signature marcpernot.net

Attendre le retour du Christ ? ou vivre du Christ maintenant ?

(Matthieu 24:36-44 ; 1 Thessaloniciens 5:1-11)

(écouter, culte en entier, imprimer)

Le 1er dimanche de l'Avent, 1er décembre 2019
À Saint Pierre - Genève
prédication du pasteur Marc Pernot

C e texte de Matthieu est dur. Qui pourra l’écouter ? Il a été utilisé, ad nauseam, par les sectes et les franges les plus dures du christianisme pour menacer les fidèles d’un retour du Christ imminent, venant sélectionner les meilleurs fidèles pour la vie éternelle et laisser tous les autres à la mort. Autrement dit : veillez ou vous irez en enfer ! Détestable et cruelle rhétorique, à mon avis contraire à tout l’Évangile - ou alors, il faudrait me montrer une seule fois où Jésus aurait fait tomber la foudre sur un pécheur (Lu 9:54-56), ou même croisé une personne mal en point sans lui porter secours.

Attente du jugement de Dieu ?

Afin de comprendre de quoi il est question dans ces rares textes difficiles évoquant la fin du monde, il faut comprendre l’histoire de cette idée, une histoire en quatre étapes.

1) À l’époque de Jésus, il existait dans le judaïsme une attente à la fois impatiente et angoissée de la fin des temps et de la venue du Messie avec la victoire définitive de Dieu sur le mal. Ce serait alors le jugement dernier où les enfants de lumières vont vers le bonheur éternel et où les enfants de ténèbres sont envoyés dans les ténèbres extérieures, avec pleurs et grincements de dents. Cette vision avait été développée lors d’un contact prolongé des hébreux avec les religions mésopotamiennes. Une littérature apocalyptique va être produite dans le style fantastique. L’histoire du déluge y est souvent reprise comme le programme de ce jugement dernier, avec quelques justes sauvés figurés par Noé, et les autres noyés sous les eaux du jugement dernier.

2) Quand Jésus a été reconnu comme Messie (Christ), qu’est devenue cette attente ? Elle est logiquement devenue une espérance de son action présente. C’est ce que Jésus va s’attacher à vivre à sa façon, unique et surprenante, voire déroutante pour certains. Point de cataclysmes, point de mort des pécheurs : au contraire, ce drôle de Messie annonce l’amour de Dieu même pour ses ennemis, et effectivement, Jésus parle aux pécheurs, il ne réserve pas son traditionnel banquet messianique à l’élite des meilleurs : il mange avec les personnes de mauvaise vie (Mt 9:11, 11:19), il célèbre la foi d’un centurion romain (Luc 7:9), il montre en exemples une prostituée et un voleur (Luc 19:9). Étonnement, déception des théoriciens du « jour de l’avènement du Fils de l’homme ».

3) Quand les disciples se sont retrouvés sans Jésus, et qu’ils ont constaté que le monde continuait à tourner comme avant, s’ouvre une troisième période : bien des chrétiens recyclent la traditionnelle attente du Messie en attente de son retour pour finir son boulot (la parousie). Son absence est comme une courte pause technique, appelant plus que jamais à se préparer à sa venue, sans doute imminente. L’attente mêlée de crainte reprend le dessus. C’est ce que la première église a vécu de la disparition de Jésus vers 35 jusque dans les années 60.

4) Car alors, après avoir annoncé le « retour du Christ » imminent, après avoir attendu un an, dix ans, vingt ans, la génération des témoins directs de celui que l’on pense être le Messie disparait peu à peu. Une quatrième façon de vivre cette attente émerge, à mon avis plus fidèle à ce que Jésus a dit et manifesté. Il est le Christ et tout est déjà accompli : il n’y a donc plus à attendre la venue du Christ, ni son retour. Il est comme une graine semée, tout est là, cela va germer, pousser. Ce que les chrétiens vont se mettre à attendre, à espérer et à voir c’est que son salut prend corps en nous et que nous sommes en lui (Mt 18:20, Jn 14:20, 1 Cor. 12, Ga 2:20...). Cette évolution dans l’espérance est bien visible dans le début du livre des Actes des apôtres : les disciples demandent également au Christ quand est-ce qu’enfin il manifestera « son jour » ? La réponse étant que ça ne viendra pas comme cela, de l’extérieur, mais à l’intérieur de chacun : « vous recevrez une puissance, le Saint-Esprit survenant sur vous, et vous serez mes témoins » (Actes 1: 8).

Où se situe Paul dans 1 Thessaloniciens ?

La 1ère lettre de Paul aux Thessaloniciens est le plus ancien texte du Nouveau testament, écrit vers l’an 50, nous sommes encore dans la 3e période où des chrétiens attendent le retour du Christ. Dans d’autres lettres écrites une dizaine d’années plus tard, Paul aura changé d’optique et il est alors délibérément dans la 4e période comme son disciple Luc qui a écrit les Actes des apôtres. Par exemple, Paul y annoncera « vous avez été ressuscités avec Christ » (Col 2:12; 3:1), au passé, comme un salut déjà accompli par le Messie.

Mais dans cette très ancienne lettre aux Thessaloniciens, Paul est encore dans l’attente du retour du Christ. Il reprend l’annonce traditionnelle de l’attente du Messie qui viendra « comme un voleur dans la nuit », sauvant les « enfants de lumière » et éliminant les « enfants des ténèbres ». Ce sont les mêmes expressions que dans les écrits de Qumran, sauf que Paul a entendu l’Évangile du Christ, l’Évangile qui est « La Bonne Nouvelle » (et non un dernier avertissement avant la peine de mort éternelle). Paul reprend l’annonce du Judaïsme et il la transforme, il l’évangélise. Il dit aux Thessaloniciens que quand viendra « LE jour du Seigneur » ils n’auront rien à craindre du tri entre les enfants de lumière et les enfants des ténèbres, parce que nous sommes déjà, tous, enfants de lumière, considérés ainsi par Dieu même si nous nous sommes endormis, nous dit Paul. Nous sommes déjà des enfants « du jour » par avance puisque « Le jour » du Messie vient bientôt tout en étant déjà là, puisque Jésus a réellement vécu et est mort pour nous.

A quoi bon veiller alors, puisque nous sommes déjà sauvés ? Paul garde l’appel de vivre en cohérence avec cet enfant de lumière que nous sommes en réalité. Paul le dit alors sans la menace traditionnellement attachée à la venue « du jour » terrible.

Tant mieux. Seulement, n’y a-t-il pas le risque de prendre ces paroles de Paul comme sectaires : nous, chrétiens, sommes enfants de lumière et n’avons donc rien à craindre, par contre, est-ce que les non-chrétiens seraient des enfants de ténèbres qui vont être tout bientôt éliminés avec le retour du Christ ? Ce n’est pas ce que dit Paul, si l’on regarde bien, même cette menace-là disparaît ici car la ruine qui viendra subitement sur ceux qui sont à l’extérieur de l’église n’est pas celle de la torture pour tuer, Paul la compare aux douleurs de la femme qui accouche, multipliant la vie. L’annonce de Paul n’a donc rien à voir avec celle d’une secte, du genre : repentez-vous pauvres pécheurs, convertissez vous au message que je vous délivre sinon le terrible Seigneur ne pourra rien pour vous et vous serez jetés dans les ténèbres du dehors pour les siècles des siècles.

Hors de question ici de nous motiver à veiller par la crainte. La joie de l’Évangile est une motivation d’une autre qualité. Le message du Christ est passé par là. Paul réconforte ses paroissiens, il les rassure malgré le retard que le Messie leur semble prendre. Paul ajoute simplement qu’il serait pas mal de vivre en cohérence avec ce que nous avons reçu, qu’il serait bien de ne pas penser qu’à son petit salut à soi, pour nous édifier et nous réconforter mutuellement.

Les expressions et les images parlant ici du salut sont communes avec celles trouvées dans les manuscrits Esséniens de Qumran révélant la culture de l’époque. Mais sans la crainte de ne pas être sélectionné par le Messie à la fin des temps. Les Esséniens, eux, formaient un club de personnes héroïques cherchant à être comptées comme enfants de lumière. En même temps, leur vision est plus nuancée qu’on pourrait le penser car selon eux chaque être humain est à la fois enfant de lumière et enfant de ténèbres en diverses proportions (4Q186 et 4Q561), par exemple telle personne a 6 portions d’esprit de lumière et 3 de ténèbres, telle autre avec 8 portions de ténèbres et 1 de lumière. Cette conception peut utilement approfondir notre regard sur nous-même, sur notre prochain, et sur l’espérance de salut en Christ.

Où se situe l’Évangile selon Matthieu dans cette histoire de la compréhension de la fin du monde ?

Ce texte est à la fois plus ancien que cette lettre de Paul et plus tardif. En effet, Matthieu est un témoin direct de Jésus, il a donc entendu ce que Jésus prêchait, il a vécu cette conviction que le Christ n’était plus à attendre : qu’il est là et que ce que nous pouvons attendre est son œuvre au présent dans notre monde et notre vie. Seulement, Matthieu a ensuite vécu l’absence du Christ, et les années qui passent. Le texte que nous avons de Matthieu date de l’époque de transition entre la 3e et la 4e période, quand les chrétiens hésitent encore entre l’attente du retour du Christ et celle de l’action du Christ en nous et à travers nous dans le monde.

Notre passage de l’Évangile selon Matthieu garde à mon avis les traces de l’évolution de la foi de Matthieu en ce qui concerne la manière dont le salut en Christ se déploie dans l’histoire. Le début et la fin de ce passage reste dans une attente de la fin des temps à la fois dans l’espérance du salut et dans la peur de ce jour terrible, selon la tradition. Le milieu de ce passage (les versets 37 à 41) reprend ces codes avec des inflexions étonnantes qui peuvent laisser apparaître un tout autre message, possiblement des paroles de Jésus lui-même, ou l’espérance renouvelée de son action pour tous dans le présent de notre vie en ce monde.

D’abord avec l’histoire de Noé qui est traditionnellement relue dans la culture de l’époque comme annonçant la fin du monde avec l’humanité mauvaise noyée sous les eaux et le petit reste de justes porté par l’arche vers la vie. Or que dit ici Jésus ? Qu’à la fin des temps, les humains vivent joyeusement la vie en ce monde, et que subitement, quand Noé entre dans l’arche, ils sont « tous élevés », « tous portés » et non pas engloutis. Dans l’histoire du déluge c’est l’arche qui est « portée » (asn) par les eaux, sauvant Noé et sa famille. Ici, tous les humains, sans qu’il soit question de méchants ou de justes sont « portés » comme les anges se tiennent prêts à « porter » Jésus sur leurs mains, dit Matthieu plus haut dans son livre (Mt 4:6).

C’est vrai que certains pourraient lire aussi, comme bien des traductions, que le déluge les « emporte tous », et y retrouver la prédication de la menace et non celle du Christ venu pour sauver ceux qui sont perdus. Ces deux interprétations sont possibles à ce stade. Voyons la suite.

Jésus poursuit avec ces courtes paraboles de deux personnes faisant la même chose, une étant prise et une laissée. C’est une image traditionnelle, là aussi, dans les milieux apocalyptiques juifs, par exemple dans les livres d’Enoch. Mais là encore, regardons ce que Jésus promet comme action du Messie. Une personne est prise et l’autre laissée, abandonnée. Serait-ce une menace de Jésus pour nous motiver à bien veiller ? Là encore, il y a pour le moins une ambiguïté. Dans la parabole la plus célèbre de Jésus, celle de la brebis perdue et retrouvée (Luc 15), il y a également deux groupes : les brebis qui figurent les justes n’ayant pas besoin de l’aide du sauveur sont « laissées » par le berger, et la brebis qu’il prend sur ses épaules et qu’il porte donc c’est la brebis perdue. L’une et l’autre action du berger sont des œuvres de salut, bien sûr. Comme dit Jésus sans cesse, il est venu pour les pécheurs. Cela choque ses contemporains, car un Messie qui se respecte devrait exterminer les pécheurs et rassembler les justes, pas laisser les justes vivre leur vie et chercher ardemment les pécheurs comme le fait Jésus et de les « porter » tous vers la vie.

Ce message nouveau de la grâce de Dieu a été compris et aimé par les chrétiens des premiers siècles. Vous en avez un écho dans ce dessin de la fin du IIIe siècle que vous avez sur votre feuille : Jésus sépare la brebis du bouc, le juste du pécheur, comme on s’y attend dans le jugement dernier selon la tradition. Seulement, ici, que porte le bon berger ? Le bouc figurant le pécheur, bien sûr. Car c’est cette conception là du Messie que Jésus incarne. Il l’a d’ailleurs dit et montré : il ne vient pas pour juger le monde mais pour le sauver, nous le voyons sans cesse manifester le pardon de Dieu et son amour même pour ses ennemis, pas seulement pour ceux qui feraient partie du club parce qu’ils auraient la bonne déclaration de croyances ou auraient bien accompli des rites. Ensuite, bien sûr que chacun de nous est à la fois Noé et l’humanité violente, à la fois la brebis perdue et les justes, chacun a plus ou moins sa part de lumière et d’ombre.

Veiller ?

Si Christ s’occupe si bien du juste comme du pécheur, qu’est-ce que « veiller », comme nous le demande ici le Christ ? Veiller, c’est vivre avec intensité, d’abord. On peut penser ce que l’on veut de Jésus, on ne peut pas lui retirer qu’il a vécu avec intensité.

Veiller c’est se réjouir par avance de l’action de Dieu pour nous laisser libre et nous porter quand il faut, tous.

Veiller, cela pourrait être reprendre ces activités toutes quotidiennes cités ici par Jésus : manger, boire, se marier, aller au champ, moudre le grain. Veiller est alors un encouragement à goûter cette incroyable bénédiction qu’est la vie en ce monde. Déjà au sens matériel, trivial, temporel. Et aussi au sens spirituel : nourrissant et abreuvant notre foi et notre recherche de justice, faisant alliance avec notre Dieu dans l’amour, la fidélité et la confiance. Veiller en semant la Parole et moissonnant ses fruits, préparant du bon pain de vie pour ceux qui nous sont confiés.

Et si nous ne le faisions pas ? Nous passerions à côté de bien des joies. En tout cas, cela n’empêchera pas Dieu de nous porter vers la vie. En son heure, en son jour, à son rythme que lui seul connaît.

 

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot

 

 

 

Lectures

Évangile de Jésus Christ
selon Matthieu 24:36-44

36 Pour ce qui est du jour et de l'heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul.

37 En effet, comme ont été les jours de Noé, ainsi sera l'avènement du Fils de l'homme. 38En effet, comme les gens étaient dans les jours avant le déluge, mangeant et buvant, se mariant jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche, 39et ils ne savaient rien jusqu'à ce que le déluge vienne et les « élève » tous (ou les emporte tous) : il en sera de même à l'avènement du Fils de l'homme. 40Alors, deux hommes seront aux champs, un seul est pris et un seul est laissé. 41Deux femmes en train de moudre à la meule, une seule est prise et une seule est laissée.

42 Veillez donc, puisque vous ne savez pas quel jour votre Seigneur vient.

43 Vous le savez, si le maître de maison savait à quelle moment de la nuit le voleur vient, il veillerait et il n’aurait pas laissé fracturer sa maison. 44C'est pourquoi, vous aussi, devenez prêts vous-même, car le Fils de l'homme vient à l'heure que vous ne pensez pas.

1 Thessaloniciens 5:1-11

Quant aux temps et aux moments, frères (et sœurs), vous n’avez pas besoin qu’on vous en écrive. 2Vous-mêmes le savez parfaitement : "le jour" du Seigneur vient comme un voleur dans la nuit. 3Quand les gens diront : « Quelle paix, quelle sécurité ! », c’est alors que soudain la ruine fondra sur eux comme les douleurs sur la femme enceinte, et ils ne pourront y échapper. 4Mais vous, frères (et sœurs), vous n’êtes pas dans les ténèbres, pour que ce jour vous surprenne comme un voleur. 5Tous, en effet, vous êtes enfants de lumière et enfants "du jour" : nous ne sommes ni de la nuit, ni des ténèbres. 6Donc ne dormons pas comme les autres, mais soyons vigilants et sobres. 7 Ceux qui dorment, c’est la nuit qu’ils dorment, et ceux qui s’enivrent, c’est la nuit qu’ils s’enivrent ; 8mais nous qui sommes du jour, soyons sobres, revêtus de la cuirasse de la foi et de l’amour, avec le casque de l’espérance du salut.

9 Car Dieu ne nous a pas destinés à subir sa colère mais à posséder le salut par notre Seigneur Jésus Christ, 10mort pour nous afin que, veillant ou dormant, nous vivions ensemble avec lui. 11C’est pourquoi, réconfortez-vous les uns les autres et édifiez-vous l'un l'autre, comme vous le faites déjà.