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Culte du 10 mars 2024 au temple de Vandœuvres
prédication du pasteur Marc Pernot
Quand Jésus expose son programme à ses premiers disciples, au tout début de sa vie publique, il dit que nous verrons des anges monter et descendre sur « le fils de l’homme », c’est à dire individuellement sur chacun des enfants humains que nous sommes.
Quelle lecture Jésus fait de ce texte de la Genèse ? Il en fait une lecture au sens allégorique, bien sûr, où le héros du texte, Jacob, est une figure de nous-même.
Avec cette citation, Jésus s’inscrit dans la sensibilité théologique et spirituelle de ce récit de Jacob qui propose une façon particulière de vivre par la foi, plus libre et plus proche de Dieu, plus responsabilisante et plus confiante.
Jacob est à un point de sa vie où il prend un nouveau départ. Dans la Bible c’est souvent quand l’homme est en chemin que Dieu le rencontre, et la rencontre avec Dieu nous met en mouvement. Les deux sont associés.
Cela dit une vitalité de la foi. En même temps, évoluer est toujours un effort, un courage. Au début de ce récit, Jacob butte, littéralement, sur un endroit où la nuit l’oblige à s’arrêter. Il peut nous arriver, sur le chemin de notre vie, de nous sentir ainsi totalement seul, démuni, à terre, dans le noir.
Jacob eut alors un songe. Je ne suis pas du tout convaincu que cela ait un sens d’interpréter nos rêves car ils mélangent dans une improbable ratatouille un peut de tout : nos angoisses et nos joies, nos sentiments et nos pulsions, nos blessures anciennes et le dernier reportage des journaux... Mais un songe dans la Bible cela signifie la plus mineure des inspirations divines, quelque chose de très modeste, comme un souffle d’intuition au fond de notre conscience. D’ailleurs, malgré cette vision formidable de l’échelle, des anges et même de Dieu, Jacob a des doutes après cette vision (v.20-21). C’est sage de ne pas prendre notre première intuition spirituelle venue pour une révélation divine. C’est sage aussi de ne pas laisser échapper le meilleur qui nous vient souvent du spirituel.
Je me demande si la priorité des priorités en ce temps qui est le nôtre ne serait précisément pas de se placer à l’écoute de la dimension spirituelle de notre être. Et que cela nous fasse avancer d’une belle façon. En ce sens, le Jacob de ce récit : c’est nous-même personnellement, et c’est l’humanité qui se trouve arrêtée, dans l’obscurité, à terre, passablement au raz des pâquerettes et s’y installant pour dormir. Mais qu’une rencontre va éveiller.
L’intuition spirituelle de Jacob est géniale :
L’humain n’est pas seulement un corps, il n’est pas seulement un esprit : l’humain est une échelle dont les pieds sont sur terre et la tête au ciel, avec une circulation de messagers entre les deux. Une circulation interne en nous-même. Oublier un des deux bouts, sacrifier un des deux bouts est une mutilation de notre être.
Cette vision est une révolution par rapport à d’autres pensées de l’époque (et peut-être aussi de maintenant), qui proposent de résoudre la tension qui existe en nous entre le spirituel et le corporel en tentant d’éliminer au maximum le désir et l’individualité. Au contraire ce texte cherche à réconcilier le corps et l’esprit, et valorise le fait d’être un individu personnel, le libère et le responsabilise.
La vision biblique de l’humain est un corps et un esprit en conversation grâce à Dieu. Aussi bien au niveau de notre personne individuelle que de l’humanité. C’est cet ensemble corps et esprit en conversation qui est béni, libéré, rendu vivant.
C’est vrai que ce récit de Jacob conseille de mettre le spirituel au-dessus, mais il dit aussi que les premiers anges à être entendus sont les messagers qui partent du corps vers notre dimension spirituelle. Le spirituel est à la tête, cela vaut mieux que ce soit lui qui gouverne mais seulement après avoir écouté le corps, ses besoins, ses sensations, ses désirs, sa puissance en actes.
C’est le projet du Christ : que l’enfant humain, tiré de la poussière du sol, pétri de matière soit en conversation avec le ciel, et devienne ainsi enfant de Dieu. Voilà pour l’humain, et pour l’humanité. La vision de Jacob, la vision que nous propose Jésus, c’est de se savoir être une échelle dressée, alors que nous ne le savions pas. Alors que nous ne nous connaissions pas cette grandeur, cette élévation. Nous sommes alors à la porte de la vie. Avec Dieu.
Dieu est partout dans cette histoire. Il est à la fois « au dessus de Jacob » et « avec Jacob », auprès de lui alors même qu’il était totalement à terre et bloqué par les ténèbres dans son cheminement, avec rien d’autre pour le soutenir et lui rendre la vie belle qu’une pierre comme oreiller : voilà où en était le niveau de son espérance. Ce n’est qu’après coup qu’il rendra un culte de louange à Dieu. Ces détails nous disent que toute personne est digne et est capable d’être une échelle dressée avec cette circulation d’anges, et Dieu qui est là, « avec ». Personne n’est jamais si mal en point que ce ne soit pas le cas. J’ose le dire alors que j’ai été le pasteur, parfois, de personnes vraiment pas très en forme.
Ces anges c’est encore Dieu en nous travaillant par son souffle à unifier notre être dans ses différentes dimensions, faisant circuler sa grâce en nous-mêmes et avec lui, permettant l’expression de nos rêves et besoins, le passé et nos projets, nos attachements et nos craintes, nos doutes. Dieu n’est donc pas loin au-dessus d’une haute échelle que nous aurions à gravir barreau après barreau. Dieu est là, avec nous, et il a déjà dressé cette échelle que nous sommes.
Dieu se présente alors à Jacob, il se donne ce nom « moi avec toi» (anoki imak עִמָּ֗ךְ אָנֹכִ֜י Gen 28:15). Pas seulement « avec nous » mais « avec toi », au singulier, dans une promesse tellement intime et personnelle. Ce n’est pas de la théologie abstraite, mais c’est l’expérience de celui qui se découvre aimé de Dieu, proche de Dieu, avec une envie de louange, à l’improviste.
C’est une nouveauté que ce Dieu « moi avec toi», quelques versets avant il était « l’Éternel au dessus, le Dieu d'Abraham, et le Dieu d'Isaac. » C’est une autre façon de vivre sa foi :
-Abraham aimait Dieu et l’a suivi. (Gen 12:4, Jac 2:23)
-Isaac craignait Dieu et lui a obéit. (Genèse 31:42,53)
Nous pouvons retrouver ces deux types de théologies dans diverses religions ou même diverses confessions chrétiennes.
Ce que présente cette vision de Jacob est une révolution par rapport à cela : Dieu se présente sous le nom de « moi avec toi», et il précise : « je te garderai partout où tu iras ... je ne t'abandonnerai pas, avant d'avoir accompli toute les bénédictions que je t’ai promises. » (v. 15)
Avant on pensait que c’est Dieu qui commandait, et l’homme avait intérêt à suivre. La religion a souvent été présentée ainsi. Avec Jacob : Dieu l’encourage à tracer lui-même sa propre route, comme il l’entend, sans réserve. Et Dieu promet d’être avec lui pour l’aider jusqu’à ce que l’histoire ait une fin heureuse. Dieu est « avec », il se fait serviteur de la personne humaine.
On comprend pourquoi Jésus cite la vision de Jacob comme programme de sa mission. C’est pour lui fondamental et à l’autre bout de l’Évangile, le dernier geste qu’il donnera à ses disciples et de leur laver les pieds, leur expliquant qu’il s’est fait leur serviteur (Jean 13), montrant ainsi que Dieu se fait notre serviteur, par amour pour nous, simplement.
Cette théologie du Dieu de Jacob et de Jésus-Christ c’est la fin de toute menace, de tout chantage de la part de Dieu. C’est le droit d’aller, de tâtonner et de progresser, de se tromper et d’être pardonné, de tomber et d’être relevé, d’être mal portant et d’être soigné par Dieu. Fidèlement, encore et encore, sans condition.
C’est l’extraordinaire promesse de la patience de Dieu, promesse qu’en définitive il arrivera à nous sauver, et accomplir ainsi ses promesses de bénédiction sur nous et sur ce que nous aurons semé dans notre vie.
C’est une révolution par rapport à d’autres textes de la Bible, et par rapport à d’autres pensées du monde de l’époque : par rapport aux pharaons et la pesée du cœur lors du jugement, par rapport à l’orphisme des grecs, par rapport au karma du bouddhisme. Ensuite, par rapport à la menace du jugement divin qui existe en islam, dans le judaïsme, et même dans bien des formes du christianisme… Alors qu’ici, au contraire, Dieu dit que de toute façon il nous accompagnera personnellement jusqu’à l’accomplissement de notre pleine bénédiction. C’est une question de longueur du chemin, peut-être, une question de pénibilité de nos détours, mais Dieu restera avec nous et pour nous.
Avec Jacob, avec Christ, nous devenons libre, patron, et donc responsable, c’est là que l’affaire se complique un peu. Cette terre où nous sommes : Dieu nous la donne, il nous la confie pour qu’elle soit une terre de bénédiction. C’est un vrai travail. Cela demande de regarder, de discerner, d’inventer une route, de créer. Dieu bénit notre « descendance », littéralement ce sont nos semailles, ce que nos mains envoient dans le monde.
C’est ainsi tout un programme que propose ce texte.
Cela commence par la réconciliation du ciel et de la terre en nous, avec les anges qui montent et descendent : réconciliation de notre esprit et de notre corps, réconciliation de l’humain avec ce Dieu qui l’aime, se découvrir aimé et gardé, oser alors se réconcilier avec la terre où il se trouve, avec les générations suivantes et avec toutes les familles de la terre.
Tout est lié, tout est tellement lié en nous que l’on ne peut pas dire qu’une des dimensions serait secondaire. Comme notre corps ne peut pas être en bonne santé si notre moral ne va pas, et notre moral ne va pas si nous avons mal aux dents. Comme il n’est pas possible de faire avancer la paix dans le monde sans travailler aussi sur les questions de justice. Comme il serait vain d’espérer avancer sur les questions de justice et de paix sans avancer sur les questions spirituelles et philosophiques.
C’est ainsi que nous avançons sur notre chemin, en nous engageant. Avec l’aide de Dieu qui nous garde et nous bénit.
Amen.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
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Jésus dit : Amen, je vous le dis : vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur l’enfant humain.
11En chemin, Jacob atteignit l’endroit où il passa la nuit, car le soleil était couché. Il prit une des pierres de l'endroit, il la plaça sous sa tête, et il se coucha à cet endroit. 12Il eut un rêve. Et voici : une échelle était dressée sur la terre et son sommet touchait au ciel. Et voici : les anges de Dieu montaient et descendaient sur lui. 13 Et voici : l'Éternel se tenait au-dessus de lui et dit : Je suis l'Éternel, le Dieu d'Abraham, ton père, et le Dieu d'Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je te la donnerai à toi et à ta descendance. 14 Ta descendance sera (innombrable) comme la poussière de la terre ; tu t'étendras à l'ouest et à l'est, au nord et au sud. Toutes les familles de la terre seront bénies en toi et en ta descendance. 15 Et voici : je suis moi-même avec toi, je te garderai partout où tu iras et je te ramènerai dans ce territoire, car je ne t'abandonnerai pas, avant d'avoir accompli ce que je te dis.
16Jacob s'éveilla de son sommeil et dit : Certainement, l'Éternel est présent en cet endroit, et moi, je ne le savais pas ! 17Il eut de la crainte et dit : Que cet endroit est formidable ! Ce n'est rien moins que la maison de Dieu, et c'est la porte des cieux ! 18Jacob se leva de bon matin ; il prit la pierre qu'il avait placée sous ses têtes, il l'érigea en stèle et versa de l'huile sur son sommet. 19Il donna le nom de Béthel (maison de Dieu) à cet endroit, mais la ville avait d'abord porté le nom de Louz (Amandier).