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Dimanche avant Noël, 18 décembre 2022
au temple de Cologny
prédication du pasteur Marc Pernot
Nous voilà dans la semaine de Noël. Nous entendrons partout annoncer proclamer, chanter, prêcher qu’en Christ nous est donné le salut de Dieu. Qu’en lui est donnée «la paix aux humains car ils sont les bien-aimés de Dieu. » (Luc 2:14) Comme à Pâques nous entendons chaque année que Christ a vaincu la mort. Et tout cela est vrai. Seulement, il peut y avoir un immense malentendu sur ce que l’on entend par là.
En ces domaines essentiels pour la personne humaine que sont la paix et la vie, il est très dangereux de donner de fausses espérances. Parce que nous connaissons la détresse et la mort pour nous et pour des personnes auxquelles nous pensons. Que cela nous prend aux tripes, nous perce le cœur, nous use. Une fausse promesse de paix et de vie est ravageuse.
Ces annonces de Noël sont donc bienvenues. Promesse de paix offerte par le créateur, promesse de Dieu se faisant notre serviteur, promesse de vie en Christ. Oui, mais comment est-ce que cela nous est donné ? Il y a un risque de méprise si rien n’est dit là-dessus. C’est pourquoi il me semble dangereux que ces jolies phrases soient répétées sans être pensées, réfléchies, expliquées, devenant comme la musique joyeuse des grelots sur les rennes du père Noël. Les mots ont un sens et les personnes ne sont pas bêtes, elles entendent que la Paix, le salut, le bonheur et la vie leurs sont données par Dieu en Christ, et elles comptent que dans l’emballage elles trouveront ces cadeaux.
La principale méprise est de comprendre ces promesses comme étant au futur, pour l’avenir. Alors qu’elles parlent du présent.
C’est ce que nous voyons dans ce texte de l’Évangile qui précède la naissance de Jésus. Marie est loin d’accoucher, Jean-Baptiste et Jésus sont à des dizaines d’années de faire quoi que ce soit d’utile, et pourtant Élisabeth et Marie parlent toutes les deux d’un salut déjà reçu, comme d’une joie qu’elles vivent déjà aujourd’hui, et non pas dans le futur : « Le Puissant (Dieu) a fait pour moi de grandes choses », dit Marie : à l’accompli, comme les autres actes de salut de Dieu chantés par Marie dans sa louange. On est aux antipodes de promesses futures pour ceux qui s’en saisiraient.
Cela fait tomber tout risque de manipulation à l’espérance. Il est bien facile de promettre des lendemains qui chantent : des révolutions ont été levées ainsi. C’est facile de promettre une vie merveilleuse dans l’au-delà ou le retour du Christ, toujours pour bientôt, évidemment. C’est facile de promettre la réussite ou la santé à ceux qui obéissent bien au chef (religieux ou non) : si un problème arrive à un de ses adeptes le chef n’aura qu’à dire que c’est parce que le malheureux n’a pas cru ou pas fait ce qu’il faut à 100%. Cette manipulation ajoute à son malheur en lui faisant penser que ce serait de sa faute, c’est à ce prix que l’on innocentera la fausse promesse. Joyeux Noël.
Au contraire, le salut de Dieu dont parlent Élisabeth et Marie est déjà présent. Là-dessus on ne peut pas tromper les gens. Telle est l’espérance de l’Évangile. Une espérance réelle, présente, puissante. Une espérance qui ne nous promet pas des futurs enchanteurs, mais une espérance qui se saisit de ce qui est prometteur dans la réalité présente. Et qui s’en réjouit.
Élisabeth et Marie sentent qu’elles portent un enfant. Un embryon n’est pas encore tellement productif en lui même, on peut avoir l’espoir qu’il fera du bien dans le futur, mais ce n’est pas certain. Par contre, quelque chose est déjà assuré : l’existence même de leur enfant prouve qu’un supplément de vie peut surgir dans notre vie présente. Cela est de l’espérance fondée.
Cela demande seulement d’y faire attention, car on ne voit pas nécessairement tout de suite une grossesse. C’est enfoui mais bien réel.
L’espérance consiste à délibérément chercher et discerner ce qui est prometteur dans notre être, dans notre monde : un quelque chose de vivant, ou un processus ou une source qui a fait naître de la vie en supplément dans notre existence, ou de la paix, ou un certain bonheur, simplement du mieux. C’est à cela que servent les annonces de l’Évangile : elle nous révèlent qu’il y a quelque chose à reconnaître de bien réel qui est de cet ordre dans notre expérience. Que nous pouvons nous en saisir et partir de là, dans l’espérance véritable.
Ce récit fourmille de petits détails qui nous parlent de cette espérance fondée dans le présent.
Par exemple le fait que l’embryon est appelé « fruit des entrailles », car en hébreu ce qu’on appelle en terme médical l’utérus (רַחַם rharam) est de la même racine que l’amour, la tendresse. C’est la tendresse pour ce monde que Dieu aime qui est la matrice du processus qui sauve ce monde. Ce n’est pas une promesse de lendemains qui chantent ni d’avoir de la chance : c’est un appel à être sensible à l’efficacité bien réelle, prometteuse, de la tendresse pour la vie.
Un autre détail significatif est de voir Marie se lever dès l’instant où elle se sait porteuse de cette espérance, et d’aller vers Élisabeth. Cela est confirmé par le fait qu’Élisabeth appelle Marie « heureuse », car en hébreu ce mot « heureux » (אֶשֶׁר asher) signifie également être en marche, et ce mot asher est aussi le pronom relatif. Cela dit l’effet bien réel de saisir l’espérance bien réelle. Cela ne trompe pas. Cela nous construit, nous fait avancer, nous met en relation avec d’autres.
Se saisir de ce qui est prometteur. Par exemple en ce qui concerne la vie future, après la mort de notre corps. Je trouve personnellement que c’est très plausible car le plus grand des miracles est déjà que de la matière puisse avoir les propriétés d’être vivante et d’avoir une personnalité capable d’aimer. Que cela se poursuive après me semble vraisemblable. Mais il est impossible d’en être certain. Cela peut être un espoir pour le futur mais cela reste hypothétique, en réalité. Par contre, ce qui est certain c’est que l’amour est plus fort que la mort car nous pouvons continuer à aimer une personne dont le corps a cessé de vivre. Cela est prometteur d’une relation possible par l’amour, et même d’une relation qui nous fasse avancer encore aujourd’hui. Cela fonde une espérance sûre.
Autre exemple : en ce qui concerne l’espoir face à une maladie, fac au dénuement, ou dans les affres de la guerre : cet espoir est tout ce qu’il y a de plus normal et de juste. Mais les choses ne s’arrangent pas toujours dans l’histoire d’une personne et ce n’est pas parce que Dieu ne l’aimerait pas (il aime chacun de ses enfants), ou par manque de volonté de Dieu. L’espoir existe mais il est incertain, soumis à des aléas. L’espérance, par contre relève qu’il existe de la vie en nous, et une capacité d’envisager le bien, cela révèle qu’il existe en nous des forces de vie insoupçonnées, comme un embryon.
L’espérance discerne ces signes parfois enfouis mais bien réels. C’est ainsi que l’espérance est une qualité de prophète et de prophétesse, que nous sommes tous. Comme Élisabeth ici : nous sommes remplis d’Esprit Saint, l’espérance tressaillant en nous en voyant un nouveau signe d’espérance bien réel. L’espérance n’est donc pas passive, comme l’espoir. L’espérance est délibérée, elle est une lucidité, elle est concrète. Elle est fondée sur la reconnaissance de bons processus présents. Comme l’agriculteur qui sait que le champ a été ensemencé, même si pour l’instant il n’y a rien, même s’il ne connaît pas la météo des mois prochains, et donc la qualité de cette récolte future. Il sait que les plantes poussent dans de bonnes conditions.
La Bible nous dit que la création tout entière est en enceinte, comme Marie et Élisabeth (Romains 8:22), et que la création attend avec un ardent désir la révélation des enfants de Dieu (Romains 8:19). C’est une espérance bien réelle, nous en croisons tous les jours des enfants de Dieu si nous voulons bien discerner la réalité comme avec une échographie, par l’Esprit, par l’amour.
La première face de l’espérance est ainsi de discerner et de s’emparer de ce qui est prometteur dans la réalité présente. Il existe de bons processus en cours, des lignes de forces, des sources. Le temps est alors reconnu comme jouant dans le bon sens. Même s’il y a des aléas dans la vie en ce monde. C’est l’objet de la :
Dieu est créateur, il est donc le type même de la première face de l’espérance : celles des processus actifs. Seulement, la Bible nous montre parfois que Dieu rencontre l’échec : il espérait de bons fruits de la vigne qu’il a plantée et elle en a produit des infects. Qu’est-ce que Dieu fait alors ? Il regarde, il constate, il s’indigne, il dit qu’il se repend d’avoir créé de telles créatures... puis Dieu se reprend, et il se met à agir pour recommencer, il repart de ce qui reste, il y croit encore.
C’est, je pense, la seconde face de l’espérance : l’indignation pour l’espoir déçu, et la reprise, le recommencement (comme dirait Kierkegaard).
Il y a un mot en hébreu qui signifie à la fois le repentir et la consolation (נֶחָמָה nerhamah), à la fois la constatation de l’échec et le rebond. L’espérance est aussi là : dans ce dépassement de l’échec, comme dans ces récits de la Bible où Dieu vit ce retournement. (Genèse 6:6 ; Exode 32:14) Avec cette figure de Dieu et de l’espérance, nous sommes à mil lieu des faux espoirs en un Dieu tout puissant qui porte chance à ceux qui sont religieux comme il faut. C’est au contraire une espérance qui tient fermement en une visée bonne, malgré les hauts et les bas de l’histoire. Oui, vraiment, la paix, le salut, le bonheur et la vie restent fermement comme volonté de Dieu pour le monde et pour chacun de nous. Notre espérance n’est pas contredite par les échecs au programme, elles le confirment par notre douleur et notre indignation face à ce qui ne va pas, notre espérance est alors prière « Notre Père que ta volonté soit faite », notre espérance s’engage alors avec Dieu dans des retournements. C’est la seconde partie de notre texte, quand l’espérance de Marie voit avec bonheur dans la réalité présente la puissance de Dieu à l’œuvre. Elle s’y associe alors elle-même de tout son amour, car elle a vu que parfois des pensées orgueilleuses sont guéries, que même parmi les plus blasés du désir peut renaître, que des petits ont grandi... et que cela fonde une espérance bien réelle. Grâce à Dieu. Amen.
Amen.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
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Marie dit : Je suis la servante du Seigneur ; qu'il m'advienne selon ta parole. Et l'ange s'éloigna d'elle.
Marie s’étant levée à ce moment-là, partit en hâte vers la région montagneuse et se rendit dans une ville de Juda. 40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. 41 Quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, il arriva que l'enfant tressaillit (de joie) dans le ventre d’Élisabeth, et elle fut remplie d'Esprit saint 42 et elle éleva la voix avec un grand cris, disant : « Bénie sois-tu, toi entre toutes les femmes, et béni soit le fruit de ton ventre ! 43 Et d’où est-ce que cela m’est donné que la mère de mon Seigneur vienne vers moi ? 44 Car dès que ta salutation est arrivée à mes oreilles, le bébé a tressailli d'allégresse dans mon ventre. 45 Heureuse celle qui a eu confiance, car ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s'accomplira ! »
46 Alors Marie dit : « Mon être magnifie le Seigneur 47 Et mon esprit a été transporté de joie à cause de Dieu, mon Sauveur, 48 parce qu'il a porté son regard sur la détresse de sa servante Car voici désormais toutes les générations me diront bienheureuse, 49 Parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses. Son nom est saint, 50 Et sa miséricorde est pour des générations et des générations sur ceux qui l’honorent. 51 Il a déployé le pouvoir de son bras, il a dispersé ceux qui avaient des pensées orgueilleuses, 52 il a fait descendre les puissants de leurs trônes, élevé les humbles, 53 rassasié de biens les affamés, ouvert les riches à de nouveaux besoins. 54 Il a secouru Israël, son serviteur, il s'est souvenu de sa compassion 55— comme il l'avait dit à nos pères — envers Abraham et sa descendance, pour toujours.