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17 octobre 2021
au temple de Cologny
prédication du pasteur Marc Pernot
Le terme même de « bénédiction » en français est assez trompeur : son étymologie latine, facile à discerner, évoque le fait de « dire du bien », ce qui est déjà excellent mais qui est bien faible pour dire ce que cette notion recouvre dans la pensée biblique.
Effectivement, bien des personnes pensent que la bénédiction serait un cadeau que Dieu nous fait, une chance dans notre vie. C’est déjà mieux que de penser Dieu comme seulement disant du bien de nous. Cela ouvre sur une espérance plus concrète de ce que Dieu nous apporte dans notre vie pour nous aider, mais cela reste à mon avis encore trop extérieur à notre être pour dire ce qu’est la bénédiction de Dieu pour nous. Et cette vision de la bénédiction confond un petit peu Dieu avec un Père Noël céleste, c’est une idée qui est source de bien des malentendus, de bien des déceptions.
Il serait plus précis, je pense, de dire que la bénédiction de Dieu consiste à nous faire du bien : à développer notre être, à poursuivre sa genèse, à libérer, épanouir, nourrir tout notre bon potentiel, susciter des connections entre personnes. Parfois à soigner ce qui n’était pas trop en forme, à rechercher ce qui était perdu.
C’est ce que Jésus met en scène dans sa parabole la plus célèbre, à juste titre, celle de la brebis perdue (Luc 15). C’est vrai que dans cette parabole Jésus y dit du bien de nous puisque que cette petite histoire suggère que Dieu nous reconnaît déjà comme à 99% juste et à 1% comme ayant quelque chose qui gagnerait à être soignée. C’est déjà un conseil extrêmement concret et fécond pour que nous puissions aider une personne que nous aimons : de reconnaître et de la féliciter 99 fois pour ce qui est juste dans cette personne avant d’oser relever qu’il y aurait un point qui nous semblerait mériter d’être travaillé, puis de nous rendre disponible pour l’aider avec respect et patience... C’est en tout cas ce que fait Dieu, nous dit Jésus. Et cela : c’est de la bénédiction. C’est une double bénédiction : à la fois pour émanciper 99% de notre personne, et aussi pour nous aider sur le 1% de notre être qui serait encore une valeur, mais qui n’est pas assez révélée, qui est comme perdue, mal placée, peut-être, ou embryonnaire, ou froissée, malheureusement. La bénédiction de Dieu est ainsi un travail sur notre qualité d’être dans la vie.
L’étymologie hébraïque du mot « bénédiction » suggère qu’elle est encore plus que cela. Le verbe « bénir » (barak בּרךְ) en hébreu signifie aussi le genou (bérèk בֶּרֶךְ), cette articulation de la jambe qui permet de marcher avec souplesse. C’est pourquoi nous disons à la fois que Dieu nous bénit et que nous bénissons Dieu car c’est ainsi que s’établit cette articulation entre nous, et que cela nous permet de marcher avec Dieu dans la vie (Genèse 17:1). Un genou est à la fois un attachement solide entre les deux parties de la jambe, tout en permettant une souplesse, une liberté de mouvement de chacune des deux parties. Il en est ainsi entre Dieu et nous. Ce lien de bénédiction est inspirant pour vivre aussi en ce monde d’une belle façon.
Ce texte du livre des Nombres nous rend donc responsables avec Aaron et ses descendants de bénir nos semblables. Serions-nous Aaron ? Oui, bien entendu et nous tenons de Moïse aussi. Moïse est celui qui entend la voix de Dieu : c’est le travail de la foi en nous. Moïse nous parle de ce souffle qui est en nous, cet Esprit qui vient de Dieu et qui nous fait nous sentir concerné par l’épanouissement de notre prochain. Quant à Aaron, c’est ce qui, en nous, est chargé d’exprimer ensuite concrètement cette bénédiction.
Cette mission nous est particulièrement confiée à nous qui avons un intérêt pour Dieu. Les chrétiens sont souvent à la pointe pour ce qui est des actions de solidarité. Il y a heureusement de nombreuses personnes non-croyantes qui font aussi de très belles choses dans ce domaine, car c'est assez naturel de se sentir concerné par un être qui souffre à côté de nous. La foi aide à avoir cette fibre, mais elle n'est pas indispensable pour cela. Par contre, il y a une chose que seule la personne croyante peut apporter, c'est la bénédiction de Dieu. C'est donc vraiment une responsabilité particulière que nous avons car personne d'autre ne fera ce travail de porter la bénédiction à notre place, de faire sentir à une personne qu’elle est digne de ce meilleur qui consiste à être en articulation directe avec son Dieu. De ce meilleur qui consiste à se sentir appelé à être bénédiction en ce monde. Cette mission que nous avons est d’autant plus importante quand les temps sont compliqués et troublés, dans les temps de mutation. C’est toujours un peu le cas, seulement il semble qu’aujourd’hui nous soyons dans une situation d’urgence spirituelle.
Ce texte du livre des Nombres nous apprend à porter cette bénédiction de l’Éternel. Ce n’est pas une question de formule magique, ce n’est pas une amulette à porter sur nous afin de nous porter chance, c’est une théologie à vivre avec nos gestes et avec nos mots :
« Vous bénirez ainsi les enfants d’Israël,
vous leur direz : L’Éternel te bénit et te garde ! »
Cette formule écarte tout chantage. Elle ne dit pas que l’Éternel bénira ceux qui croient en lui, qui seraient religieux et sages. Le texte dit que l’Éternel bénit sans condition particulière de théologie, de foi ou de vie. La personne peut ensuite en faire ce qu'elle veut, ou non.
À la suite du Christ, la mission, notre mission est de porter cette bénédiction à l’ensemble de l’humanité. Ça fait du monde. Pourtant, le texte insiste pour exprimer cette bénédiction au singulier. La bénédiction de Dieu passe par l'individu personnel et sa liberté. L’objectif est une articulation directe entre l’individu et Dieu, son Dieu. D'ailleurs, dans les évangiles on voit souvent le Christ s'adresser à une foule, mais c'est l'individu qu'il bénit, qu’il appelle, c'est l'individu qu'il guérit, qu'il pardonne, qu'il libère, qu'il ressuscite.
C'est un berger que Dieu envoie et c'est une brebis que Dieu cherche à retrouver. Dieu bénit : il bénit le berger et il bénit la brebis dans cette articulation essentielle qu'il y a entre eux trois : Dieu et le berger, le berger et la brebis qu’il cherche, Dieu et la brebis qu’il aime de toute façon. Et quand tous se retrouvent c’est une joie immense. C’est la conclusion de Dieu après la formule de bénédiction : «et je les bénirai », qui est ce « les » de « je les bénirai » ? C’est à la fois celui qui a porté la bénédiction et celui qui l’a reçue. L'Éternel les bénira tous les deux.
La 1ère bénédiction que nous avons à faire sentir est :
« L’Éternel te bénit ! » est bien entendu l’essentiel et résume tout. Le « Il te garde ! » est important, car il ajoute une dimension de durée, alors que l’on pouvait craindre que la bénédiction pourrait être atteinte d’une date de péremption au cas où nous laisserions passer cette chance ou si nous la gâchions. Le « Il te garde ! » dit que même si nous ne gardons pas notre lien avec Dieu, lui, Dieu nous gardera même unilatéralement, et que Dieu a le temps pour lui, l’éternité et la patience.
Voilà la 2ème bénédiction, le 2ème projet pour chaque personne. Le don de la lumière donne à chacun la possibilité de voir par ses propres yeux, et donc de créer son propre chemin à son idée et en connaissance de cause. Le projet est d’abord que chaque personne se sente autorisée à avoir son propre regard, sa propre intelligence de la situation, c’est ce que dit la grâce de Dieu, reste ensuite à aider la personne à être capable d’avoir son propre regard, sa propre réflexion théologie, sa propre conscience éthique, avec l’aide directe de Dieu. Que chacun soit suffisamment éclairé, et équipé pour «discerner par lui-même ce qui est juste » comme le dit Jésus ( Luc 12:57).
Bien entendu, cette liberté que nous avons d’avoir notre propre regard fait qu’il arrive que nous perdions un peu notre chemin. C’est pourquoi cette 2ème bénédiction de la lumière ajoute dans le même souffle : « l’Éternel te fait grâce », le pardon est ainsi donné avant même l’action. Comme une promesse, comme une assurance. En même temps, cette démarche entière est sous le signe d’une bénédiction, c’est-à-dire d’une marche en articulation de la personne avec son Dieu, une marche avec le pas souple et tranquille du montagnard.
Voilà la 3ème bénédiction que nous sommes envoyés apporter. Elle est incroyable au point qu'elle a été souvent changée en « Que l'Éternel tourne son visage vers toi », au jussif comme un bon vœux et non comme un fait déjà avéré ; et avec l’Éternel qui «tournerait » ou « baisserait » son regard, alors qu’il est indiqué explicitement : « L’Éternel lève son visage vers toi ! ». Si Dieu « lève » son visage vers nous, c’est qu’il serait plus bas que nous ? C'est ce qui a pu choquer certains théologiens. Pourtant, c’est ce qui est marqué ici, c’est ce que Jésus nous dit dans cette parabole où le berger porte la brebis perdue. C’est ce que montre Jésus quand il se fait serviteur de ses apôtres en leur lavant les pieds (Jean 13:14). Et c’est un programme pour nous, évidemment, pour notre église qui est appelée à se mettre tout simplement au service de chaque personne, de sa propre intelligence singulière, et de sa relation à Dieu libre, sincère, personnelle, authentique.
Dieu met son nom sur chacun : c’est à nous de dire la dignité sacrée de chaque personne humaine. Dignité que rien, ni le péché, ni la maladie, ni quoi que ce soit ne peut réduire puisqu'elle est fondée sur le choix de Dieu de nous regarder comme son enfant bien-aimé.
Dieu nous bénit ainsi. Et il fait de nous une bénédiction pour quelques autres qu’il nous confie en particulier.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot
22 L’Éternel parla à Moïse, et dit : 23Parle à Aaron et à ses enfants, et dis :
« Vous bénirez ainsi les enfants d’Israël, vous leur direz :
27 C’est ainsi qu’ils établiront mon nom sur les enfants d’Israël, et moi je les bénirai.
3 Jésus leur dit cette parabole :4Quel homme d'entre vous, s'il a cent brebis et qu'il en perde une, ne laisse les nonante-neuf autres dans le désert pour aller après celle qui est perdue, jusqu'à ce qu'il la trouve ?
5 Lorsqu'il l'a trouvée, il la met avec joie sur ses épaules, 6et, de retour à la maison, il appelle chez lui ses amis et ses voisins et leur dit : Réjouissez-vous avec moi, car j'ai trouvé ma brebis qui était perdue.
7 De même, je vous le dis, il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui change, plus que pour nonante-neuf justes qui n'ont pas besoin de changer.
(Cf traduction NBS)