu’individu, nous n’avons pas été créé pour faire nombre, ni pour décorer la planète. Nous sommes aimés par Dieu pour ce que nous sommes, notre existence répond en elle-même au désir de Dieu. Mais en plus, nous dit ce poème, Dieu nous regarde et il nous trouve beau, et même très beau.
Comment est-ce possible ? En quoi la création de Dieu, dont nous-même, sommes-nous tellement beau ?
Cette beauté c’est d’unir de la matière et une belle organisation. Au début de ce poème nous avons de la matière en chaos, en désordre, n’ayant pas de sens. Ce n’est pas encore beau. Puis nous avons ce projet de Dieu qui se manifeste en s’approchant (1:1), qui se manifeste comme une parole nous dit ce poème, c’est à dire comme une proposition, comme un appel. C’est ainsi que la création de Dieu est fondamentalement belle, car elle tisse de la matière et un projet, une relation. Ce n’est pas la matière seule qui est belle, c’est de la matière ayant reçu une parole. De même pour la beauté d’un tableau, d’une musique, d’un visage, d’un geste. C’est de la matière transfigurée par du spirituel.
Ce récit nous invite à la contemplation : à lever le regard de notre propre nombril, à regarder ce qui est autour de nous. Tout n’est pas beau, il reste du chaos. Pourtant il y a de la bouleversante beauté : de la matière transfigurée par de parole. C’est pourquoi il est essentiel de savoir contempler la beauté.
L’expérience de la beauté est une expérience particulière à vivre : elle éveille notre attention, elle nous concentre et nous met dans un état agréable de jubilation, d’extase, nous sortant de nous-même. Ce n’est pas comme quand nous mangeons et sommes rassasiés. La beauté, elle, nous donne faim, en quelque sorte. Elle nous donne faim et soif de spirituel pour transcender notre monde, elle nous élève déjà.
Comment est-ce possible ? Par l’expérience de la beauté nous faisons l’expérience qu’il y a quelque chose d’essentiel qui complète la matière, quelque chose qui vient du créateur de cette beauté (cf. Romains 1:20). Cette expérience de la beauté est comme un « sacrement » : elle donne à expérimenter quelque chose de la transcendance dans une expérience sensible, par notre chair.
Notre expérience de la beauté est donc loin d’être futile, ce n’est pas une réalité matérialiste, ce n’est pas seulement une expérience superficielle, mondaine. Au contraire, cette expérience se situe précisément là où se noue le ciel et la terre, quand la parole de Dieu transfigure le chaos du monde en une belle chose créée.
D’étape en étape, Dieu crée, il constate que c’est beau, puis il passe à l’étape suivante. Il en arrive au « très beau » quand l’humain est créé. Nous sommes pourtant de la matière, des atomes tout bêtes mais qui ont été transfigurés au point de devenir co-créateurs avec Dieu. Capables de tisser eux-mêmes de la matière avec de la parole, dans un projet et de la relation.
L’humain n’est pas seulement créé par Dieu seul, il serait seulement « beau ». L’humain est en réalité une œuvre de co-création où Dieu et la personne elle-même collaborent. Dieu nous dit : si tu le veux, toi et moi, nous créerons ensemble un humain, qui sera à la fois à mon image et à ton image. Cette œuvre de co-création est alors « très belle ». Cela aussi nous sommes appelés à le contempler dans nos frères et sœurs et en nous, même s’il reste en chacun une part de chaos sur lequel Dieu et nous-même continuons à travailler.
La contemplation de l’univers en création prend fin sur ce « très beau », au 6e jour de la création. Contrairement à ce que l’on entend parfois, Dieu ne fait pas rien le 7e jour : le texte insiste pour dire que Dieu achève sa création le 7e jour et non le 6 e. Ce que Dieu fait alors c’est de bénir ce 7e jour, jour consacré à ne pas créer. Le chiffre 7 est en lui-même l’addition du chiffre 4 évoquant ce monde matériel, et du chiffre 3 qui évoque ce qui est divin, spirituel, éternel.
C’est ainsi que ce poème ne nous invite pas au spirituel pur, la création aurait été décrite comme aboutissant dans un 3e jour.
Ce poème nous invite plutôt à nous voir comme très beaux car nous sommes tissés de matière de ce monde et de souffle créateur. Et à agir en ce monde, comme Dieu en pétrissant la matière de parole et de relations, selon notre génie propre.
Pour faire cela, pour arriver à cela, ce poème nous propose d’avoir un temps pour agir et un temps pour cesser d’agir. Avec comme six jours consacrés à agir dans ce monde, faisant avec de la matière quelque chose de bien, de bon et d’utile. Six jours pour contempler aussi ce monde et nous-même, pour s’émerveiller de sa beauté, pour reconnaître qu’il n’y a là pas seulement de la matière mais qu’elle a été transfigurée par une intention. Six jours donc, pour créer et pour contempler. Et ensuite que notre 7e jour soit comme un espace pour nous ouvrir au souffle, à l’Esprit, à la Parole de Dieu, un temps pour recevoir la bénédiction de Dieu et pour nous-même bénir Dieu. Faire ainsi équipe. Reprendre souffle au lieu de s’user au seul contact de ce monde.
Nous voyons que la contemplation de la beauté dans ce monde est du côté des 6 premiers jours, du côté de l’action utile et créatrice. À chaque étape de la création, le « Dieu vit que cela était beau » est suivi d’un « Dieu dit... » qui indique que Dieu passe à une nouvelle étape de création. L’expérience de la beauté nous met ainsi en mouvement. Ouvrir les yeux sur le monde : c’est déjà sortir de soi et aimer ce monde. Ne pas voir seulement le chaos et le non sens, discerner ce qui existe de beau dans ce monde : c’est déjà faire preuve de bienveillance. Goûter, jubiler de cette beauté, la proclamer, rendre grâce : c’est honorer le créateur et sa création. C’est désirer le créateur et désirer créer. Cela nous donne une impulsion, pour aller dans le monde et y ajouter du sens, de l’intention. Dans ce domaine : rien n’est petit, tout fruit a sa vraie beauté, étant tissé de matière et de souffle.
L’expérience de la beauté est ainsi loin d’être futile, elle est une composante essentielle de notre existence en ce monde. Le 7e jour, c’est pour découvrir à nouveau que nous-même sommes très très beau, un temps pour nous tisser avec Dieu de ce que nous sommes aujourd’hui et de son souffle. Jour béni entre tous. Jour ne naissance.
C’est évidemment chaque jour que nous pouvons vivre ce dont il est question ici, que ce soit la contemplation de la beauté, notre élan de création, ou notre reprise de souffle. Accueillir seulement ces moments, nous y préparer, les goûter passionnément. Une œuvre d’art, une note de musique, l’éclat du Mont-Blanc, le visage d’une personne âgée, les doigts d’un nourrisson... : accueillir cette beauté, se laisser toucher par cette transfiguration de la matière, sentir le frémissement de cette soif en nous : soif de bénir Dieu et de faire quelque chose avec lui.
Amen.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
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1 Commencement de la création par Dieu du ciel et de la terre. 2La terre était déserte et vide, et la ténèbre à la surface de l’abîme ; le souffle de Dieu planait à la surface des eaux, 3et Dieu dit : « Que la lumière soit ! » Et la lumière fut.
4 Dieu vit que la lumière était belle.
Dieu sépara la lumière de la ténèbre. 5Dieu appela la lumière « jour » et la ténèbre il l’appela « nuit ». Il y eut un soir, il y eut un matin : jour unique.
6 Dieu dit : « Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux ! » 7Dieu fit le firmament et il sépara les eaux inférieures au firmament d’avec les eaux supérieures. Il en fut ainsi. 8Dieu appela le firmament « ciel » et Dieu vit que cela était beau. Il y eut un soir, il y eut un matin : deuxième jour.
9 Dieu dit : « Que les eaux inférieures au ciel s’amassent en un seul lieu et que le continent paraisse ! » Il en fut ainsi. 10Dieu appela « terre » le continent ; il appela « mer » l’amas des eaux. Et Dieu vit que cela était beau. 11Dieu dit : « Que la terre se couvre de verdure, d’herbe qui rend féconde sa semence, d’arbres fruitiers qui, selon leur espèce, portent sur terre des fruits ayant en eux-mêmes leur semence ! » Il en fut ainsi. 12La terre produisit de la verdure, de l’herbe qui rend féconde sa semence selon son espèce, des arbres qui portent des fruits ayant en eux-mêmes leur semence selon leur espèce.
Et Dieu vit que cela était beau.
13 Il y eut un soir, il y eut un matin : troisième jour.
14 Dieu dit : « Qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour de la nuit, qu’ils servent de signes tant pour les fêtes que pour les jours et les années, 15et qu’ils servent de luminaires au firmament du ciel pour illuminer la terre. » Il en fut ainsi. 16 Dieu fit les deux grands luminaires, le grand luminaire pour présider au jour, le petit pour présider à la nuit, et les étoiles. 17Dieu les établit dans le firmament du ciel pour illuminer la terre, 18pour présider au jour et à la nuit et séparer la lumière de la ténèbre.
Et Dieu vit que cela était beau.
19 Il y eut un soir, il y eut un matin : quatrième jour.
20 Dieu dit : « Que les eaux grouillent de bestioles vivantes et que l’oiseau vole au-dessus de la terre face au firmament du ciel. » 21Dieu créa les grands monstres marins, tous les êtres vivants et remuants selon leur espèce, dont grouillèrent les eaux, et tout oiseau ailé selon son espèce.
Et Dieu vit que cela était beau.
22 Dieu les bénit en disant : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez les eaux dans les mers, et que l’oiseau prolifère sur la terre ! »
23 Il y eut un soir, il y eut un matin : cinquième jour.
24 Dieu dit : « Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce : bestiaux, petites bêtes, et bêtes sauvages selon leur espèce ! » Il en fut ainsi. 25Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce et toutes les petites bêtes du sol selon leur espèce.
Et Dieu vit que cela était beau.
26 Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il gouverne les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la terre et toutes les petites bêtes qui remuent sur la terre ! » 27Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa.
28 Dieu les bénit et Dieu leur dit : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre ! »
29 Dieu dit : « Voici, je vous donne toute herbe qui porte sa semence sur toute la surface de la terre et tout arbre dont le fruit porte sa semence ; ce sera votre nourriture. 30A toute bête de la terre, à tout oiseau du ciel, à tout ce qui remue sur la terre et qui a souffle de vie, je donne pour nourriture toute herbe mûrissante. » Il en fut ainsi.
31 Dieu vit tout ce qu’il avait fait.
Voilà, c’était très beau.
Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour.
1 Le ciel, la terre et tous leurs éléments furent achevés. 2Dieu acheva au septième jour l’œuvre qu’il avait faite, il arrêta au septième jour toute l’œuvre qu’il faisait.
3 Dieu bénit le septième jour et le consacra car il avait alors arrêté toute l’œuvre que lui-même avait créée par son action.
4 Telle est la naissance du ciel et de la terre lors de leur création.
(Cf. Traduction Œcuménique de la Bible)