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10 novembre 2024 au temple de Vandœuvres
prédication du pasteur Marc Pernot
L’Évangile selon Luc a été écrit dans un excellent grec, il y a pourtant dans son premier chapitre deux psaumes complètement hébraïques : le cantique de Zacharie et le cantique de Marie. Ce dimanche, je vous propose de nous inspirer du premier, le célèbre cantique de Zacharie, appelé aussi le « Benedictus ». Ce Zacharie n’est pas le prophète du Ve siècle avant Jésus-Christ, c’est un prêtre du temple de Jérusalem vers -50 et qui aura, contre toute attente, un fils, qui deviendra Jean-Baptiste, cousin de Jésus.
Pourquoi est-ce que Zacharie invente et chante ce psaume ? C’est pour célébrer la naissance de son fils Jean. C’est assez naturel, seulement, de cette joie sincère, Zacharie fait une louange puissante. Zacharie a aussi de l’espérance pour son bébé-miracle, seulement Zacharie élargit cette joie et cette espérance en un Psaume qui est tout un programme de développement pour l’humanité.
Cette démarche me semble déjà géniale : ne pas laisser filer une de nos joies, une de nos espérances, petite ou grande, sans la reprendre et nourrir quelque chose de plus grand. C’est ainsi qu’une joie fugace peut s’incarner en qualité d’être, qu’une espérance qui nous anime ne reste pas comme un rêve, mais devienne en nous comme un souffle, et peut-être même comme une vocation. Je pense que dans ce mécanisme se joignent à la fois de la psychologie et du miracle divin. C’est pourquoi Zacharie ne se contente pas de déboucher le champagne à la naissance de son fils, il en fait une louange à Dieu qui s’élargit alors en une formidable espérance.
Qu’est-ce qui nourrit le fait que Zacharie et Élisabeth passent de leur simple joie à ce formidable psaume qui est venu jusqu’à nous ? Le moteur qui anime ce mouvement est exprimé dans le verset qui précède son psaume, cette interrogation de la foule : « Que sera donc cet enfant ? Car la main du Seigneur était avec lui. » (v.66)
Ce moteur pour aller au-delà de l’écorce de nos bons sentiments, c’est l’émerveillement et l’interrogation.
« La main du Seigneur est sur lui ». Comment entend-on cela ? Qu’il a de la chance ? En réalité, cette expression est très classique dans la Bible hébraïque : « La main de l’Éternel » évoque une action créatrice de Dieu. « La main du Seigneur est sur lui », cela dit l’attention de Dieu et aussi la poursuite de son action pour une évolution décisive. Cette référence à l’action créatrice de Dieu rejoint le fait que Jean soit désigné par ce qualificatif d’« enfant ». Or, tout verset de la Bible parle aussi (et même principalement) de son lecteur : cet enfant, c’est nous aussi, et la bonne main de Dieu travaille encore à notre genèse.
Ce verset nous appelle à nous interroger et à nous émerveiller ainsi : toi que Dieu aime et garde comme son enfant bien aimé, toi que Dieu cherche à faire grandir et élever, que deviendras-tu ? Cela nous ouvre à une dignité et à une espérance qui dépassent toute espérance humaine.
Comment est-ce que l’on sait que la main de l’Éternel est sur cet enfant comme sur nous ? C’est l’émerveillement, repris ensuite dans notre louange, qui permet de discerner cela derrière la réalité prosaïque de notre existence. Comme si quelque chose qui était muet auparavant se mettait à nous parler, à prendre du sens. Des choses arrivent qui avaient peu de chance d’arriver, qu’on discerne comme des alignements, des rencontres, des étincelles de vie nouvelle. Et ces petits émerveillements, collectés et repris dans la prière peuvent nous faire sentir comment la main de Dieu est réellement sur nous. Nous pouvons alors frémir avec cette interrogation : « Que sera cet enfant », cet enfant que nous sommes, cet enfant qu’est telle personne que j’aime ? « Que sera donc cet enfant ? » C’est plus que de s’interroger sur son avenir, c’est mettre l’accent sur son être, s’interroger sur ses dons, sa croissance, son déploiement possible. Dieu agit par sa main : c’est une action douce, continue, en faveur de notre développement. Par définition, tout acte de création apporte du nouveau. C’est donc à de l’inattendu, à du jamais vu que nous pouvons nous attendre et espérer comme une bonne surprise. Notre vie est encore ouverte. Et nous ne le savions peut-être pas avant de nous étonner et de prier ainsi.
Le 1 er moteur dans ce récit est l’émerveillement et l’interrogation. Le second est l’Esprit de Dieu.
« Zacharie est rempli d'Esprit saint et prophétise ». Il avait déjà un peu d’Esprit-Saint, puisqu’il avait déjà saisi que cet enfant (une image de nous-mêmes) était le fruit de la grâce de Dieu et qu’il rayonnait de cela. C’est pourquoi Zacharie appelle son enfant Jean, ce qui signifie en hébreu, littéralement, « la grâce, la bonté gratuite et fidèle de l’Éternel ».
Mais maintenant, Zacharie est même « rempli d’Esprit-Saint » et prophétise : il fait lui-même avancer les choses. L’« Esprit », dans la pensée hébraïque, est une autre image que la main pour parler du dynamisme créateur de Dieu, sauf que l’Esprit, c’est ce souffle créateur que Dieu met en nous pour nous créer et nous rendre créateurs. L’Esprit agit ainsi en nous, au fond de notre conscience, de notre cœur, de notre psychisme ; alors que « la main de Dieu » évoque une action de Dieu peut-être plus extérieure à notre être et dont nous bénéficions.
L’Esprit de Dieu permet à Zacharie de « prophétiser », c’est-à-dire de voir le présent, d’abord, puis de discerner les fondamentaux à travers ce présent et la mémoire du passé, de voir alors en quoi cela esquisse un projet, l’espérance de Dieu pour nous.
Deux mots ouvrent le psaume de Zacharie. Deux mots essentiels.
Le premier est « bénir ». En grec et en latin, ce mot signifie littéralement « dire du bien », ce qui est seulement sympa. Alors que dans l’hébreu de Zacharie, il est question de tout autre chose. Le mot hébreu BRQ signifie « bénir » et il signifie aussi l’articulation du genou. « Bénir l’Éternel », c’est nous articuler avec lui de façon à ce que ça marche, que ça avance. Un genou est en particulier bien utile pour pouvoir nous élever sur un chemin de montagne. Comment marche un genou ? Il offre à la fois une liberté à chacun des deux membres de la jambe, tout en conservant un attachement fort entre les deux. C’est ainsi que Dieu nous bénit : il est attaché à nous et il nous garde tout en nous rendant libres.
Par l’Esprit, Zacharie, l’humain, prend conscience de l’existence de cette articulation profonde entre Dieu et nous. C’est alors que nous pouvons bénir à notre tour Dieu : nous attachant à lui tout en le laissant libre de faire à son idée à lui, Dieu (au lieu de lui donner des ordres comme nous adorons le faire).
Tout au long de son Psaume, Zacharie célèbre effectivement à plusieurs reprises ce Dieu qui nous « visite » : il se rend présent là où nous avons choisi d’être, à notre idée. C’est une manifestation de son attachement indéfectible à nous, son enfant. C’est une première libération : nous pouvons alors oser choisir librement notre propre route, en confiance que Dieu ne nous laissera pas tomber.
Le second mot du psaume de Zacharie, c’est « Seigneur », Kyrios en grec, ce qui fait penser à un empereur, à une autorité dominatrice. Ce n’est pas du tout cela en hébreu, malgré ce que disent bien des traductions anciennes et récentes. « Seigneur » sans article en grec couvre ce nom propre de Dieu qui s’écrit en hébreu avec ces quatre lettres YHWH (et qui se prononce Yahou comme dans Netanyahou, qui n’honore pas trop bien son nom). YHWH, c’est le nom qui est donné à Dieu dans la Bible hébraïque pour dire Dieu en tant qu’il aime, qu’il pardonne, qu’il va rechercher celui qui est perdu ou désespéré pour le sauver. C’est Dieu comme source de vie, comme source d’élévation, encore et encore.
Le psaume de Zacharie comprend ensuite trois paragraphes qui célèbrent l’Éternel qui nous visite et qui nous libère.
Dans le premier paragraphe, Zacharie sent que cette double opération est à l’œuvre pour nous maintenant : c’est une expérience discernée par l’Esprit, dans notre émerveillement et dans notre prière.
Dans le deuxième paragraphe, Zacharie fait le lien entre son expérience de Dieu et la Bible. Cela l’aide à déchiffrer sa propre expérience, à mieux saisir comment Dieu est avec lui, et que Dieu a toujours été comme ça.
Nous pouvons alors saisir, comme Zacharie dans le troisième paragraphe, que le petit enfant que nous sommes est appelé à prendre sa part dans ce travail de Dieu dans le monde, que nous sommes à la fois au bénéfice et acteur de ce travail d’émancipation et d’évolution de l’humain.
Comment Dieu nous en rendra capable ? Nous avons tant d’ennemis, comme le dit Zacharie, ce sont nos ennemis intérieurs, quels qu’ils soient. Ces ennemis, eux aussi, ont leurs mains sur nous : ils tendent à nous façonner, à nous déterminer. Ils nous créent comme des filets dans lesquels nous sommes pris et qui nous tirent vers le bas, pouvant aller jusqu’à nous rendre souffrants, désespérés, voire méchants.
Qui nous en délivra ? Les « entrailles de la miséricorde de Dieu » nous dit Zacharie. Là encore, il est utile de passer en hébreu pour comprendre de quoi il s’agit. La « miséricorde », en hébreu, c’est Raramqui signifie aussi l’utérus. Donc, littéralement, « les entrailles de la miséricorde de Dieu » c’est l’utérus de la miséricorde de Dieu, de son amour pour nous. Cette indéfectible tendresse maternelle de Dieu nous visite, elle nous éclaire, elle nous engendre, elle nous accouche d’un nous-même délivré de nos ennemis intérieurs. Nous pouvons alors cheminer en paix et libre de faire le bien. C’est le programme. Ensuite, on voit dans le Psaume de Zacharie que cette libération est à la fois vécue au passé, au présent et espérée pour le futur. Il s’agit donc d’un cheminement de croissance, pas à pas, vers une paix croissante.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
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Après la naissance de son fils que Zacharie appelle « Jean » :
66Tous se demandaient : Que sera donc cet enfant ? Car la main du Seigneur était avec lui.
67Zacharie, son père, fut rempli d'Esprit saint et prophétisa en disant : 68Béni « Seigneur », le Dieu d'Israël, parce qu’il a visité et a procédé à l’émancipation de son peuple. 69 qu’il a fait se lever une corne de salut pour nous dans la maison de David, son serviteur 70—comme il le dit par la bouche des saints depuis toujours, ses prophètes— 71un salut nous sortant de la coupe de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous détestent.
72C'est ainsi qu'il réalise sa compassion envers nos pères et qu'il se souvient de son alliance sainte, 73selon le serment qu'il a juré à Abraham, notre père, de nous donner : d’être sans crainte, arrachés de la main des ennemis, de pouvoir lui rendre un culte 75 dans la sainteté et la justice devant lui, tout au long de nos jours.
76Et toi, mon enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut, car tu marcheras devant le Seigneur pour préparer ses chemins, 77pour donner à son peuple la connaissance du salut en les délivrant de leurs péchés, 78grâce aux entrailles de compassion de notre Dieu : c'est par elles que nous visitera le soleil levant d'en haut 79pour apparaître à ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort et pour réorienter nos pieds dans un chemin de paix.