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C'est dans la tentation du pouvoir que s'inscrit le mal.

(Genèse 3 ; Luc 4 ; Matthieu 5)

(écouter, écouter le culte, imprimer la feuille)

12 janvier 2025 au temple de Vandœuvres
prédication du pasteur Marc Pernot

Suite à la réflexion de Hannah Arendt sur le manque de pensée personnelle comme source de mal (voir la prédication de dimanche dernier), je vous propose de nous interroger sur cette seconde grande source de mal qu'est la prise de pouvoir sur les autres. Jésus lui-même ayant été tenté par cela, nous dit l’Évangile.

La question n’est pas de dire que « ce n’est pas bien ». C’est vrai que cela fait énormément de dégâts à toutes les échelles, mais pour avancer, il est utile, comme en médecine, de comprendre ce qui est derrière le symptôme. Ces textes bibliques nous y invitent.

C’est déculpabilisant de voir que Jésus lui-même est tenté de prendre le pouvoir sur les autres. Cela implique que cela fait partie de l’humain.

Jésus est amené « par l’Esprit » dans le désert pendant 40 jours. Dans la Bible, ce nombre évoque un temps de gestation (par allusion aux 40 semaines d’aménorrhées de la gestation humaine). Jésus a dans les 30 ans, c’est le bon âge pour devenir plus adulte. Cela consiste à discerner quelles pulsions, quels désirs, quelles forces nous traversent, pour arriver à en faire quelque chose de bien. Jésus est intelligent, il est lettré et cultivé, connaissant la Bible, ce qui n’était pas une mince affaire à l’époque où un seul rouleau de cette bibliothèque était un trésor rare. Il a vraisemblablement une connaissance des philosophes présocratiques. Il est un orateur et un leader. Il a donc du potentiel et il se demande comment apporter quelque chose dans ce monde. Sa première impulsion est d’agir par le pouvoir sur les autres. Cela pourrait être efficace pour façonner une humanité nouvelle ? Pourtant, ce récit de l’Évangile nous dit que ce serait diabolique, du grec diaballo (δια-βάλλω) ce qui déconstruit, éclate, éparpille. Cela augmente le chaos dans le monde, alors que l’action de Dieu consiste à rassembler, harmoniser les différents éléments, les différents membres en un corps.

Nous aurions donc ces deux adorations alternatives : adorer le diable ou Dieu : c’est-à-dire agir par ce qui broie ou par ce qui fait vivre.

Le fameux récit de la chute de l’humain dans la Genèse nous dit que cette alternative est fondamentale. Il n’est pas question ici de lointains aïeux qui auraient commis une révolte adolescente contre leur Père céleste. Ce ne serait alors qu’une anecdote. Il s’agit plutôt d’un récit fondateur qui parle de l’humain et donc de nous. Cet humain que nous sommes a reçu du potentiel, comme Jésus : nous avons une certaine liberté, Dieu nous a placé dans le jardin d’Éden, littéralement en hébreu « le jardin des délices » avec pour mission « de le cultiver (de servir) et de garder » (Genèse 22:15).

Une impulsion vient à l’humain, figurée par un serpent. Le texte précise que ce serpent est créé par Dieu, ce qui implique que cette impulsion est fondamentalement bonne, comme l’intelligence et la faculté de créer librement. Toute la question est dans la façon dont cette impulsion s’exprimera. Ève est, elle, une figure de notre propre vitalité, de notre élan de vie. Elle hésite. Elle sent qu’il y a là une question de vie et de mort. Quelle difficulté ?

Elle est constitutive de la nature humaine. Nous sommes dans une position étrange, paradoxale :

1) L’humain évolue dans un monde mitigé : avec une part de merveilles et de délices, et une part de chaos. La mission que nous donne Dieu de « cultiver et garder » cette création : c’est garder ce qui est bon et agir en créateur sur ce qui reste de chaos. Cette cohabitation du chaos et des délices se trouve dans le monde et en nous. C’est la première complexité.

2) L’humain a des caractéristiques propres au divin : une capacité à créer, à innover librement. À notre mesure, nous sommes à l’image de Dieu, mais nous ne sommes pas Dieu, comme le remarque le serpent. L’humain est tissé de ces deux réalités : de poussière du sol et de souffle divin, l’Esprit (Genèse 2:7) . C’est une position complexe par nature. De plus, l’humain est appelé à évoluer, à transcender sa poussière par l’Esprit. Or, évoluer est merveilleux et est inconfortable : l’adolescent le sait bien. Nous sommes dans cette chance et cette difficulté.

3) Enfin, l’être humain est libre (dans une certaine mesure). Or, il est difficile de choisir dans un monde complexe : il y a souvent une part d’ombre en toute situation et l’avenir est inconnu. En choisissant un chemin, on renonce à d’autres qui auraient pu être géniaux, qui sait ? Avoir à choisir donne le vertige.

C’est pourquoi le philosophe et théologien Søren Kierkegaard parle d’angoisse ou même de désespoir. L’humain est malade de trouille, et pourtant cette situation complexe fait que notre nature est absolument merveilleuse. Ève est une figure de notre vitalité, de notre âme. Le serpent qui discute en elle est une figure de cette complexité : il est la plus géniale des créatures, nous dit le récit, et il peut nous faire faire n’importe quoi.

Comme quand l’être humain, pour se rassurer et se sentir un peu plus acceptable à ses propres yeux, cherche à lutter contre les autres, vus comme des concurrents, des ennemis. Dans ce récit, même Dieu paraît alors comme un ennemi jaloux de nous. Prendre le dessus sur les autres est la première, la plus essentielle des tentations, et en même temps personne ne peut nous en vouloir de ressentir cette peur et ce désir. Cela fait partie de notre nature, nous disent ces récits fondateurs de la tentation de l’humain et de Jésus. Ces textes nous disent à la fois que c’est naturel et qu’il est possible de nous en sortir autrement.

Pour cela, il est bon de connaître cette difficulté serpentine, afin de mieux en repérer les mécanismes dans notre propre fonctionnement. Pas pour nous culpabiliser, mais pour prendre soin de nous et chercher de l’aide.

Nous sommes parfois comme un enfant qui se réveille à moitié et qui est encore dans son cauchemar, qui a l’air si réel, si présent. Comment chasser ces ombres ? Ces textes, notre réflexion et notre prière sont des outils pour avoir un regard plus lucide, éveillé. Non, nous ne sommes pas nuls. Non, nous ne sommes pas méchants quand nous sentons monter notre désir de pouvoir sur les autres, et parfois de l’écraser. Il serait seulement bon que ce désir s’exprime autrement, dans ce retournement que Jésus arrive à vivre.

Car cette pulsion impérieuse nous donnant envie de prendre le pouvoir sur d’autres fait des dégâts formidables. Dans les cas extrêmes, ce sont ces chefs d’État qui veulent prendre le pouvoir sur les voisins, l’Ukraine, le Groenland ou la Palestine… Autres cas extrêmes : ce sont ces hommes pédophiles, violeurs, maltraitant leur conjoint… Leur but n’est en réalité pas une satisfaction sexuelle, c’est un désir de pouvoir total sur l’autre : c’est une mauvaise façon de gérer leur propre peur, leur angoisse, leur déception. Même si ces cas extrêmes sont très particuliers, nous pouvons sentir en nous-même quand, dans telle circonstance de notre journée, nous avons été motivés par le désir de prendre le pouvoir sur l’autre. C’est à cela, en particulier, que sert notre prière, pour travailler sur la découverte de ce qui a motivé nos actes, et pour demander à Dieu son aide :

Face à la peur, face à ce sentiment de ne pas être dignes, nous avons la grâce de Dieu. Que nous la ressentions dans notre prière ou que nous la méditions par l’intelligence : nous pouvons recevoir comme cette parole fameuse, cent fois répétée dans la Bible : « N’ayez pas peur ! » Dieu nous considère, en l’état, comme son enfant bien-aimé, il nous bénit et il nous accompagne.

Face au sentiment de se sentir loin d’être à la hauteur, il nous faut, là encore, raison garder et saisir que ce sentiment est normal. C’est simplement une soif de grandir, d’apprendre, d’évoluer un peu, de faire quelque chose d’un petit peu utile, peut-être. Ce n’est pas forcément confortable, mais nous pouvons nous réconcilier avec ce sentiment. Et le vivre sereinement de façon positive. C’est un retournement à 180°.

Jésus le reconnaît, parfois, au fond de nous, une voix nous dit : Haïssez ceux que vous ressentez comme des ennemis. L’Esprit de Dieu reprend : mais moi, je vous dis d’aimer et de servir, comme vous pourrez.

Il y a effectivement des choses qui nous déçoivent, à commencer souvent par nous-mêmes, par ce monde, et même par Dieu. Il y a parfois la peur qui nous étreint. Et parfois l’envie de tout envoyer balader, de briser, d’écraser ? C’est normal, reste à reconnaître qu’il y a derrière cela un magnifique serpent à domestiquer. Pour cela, prendre une certaine hauteur, comme Jésus va dans le désert, accompagné par l’Esprit de Dieu, aide bien utile pour repérer et pour dompter notre serpent ancien. Jésus s’appuie sur des paroles de la Bible qui lui reviennent à la mémoire et l’aident à faire autre chose de nos désirs humains profonds, qu’ils s’expriment dans le sens de la vie et non dans le sens du chaos. C’est ainsi que Jésus refuse d’agir par le pouvoir sur les autres, mais plutôt en se mettant au service des autres.

Ce retournement a inspiré le fondateur du scoutisme, Baden Powell. Comme officier à la retraite, ayant traversé bien des situations, il savait ce que sont les hommes et leur désir de pouvoir sur les autres. Un jour, Baden Powell voit dans la rue des grands garçons qui s’amusent à maltraiter des plus petits. Il y a là un comportement mauvais pour les victimes et pour les bourreaux, mais il comprend qu’au fond, ce qui motive leur comportement est la soif viscérale de se sentir grand et d’être ainsi un peu plus acceptable à leurs propres yeux. Cela donne à Baden Powell l’idée d’organiser des camps où les grands pourraient aider les plus petits, leur apprendre des techniques comme faire des nœuds, monter un lieu de vie en pleine nature et faire du feu sous la pluie. Que cela répondrait infiniment mieux à leur désir d’être grand, et en paix.

Nous n’arrivons que peu à vivre ces retournements salutaires ; mais au moins, nous y travaillons ! Dieu est notre aide et notre secours.

Amen

pasteur Marc Pernot

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot

 

 

Textes Bibliques

Genèse 3 :1-5

Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que l’Éternel Dieu avait faits. Il dit à la femme : Dieu a-t-il réellement dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? 2La femme dit au serpent : Nous mangeons du fruit des arbres du jardin. 3Mais quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez pas et vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez. 4 Alors le serpent dit à la femme : Vous ne mourrez pas du tout ! 5 Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et que vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal….

Luc 4 : 1-13

Jésus, rempli d’Esprit Saint, revint du Jourdain et il était conduit par l’Esprit dans le désert, 2pendant quarante jours, tenté par le diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et lorsque ce temps fut écoulé, il eut faim. 3Alors le diable lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. » 4Jésus lui répondit : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra. » 5Le diable le conduisit plus haut, lui fit voir en un instant tous les royaumes de la terre 6et lui dit : « Je te donnerai tout ce pouvoir avec la gloire de ces royaumes, parce que c’est à moi qu’il a été remis et que je le donne à qui je veux. 7Toi donc, si tu m’adores, tu l’auras tout entier. » 8Jésus lui répondit : « Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et c’est à lui seul que tu rendras un culte. » 9Le diable le conduisit alors à Jérusalem ; il le plaça sur le faîte du temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas ; 10car il est écrit : Il donnera pour toi ordre à ses anges de te garder, 11et encore : ils te porteront sur leurs mains pour t’éviter de heurter du pied quelque pierre. » 12 Jésus lui répondit : « Il est dit : Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. » 13Ayant alors épuisé toute tentation, le diable s’éloigna de lui jusqu’à la prochaine occasion.

Matthieu 5 :43-45

Jésus dit : Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. 44Mais moi, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent…