Genève - Dimanche 21 octobre 2018
prédication du pasteur Marc Pernot
La foi est essentielle dans la Bible, mais qu’entend on quand on parle de « croire » et de « foi » ? Par ailleurs, la capacité à réfléchir est fortement mise à contribution dans les paroles des prophètes et de Jésus. Comment est-ce que croire et comprendre s’articulent dans un chemin de vie ?
Je vous propose ce matin de réfléchir à nouveaux frais sur la place de la foi et de la raison, du croire et du comprendre, à partir des premiers mots de l’Évangile selon Marc.
La conclusion du sermon 43 de Saint-Augustin est célèbre : « Certainement, il faut comprendre pour croire ; et croire pour comprendre. » Tous les théologiens au cours des siècles entreront en débat avec lui. Même Martin Luther, qui, compte tenu de son propre parcours en vient à dénigrer la raison en des mots très crus traitant la raison de « putain du diable ». Luther reconnaît que la raison est assez utile pour gérer les affaires de ce monde, il nous met en garde contre la raison en ce qui concerne les questions touchant au salut, notre raison ayant été (selon lui) totalement pourrie par le « péché originel » commis par nos aïeux Adam et Ève. Jean Calvin est un petit peu plus mesuré : il reconnaît parfois que la bonté de Dieu a pu faire que notre intelligence ne soit pas totalement et définitivement détruite. Ouf.
Aujourd’hui, nous sommes nombreux à penser que cette notion de « péché originel » est inventée de toute pièce par Saint-Augustin, tout génial qu’il est ; que l’histoire d’Adam et Ève est un mythe ne parlant pas du passé mais du présent. Chacun de nous est Adam et Ève, leur histoire est un miroir qui nous est offert afin de nous aider à discerner les traces du péché dans notre façon d’être. En particulier cette source de tous les problèmes qui consiste à se prendre soi-même pour dieu. Sinon, Augustin a raison : ce texte de Genèse 3 racontant l’histoire d’Adam et Ève avec le serpent qui parle et Dieu qui se promène dans le jardin à la brise du soir : ce texte a tout à voir avec la question de la foi et de la raison puisque le péché fondamental est figuré par le fait de manger « l’arbre de la connaissance du bien et du mal », et que si l’humain le mange c’est dans la tentation de prendre la place de Dieu.
Ce que ce texte dénonce est plutôt l’orgueil de la connaissance, l’hubris (comme on dit en grec) que peut donner cette extraordinaire don de Dieu qu’est la capacité à réfléchir. Par ailleurs, la Bible tout entière est un effort considérable s’adressant à notre intelligence afin de nous aider à comprendre, dans la mesure du possible, Dieu et l’humain.
Certes, Dieu est « le tout autre », certes il faut garder en tête l’avertissement contre l’orgueil de la pensée que nous adresse ce texte de la Genèse, je pense qu’il est néanmoins possible de comprendre un petit peu quelque chose sur Dieu car nous avons été créés à l’image de Dieu, comme le dit aussi la Genèse. Ou, comme le manifeste Jésus : nous sommes enfants de Dieu. Il ne nous est donc pas totalement impossible de réfléchir sur ce que Dieu est et d’avoir de lui une certaine connaissance. Il est bien moins insaisissable pour notre intelligence, à mon avis, que la réalité physique à l’échelle des atomes ou des galaxies, car à ces échelles nos références n’ont souvent plus aucune valeur. Alors que nous sommes liés à Dieu par nature.
Désolé pour Luther, il me semble que la réflexion d’Augustin sur l’apport mutuel de la foi et de la raison, complété par son fréquent avertissement contre l’orgueil de la connaissance, est plus pertinent. Cela dit, il n’est pas possible de réduire la pensée de Luther à son amusante injure contre la raison, car on ne peut pas dire que Luther n’ait pas mis à contribution son intelligence et celle de ses contemporains pour que chacun puisse lire personnellement la Bible, réfléchir dessus, réformer sa théologie et entrer dans une foi plus sincère.
Réfléchissons nous-mêmes sur la place de la foi et de la raison à partir des premiers mots de l’Évangile selon Marc :
« Commencement de l'Évangile de Jésus-Christ. »
L’Évangile n’est pas, ou pas seulement une histoire de la vie de Jésus, il est écrit pour parler de chacun de nous. C’est d’ailleurs clair dans la phrase suivante :
« Selon ce qui est écrit dans le prophète Ésaïe :
Voici, j'envoie devant toi mon messager
pour préparer ton chemin. »
« Devant TOI », « TON chemin » le texte s’adresse au singulier au lecteur, familièrement, pour lui dire que c’est son cheminement qui est en cause, que c’est là le lieu du salut donné par Dieu en Christ.
D’emblée, Marc évoque ici notre intelligence et notre foi : Ce texte transforme et combine deux versets de livres différents de la Bible (Malachie 3:1 et Ésaïe 40:3). Pour un juif comme pour un chrétien cela fait appel à la réflexion et à des débats sur ce raccourci.
Quant au sens de ce commencement du livre, il me semble proposer une définition de la foi. Car le but de l’Évangile est d’éveiller notre foi. Marc parle de ce but comme de préparer notre chemin. La foi est ainsi présentée comme un cheminement. Un cheminement vers le Père dira Jésus (Jean 14:6). C’est intéressant, me semble-t-il. La foi n’est pas tant le fait d’être en communion avec Dieu, ou d’entendre Dieu, ou de lui faire confiance, ni même de croire absolument en lui ! Tout cela serait plutôt un fruit. La foi serait dans le cheminement. Un élan à travailler.
Blaise Pascal, un autre grand penseur et mystique, doutait d’avoir la foi. Il a senti que Dieu le rassurait en lui disant « Console ‑toi. Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé. » (Pensées) La foi est encore un cheminement intérieur, une recherche.
Pour résumer tout cela, il me semble que l’on peut dire que la foi consiste à être motivé dans la recherche de Dieu, dans l’ouverture à ce qui pourrait venir de lui.
Comment est-ce que cette motivation peut venir, comment peut-elle s’allumer, ou se rallumer ? Dans ces dernières années, j’ai eu la chance de rencontrer des centaines de personnes adultes commençant une démarche de foi, venant de l’athéisme ou de l’agnosticisme. À chacune j’ai demandé ce qui l’avait motivée à l’origine. C’est assez variable :
- Une bonne part a été motivé par une recherche de sens à leur vie.
- Une bonne part a été touché par l’expérience mystique de Dieu dans leur vie
- D’autres sont venus en lisant la Bible par curiosité ou pour leurs études.
- D’autres enfin ont été motivés par un proche : le plus souvent par un de leurs grands parents, par leur conjoint, ou par un ami. Parfois même par leur enfant tout jeune.
Comme Pascal, je dirais que ces personnes ont manifestement la foi puisqu’elles cherchent Dieu, quelle que soit leur motivation première.
L’Évangile selon Marc commence dont par un appel à préparer, à travailler son propre cheminement. Ce que Dieu envoie pour préparer ce cheminement, c’est « la voix du messager qui crie dans le désert ». Cela peut avoir deux significations. Le messager, c’est ici Jean-Baptiste qui appelle avec une voix intelligible, c’est un appel à l’intelligence de l’auditeur. Mais le mot traduit ici par « messager » c’est « angelos » désignant souvent l’intervention directe de Dieu en nous pour nous donner sa Parole, comme à Moïse dans le désert.
Si cela vaut la peine que Jean-Baptiste se fatigue avec son annonce, c’est qu’elle a une chance d’être comprise. Le texte nous dit que 100% de la population de Judée et de Jérusalem se montre réceptive. C’est irréaliste du point de vue de l’histoire, c’est plutôt une affirmation théologique : l’ange su Seigneur est passé avant pour préparer le chemin, et donner une soif de cheminement vers « quelque chose » d’autre et de plus grand, car rien en ce monde ne peut le remplacer.
C’est sur cette affirmation qu’Augustin commence ses Confessions, Calvin le reprend dans les premiers mots de son « Instruction & confession de foy dont on use en l'église de Genève » de 1537, il dit que cette soif de Dieu est partagée même par les plus barbares et pleinement sauvages des hommes. Et je pense que c’est vrai, même si c’est inconscient, même si la personne n’appelle pas « Dieu » cette sorte de soif vers ce qui fait sens, cet appétit pour vers ce qui rend plus pleinement vivant. C’est pourquoi une parole de la Bible, ou l’appel de Jean, ou peut-être la façon d’être de notre grand-mère peuvent faire frémir de contentement notre soif originelle. On sent que c’est ça, que c’est vraiment ça. La foi et l’intelligence se reconnaissent alors, s’unissent en un mouvement vers Dieu. Je pense que l’on peut dire que cet événement est une expérience mystique, même si cela n’est pas aussi spectaculaire que ce qui « arrive » à Jésus quand il sent l’Esprit, bien réel, comme corporel, et la voix de Dieu qui lui fait sentir toute sa tendresse pour lui.
Telles quelles, les paroles de Malachie, d’Ésaïe ou de Jean peuvent rester une connaissance que l’on amasse et analyse. Si le lecteur s’implique personnellement, il va chercher à les comprendre. Au sens littéral « com-prendre » : c’est prendre avec, s’en saisir personnellement. Le philosophe Bergson, grand spécialiste de la mystique, explique (L’énergie spirituelle) que cela demande un effort intellectuel de se saisir d’une connaissance extérieure, abstraite pour nous, et la remplir, de l’habiter de ce que nous sommes, de nos souvenirs, de notre vie. Cette connaissance peut prendre alors un sens complet, efficace. A mon avis, cet effort de compréhension est particulièrement riche quand il est animé par cette motivation qu’est la foi, cette soif fondamentale, et le fruit en est une avancée dans notre cheminement de vie, en relation à Dieu. Le fruit vient en son temps, à sa saison. Comme le dit Augustin toujours dans ce sermon 43 « ce temps de la foi est comme le temps des semailles, employons ce temps à semer : semons, semons sans nous lasser, semons toujours, semons jusqu'à ce que nous récoltions les fruits. »
Jean est comme « une voix qui crie dans le désert », nous dit l’Évangile. Cela nous appelle à « com-prendre » le fameux récit de la libération des hébreux à travers le désert, à sentir résonner cette puissance de libération qu’est Dieu, non pas en général mais dans notre propre cheminement. Ces miracles de franchissement, de révélation, de nourriture et d’eau est à « com-prendre » aujourd’hui personnellement, pour saisir, sentir combien cela fait écho en nous. Quand cette résonnance se fait : c’est un fruit et de notre foi et de cette connaissance reçue. Cette résonnance est une joie, une joie mystique. Car ce n’est pas simplement moi qui produit du sens tout seul, il y a une parole et une soif que j’ai reçues.
L’intelligence et la culture semble ainsi première dans cet Évangile mais la foi est présupposée déjà là pour la recevoir et lui donner vie, même si le lecteur n’aurait pas encore appelé « foi » ce qui n’était en lui qu’une soif native, ressentie et pas encore choisie.
Parfois, l’expérience mystique est donnée par surprise, hors de toute connaissance, comme une intuition mystique. Ce type d’expérience n’est pas rare du tout chez des personnes tout à fait normales, équilibrées, des personnes qui sont par ailleurs à mil lieues des transes et autres extases. Saint Augustin dit qu’il convient alors réfléchir ce que l’on a senti afin de passer du simple « croire » au « comprendre ». Pour justifier cela, Augustin cite l’apôtre Pierre qui témoigne de son extraordinaire expérience mystique avec Jésus, sur la montagne de la transfiguration (Marc 9). Pierre dit qu’il a entendu la voix venant du ciel et pourtant il ajoute que la parole des prophètes est plus certaine que cette expérience (2 Pierre 1:18-19). En effet, s’il y a un dangereux orgueil de la connaissance il y a aussi un dangereux orgueil de la foi et de la mystique. Il y a aussi un égarement possible dans les méandres de notre inconscient, si vite pris pour la voix de Dieu.
La connaissance et la mystique se complètent et se tissent (l’analyse de Bergson est passionnante sur ce sujet). C’est ainsi que Blaise Pascal garde mémoire de son expérience mystique fondatrice pour lui : « Dieu d’Abraham. Dieu d’Isaac. Dieu de Jacob. Non des philosophes et savants. Certitude, joie, certitude, sentiment, vue, joie. Dieu de Jésus ‑Christ... » C’est une « com-préhension » de l’expérience et de la connaissance qui n’est alors plus abstraite.
Jean-Baptiste nous appelle à « préparer notre sentier ». Il nous propose une première plongée en résonnance avec la marche des hébreux dans le désert. Jean nous appelle à un second plongeon : « il proclame une plongée de conversion dans le pardon des péchés ». Quand le mot grec « métanoia » est traduit par « conversion » cela donne des accents religieux, quand il est traduit par « repentance » cela donne un accent moraliste. Ce n’est pas cela. « Métanoïa » fait explicitement référence à la connaissance, cela vient de méta (changement) et de noéo (comprendre). Jean appelle à se plonger dans une théologie d’un Dieu qui nous veut du bien et uniquement du bien. Une purification de notre motivation, c’est à dire de notre foi pour le chercher. C’est utile de savoir un petit peu ce que l’on cherche.
Amen.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot
1 Commencement de l'Évangile de Jésus-Christ. 2 Selon ce qui est écrit dans le prophète Ésaïe : Voici, j'envoie devant toi mon messager pour préparer ton chemin. 3 C'est la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, Rendez droits ses sentiers.
4 Jean parut, plongeant dans le désert et proclamant une plongée de conversion dans le pardon des péchés.
5 Il sortit alors vers lui tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem, et ils étaient plongés par lui dans le fleuve du Jourdain en confessant leurs péchés.
6 Jean avait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins. Il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. 7 Il annonçait : Il vient après moi celui qui est plus puissant que moi, et je ne mérite pas de délier, en me baissant, la courroie de ses sandales. 8 Moi, je vous ai plongé dans l’eau, mais lui vous plongera dans l’Esprit Saint.
9 En ce temps-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée, et il fut plongé par Jean dans le Jourdain. 10 Aussitôt qu’il remontait hors de l’eau il vit les cieux s'ouvrir et l'Esprit comme une colombe descendant en lui. 11 Et une voix vint des cieux : Toi, tu es mon Fils bien-aimé, objet de mon affection.
12 Aussitôt l'Esprit poussa Jésus dans le désert.