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Hippopotame et Crocodile (Behémot et Léviathan)

(Job 40 ; Psaume 8)

(écouter, culte en entier, imprimer)

Le dimanche 21 juillet 2019
Au temple de Malagnou - Genève
prédication du pasteur Marc Pernot

Le livre de Job commence par 39 chapitres de débats théologiques passionnants, sans que Job cesse de se croire l’égal de Dieu et persiste à rendre Dieu responsable du mal qui lui arrive, du chaos qui le frappe. Dieu lui donne alors d’observer l’hippopotame et le crocodile. Parfois il est bon de suspendre nos pensées et nos débats et d’observer le monde qui nous entoure, la nature et les êtres, d’en mesurer les merveilles et les problèmes, peut-être.

Comme quoi : la découverte de la vie et de Dieu est comme une science, progressant par la réflexion et la discussion d’une part ; et d’autre part l’observation. Les deux gestes sont importants, chacun s’enrichissant de l’autre et se corrigeant aussi.

L’observation, la théorie et la pratique

L’Éternel Dieu nous donne ici à observer l’hippopotame et le crocodile. Pour les hébreux ce sont des créatures exotiques, comme elles le sont pour nous, aux limites du monde connu et aux limites de l’étrangeté. C’est remarquable, car ce texte aurait pu nous proposer d’admirer une brebis, une colombe, le ciel étoilé ou un enfant nouveau-né, comme le fait le Psaume 8. Cette observation aux limites est le propre d’une démarche scientifique ayant soif de progresser dans sa justesse. A partir de l’observation de phénomènes, il y a un temps d’élaboration d’un modèle ce qui peux demander une intense réflexion et bien des discussions comme l’évoquent les 39 premiers chapitres du livre de Job. Vient ensuite l’essentielle confrontation avec des expériences prises en dehors de celles considérées au départ. C’est ainsi que l’on peut évaluer la qualité d’une théorie : dans son succès à fonctionner dans les cas limites. C’est valable également pour la théologie et la morale. Si cela ne cadre pas, il ne suffit pas de penser s’en sortir avec une pirouette du genre « c’est le grand mystère le foi » qui est le marqueur typique de la gène du théologien devant le dévoilement des incohérences de sa belle théorie.

Indépendamment de cela, les allers et retours entre une pensée construite et la vie réelle sont essentiels à bien des titres :

La Bible, de part ses approches, cherche à nous faire réfléchir, à confronter des opinions diverses, à discuter et enfin à regarder le monde réel, les personnes et Dieu, dans leurs complexités.

Une variété à profusion

Dieu donne à observer l’hippopotame et le crocodile. Job, le discutailleur, le rebelle, l’homme qui ne doute pas de son bon droit... Job constate que tout n’est pas aussi simple qu’il l’imaginait.

Le monde comprend une incroyable variété de formes de vie. L’hippopotame et le crocodile, chacun en son genre est une bête formidable, seulement l’un ne mange que de l’herbe et l’autre ne mange que de la viande, l’un est tout dodu et l’autre tout plat, l’un est couvert d’écailles et l’autre de cuir lisse, l’un a des centaines de dents et l’autre juste quelques unes... Quelle imagination, quelle créativité ! La première complexité que découvre Job ici, c’est la variété des formes de vies, chacune ayant son incroyable beauté et ses dangers.

À quoi est-ce que ça sert d’avoir créé une telle variété ? Pourquoi des créatures aussi bizarres que l’hippopotame et le crocodile ? Que tirer de cette observation pour notre propre philosophie de vie, notre foi, notre prière ?

Pour notre espérance et notre prière

Cela nous apprend d’abord qu’avec Dieu : on peut s’attendre à tout. Quand nous désespérons de trouver une solution, quand tout nous semble sans espoir, bloqué : nous pouvons nous souvenir de l’hippopotame et du crocodile de Job et saisir qu’il existe une quantité de solutions que nous n’imaginons même pas, et ouvrir l’œil, ouvrir notre espérance à ce que nous ne sommes pas encore en mesure d’attendre. Tant que notre monde et notre vie nous semblent familiers nous risquons de passer à côté de bénédictions spéciales. Je pense que dans notre prière nous pouvons placer devant Dieu notre observation du monde, notre vie et notre personne, nos difficultés et nos projets. C’est aussi grâce à Dieu et la confiance qu’il inspire que nous pouvons observer en vérité. Quant à ce que nous attendons de Dieu pour la suite, il me semble favorable de rester ouvert : Dieu est infiniment créatif, et s’il ne peut pas tout, il ouvre des possibles absolument inimaginables.

Chacun a place en cette vie

La seconde chose que nous apprennent ces spectaculaires hippopotame et crocodile, c’est que nous pouvons nous trouver nous-même bizarre par rapport à ce qui nous semble « normal », nous pouvons nous demander à quoi nous servons ? Jamais nous ne serons aussi bizarres que l’hippopotame et le crocodile en ce monde. L’Éternel apprend à Job à admirer ces créatures, cela nous apprend à aimer la particularité de chaque personne et cela nous permet de commencer à aimer notre propre singularité : notre visage qui est heureusement particulier, comme notre corps, notre personnalité, notre caractère, notre histoire, nos talents. Avec tout cela nous avons une place dans ce monde, au moins autant que l’hippopotame et le crocodile, et tant pis pour les esprits qui ne voudraient que des êtres standards. Cela n’est bon que pour les idéologues. L’Eternel nous mène plus loin.

Behémot : un mélange de beauté et de chaos

Job découvre une seconde complexité dans l’observation de l’hippopotame, à l’intérieur même de cette unique créature. Nous voyons qu’elle est à la fois :

En effet, l’hippopotame est observé comme dans un entre deux. Il est une créature des marais, il est en grande partie caché, ne laissant apparaître souvent que deux yeux rigolos et des oreilles qui dépassent de la surface du marais entre les feuilles de lotus.

Dans le contexte de la Bible, cet entre-deux est le signe d’une création encore en cours d’achèvement. Car Dieu crée de deux façons : 1) en injectant des idées originales (nous le voyons bien ici avec ces deux créatures spectaculaires), et 2) en distinguant les choses : le sec du mouillé et même en distinguant les eaux d’en haut et les eaux d’en bas, en distinguant la lumière des ténèbres... L’hippopotame est un être mi-sec mi-mouillé, en partie à la lumière et en partie caché. Il appartient à la création géniale de Dieu, et il existe encore en lui encore du chaos primordial, de l’inachevé.

Le texte dit que nous sommes comme lui. C’est même la 1ère chose que Dieu dit : « Voici l'hippopotame que j'ai formé comme toi ! » (Job 40:15)

Nous avons là une piste fondamentale pour notre compréhension de ce monde et de l’existence du mal : dans cette vision de la création et de nous-même comme étant une créature en cours d’achèvement, avec une part merveilleuse et une part de chaos, source de souffrance et de danger. Il demeure du chaos primordial : quelque chose de sauvage, de brut, d’inachevé dans le monde et en nous. Cela est source de souffrances absurdes, qui n’ont d’autres causes que le chaos. Job a tort d’en rendre Dieu responsable, il n’est pas non plus coupable de non assistance. Le chaos est le signe que quelque chose demeure en attente de la création par Dieu, avec ceux qu’il arrivera à faire participer à cette évolution positive. Dieu y travaille. Toute évolution prend du temps et l’univers est jeune.

La description de l’hippopotame dans ce texte du livre de Job est une figure de ce monde et de nous-même. Pour parler ce cette réalité que l’hippopotame nous fait découvrir, les philosophes et les théologiens gardent souvent son nom hébreu de Behémot, et pour ce qu’évoque le crocodile son nom hébreu de Léviathan.

Léviathan : la morsure de la Parole

On reconnaît le crocodile dans la description du Léviathan, avec sa bouche formidable et sa cuirasse invincible. Il n’a pas ce côté inachevé du Behémot, il est ici présenté comme une figure de la Parole de Dieu, ou de l’Esprit créateur de Dieu.

La première chose qu’il apporte : c’est toute une série de questions, quatorze surprises intrigantes. Ce qui est bien révélateur de ce qu’apporte la Bible pour nous faire avancer et la surprise qu’est toujours l’action de Dieu pour nous, pleine de créativité. Dieu est à la fois plein de tendresse maternelle et il est une force immense à l’échelle des mil milliards de galaxies, chacune formée de quelques centaines de milliards de soleils. En c’est « cela » qui s’intéresse à nous ? « Éternel, notre Dieu, Qu’est-ce que l’humain pour que tu le visites ? » comme le dit la louange du Psaume 8. C’est ainsi que Dieu est plein insaisissable pour nous, en même temps, nous dit le texte de Job, un seul de ses éternuements est lumière, nous donnant de voir plus clair. Et son chemin éclaire le nôtre.

C’est ainsi que le Léviathan est le complément et l’espérance, l’avenir du Behémot que nous sommes et qu’est la création tout entière.

Les philosophes et les théologiens se sont emparés de cette vision décisive du livre de Job, de cette tension entre le Behémot, merveilleux et chaotique, et du Léviathan, source ultime de création harmonieuse.

Choisir entre Behémot et Léviathan ?

Le philosophe Hobbes, par exemple, privilégie le Léviathan. Le Behémoth lui semble mener au chaos. Il redoute que chacun se sente prophète ou prophétesse, détenant la Vérité, ou reine et roi au dessus de tous. Effectivement, il y a le risque que chacun n’en fasse qu’à sa tête dans la société, et décide tout d’un coup que ce serait mieux de rouler en contre sens sur l’autoroute quand cela lui chante. C’est vrai que pour créer une société vivable, comme le suggère Hobbes, il faut un souffle commun sinon, le chaos l’emporte.

À l’inverse, Milton, contemporain de Hobbes, pencherait plus pour privilégier Behémoth. Il est pour la pluralité des interprétations et pour la liberté. Il trouve qu’il y a quelque chose de tyrannique à vouloir unifier la pensée sous un seul et même Léviathan. Il y a le risque qu’une seule personne ou un petit groupe prétende détenir la Vérité et considère tous les autres comme des hippopotames seulement dignes de brouter le fond de la rivière.

Milton a raison, son programme est bien plus sympathique. Seulement... l’équation est délicate car nous sommes dans l’entre deux. Ce serait parfait si le monde et si chacun de nous n’était pas un Behémot en partie génial et inspiré, en partie aussi encore sauvage et chaotique. Dans cet entre-deux du Behémot, il nous faudrait réconcilier Milton et Hobbes.

Comme le dit Job en contemplant Behémot « Là est le commencement des chemins de Dieu ».

C’est un appel à reconnaître et la beauté du Behémot et le besoin de l’action de Dieu.

Dans cette vision, Job a appris à comprendre la complexité du monde, sa situation actuelle d’être entre deux, et d’être dans une dynamique, un cheminement de Dieu.

Après avoir ainsi médité, Job répond à Dieu :

« Mon oreille avait entendu parler de toi,
Mais maintenant mon œil t'a vu. » (Job 42:5)

Voici le résultat de 39 chapitres de discussions théologique et de la contemplation lucide de ce monde et de nous-même, de notre nature sauvage et merveilleuse aussi. Dieu est innocent du chaos du monde, il y travaille, il est la source du cheminement.

Toute évolution prend du temps.

Léviathan, Par son souffle, son Esprit, comme le dit Paul, Dieu travaille en chacun et il travaille aussi à tisser des articulations entre nous tous, et de la compassion, et une participation à cette œuvre.

Que Dieu assainisse nos marécages de son souffle de vie. Et nous fasse, ensemble, prendre pieds sur la terre des vivants.

Amen.

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot

 

 

Lecture de la Bible

Job 40

1 L'Éternel reprit la parole et dit à Job :

2 Le discutailleur va-t-il faire un procès à qui t’a donné la vie ?
Celui qui conteste avec Dieu a-t-il une réponse à cela ?...

15 Voici :

Behémot : l'hippopotame que j'ai formé comme toi !
Il mange de l'herbe comme le bœuf.

16 Le voici ! Sa force est dans ses reins,
Et sa vigueur dans les muscles de son ventre ;

17 Il raidit ses membres comme un cèdre ;
Les nerfs de ses cuisses sont entrelacés ;
18 Ses os sont des tiges de bronze,
Son ossature comme des barres de fer.

19 Il est la première des œuvres de Dieu ;
Celui qui l'a fait l'a pourvu d'une épée.

20 Les montagnes lui fournissent sa pâture,
Là où se jouent tous les animaux de la campagne.

21 Il se couche sous les lotus,
Dans le secret des roseaux et des marécages ;

22 Les lotus le couvrent de leur ombre,
Les saules du torrent l'environnent.

23 Si le fleuve devenait violent, il ne s'alarmerait pas ;
Si le Jourdain se précipitait dans sa gueule, il resterait en sécurité.

24 Est-ce quand il a les yeux ouverts qu'on pourra le saisir ?
Est-ce qu'on le prendra au piège, pour lui percer le museau ?

25 Et Léviathan : le crocodile :

32 Mets ta main sur lui :
Tu souviendras de ce combat pour ne plus recommencer !

Psaume 8

Psaume de David.

Ô Éternel notre Dieu
Qu'il est grand ton Nom par toute la terre !

Jusqu'aux cieux Ta splendeur est chantée
par la bouche des enfants, des tout-petits
rempart que tu opposes à l'adversaire
où l'ennemi se brise en son agression.

Quand je regarde ton ciel, ouvrage de tes doigts
la lune et les étoiles que tu as mises en place
Qu'est-ce que l’humain pour que tu penses à lui
l’enfant humain pour que tu le visites ?

Tu l'as fais de peu inférieur à Dieu
le couronnant de gloire et de magnificence
Tu l'établis sur les œuvres de tes mains
Tu mets toute chose à ses pieds :
les troupeaux de bœufs et de brebis et même les bêtes sauvages
les oiseaux du ciel, les poissons de la mer
tout ce qui va son chemin dans les eaux

Ô Éternel notre Dieu
Qu'il est grand ton Nom par toute la terre !

(Cf. traduction NBS)