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« Aujourd’hui cette Écriture est accomplie dans vos oreilles. »

(Luc 4:14-30)

(écouter, écouter le culte, imprimer la feuille)

20 octobre 2024 au temple de Vandœuvres
prédication du pasteur Marc Pernot

La grâce de Dieu, sans la vengeance de Dieu

Jésus lit ce passage célèbre du prophète Ésaïe et il arrive à ces paroles : « … pour proclamer une année de faveur de la part du Seigneur… », il s’arrête net au milieu de la phrase, réenroule le livre, le remet, puis Jésus s’assied. Stupéfaction dans l’assemblée des fidèles : Jésus a refusé de lire la fin de l’annonce solennelle d’Ésaïe sur les temps messianiques. Qu’est-ce que Jésus a refusé de lire ? Ésaïe annonçait que l’envoyé de Dieu vient « …pour publier une année de grâce de l’Éternel, et un jour de vengeance de notre Dieu. » (Ésaïe 61:2).

En pleine liturgie de la fête de Kippour, Jésus censure un texte majeur du grand prophète. Son geste est tonitruant. Il proclame de la part de Dieu « l’année de grâce ». Ah, ça Oui. Mais en interrompant brutalement sa lecture de ce texte que tout le monde connaissait par cœur, il proclame aussi la fin de la crainte d’un Dieu vengeur. Dieu n’est pas comme cela, il ne l’a jamais été et il ne le sera jamais un Dieu vengeur. Le Christ ouvre ainsi le temps d’une autre théologie. Hors de question de penser Dieu comme nous attendant au virage pour régler ses comptes. C’est purement un temps de grâce que Jésus ouvre devant nous, temps de l’amour de Dieu même pour ses ennemis (nous dira Jésus Luc 6:35), temps du bon berger qui court partout, encore et encore, pour chercher même la plus perdue des brebis perdues, et qui la trouve, et qui la porte sur ses épaules vers la vie et même fait la fête avec elle, pour elle (Luc 15:6).

C’est la fin de ce que l’on appelle « la rhétorique de la peur », technique bien connue dans l’art de manipuler les foules (Aristote, Politique V,8 ). Ce geste spectaculaire de Jésus signifie que, pour lui, il n’est pas question d’être dans la peur de Dieu : de lui ne viennent que des bonnes nouvelles pour chacun.

Le programme : annoncer, annoncer, annoncer

Jésus annonce ici son programme : ce qu’il entend faire pour apporter ce salut décisif pour l’histoire de l’humanité que Dieu l’envoie porter. Il le dit en sélectionnant dans ce passage d’Ésaïe ce qui lui semble définir sa mission : il s’agit purement d’apporter une parole. En effet, tous les verbes d’actions retenus par Jésus sont de cet ordre : annoncer, proclamer, envoyer, et encore proclamer. En premier lieu, et c’est le titre de son programme, « annoncer LA bonne nouvelle », avec l’article défini : il s’agit donc de la bonne nouvelle ultime, pure bonne nouvelle, sans mélange, qui emporte tout. Son message est ainsi d’un autre type que celui des prophètes, car leurs annonces comprenaient typiquement un mélange d’avertissements et de promesses afin de pousser les auditeurs à choisir la vie et à pratiquer la justice, plutôt que de se laisser aller à faire n’importe quoi. Jésus, lui, ne garde que la Bonne Nouvelle, pas l’ombre d’une menace, au contraire. C’est la fin de toute menace de la part de Dieu, une bonne nouvelle sans mélange, une bonne nouvelle pour chaque personne, même celles qui sont étrangères à l’alliance avec Dieu, comme le montre Jésus en sélectionnant des épisodes de la vie d’Élie et d’Élisée.

Après la lecture de la Bible, tous attendaient la prédication de Jésus portant sur le texte lu dans les Écritures. Sa prédication sera courte et intense, la voilà en intégralité : « Aujourd’hui, cette Écriture a été accomplie dans vos oreilles. » C’est ce qui est littéralement marqué et cela signifie que le programme de Jésus consiste en de la parole à entendre.

Cela se confirme quand on poursuit la comparaison entre la lecture de Jésus avec le texte original d’Ésaïe : Jésus a enlevé le Dieu vengeur et il a aussi enlevé du programme tout ce qui n’était pas de l’ordre de la parole, mais de l’action dans le texte d’Ésaïe, des actions pourtant si précieuses : « soigner ceux qui ont le cœur blessé » (c’est excellent), « consoler ceux qui sont dans le deuil » (c’est excellent aussi).

Jésus présente un programme purement oral. Du pur Évangile en paroles, pas en actes. C’est surprenant car Jésus a certes beaucoup enseigné, mais qu’il a passé aussi son temps à agir pour soigner ceux qu’il croisait. Alors ? Eh bien, c’est encore plus beau : ce n’était donc pas son boulot de donner ce genre de coups de main, il l’a fait en plus, bénévolement (si je puis dire), par abondance du cœur et souvent au détriment même de sa mission d’annonce alors que son temps était compté. C’est cela aimer vraiment : c’est se préoccuper de l’autre parce que l’on se soucie de lui, pas parce que cela nous serait commandé. Cela vient du cœur et de l’intelligence.

Ce n’est pas seulement un détail. Certains attendaient un Christ qui agisse en transformant le monde, nous donnant la joie d’être spectateurs et de ce salut qui arrive comme la nourriture dans le bec des oisillons. Certains attendent ce salut dans un « retour du Christ » interrompant l’histoire présente du monde. Jésus s’inscrit ici en faux contre ces visions : l’Esprit de Dieu l’a envoyé pour annoncer, pour proclamer, pour envoyer, et encore proclamer. C’est dans nos oreilles que tout se joue, afin que nous soyons transformés par ce que nous entendons : que nous nous ouvrions à une joie, à une liberté, à une paix, à une vie active selon ce que notre âme nous indiquera alors.

Des fidèles déçus demandent des actes

Pourtant, les Nazaréens sont déçus. Ils ont entendu parler de quantités de belles actions que Jésus avait faites récemment à une journée de marche de chez eux, et ils veulent en profiter à leur tour. Ils sont « étonnés par les paroles de grâce qui sortent de sa bouche », mais Jésus comprend que ce qu’ils attendent en réalité, ce sont des actes de soins. Ce qu’ils attendent, c’est un Dieu bien serviable qui règlerait comme par magie leurs problèmes immédiats. C’est là qu’ils attendent de l’aide, alors que le salut qui passe par les oreilles, c’est une transformation de notre être : c’est tout autre chose, c’est plus fatiguant, c’est dérangeant et cela nous implique. Mais voilà, le salut que Jésus apporte ne peut marcher que comme ça. Comment forcer une personne à être heureuse ? Comment forcer une personne à être libre ? Cela ne passe que si la personne saisit l’intérêt de la chose et qu’elle s’implique. Ce n’est pas un salut auquel on assiste en spectateur comme les Nazaréens l’espèrent. Et pour la vue ? Comme le fait remarquer Jésus ailleurs en parlant à des intégristes : il n’y a pas plus aveugle qu’une personne totalement sûre de son propre point de vue (Jean 9:41) car elle ne cherche alors surtout pas à voir autre chose.

C’est ce qui arrive à ces Nazaréens, ils pensent connaître Jésus par cœur, ils ont leur idée de ce qu’ils attendent de Dieu. Comment pourraient-ils recevoir le salut que Jésus apporte sans se laisser surprendre par quelque chose qu’ils ne connaissent pas encore, sans se poser des questions grâce à ses paroles si souvent complexes et choquantes.

Devenir adulte grâce à Dieu

Jésus est envoyé afin que toute personne puisse devenir une personne adulte, plutôt que cette humanité geignarde qui implore ses dieux de faire ses quatre volontés et se plaint quand ce n’est pas le cas. Jésus est envoyé, portant, apportant l’Esprit de Dieu, c’est-à-dire cette puissance qui crée, nous dit la Genèse par sa Parole : « Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut. » (Genèse 1 :3) Ce genre de parole ne nous apportera de la lumière que si nous nous la prenons pour nous, c’est alors dans nos oreilles qu’elle s’accomplit à cet instant.

C’est ce que fait Jésus, d’ailleurs, en lisant les paroles d’Ésaïe. Il les lit, et il les entend comme parlant de lui. Par l’Esprit, il se saisit du texte d’une façon intelligente et créative : il écarte le Dieu vengeur afin de garder un pur Dieu de grâce. Il entend l’envoi dont il est question et il y va : le miracle s’est accompli dans ses oreilles. La Parole s’incarne en lui :

« Il annonce la bonne nouvelle aux pauvres ». On sait que Jésus parlait sans discrimination aux personnes indépendamment de leur capital, il a pour amie la riche Marthe et le pauvre Lazare, il prêche à des puissants comme Zachée ou Simon tout autant qu’au mendiant sur le bord de la route. En quel sens alors la Bonne Nouvelle serait « pour les pauvres » ? Ces pauvres, ce sont ceux qui sont pauvres dans ce qui nous manque pour être vraiment nous-mêmes et bien vivants, les pauvres en bonnes actions, pauvres en foi, ceux qui ont une théologie déficiente, peu de maîtrise d’eux-mêmes, ceux qui sont abattus, pauvres en espérance… La bonne nouvelle, c’est que rien de tout ce qui nous manque ne fera obstacle pour Dieu, que nous pouvons, à l’écoute de cette parole, relever la tête et compter sur lui. La porte de notre être s’est ouverte à la vie par nos oreilles.

De même pour ceux qui sont prisonniers de ce qui les empêche, quoi que ce soit. La question devant Dieu n’est jamais celle d’un passif que nous penserions avoir, Jésus nous délivre de ce poids par son annonce de l’année jubilaire. C’est aussi par les oreilles que nous pourrons avoir envie d’ouvrir nos yeux, les yeux de notre foi, de notre bienveillance, de notre espérance.

Envoyé comme Christ est envoyé

Ce n’est pas tout, car si l'on entend cette parole que Jésus lit dans le rouleau des Écritures, nous entendons Jésus dire : « L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a donné l'onction, il m'a envoyé… » et avec les Nazaréens, nous voyons Jésus s’approprier ce texte pour lui-même, et nous le reconnaissons aussi. Mais le miracle qui « s’accomplit dans nos oreilles » c’est quand nous entendons aussi ces paroles de Jésus comme nous concernant nous-mêmes, afin qu’à notre tour nous puissions saisir que « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a donné l’onction, il m’a envoyé… » , moi qui entends aujourd‘hui cette parole.

C’est d’ailleurs ce que Jésus reprend quand il dit qu’il est venu « pour envoyer libres les traumatisés ». Ce n’était pas dans le texte d’Ésaïe 61, c’est Jésus qui l’ajoute, il comprend que son rôle, c’est de nous envoyer comme il a été envoyé. Il nous envoie nous, avec nos vies cabossées, souffrantes. Il nous envoie en liberté, pas comme de bons petits soldats soumis à ces ordres et ânonnant ses paroles. Christ est confiant dans l’Esprit que Dieu met sur nous, faisant de nous un ou une apôtre, envoyé pour annoncer la bonne nouvelle que Dieu surabonde de grâces pour cette personne que nous voyons et pour ce monde.

pasteur Marc Pernot

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Texte Biblique

Évangile selon Luc 4:14-30

Jésus retourna par la puissance de l'Esprit vers la Galilée, et sa réputation se développa dans toute la région. 15Il enseignait dans leurs synagogues, et il était glorifié par tous.

16Il vint à Nazareth où il avait été élevé et il entra dans la synagogue le jour du sabbat, à son habitude. Il se leva pour faire la lecture 17et on lui remit le livre du prophète Ésaïe. Il déroula le livre et trouva le passage où il était écrit : 18L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a donné l'onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, il m'a envoyé pour proclamer aux captifs la délivrance, et aux aveugles le retour de la vue, pour renvoyer libres les opprimés,19pour proclamer une année de faveur de la part du Seigneur.20Jésus roula alors le livre, le rendit au servant et s'assit. Les yeux de tous, dans la synagogue, étaient fixés sur lui. 21Alors il se mit à leur dire : « Aujourd'hui cette Écriture est accomplie dans vos oreilles. » 22Tous lui rendaient témoignage, étonnés des paroles de grâce sorties de sa bouche ; ils disaient : Celui-ci n'est-il pas le fils de Joseph ? 23Il leur dit : Certainement, vous me citerez cette maxime : Médecin, soigne-toi toi-même, tout ce que nous avons appris qu’il s'est produit à Capharnaüm, fais-le aussi ici dans ton pays ! 24Jésus leur dit alors : Amen, je vous le dis, aucun prophète n'est bien accueilli dans son pays. 25 En vérité, je vous le dis, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d'Élie, lorsque le ciel fut fermé trois ans et six mois et qu'il y eut une grande famine sur tout le pays ; 26et cependant Élie ne fut envoyé vers aucune d'elles, mais vers une veuve de Sarepta, dans le pays de Sidon. 27Il y avait aussi beaucoup de lépreux en Israël au temps du prophète Élisée ; et cependant aucun d'eux ne fut purifié, mais Naaman le Syrien. 28Lorsqu'ils entendirent cela tous furent remplis de fureur dans la synagogue 29et se levant ils l’expulsèrent de la ville et le menèrent jusqu'à un escarpement de la montagne sur laquelle leur ville était construite, afin de le précipiter en bas. 30Mais Jésus, étant passé au milieu d’eux, s'en alla.