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Le dimanche 13 octobre 2019
Au temple de Champel - Genève
prédication du pasteur Marc Pernot
Ce texte de Jacques, texte si fort, implacable, ce texte est un appel à s’engager dans des actes au delà des belles paroles et des bons sentiments. Il n’est pas utile de vous sermonner là-dessus : vous comme moi savons parfaitement que c’est ce qu’il faut faire, vous comme moi avons du mal à le faire, et nous ne faisons dans cette mise en cohérence de nos idéaux et de nos actes que des progrès d’escargot neurasthénique. Au moins : nous essayons, et c’est bien.
Ce qui m’a intéressé dans ce texte pour aujourd’hui, c’est ce que Jacques dit de la foi à l’occasion de ce puissant appel.
Car il y a deux lieux communs théologiques qui me semblent extrêmement nocifs (il y a pourtant de la concurrence dans ce domaine) :
Le premier est l’affirmation pas si biblique que cela en réalité que Dieu serait « tout-puissant ». Cette opinion a fait plus d’athées que les plus acharnés des athées militants. Et cette opinion a culpabilisé tant de personnes sincèrement croyantes au point de leur faire perdre la foi : car quand une catastrophe tombe sur elles ou leur entourage, elles sont amenées à penser que... quoi ? Soit que Dieu veut cette catastrophe, soit que leur manque de foi a fait obstacle au bon plan de Dieu pour eux, les rendant comme responsables de ce malheur. Dans tous les cas, cette théologie du Dieu tout puissant fait alors des ravages, dans les consciences et dans la foi des personnes au plus mauvais moment possible. Il me semble donc essentiel de dire que Dieu n’est source que du bien, qu’il est puissant, certes, mais que quand il y a du mal c’est qu’il n’a pas pu l’empêcher. C’est pourquoi nous le prions et nous agissons à la suite de Jésus pour « que sa volonté soit faite », car c’est loin d’être le cas et ce n’est pas faute qu’il y travaille.
Le second lieu commun théologique qui est un redoutable faiseur d’athées et une source de trouble pour les croyants est cette affirmation disant que « la foi est un pur don de Dieu ». En effet :
Quelle théologie, quelle conception de Dieu est-ce que cela offre ? Un Dieu qui gâterait quelques privilégiés et tant pis pour les autres ? Tant pis pour cette part importante de la population qui n’auraient pas la grâce d’avoir reçu la foi ?
Avec cette théorie, quel regard porterions nous sur notre proche qui n’a pas la foi ? Qu'il ne serait pas aimé de Dieu ? Et qu’il n’y aurait rien qu’il puisse y faire, même s’il voulait avoir la foi, qu’il n’y aurait aucune chance ? En disant que « la foi est un don de Dieu », même si on ajoute quelques arguties derrière, on enferme la personne qui pense ne pas avoir la foi dans cet état. Et c’est cruel.
Pour le croyant, ce « la foi est un pur don de Dieu » me semble pouvoir être une source d’un sentiment de supériorité par rapport aux pauvres malheureux qui ne l’auraient pas. Et si vraiment, la foi était un pur don de Dieu : cette foi serait comme une tutelle imposée, un viol de la conscience, et la joie que procure réellement la foi serait comme un syndrome de Stockholm ?
Fort heureusement, ce n’est pas si biblique que cela de penser que la foi serait un pur don de Dieu. C’est la grâce qui est un pur don de Dieu, c’est à dire précisément le fait que Dieu aime sans condition chaque personne, sans condition et donc avec ou sans la foi, et que Dieu la garde comme une mère parfaite garderait son bébé.
Quant à la foi, chaque page de l’Évangile nous appelle à avoir foi en Dieu comme Jésus Christ nous le montre : dans la confiance en son amour (par exemple Marc 1:15 et 11:22, Jean 3:16 et 14:1). Il y a bien dans l’Évangile, explicitement un impératif dans ce ayez foi en Dieu » de Jésus, c’est donc que cela doit être possible de choisir d’avoir la foi, et aussi d’augmenter notre foi trop petite, comme le montre bien des épisodes où Jésus secoue ses apôtres chéris en les traitant d’ ὀλιγόπιστοι (de « petits croyants »), comme un appel à travailler à cela. Si la foi était un pur don de Dieu, ce serait Dieu qu’il faudrait secouer.
Saint-Augustin a d’abord pensé que la foi était un pur choix de la personne répondant à la grâce de Dieu. Il a ensuite évolué dans cette pensée à partir de ce verset de l’apôtre Paul « Qu'as-tu que tu n'aies reçu ? »(1 Corinthiens 4:7) qui lui fait dire que même la foi est un don de Dieu. Augustin sent bien la difficulté, si l’on nie la liberté de la personne d’avoir la foi ou non, ce don de la foi devient une sorte de viol de notre conscience. Il s’appuie donc sur ce verset de l’Évangile selon Jean où Jésus dit « Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire »(Jean 6:44), en douceur, de façon non contraignante. Par exemple, la beauté de ce monde parlant de son créateur(Romains 1:19-20) ou l’amour de Dieu pour nous (Romains 2:4) peuvent nous attirer, dit Paul. Il y a encore le message de l’Évangile et de la vie du Christ, et ce souffle de vie qui anime toute conscience humaine... tant de choses nous attirent vers ce Dieu que le Christ manifeste. Face à cette douce attirance, certains diraient « oui » par la foi et gagneraient la vie, et d’autres diraient « non » ou oublieraient de répondre et n’ayant pas la foi, perdraient leur chance d’avoir la vie.
Cette théorie est intéressante car elle ménage le fait que la foi serait un don de Dieu, et le fait qu’il serait possible de le refuser, comme on refuse un cadeau.
Le risque dans cette conception de la foi est d’en faire une condition pour être sélectionné dans le club très exclusif des personnes gagnant le salut et la vie éternelle. Car cette conception annule la grâce de Dieu. La clef du salut serait la performance de la personne à s’en saisir, et tant pis pour les moins performants, pour ceux qui ont eu de mauvaises expériences avec des croyants, ou ceux à qui l’on a présenté un Dieu épouvantable qui heureusement n’existe pas.
À mon avis, il faut tenir absolument le caractère absolu de la grâce de Dieu : gardant précieusement la vie de chaque personne, sans condition, que la personne ait la foi ou non, une grande foi ou une toute petite foi «comme un luminion qui fume » ou « un roseau brisé » dit Jésus (Matthieu 12:20). Et c’est précisément cet amour sans condition qui autorise chaque personne à choisir d’avoir la foi ou de ne pas avoir la foi, de placer cette foi en communion avec le Christ ou autrement, de choisir de travailler sa foi, de la nourrir, de l’exercer, d’en prendre soin, ou non. Car dans ce domaine la sincérité est essentielle, sinon la foi ne serait plus une inspiration profonde, elle serait un rôle, un emploi.
Pourquoi choisirions-nous d’avoir la foi ? Parce que c’est formidable. parce que cela correspond profondément à ce que nous sommes, nous, humains, de porter notre regard vers le haut et de chercher ce qui est source de vie dans la vie. Cette recherche d’un idéal : c’est une recherche philosophique. Cette recherche de la source de la vie : c’est une recherche existentielle. C’est chercher en soi-même ce qui rend notre être plus en forme, ce qui rend la vie plus belle autour de nous et donne à notre existence d’évoluer. Ensuite, quand on accepte d’appeler Dieu l’objet de ces deux recherches, l’Alpha de la source et l’Oméga de la finalité : cette recherche peut s’appeler de la théologie, et cette recherche peut alors s’enrichir de tant de pages de la Bible, de la philosophie, des écrits des mystiques. Et notre recherche peut s’ouvrir à une source et à une finalité d’un autre ordre, dans le choix de tenter la prière, ou dans la surprise d’une rencontre indicible. Cela est arrivé à bien d’autres que nous.
Chacun sa façon d’être dans cette recherche, telle personne peut sentir vivement à un certain moment, la présence de Dieu avec lui, en lui. Comme Paul sur le chemin de Damas. Telle autre personne peut avoir de l’émotion en se souvenant de sa grand-mère très croyante, telle autre s’intéresse à Dieu par la découverte de la Bible, ou par l’émerveillement scientifique, l’émotion artistique. Cela peut être seulement une recherche de vivre sa vie plus en conscience et en vérité... peut importe, tant de choses peuvent nous attirer, nous donner envie d’avoir la foi ou plus de foi, tant de dimensions existent dans la personne humaine, peu importe quel morceau de notre être commencera à s’animer d’un beau mouvement.
Et celui qui n’appelle pas « Dieu » l’objet de sa recherche n’est pas pour autant dénué de ce que nous appelons la foi. Sa foi l’animera aussi, d’une façon plus ou moins différente, avec une évolution, une façon d’évoluer plus ou moins différente. C’est pourquoi il est si important pour vivre : 1) en choisissant au moins d’avoir la foi, 2) ensuite en choisissant sa foi pas tout à fait n’importe comment 3) de la travailler, de l’affiner, de l’exercer. L’amour de Dieu n’est pas en jeu, bien sûr, et c’est pourquoi nous sommes libres de choisir librement la foi qui nous fera vivre. Dieu nous accompagnera. En particulier nous pouvons le prier en disant « Seigneur viens au secours de mon manque de foi », comme le père d’un enfant malade(Marc 9:24), ou comme Pierre qui s’enfonce (Mt 14:30-31). Cette prière est à mon avis le cœur même de la prière. Il est possible, il est excellent de commencer à prier ainsi précisément quand on a pas la foi ou quand notre foi vacille, comme quand notre foi est forte pour l’intensifier sur cette source ultime qu’est Dieu.
Jacques est frère de Jésus et il a choisi de le suivre dans la foi. Ce n’était pas plus facile pour lui que pour nous de choisir la foi suscitée par son frère, comme le dit Jésus « nul n’est prophète en son pays, dans sa famille » (Mr 6:4), et bien si, finalement, cela arrive. Jacques nous parle ici de la foi. Et nous pouvons trouver ici trois bons conseils pour cultiver notre foi, la rendre plus vivante, féconde et vraie :
Comme le corps sans souffle est mort,
de même la foi sans les œuvres est morte.(2:26)
Premier, excellent conseil. Jacques l’explique avec la petite parabole du pauvre affamé qui demande du pain et auquel le riche répond « va en paix et bon appétit ! ». Par cette parabole, Jaques ne nous donne pas une petite leçon de morale (inutile, car n’importe qui ayant un peu de cœur ne se moquerait pas ainsi d’un pauvre). Jacques nous dit que si nous ne travaillons pas notre foi par l’action concrète, notre foi sera comme morte en nous-mêmes, elle ne nous nourrira pas, ne nous réchauffera pas, ne nous donnera pas la paix dont elle est pourtant riche. Notre foi, au contraire, nous laissera en plan au milieu de notre détresse humaine, dans une sorte d’éclat de rire moqueur, sous forme d’une bénédiction hypocrite.
La foi respire, la foi prend son souffle dans des actes, en s’incarnant. Jacques nous en donne deux exemples.
C’est dans la rencontre avec Dieu, dans la mystique que commence le cheminement d’Abraham : tu es béni, tu seras bénédiction pour un grand nombre, « Va pour toi », « Va vers toi-même » dit littéralement l’envoi que Dieu donne à Abraham (Genèse 12:1), et c’est précisément cela, la foi. Abraham, s’anime, s’affranchit, il fonce. Il fonce même tellement que, croyant bien faire, il pense que Dieu lui demande de sacrifier son propre fils. En réalité, Dieu lui demandait de l’élever (les verbes « sacrifier » et « élever » sont le même mot hle en hébreu). L’émotion spirituelle est une excellente chose, pouvant parfois mener à des choses folles, c’est à l’épreuve de l’action qu’Abraham va pouvoir affiner sa pensée sur la façon dont Dieu fonctionne et l’idéal qu’il nous propose : élever l’autre et non le sacrifier, que Dieu est du côté de la vie, qu’il n’attend pas de sacrifice pour bénir, l’ayant déjà fait avant.
Sa foi très mystique a été élevée par la mise en pratique de cette foi, et sa foi va devenir ainsi source de vie et non de mort ce qu’une foi mal placée peut vite devenir, en particulier si l’idée qu’elle se fait de Dieu rend imaginable qu’il puisse souhaiter la mort ou le mal. D’où l’importance d’avoir une théologie de la pure grâce de Dieu.
Jacques évoque ensuite Rahab. Sa foi se fonde sur une observation de la vie et une recherche théologique comme quelqu’un qui lirait la Bible ou qui admirerait la foi de sa grand-mère, ou comment évolue le monde : Rahab observe que le Dieu de ce petit peuple venu d’ailleurs a été une source d’un cheminement extraordinaire pour eux (Josué 2:9-11). Elle choisit de placer sa foi en l’Éternel. C’est également avec intelligence qu’elle choisit de sauver les hébreux. Sa démarche de foi est intellectuelle alors que la foi d’Abraham était mystique. Pour l’une comme pour l’autre, la foi gagne à s’incarner dans des actes. Les deux vont être mis en mouvement, et chacun à sa façon sera une source de vie, au-delà de toute espérance. Rahab incarnait le type même de la vie humaine qui se réfugie dans une frénésie d’activités. Son métier de prostituée multipliait des actes mimant l’amour et la recherche de fécondité, sauf que son but était l’avoir et non l’être ni la grâce. C’est par la foi qu’elle se met en route, comme Abraham, elle abandonne la fragile sécurité de ses hauts remparts, elle choisit de suivre son propre chemin, par la foi, avec quelques nomades. Elle sera la mère de Boaz, grand-mère d’Obed par Ruth, arrière-grand-mère du roi David, ancêtre du Christ Jésus. Elle, l’ancienne prostituée des remparts de Jéricho, pour le salut du monde. Parce qu’elle a choisit la foi et les actes. Une foi qui respire, une foi vivante, qui évolue, qui se réforme, porte la vie en elle.
Amen.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
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Mes frères (et sœurs), à quoi servirait-il que quelqu'un dise avoir de la foi, s'il n'a pas d'œuvres ? La foi pourrait-elle le sauver ? 15 Si un frère ou une sœur n'avaient pas de quoi se vêtir et manquaient de la nourriture de chaque jour, 16et que l'un de vous leur dise : « Allez en paix, tenez-vous au chaud et mangez à votre faim ! » sans leur donner ce qui est nécessaire au corps, à quoi cela servirait-il ? 17Il en est ainsi de la foi : si elle n'a pas d'œuvres, elle est morte en elle-même.
18 Mais quelqu'un dira : Toi, tu as de la foi ; moi, j'ai des œuvres.
Montre-moi ta foi en dehors des œuvres ; moi, par mes œuvres, je te montrerai la foi. 19Toi, tu crois que Dieu est Un ? Tu fais bien : les démons le croient aussi, et ils tremblent.
20 Veux-tu donc savoir, tête creuse, que la foi en dehors des œuvres est stérile ?
21 Abraham, notre père, ne fut-il pas justifié en vertu des œuvres, pour avoir offert son fils Isaac sur l'autel ? 22Tu vois que la foi agissait avec ses œuvres, et que c'est en vertu de ces œuvres que la foi fut portée à son accomplissement. 23C'est ainsi que fut accomplie l'Ecriture qui dit : Abraham crut Dieu, et cela lui fut compté comme justice, et qu'il fut appelé ami de Dieu. 24Vous le voyez, c'est en vertu des œuvres que l'être humain est justifié, et non pas seulement en vertu d'une foi.
25 Rahab la prostituée ne fut-elle pas également justifiée en vertu des œuvres, pour avoir accueilli les messagers et les avoir renvoyés par un autre chemin ? 26Tout comme le corps sans esprit est mort, de même la foi sans œuvres est morte.